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Classiques Garnier

Présentation Les entreprises familiales, plurielles mais singulières, paradoxales et encastrées

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Entreprise & Société
    2020 – 1, n° 7
    . varia
  • Auteur : Méric (Jérôme)
  • Pages : 33 à 36
  • Revue : Entreprise & Société
  • Thème CLIL : 3312 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Économie publique, économie du travail et inégalités
  • EAN : 9782406107873
  • ISBN : 978-2-406-10787-3
  • ISSN : 2554-9626
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-10787-3.p.0033
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 26/10/2020
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
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PRéSENTATION

Les entreprises familiales,
plurielles mais singulières, paradoxales et encastrées

Jérôme Méric

CEREGE – IAE de Poitiers

Derrière la dénomination dentreprise familiale se cachent des réalités extrêmement variées, de la plus petite affaire à la société cotée. La structure capitalistique familiale constitue, faut-il le rappeler, la forme historique des entreprises. Il y a trois cents ans, les formes « associatives » (au sens anglo-saxon du terme) étaient rarissimes. Aujourdhui encore, une part non-négligeable des grands groupes sont contrôlés directement ou indirectement par des familles. Prises dans le sens de détenteurs de la propriété, du contrôle ou de linfluence, ces familles jouent encore un rôle majeur dans la société, en tant que fournisseur, client, contribuable, acteur social, pollueur, etc. Mais quoi de commun, un label mis à part, entre LOréal et une société locale de plomberie ?

Bien quabordant la question sous des angles extrêmement différents, les trois articles de ce dossier contribuent à cerner ce qui, malgré leur diversité, singularise des entreprises familiales.

La première contribution retenue pour ce dossier aborde cette singularité sous langle de lorientation entrepreneuriale et à travers la question de qui est le mieux placé pour la diriger afin den tirer le meilleur profit. Cest à partir dun échantillon final de 284 sociétés familiales belges que Jonathan Bauweraerts et Olivier Colot explorent la relation entre lorientation entrepreneuriale et la performance dans de telles entités, la nature de la direction y jouant le rôle de variable modératrice. Les recherches antérieures suggèrent que le contexte familial 34facilite linnovation et la prise de risque, et par voie de conséquence la performance de telles entreprises. Toutefois, le rôle du dirigeant demeure essentiel dans ce processus de traduction de conditions favorables en effets tangibles. Cet article suggère que, lorsquun membre de la famille accède aux fonctions de direction, lentreprise éprouve des difficultés à tirer profit de son orientation entrepreneuriale. Il semble que laspect émotionnel lemporte sur la gestion et, de ce fait, la performance financière. Les dirigeants non familiaux sont plus aptes à échapper aux revendication sociales et émotionnelles de la famille, et ce tout particulièrement en contexte hostile. Paradoxalement, la prudence du choix endogame serait mère de périls.

Comme en écho à la première contribution, le deuxième article rappelle la nature profondément paradoxale des entreprises familiales. La tension qui sopère entre les liens familiaux et la recherche de profit relève selon Anne-Sophie Thelisson et Olivier Meier de la nature profonde du family business. Dans la vie de ces organisations, les successions ou les transmissions constituent tout particulièrement un révélateur de cette tension. Lapplication de la grille danalyse de Smith et Lewis (2011) aux entreprises familiales fournit une vision densemble des conflits possibles au moment où de tels processus sont engagés. Le cadre conceptuel adapté par les auteurs est appliqué à sept entreprises, et révèle que les tensions les plus perceptibles et probablement les plus dommageables sont liées aux relations entre les actionnaires familiaux et non familiaux. Les structures étudiées intègrent et cristallisent à la fois les logiques économiques et familiales autour de tensions performance-appartenance et organisation-appartenance.

Gérard Hirigoyen et Amélie Villéger, pour leur part, affichent lintention de dépasser les tensions consubstantielles à la gestion des entreprises familiales. Ils envisagent la singularité du family business par la manière dont il tisse des relations particulières entre le territoire conceptuel et le territoire géographique de lentreprise. Ils proposent de se fonder sur une appréhension anglo-saxonne du territoire pour étendre celui de lentreprise à sa dimension conceptuelle. Plutôt que dopposer les dimensions gestionnaire et émotionnelle, ils ouvrent le champ de lentrepreneuriat aux sciences sociales de manière, entre autres, à contextualiser la recherche au regard du temps, de lespace, des institutions, de lhistoire et de la société. Cette démarche a le mérite 35de replacer le dirigeant au cœur de laction sociétale. Lapplication de ce cadre danalyse au champ de lentreprise familiale permet déliciter des dimensions culturelles, « business » et sociales qui à la fois soulignent et englobent les spécificités de telles structures. Lencastrement des entreprises familiales au niveau local contribue à tisser des liens de dépendance complexes entre le territoire conceptuel et le territoire spatial. Cela se mesure dune part à léchelle du berceau géographique de ces structures, souvent très engagées dans le développement territorial, dautre part à travers les réseaux – matériels ou non – qui sétablissent entre la localisation dorigine et l« extérieur ».

Pour variées quelles soient, les questions abordées dans chacune de ces contributions renvoient à la nature des entreprises familiales. Il apparaît distinctement quelles sont plurielles mais singulières. Leur singularité tient, dune part, à la tension entre leurs natures économique et socio-affective, dautre part à la complexité et à la pérennité de leur encastrement dans les territoire spatiaux et sociaux. Leur rôle sociétal nen devient que plus explicite.

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BIBLIOGRAPHIE

Smith W.K. et Lewis M.W. (2011), « Toward a theory of paradox : A dynamic equilibrium model of organizing », Academy of Management Review, vol. 36, no 2, p. 381-403.