Nutri’zaza, la malnutrition et le service du bien commun Histoire d’une entreprise sociale hybride à « Objet Social Exclusif »
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Entreprise & Société
2019 – 2, n° 6. varia - Auteurs : Coriat (Benjamin), Toro (Magali)
- Résumé : L’objet de cet article est, à partir d’une réflexion sur le cas de l’entreprise Nutri’zaza, de s’interroger si et dans quelle mesure, certaines innovations institutionnelles en matière de contrat de société – et donc du statut de l’entreprise – peuvent se montrer appropriées à la satisfaction du bien commun. Après avoir rappelé le contexte et les origines du projet, l’entreprise Nutri’zaza et ce qu’elle signifie sont analysés. La conclusion est consacrée aux enseignements qui peuvent être tirés du cas présenté et s’efforce de répondre à la question posée de la relation entre le véhicule que constitue Nutri’zaza et la poursuite du bien commun.
- Pages : 85 à 103
- Revue : Entreprise & Société
- Thème CLIL : 3312 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Économie publique, économie du travail et inégalités
- EAN : 9782406107859
- ISBN : 978-2-406-10785-9
- ISSN : 2554-9626
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-10785-9.p.0085
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 26/10/2020
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français
- Mots-clés : Communs, entreprise, coopérative, innovation institutionnelle, statut de l’entreprise
NUTRI’ZAZA, la malnutrition
et le service du bien commun
Histoire d’une entreprise sociale hybride
à « Objet Social Exclusif1 »
Benjamin Coriat
CEPN, Université Paris 13
Magali Toro
Chargée de recherche socio-économique : Santé – Nutrition
Introduction : Contrat de Société,
Commun(s) et Bien(s) Commun(s)
L’objet de cet article est, à partir d’une réflexion sur le cas de l’entreprise Nutri’zaza, de s’interroger sur le point de savoir si et dans quelle mesure, certaines innovations institutionnelles en matière de contrat de société et donc d’entreprise peuvent se monter (ou sont) appropriées à la poursuite de la satisfaction du bien commun. Avant de préciser ce point, expliquons notre choix de partir de Nutri’zaza.
L’entreprise Nutri’zaza, qui opère à Madagascar dans des « restaurants pour bébés » où sont proposés des aliments dédiés est un cas emblématique 86à la fois de la lutte contre la malnutrition et de l’innovation sociale en matière de création de formes juridiques nouvelles servant de support à l’activité entrepreneuriale. Dans la littérature sur l’entreprenariat social, Nutri’zaza est souvent citée comme exemple de succès. L’entreprise a ainsi été distinguée par le prix de la finance solidaire en 2015. Plus récemment, en 2018, elle a été partenaire du Gret dans la lutte contre la malnutrition, dans un projet financé par l’Union européenne. De plus si l’entreprise Nutri’zaza ne peut être caractérisée comme un « commun » – il s’agit comme on le verra d’une « entreprise sociale » – ses fortes particularités, comme entreprise mise au service du bien commun, méritent qu’on s’y arrête.
Nutri’zaza, par son projet même, se trouve confrontée à une série de questions décisives de la lutte contre la malnutrition et, de ce fait, a été amenée à innover fortement pour ce qui est de la forme sociétaire et du statut donné à l’entreprise qui porte ce nom. Au final – c’est la thèse que nous soutiendrons – Nutri’zaza a accouché d’un modèle original que nous avons qualifié ici de « société à objet social exclusif » (SOSEx), modèle dont nous pensons qu’il peut jouer un rôle important à l’avenir dans l’accomplissement du bien commun.
Des précisons sur les notions de communs et de biens communs sont évidemment ici nécessaires. Nous rappellerons donc brièvement que la thématique des communs renvoie à une approche en sciences sociales qui, dans la lignée des travaux de la politiste Elinor Ostrom, traite des modalités de gouvernance mises en place autour de ressources partagées (Ostrom, 1990). Un commun dans cette approche est caractérisé par trois éléments : i) une ressource partagée (mise en commun), ii) des individus et une communauté disposant vis-à-vis de cette ressource de droits et d’obligations, iii) une structure de gouvernance de la ressource permettant de garantir les droits et obligations de chacun ainsi que la préservation de l’écosystème dont la ressource considérée est un élément (Coriat, 2015).
Au-delà, l’approche s’est déployée autour de la notion de biens communs. Selon la définition la plus couramment admise de la notion de bien(s) commun(s) – celle proposée par la commission Rododà – les Biens Communs sont alors définis comme … « des choses qui expriment une utilité fonctionnelle à l’exercice des droits fondamentaux ainsi qu’au libre développement de la personne ». En conséquence, et en tant que tels « ils 87doivent être protégés et sauvegardés par le système juridique, y compris dans l’intérêt des générations futures2 ». Des exemples de tels bien communs fournis par la commission Rodotà sont : les torrents, les fleuves, les lacs, milieux aquatiques, l’air, l’atmosphère, les places et monuments, le patrimoine culturel …).
Suivant ces précisons et définitions il apparaît nettement que l’alimentation se présente comme un candidat spécialement bien adapté à être déclaré et traité comme un « bien commun » dans la mesure où une alimentation sure et saine se présente indubitablement comme un élément exprimant « une utilité fonctionnelle à l’exercice des droits fondamentaux ainsi qu’au libre développement de la personne ». Mais il est clair aussi que l’alimentation ne peut devenir un bien commun que si des dispositifs appropriés sont mis en place permettant l’accès aux biens alimentaires pour tous et notamment aux plus démunis ; dispositifs au nombre desquels des « entreprises » (au sens très général de véhicules appropriés à l’objectif de satisfaire l’alimentation envisagée comme bien commun), sont conçus et déployés.
C’est ici que nous retrouvons le cas Nutri’zaza et la question de savoir si les spécificités qu’il présente permettent (ou non) de considérer cette entité comme un véhicule approprié à l’établissement du bien commun.
Pour répondre à cette interrogation, nous nous proposons de procéder de la manière suivante. Après avoir rappelé le contexte et les origines du projet qui a donné naissance à Nutrizaza (1), nous retraçons les premiers pas de l’expérience (2). Les limites rencontrées par ce premier déploiement étant précisées (3), l’entreprise Nutri’zaza et ce qu’elle signifie sont alors présentées (4). Pour clore cet article, une conclusion (5) est consacrée aux enseignements qui peuvent être tirés du cas présenté.
881. Contexte et Origine : le GRET, les programmes Nutridev et Nutrimad
À l’origine de Nutrizaza et bien avant que toute idée de création d’entreprise ait été formulée, il y a l’activité d’une ONG, le GRET3, engagée dans la lutte contre la malnutrition, notamment à partir de son programme Nutridev. À Madagascar où le GRET a pris racine, il crée, en relation avec l’IRD (Institut de Recherche pour le Développement), Nutrimad (pour Nutri Madagacar), appellation et extension locale de son programme général Nutridev4.
L’action à mener localement contre la malnutrition se présente d’emblée comme un défi majeur car la situation qui prévaut alors dans la grande île (la fin des années 1990) est critique. La malnutrition dite « chronique » touche en effet 50 % des enfants malgaches âgés de 6 à 24 mois, soit 900 000 enfants. Moins visible que la malnutrition aiguë, ses effets n’en sont pour autant pas moins dévastateurs. À la malnutrition chronique est associé un retard de développement de l’enfant (taille, développement cognitif) et elle fragilise la santé de ceux qui en sont victimes. Les séquelles sont irréversibles après l’âge de deux ans, la malnutrition chronique est responsable de 35 % des décès chez les enfants en bas âge.
Pour faire face à cette situation, la voie suivie par le GRET au sein de Nutrimad, consiste à travailler à la conception d’aliments de compléments, à partir d’une formule qui permettrait à la fois de combler les carences à l’origine de la malnutrition et d’être largement accessible, tant en termes de disponibilité que de prix– les aliments de compléments disponibles sur le marché étant proposés à des prix trop élevés pour les populations pauvres.
892. Koba Ainia et le réseau Hotelin : des innovations marquantes et des succès pour Nutrimad
Dans le cadre du programme Nutrimad, de nombreuses innovations voient le jour. Les deux principales concernent la mise au point d’un aliment de complément, en pratique une farine pour bébés à consommer sous forme de soupe, et un réseau de distribution de cette farine sous forme de « restaurants pour bébés » installés dans les quartiers populaires des villes.
2.1. Koba Aina (« Fleur de vie ») :
une farine pour bébés produite localement
C’est dans le contexte de la malnutrition chronique évoqué plus haut, qu’est conçue la « farine » Koba Aina5. Ce produit satisfait à nombre de caractéristiques qui le désignent comme approprié à la lutte contre la malnutrition chronique, pour les enfants de 6 à 24 mois auxquels il est destiné. En effet : i) le mélange nutritionnel que constitue la Koba Aina contient les suppléments jugés essentiels pour pallier les carences alimentaires qui menacent la croissance des enfants, ii) point central : 99 % de sa composition proviennent de l’agriculture locale, ce qui crée des fortes conditions de disponibilité et garantit aussi son acceptation en termes de goûts et d’habitudes alimentaires ; iii) il peut être préparé, rapidement, facilement et présente toutes garanties de sécurité alimentaire, car s’il doit être mélangé à de l’eau, le produit doit être bouilli pendant 5 minutes (ainsi même en cas d’eau contaminée, le risque est supprimé) ; iv) les rations sont calculées de telle manière que l’absorption de 2 doses de 35 grammes par jour (entre 6 et 12 mois) et 3 doses/jour (entre 12 et 24 mois) couvrent respectivement 39 et 56 % des besoins énergétiques, et 50 % des apports journaliers recommandés. Le reste des consommations nécessaires est fourni par l’alimentation ordinaire 90consommée dans la famille, notamment, pour les enfants jusqu’à 6 mois, sous la forme du lait maternel.
Enfin, last but not least, à la suite d’accords passés, la Koba Aina est produit localement (à Madagascar) par une grande société locale, importatrice et distributrice de différents types de produits et qui s’est engagée dans la fabrication de la Koba Aina.
Tous ces éléments attestent de la qualité des solutions proposées pour les rendre appropriées aux conditions locales. Mais le tableau resterait incomplet si l’on ne présentait ce qui constitue sans doute une innovation sociale majeure, à mettre au compte de Nutrimad, et qui concerne les modes de distribution du produit.
2.2. Hotelin : un réseau de restaurant pour bébés
C’est en effet une remarquable innovation à laquelle ont procédé les partenaires réunis autour de Nutrimad, avec la mise en place d’un réseau, de « restaurants pour bébés » : les Hotelin-Jazakely. En pratique il s’agit de locaux (ou dans certains cas de simples « stands ») où des bols de Koba Aina sont préparés et distribués aux enfants. Les Hotelin sont installés dans les zones les plus populeuses des cités malgaches. Chaque restaurant vise une population de 400 enfants « cibles » (entre 6 et 24 mois). Le choix est laissé de consommer sur place, ou d’acquérir un sachet (de 35 grammes) dont le contenu sera consommé plus tard. Dans tous les cas, soupes prêtes à consommer ou sachets à emporter, le prix (en 2014) est de 150 ariarys (soit 0,05 euros). Ce prix (qui évoluera au cours du temps) est toujours pensé pour rester accessible aux familles à faible revenu6. Ces restaurants sont aussi des centres d’écoute, de conseil et d’éducation pour les mères qui les fréquentent
Un rôle clé pour l’animation du réseau et la distribution de la Koba Aina est tenu par les « animatrices ». Ce sont elles qui sont en charge de l’ouverture et de la tenue des « restaurants » et autres stands. À cela s’ajoute la tâche d’alimenter le réseau des familles pour l’accès à la Koba Aina. C’est ainsi qu’il entre dans leur vocation de « démarcher » en porte 91à porte auprès des familles de leur(s) quartier(s) pour vendre sur place le produit ou inviter les mères à se rendre dans les Hotelin. Il entre aussi dans leur activité de « placer » les produits auprès des commerçants ou des boutiques de vente de produits alimentaires susceptibles d’acquérir et de proposer de la Koba Aina.
Les animatrices sont donc au centre de l’activité de distribution. Une grande importance a donc dû être accordée aux modalités de leur rémunération. Sur ce point le choix a été fait, non de les salarier, mais de les rémunérer à la commission. Elles perçoivent ainsi un pourcentage (25 %) sur chaque sachet ou soupe vendue, au sein comme au dehors du restaurant.
En dépit des innovations et des succès dont nous venons de faire état, le modèle qui a été mis en place de manière très empirique et pragmatique, a rencontré certaines limites.
3. Évaluations, limites
et difficultés rencontrées par Nutrimad
Après la phase de mise en place, les années 2007-2008 ont constitué un moment d’intense réflexion. À la suite de premiers échanges informels, une convention formelle est établie entre le GRET et Danone/Blédina, convention à laquelle sont associés aussi les principaux partenaires du Gret dans Nutrimad : l’IRD et la TAF (qui est l’entreprise nationale engagée dans la production de la Koba Aina).
Pour le GRET il s’agit à la fois de procéder à l’évaluation de l’expérimentation conduite dans Nutrimad et surtout, de trouver des solutions pour surmonter les difficultés rencontrées, assurer une plus grande diffusion du produit et parvenir à l’équilibre économique de l’activité menée autour de la Koba Aina.
Plusieurs limites et difficultés rencontrées par Nutrimad ont été relevées7
923.1 Prix et inerties dans les comportements de consommation
Même si le produit est vendu à des prix très inférieurs à ceux des concurrents, il reste élevé pour nombre de familles. À cela il faut ajouter que si sa qualité nutritive est reconnue et appréciée, nombre de mères restent persuadées que la variété des aliments qu’elles-mêmes proposent à leurs enfants, après le sixième mois, sont comparables, voire préférables, au complément que constitue la Koba Aina8
Celle-ci reste ainsi plutôt consommée « occasionnellement » et non avec la régularité pour laquelle elle a été conçue (2 doses/jour de 6 à 12 mois, puis 3 de 12 à 24 mois). Les résultats des enquêtes conduites en 2007-2008 font état de résultats très ambivalents. Car s’ils montrent un taux de pénétration du produit dans les familles « cibles » plutôt élevé (entre 43 et 52 % entre mars 2008 et septembre 2008), ils révèlent aussi que, pour l’essentiel, la consommation de la Koba Aina est une consommation « occasionnelle » (entre 12 et 16 rations/mois en moyenne sur la période considérée). Seuls 11,6 % des clients sont fidélisés à un niveau jugé satisfaisant (1 ration jour), mais qui reste encore inférieur aux objectifs nutritionnels fixés dans le programme. Enfin, en termes d’image, le produit reste souvent associé à une consommation destinée aux « pauvres » ; les ménages qui le peuvent préférant acheter en supermarchés des produits beaucoup plus chers mais bénéficiant d’une image de marque plus affirmée.
3.2 Modes de rémunération
des animatrices et ressources humains
Une autre série de problèmes rencontrés est liée à la place donnée aux animatrices et aux conditions de leur implication dans le programme
Pour éviter de peser sur les coûts fixes, les animatrices sont rétribuées « à la commission » ; en pratique au nombre de produits écoulés. Mais comme le choix est celui d’un produit vendu au prix le plus bas possible, la rémunération des animatrices (25 % du prix de vente), se révèle souvent insuffisante, lorsque les objectifs quantitatifs ne peuvent 93être atteints. La question est d’autant plus sensible que ce sont elles qui portent la « marque » et donnent tout son sens au projet de lutte contre la malnutrition.
Dans ces conditions le recrutement et la stabilisation des bonnes personnes pour ces tâches se révèleront spécialement ardus. En pratique le taux de turn over extrêmement élevé9 est signe d’un problème non résolu. Différentes mesures sont prises : les conditions de travail sont améliorées ; des objectifs de performance sont fixés : 2700 rations par mois et par animatrice est l’objectif cible, un objectif qui est aussi celui supposé garantir à la fois une rémunération convenable des animatrices et l’équilibre économique d’ensemble du système
3.3 Échelle de production,
prix différenciés et équilibre économique
S’expliquant en partie par les raisons décrites supra, le nombre de produits écoulés, s’il est significatif et montre bien l’existence d’un besoin et d’un « marché », reste cependant trop limité pour garantir l’équilibre économique du projet. C’est à travers les budgets et subventions du Gret que l’activité, déficitaire, peut se maintenir.
Pour faire face à ce problème, il a été procédé à des hausses régulières du prix des produits (hausses justifiées aussi pour tenir compte de l’inflation), mais le prix est toujours maintenu dans des limites qui garantissent le progrès de sa pénétration auprès des catégories de revenu C et D. Mieux encore, un prix pour la « louche » distribuée à domicile – inférieur à celui du simple « sachet » qui n’inclut donc aucun service – est maintenu, pour conserver le succès des ventes sous forme de louches en porte à porte. Sans sacrifier au souci d’équilibre économique d’ensemble, des prix différenciés sont ainsi pratiqués, sans nécessairement que les prix relativement les plus élevés correspondent aux produits/services les plus coûteux. Un principe « social » de tarification opère ainsi, à la marge, dans la politique de détermination des prix de vente.
Pour autant, le principe de parvenir à l’équilibre économique de l’activité est réitéré. L’argument central est que, s’agissant de malnutrition chronique touchant des populations immenses, la distribution gratuite ne peut constituer une solution. Des estimations montrent en effet que 94les budgets requis par une distribution gratuite ne sont pas compatibles de façon pérenne avec les ressources budgétaires des États concernés.
Pour ces raisons, l’initiative se devait de passer à une nouvelle étape et d’expérimenter de nouvelles manières de faire. C’est précisément l’objet du lancement de Nutri’zaza. Il s’agit, avec le choix d’un nouveau modèle économique sur la distribution, d’apporter des solutions aux difficultés rencontrées afin d’assurer l’équilibre économique du projet dans son ensemble.
4. Nutri’zaza : une « entreprise sociale »
qui emprunte à plusieurs sources
Le lancement de Nutri’zaza, effectif en 2013, pensé pour surmonter les difficultés rencontrées par Nutrimad, va à son tour apporter son lot de nouveautés et d’innovations. S’appuyant sur les réussites que sont la Koba Aina et le réseau des Hotelin, la nouveauté avec Nutri’zaza va porter surtout sur le fait que l’entreprise créée possède une forte originalité et singularité à la fois pour ce qui concerne son statut, son fonctionnement et son mode de gouvernance. Au point qu’en filigrane c’est un véritable nouveau « modèle » d’entreprise, dont la caractéristique essentielle est qu’il se présente comme un véhicule nouveau conçu pour satisfaire des objectifs d’utilité sociale.
4.1. Le lancement : objectifs et concepts implicites
Le lancement de Nutri’zaza (établie comme société anonyme de droit malgache) est pensé explicitement pour prendre la suite du réseau mis en place dans le cadre de Nutrimad. L’objectif poursuivi est double. Il s’agit : i) de garantir la pérennité de l’activité engagée dans la lutte contre la malnutrition, en procédant à un changement d’échelle : alors que les partenaires réunis dans Nutrimad ne parvenaient à toucher que 25 000 enfants/an, l’objectif est de multiplier par 8 le nombre d’enfants bénéficiaires, et pour cela de passer de 40 à 100 Hotelin installés, ii) d’assurer l’équilibre économique du projet, en faisant que les recettes provenant de la vente des produits, couvrent les coûts de mise en place, de déploiement et d’entretien du réseau.
95Pour atteindre ces objectifs, c’est à un changement complet de modèle que l’on va procéder. À l’ONG qui pilotait l’ensemble de l’activité, va succéder une véritable entreprise commerciale10. Les partenaires du GRET vont, à cette occasion, être complètement renouvelés. Il ne s’agit plus de l’IRD et de l’université de Tananarive mais d’actionnaires, réunis dans un Pacte. Au GRET qui assure la mémoire et la continuité de l’activité s’agrègent désormais de nouveaux actionnaires : le SIDI (investisseur social français présent de longue date à Madagascar), l’APEM11 et l’entreprise malgache TAF qui fabrique la Koba Aina. À ces actionnaires il faut ajouter deux partenaires financiers : l’AFD et le FIND12 qui vont accompagner l’entreprise dans son développement.
Si le choix de créer une entreprise s’est imposé, les missions plus précises, le mode de gouvernance et de prise de décision, les formes de partage de la valeur, les modes de contrôle de l’activité des dirigeants … ont d’emblée été posées comme des questions auxquelles il fallait répondre de manière originale et appropriée pour préserver et pérenniser la vocation sociale du programme. À ces questions il n’existait pas de réponses toutes faites.
Sur les différents points évoqués, les fondateurs de Nutri’zaza se sont inspirés des expériences existantes. En pratique deux grandes traditions sont invoquées par les concepteurs de Nutri’zaza. Celle qui repose sur la notion « d’entreprise sociale » telle qu’elle est conçue dans la tradition de l’Économie Sociale et Solidaire (ESS) et celle, assise sur la notion de « social business », portée et conceptualisée notamment par Y. Yunus (Yunus et al., 2010). On pourrait ajouter – nous reviendrons sur ce point ultérieurement – que même si les concepteurs de Nutri’zaza n’y font pas une référence explicite, on trouve dans l’architecture juridique retenue 96nombre d’éléments à la base des « entreprises à mission », (désignées aussi comme des « Sociétés à Objet Social Étendu », SOSE), telles qu’elles se sont développées aux États Unis, et qu’elles commençaient à être discutées et imitées en France, au moment du lancement de Nutrizaza13
De l’ESS et de la forme « coopérative » qui en est le fer de lance, les fondateurs retiendront notamment les dispositifs qui permettent de marginaliser ou d’annuler le pouvoir du capital pour promouvoir l’objet social et la vocation « solidaire » de l’entreprise présentée comme outil au service de la poursuite d’objectifs sociétaux. Du social business model sera retenue principalement l’idée défendue par Yunus, (mais non partagée par tous les auteurs traitant du social business), que si les actionnaires peuvent être rémunérés jusqu’à la hauteur du capital placé, aucun dividende ne peut être versé au-delà14 À partir de là, dans les entreprises se revendiquant comme relevant du social business, comme dans les entreprises commerciales classiques, une grande place est laissée à la liberté des dirigeants pour la conduite de leur action. Finalement l’entreprise Nutri’zaza empruntant à différentes traditions apparaît comme revêtant une forme hybride, dont les statuts et les modes de gouvernance sont originaux.
Cette originalité est d’autant plus marquée que, à partir d’un « objet social » fortement affirmé, des innovations clés en matière de gouvernance par rapport aux entreprises classiques du droit commercial classiques sont introduites, pour s’assurer que l’objet social sera bien respecté.
4.2. Objet Social, Pacte d’actionnaires, Conseil de Surveillance… : les particularités de l’entreprise Nutri’zaza
La clé de l’originalité et de l’innovation que présente Nutri’zaza tient dans un triptyque dont les éléments sont :
97–une définition de l’objet social fortement précisée et qui laisse peu prise à la diversion ;
–un pacte d’actionnaires noué autour de cet objet social et qui, en toute logique, interdit la distribution de dividendes ;
–enfin une Comité d’Éthique et de Surveillance en charge de veiller au respect des grands objectifs mais aussi de s’assurer, à partir d’une batterie de critères prédéfinis, que les décisions de gestion prises sont bien conformes à l’objet social de l’entreprise
Il faut ajouter que l’entreprise, dans ses statuts et son pacte d’actionnaire, s’engage à s’insérer dans le programme national d’alimentation malgache15 pour en devenir l’un des véhicules par lesquels il s’applique et se déploie16. Nous avons donc affaire ici à une « entreprise » qui se pense elle-même comme un relais et support du « service public » d’alimentation, tout en conservant par ailleurs son autonomie de gestion et de comportement et disposant de sa propre activité, Celle-ci est en complète congruence avec « l’objet social » de l’entreprise qui précise que « La société a pour objet (…) de servir une cause sociétale qui est la lutte contre la malnutrition en apportant une solution pour l’alimentation des jeunes enfants et autres groupes vulnérables de la population malgache. » (Rapporté dans le Livre Blanc sur Nutri’zaza).
Pour satisfaire ces objectifs la distribution se fera au coût le plus bas possible via les deux canaux existants : restaurants pour bébés, porte à porte, places de marché d’une part, réseau de distribution classique des produits alimentaires d’autre part. À quoi s’ajoute une troisième voie : celle de la distribution par les ONG de produits acquis par elles-mêmes. Dans ce cas les produits peuvent être distribués à des prix encore abaissés car subventionnés, voire être distribués à titre gratuit.
984.3 Actionnaires, CA, Dividendes
Pour garantir l’accès au plus grand nombre, une forte particularité de Nutri’zaza est qu’elle est bâtie sur un « Pacte d’actionnaires » par lequel, statutairement, l’entreprise, si elle atteint la rentabilité, ne peut procéder à la distribution de bénéfices. Si un excédent d’exploitation est dégagé il sera pour partie placé au capital de l’entreprise (venant alimenter son fonds de réserve), le reste étant réinvesti pour étendre et accroitre l’efficacité du réseau de distribution.
Ainsi l’article 45 des statuts de la société, qui traite de la Répartition des excédents stipule :
Nutri’zaza SA étant une entreprise sociale, les excédents nets annuels sont affectés comme suit (…), il est d’abord prélevé le fonds de réserve prescrit par la loi, à hauteur de 5 % des bénéfices. Ce versement cesse d’être obligatoire lorsque le fonds de réserve a atteint une somme égale au dixième du capital social ; il le redevient lorsque la réserve est descendue au-dessous de ce dixième ; le solde est destiné à la création de fonds de réserve ou de prévoyance (cité dans Livre Blanc Nutri’zaza).
Ce même engagement est réitéré dans le Pacte d’actionnaires. L’article 7 : de la charte qui lie les actionnaires dispose que « Les actionnaires s’engagent à réinvestir la totalité des bénéfices de l’entreprise dans l’extension du réseau Nutri’zaza ».
4.4 Spécificité du mode de gouvernance : Comité d’Éthique et de Surveillance et mesures de l’impact sociétal
La conduite de l’entreprise est confiée à une Directrice qui dispose d’une grande autonomie dans la gestion quotidienne. Outre ses salariés propres, l’entreprise s’appuie, comme c’était le cas pour Nutrimad, sur le réseau des animatrices.
En matière de gouvernance la véritable spécificité de Nutri’zaza tient au fait que, à côté du CA et de la directrice, a été installé un Conseil d’Éthique et de Surveillance Sociale (CESS) composé pour partie d’anciens partenaires de Nutrimad et pour partie de personnalités « compétentes » et « reconnues pour leur implication dans la vie économique de la cité » (Livre Blanc, Nutri’zaza)
Composé de 7 à 11 membres, nommés par le CA sur proposition du directeur général, le CESS est parfaitement autonome et distinct 99du CA (ses membres ne peuvent être membres du CA ou de l’AG). Les attributions du CESS qui en font une pièce clé du système d’ensemble sont nettement précisées et en font le « gardien » de la vocation et de l’objet social de l’entreprise.
Sa mission de contrôle s’effectue à travers la rédaction d’un rapport annuel, lui-même basé sur une batterie de critères d’évaluation. Un véritable « rapport d’impact social » s’assure que le cap est maintenu et, le cas échéant, s’efforce de prévenir d’éventuelles déviances.
Tous ces éléments font que, bien qu’elle s’inspire et se réclame ouvertement de cette filiation, Nutri’zaza n’est pas une entreprise relevant du « social business » au sens classique du terme. Elle en relève par le fait qu’elle possède des actionnaires et ne s’interdit pas de faire du profit. Mais la « rigueur » dans la manière dont la mission est définie, l’interdiction de verser des dividendes, la présence « constitutionnelle » du CESS et de son rôle, en font une « entreprise sociale » d’un type bien particulier.
De même si nombre de ses traits institutionnels la rapprochent de la notion « d’entreprise à mission », Nuri’zaza, dans son concept, n’entre pas vraiment dans cette catégorie d’entreprises. La mission « sociale » de Nutri’zaza en effet n’est pas, comme dans la SOSE et l’entreprise à mission, un « objet social », complémentaire à celui de la recherche du profit. Dans l’hybride Nutrizaza l’objet social correspond à un statut non « complémentaire » de la recherche du profit, mais central et pour tout dire « exclusif ». L’installation du CESS avec les fonctions qui lui sont attribuées, vient confirmer l’appréciation que l’objet sociétal est bien posé comme unique et exclusif de l’entreprise.
5. Au-delà de NUTRI’ZAZA, la SOSEx comme anticipation
d’une forme de société au service du bien commun
Pour conclure, nous souhaitons, nous centrer sur les enseignements qui peuvent être tirés de la forme « hybride » d’entreprise que constitue Nutri’zaza, pour nous demander si, et à quelles conditions, elle peut fournir un « modèle » d’entreprise plus général, approprié à la lutte pour atteindre des objectifs relevant de l’intérêt public et du bien commun.
100Nutrizaza en effet, et d’autres exemples comme la Fondation DNDi17 fournissent des cas emblématiques d’entreprises qui, pour satisfaire à des objectifs relevant du bien commun, ont dû fortement innover dans leur constitution et leur fonctionnement.
5.1 Un modèle hybride entre coopérative et SOSE
Si l’on s’attache à mettre en évidence les spécificités du modèle Nutri’zaza plusieurs observations s’imposent. Pour comprendre et caractériser le modèle, il nous semble utile de le différencier de certains modèles canoniques existants, dont les caractéristiques sont bien établies. Deux d’entre eux en particulier doivent être convoquées : la coopérative et la SOSE (Société à Objet Social Étendu), non tant pour marquer les similitudes que pour souligner les différences.
5.1.1. Différences avec la coopérative
Les différences sont éminentes et portent sur plusieurs points clés. Le propre de la coopérative est la marginalisation du pouvoir du capital opérée sous une double forme. D’une part à travers le principe fondateur des coopératives : « un homme une voix », (au lieu de « une action, une voix ») et d‘autre part à travers le principe de l’allocation d’une partie des profits vers des « fonds impartageables ». Au-delà de ces fonds, la coopérative peut, si elle le souhaite, distribuer une partie des excédents d’exploitation à ses actionnaires.
Rien de tel pour Nutri’Zaza. D’abord parce que la propriété de l’entreprise est l’objet d’un pacte d’actionnaires (GRET, I&P, SIDI, APEM et la société TAF, tous étant des « institutionnels ») et que le pouvoir de décision est confié, comme dans une entreprise classique, à un Conseil d’Administration et à sa Directrice. Ensuite parce que le principe des fonds impartageables est poussé en quelque sorte à son extrémité. Une partie des profits (5 % suivant les statuts) va à un fonds de réserve, le reste est destiné à de l’investissement visant à améliorer le déploiement du réseau. Point décisif et qui fait là encore une différence majeure avec la coopérative, aucun « profit » (ou excédent 101d’exploitation) n’est et ne peut être distribué, alors que dans la coopérative les salariés actionnaires peuvent, sous certaines conditions, se partager une partie du profit dégagé. Cette caractéristique clé entend traduire dans les statuts de la société, un autre principe fondateur de Nutri’zaza : son « objet social », et marquer ainsi sa singularité.
5.1.2. Différence avec la SOSE
Pour autant Nutri’zaza ne peut être comprise comme une simple « entreprise à mission » telle que la proposition de SOSE (Société à Objet Social Étendu) entend la promouvoir. L’entreprise malgache va en effet bien plus loin en termes d’objet social que ce qui est envisagé dans une SOSE. La différence avec la SOSE, est que l’objet social (ici lutte contre la malnutrition notamment des enfants entre 6 et 24 mois) n’est pas une simple « extension » de l’objet social classique de l’entreprise : faire du profit, auquel on « ajoute » une mission d’intérêt « social » relevant du bien public. Ici, l’objet social est entièrement défini dans le champ du bien public ou du bien commun. Le profit dégagé, lorsque c’est le cas, est entièrement dédié à des réserves garantissant la pérennité de l’entreprise ou au développement de son activité au bénéfice des plus démunis.
Une telle « anomalie », au regard de la conception et de la théorie classique des entreprises, est de surcroit garantie par le fait que l’objet social est encadré par un ensemble de dispositions et de règles de fonctionnement qui rendent impossible « l’éloignement » de l’objet social et l’alignement de l’entreprise sur les objectifs, classiques, de recherche du profit. Au contraire, les principes de non distribution des profits, de l’investissement entièrement dédié à l’accomplissement de l’objet social, de conditions de travail et niveau de rémunération des employé(e)s maintenus sous surveillance… tout est subordonné à l’objet « social » de l’entreprise. Pour ce faire est placé, à côté du CA et des dirigeants, un Comité spécifique, lui-même tenu d’utiliser des critères et instruments d’évaluation prédéfinis rigoureux. Ce Comité (le CESS) « veille » ainsi au respect de l’objet social et assure la transparence des actions menées et de leurs effets.
5.2 SOSEx, intérêt public et bien commun
À partir de ces éléments empiriques, tels que fournis par le cas Nutri’zaza, on peut tenter d’envisager ce que pourrait être une entreprise 102dont le statut serait défini pour accomplir un objet social pensé et défini comme relevant du bien commun. On pourrait alors concevoir un « statut » de société, approprié à la poursuite de cet objectif et définir une forme particulière de d’entreprise conçue comme ce l’on pourrait désigner comme une « Société à Objet Social Exclusif » : la SOSEx18 et qui constituerait un « véhicule » adapté à la poursuite d’objectifs liés au bien public et au bien commun.
Un tel statut, inspiré de Nutri’zaza comme d’autres expériences conduites dans ce domaine, devrait combiner au moins les caractéristiques suivantes
1. un « objet sociétal » (social ou environnemental) défini comme « exclusif » – et non comme seulement « complémentaire » à celui de la recherche du profit ;
2. un engagement de non-distribution de dividendes
3. un pacte d’actionnaire impliquant notamment l’impossibilité de se retirer du capital, sauf en cas de rachat par l’entreprise elle-même ou par un tiers à la condition qu’il adhère au Pacte ; cette condition revient à interdire un jeu sur un quelconque marché de « titres de propriété » ; ces derniers étant incessibles sauf aux conditions déjà indiquées ;
4. un Comité de Surveillance doté de pouvoirs réels et qui, outre ses fonctions de contrôle et de surveillance, doit aussi fonctionner comme instance de conseil et d’appel en cas de recours par les salariés ou autres « parties prenantes » (reconnues comme telles) de l’activité de l’entreprise.
Même si la définition d’un tel véhicule suppose réflexions et élaborations complémentaires, c’est incontestablement l’un des intérêts de l’initiative que constitue Nutri’zaza, d’avoir su, en matière de statut et de modes de gouvernance, avancer dans une direction fortement innovante, permettant de concevoir un type d’entreprise au statut hybride (car empruntant à des traditions d’origine distinctes), pensé pour atteindre la poursuite d’objectifs entièrement définis dans l’ordre de l’utilité sociale et de la satisfaction du bien commun.
103Bibliographie
Abecassis P., Alesandrini J.F., Coriat B., Coutinet N., Leyronas S. (2019), « DNDi a dstinctive illustration of commons in the era of public health », AFD Papiers de Recherche, no 2019-93.
Chéret A., Desjonquères A. (2014), “Fighting malnutrition in Madagascar : from NGO to social entreprise”, Field Actions Science, vol. 7.
Coriat B. (dir) (2015), Le retour des Communs, Paris, Ed LLL.
Coriat B. (2018), Changer l’entreprise ? Quand la montagne accouche d’une souris, À propos du Rapport Notat/Sénard, disponible à l’adresse www.atterres.org
Cornu M., Orsi F., Rochfeld J., (dir) (2017), Dictionnaire des Biens Communs, Paris, PUF.
GRET Rapports Annuels, disponibles sur le site de l’ONG.
Levillain K. (2017), Les Entreprises à mission : un modèle de gouvernance pour l’innovation, Paris, Vuibert.
Nutri’zaza (2013), Livre Blanc. Une Entreprise sociale pour lutter contre la malnutrition disponible sur le site www.nutridev.org.
Ostrom E. (1990), Governing the commons, Cambridge University Press
Pleuvret E., Bruyeron O., Arnaud L, Trèche S. (2010), « Le Business Social pour lutter contre la malnutrition. L’élaboration d’un service de vente d’aliments pour jeunes enfants à Madagascar (1997-2008) », Coopérer Aujourd’hui, Documents de travail de Direction Scientifique, No 69, Octobre.
Segrestin B., K. Levillain, S. Vernac et A. Hatchuel (dir.) (2015) La Société à Objet Social Étendu : un nouveau statut pour l’entreprise, Paris, Presses des Mines.
Yunus M., Moingeon B., Lehmann-Ortega L. (2010), “Building Social Business Models : Lessons from the Grameen Experience”, Long Range Planning, 43, Elsevier.
Ziegler J., Golay C., Mahon C., Way S-A. (2012), The fight for the right to food. Lessons learned. The graduate Institute Publications. Genova.
1 L’étude de cas et l’analyse proposées dans cet article font partie d’une série d’études consacrées à des organisations (entreprises, ONG, ou associations …) engagées dans la lutte contre la Malnutrition (voir les WP 27, 28 ET 29 sur le site du projet Entreprendre en Communs www.http:encommuns.com). Le cas Nutri’zaza présenté ici a été retenu car fortement innovant en matière de forme sociétaire et ouvrant à une discussion sur la nature des entreprises susceptibles de servir le bien commun.
2 Sur cette définition et plus généralement la notion de biens communs, voir dans Cornu, Orsi, Rochfled (2017) les articles « Commission Rodotà » (auteure D. Mone) et « Biens Communs » (auteur : B. Coriat)
3 Le GRET est une ONG internationale opérant dans un domaine qu’elle définit elle-même comme étant celui du « développement solidaire ». Elle agit depuis 1976 pour lutter contre la pauvreté et les inégalités. Parmi les champs d’intervention du Gret, la Santé et la Nutrition tiennent une place importante, notamment en direction des jeunes enfants.
4 En 1994, le GRET et des nutritionnistes de l’IRD, créent le programme Nutridev pour lutter contre la malnutrition infantile, en particulier sous sa forme la moins visible : la malnutrition chronique. Le programme agit dans une dizaine de pays en développement, auprès de 600 000 personnes.
5 C’est en 2002, en collaboration avec l’entreprise Taf, l’IRD, l’Université d’Antananarivo, le ministère de la Santé et l’Office national de la nutrition, que le Gret a développé, sous le nom de Koba Aina, un aliment de complément adapté aux besoins nutritifs des enfants de 6-24 mois. La Koba Aina est prioritairement destinée aux enfants des quartiers pauvres des zones urbaines de Madagascar.
6 En pratique des enquêtes menées en 1997 et 1998, ont établi que les populations qui très majoritairement consomment la Koba Aina relèvent dans la pyramide des revenus des catégories C et D. (la pyramide des revenus comprend 5 catégories qui vont de A – revenus les plus élevés – à E. C et D correspondent donc à des revenus bas ou très bas, incluant les seuils de pauvretés).
7 Outre le rapport cité (Pleuvret et al 2010), les informations recueillies au cours des interviews, dans les publications ou sur les pages web du GRET consacrées à Nutrimad et à Nutridev, les éléments présentés dans cette section sont basés sur la monographie consacrée à Nutri’zaza par Chéret A., Desjonquères A. (2014).
8 Ainsi en est-il de bouillies à base de riz que les mères préparent pour leurs enfants, persuadées qu’elles sont, s’agissant d’un aliment de base, à Madagascar, qu’il s’agit de préparer l’enfant à la consommation du riz le plus tôt possible. Pour les enfants en très bas âge cependant, le riz est loin de proposer tous les nutriments nécessaires à leur croissance.
9 Selon Chéret A., Desjonquères A. (2014), en 2011, le turn over est de 107 %, chiffre évidemment très élevé.
10 Pour autant le GRET ne renonce pas à son rôle de pilote. Pour accompagner les premiers pas de Nutri’zaza, le Gret endosse pendant les cinq premières années le rôle d’assistant technique avec le soutien de l’AFD et du Fonds de dotation du Gret (Find). Entre 2013 et 2017, aux côtés des autres actionnaires, il accompagne Nutri’zaza pour atteindre progressivement son équilibre budgétaire, étendre son réseau de distribution et défendre l’entreprise sociale comme moyen d’action durable contre la pauvreté dans l’environnement institutionnel malgache.
11 Créée en 1987 par une vingtaine de membres du Groupement des entreprises à Madagascar, l’Apem est une association sans but lucratif qui vise à lutter contre la pauvreté par l’accès des micro et petites entreprises aux services de la microfinance.
12 FIND : Lancé par le GRET, le FIND est un fonds de dotation dédié à l’innovation pour le développement.
13 La notion d’entreprise à mission (ou de SOSE) telle que pratiquée dans le cas de la lutte contre la malnutrition est discutée dans la note des auteurs consacrée à Nuriset (cf. Coriat, Toro, 2019 sur le site encommuns.com). Sur la notion d’entreprise à mission en général, voir notamment Levillain (2017), Segrestin et al (2017), pour une vue critique de la notion telle qu’elle est proposée aujourd’hui en en France.
14 Sur ce point le Livre Blanc consacré à Nutri’zaza écrit : « Contrairement à un projet caritatif, le social business a des investisseurs et des propriétaires. Mais ceux-ci ne perçoivent ni profit, ni dividendes ; les investisseurs peuvent récupérer leur mise initiale au terme d’une période qu’ils auront définie ». (p. 8)
15 Sans entrer dans le détail des choses, rappelons ici que de tels Programmes nationaux sont une obligation des États signataires de la Convention des nations Unies (1996) reconnaissant un droit à l’alimentation pour tous. Sur la signification de cette convention et du droit à l’alimentation cf. Ziegler et al (2012). Notons seulement qu’ici, Nutri’zaza, dans son objet comme dans sa gouvernance, est pensée comme élément et presque « rouage » du programme national d’alimentation et de lutte contre la malnutrition.
16 Cf. les articles 1, 4, et 8 de la « Charte Nutri’zaza » qui lie les actionnaires. L’article 1 notamment dispose que : « Les signataires, actionnaires de l’entreprise Nutri’zaza, s’engagent à mettre en œuvre les recommandations issues de la politique nationale de nutrition qui entrent dans le périmètre de l’activité de l’entreprise Nutri’zaza, au-delà de l’application des différents règlements ». Les articles 4 et 8 précisent encore cet aspect des choses.
17 DNDi : Drugs for Neglected Diseases initiative est une ONG de droit suisse engagée dans la conception de médicaments innovants, dont les modes de fonctionnement permettent de la caractériser comme un véritable « commun » au service de la santé publique pour les populations du Sud (Cf. Abecassis et al 2018)
18 Une autre dénomination possible pourrait être : Société à Objet Sociétal Exclusif, le terme sociétal, plus englobant permettant notamment d’inclure des entreprises se fixant par exemple un objet environnemental.