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Classiques Garnier

« Grand angle » avec Gérard Hirigoyen

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Entreprise & Société
    2019 – 2, n° 6
    . varia
  • Auteur : Gillet (Philippe)
  • Résumé : Dans ce grand angle Gérard Hirigoyen, interrogé par Philippe Gillet revient sur sa carrière d’enseignant-chercheur. Il détaille en particulier ses recherches en théorie financière, finance d’entreprise et surtout sur les entreprises familiales. Il partage également ses expériences de directeur d’IAE, de président du jury d’agrégation et de président d’université.
  • Pages : 21 à 31
  • Revue : Entreprise & Société
  • Thème CLIL : 3312 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Économie publique, économie du travail et inégalités
  • EAN : 9782406107859
  • ISBN : 978-2-406-10785-9
  • ISSN : 2554-9626
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-10785-9.p.0021
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 26/10/2020
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
  • Mots-clés : Finance, entreprises familiales, création de valeur, théorie financière
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« GRAND ANGLE »
avec GéRARD HIRIGOYEN

Philippe Gillet

Docteur en Sciences économiques (1978) et en Sciences de gestion (1984) Gérard Hirigoyen a connu tous les postes denseignant-chercheur à lUniversité, commençant comme moniteur avant de devenir, trente ans plus tard, Président de lUniversité Montesquieu-Bordeaux IV et Président des présidents des universités dAquitaine (CPUA). Il a été trois fois membre du concours dagrégation en gestion et trois fois président du concours dagrégation de gestion du CAMES (Afrique et Madagascar). Ses enseignements et ses recherches portent sur la finance, et très spécifiquement sur lentreprise familiale, la gouvernance et la création de valeur. Il est lauteur ou le coordinateur dune quinzaine douvrages et dune soixantaine darticles de recherche sur ces sujets.

Philippe Gillet : Lorsque Jean-Philippe Denis vous interroge sur lauteur francophone qui vous a le plus marqué, vous répondez sans hésiter Michel Foucault. Michel Foucault est pour vous le penseur du pouvoir. Comment Michel Foucault a-t-il lui-même influencé votre vision du pouvoir dans les entreprises, au point dailleurs que vous avez proposé un sujet de leçon à lagrégation de sciences de gestion : pouvoir et gestion ?

Gérard Hirigoyen : La question première est celle-là : comment ai-je été amené à mintéresser à Michel Foucault et à la lecture des « mots et des choses » ? Tout à fait par hasard dois-je le reconnaître. Par hasard ou par nécessité ? Alors étudiant en licence es sciences économiques à lUniversité de Bordeaux I, je suivais des TD sur le cours dhistoire de 22la pensée économique dispensé par le professeur Jean Merigot ; dois-je lavouer, le plus beau cours que jai reçu de ma scolarité universitaire et qui sans doute, na pas été – consciemment ou non – étranger à ma vocation professorale. Nous avions chacun deux exposés à faire pour notre notation. Pour létudiant Gérard Hirigoyen, François Quesnay et le mouvement physiocratique dune part, et Wicksell et lécole suédoise dautre part.

Cherchant de la bibliographie sur Quesnay, je suis tombé de façon fortuite sur « Les mots et les choses ». Poussé par la curiosité que minspirait le titre, jai eu envie den savoir plus. Cest en parcourant louvrage que mon attention fût attirée par un passage consacré à lexplication que Michel Foucault donnait du rôle fondamental joué par les propriétaires terriens dans le tableau déchanges économiques. Je tenais matière à rédiger un bon travail. Ce qui fût dailleurs le cas, puisquune excellente note vint récompenser lexposé. Mais, ces pages me mirent en appétit de poursuivre la lecture du livre et de rencontrer ainsi la thématique du pouvoir. Michel Foucault penseur du pouvoir ! Passion découverte qui ma conduit de façon gourmande à en approfondir le contenu et les contours en glissant vers Henry Mintzberg et la lecture du « pouvoir dans les organisations ». Cette découverte sapparente à une forme de sérendipité puisque cherchant Quesnay, je suis tombé sur Foucault et in fine sur Mintzberg. Jai découvert la variable manquante de la théorie de la firme : le pouvoir. Sociologues et philosophes ont permis son intégration progressive. La problématique du pouvoir ma conduit à mintéresser à la gouvernance et à la typologie des pouvoirs dans lorganisation : pouvoir de décision, pouvoir de contrôle et pouvoir dinfluence. Pouvoir dinfluence qui nappartient à personne ; peut-être le vrai pouvoir ?

Je crois que cette découverte a modelé de manière décisive ma façon globale dappréhender les questions. Il faut observer les théories de haut et remonter aux penseurs fondamentaux, avant de redescendre vers le détail. Autrement dit, monter sur la colline pour redescendre vers la vallée.

P. G. : Louvrage Introduction à la gestion – Connaissance de lentreprise à travers ses documents financiers1 que vous avez publié avec Alain Couret (et Jérôme Caby pour la troisième édition) est essentiellement consacré 23à létude des principes de la comptabilité et à lanalyse financière. Létude de la stratégie de la firme ne vient quensuite. Vous justifiez cette approche en introduction, par cette phrase : « La connaissance intime de lentreprise commence par une découverte de ses chiffres ». Pensez-vous vraiment que les chiffres peuvent tout dire sur une firme, au point que lon puisse en avoir une connaissance intime ? Quid des aspects qualitatifs, comme la culture de la firme, la connaissance et les savoirs quelle emmagasine, ses projets ou sa gouvernance ? Pensez-vous que ces aspects de la firme puissent-être traduits en chiffres ? la comptabilité telle que nous la connaissons aujourdhui est-elle suffisamment développée pour retracer ces éléments ?

G. H. : Jai beaucoup daffection pour ce livre, et pour mes co-auteurs avec lesquels jai dailleurs beaucoup publié. Ce livre a une approche très originale des documents comptables, mais lorsque lon parle de chiffres de lentreprise, on ne doit pas se limiter aux seules données comptables. Dans la troisième édition, nous faisons une large place aux autres chiffres proposés par la firme, notamment son bilan social et maintenant, son bilan environnemental. Il nen reste pas moins vrai que lon peut tirer beaucoup dinformations des chiffres publiés par une entreprise. Pour le chef dentreprise, les chiffres sont des amis. Il peut sappuyer sur des données complètes et fiables. Elles mettront en évidence des faits et évolutions marquants et attireront son attention sur les actions à conduire. Le parti pris de ce livre était de les recenser, mais il est clair quil existe aussi beaucoup dinformations qui ne sont pas intégrées dans les données chiffrées dune firme. Ce sont là les limites de lexercice de lanalyse financière que je précise dailleurs dans la deuxième partie du livre.

P. G. : Vous êtes passé de léconomie à la gestion à travers le droit et la comptabilité. La comptabilité dans son acception traditionnelle est fondée sur le fait de retracer le passé de la firme, et de donner de lexercice écoulé une image fidèle. Au contraire, la finance est fondée sur lavenir de la firme et sur les projections de ses cash-flows futurs. Comment avez-vous réalisé cette transition ?

G. H. : Cest tardivement que jai rejoint le monde de la gestion, après une thèse en sciences économiques sur la prévision de lemploi en France. Jai ensuite soutenu une seconde thèse en Sciences de Gestion 24sur les comportements financiers des entreprises familiales. Cette thèse approfondissait mon mémoire de DEA en sciences de gestion consacré à linsuffisance des fonds propres dans les moyennes entreprises industrielles familiales. Je me suis donc emparé tout doucement de la théorie financière. Lintérêt de mes études en sciences économiques a été de me donner la possibilité de prendre de la hauteur, davoir une vision globale et non purement mécaniste de la théorie financière. Aujourdhui, il me semble que de nombreux chercheurs en finance restent trop techniques et nont pas cette curiosité de « monter sur la colline » pour embrasser la totalité de la discipline. On ne réfléchit pas assez aux hypothèses, aux paradigmes, aux modèles utilisés, on cherche trop à sinsérer dans la théorie sans chercher à la dominer, à la remettre en cause. Cest à cette vision que je me suis attaché dans larticle publié dans ce numéro.

P. G. : Vos recherches ont beaucoup porté sur les entreprises familiales, et notamment sur leurs performances. Cela a été lobjet de votre thèse en sciences de gestion. Dans louvrage récent que vous avez consacré aux entreprises familiales2, vous écrivez quelles représentent entre 65 % et 90 % des entreprises dans le Monde, dont 70 % des entreprises en Europe et 83 % en France et quelles transcendent toutes les tailles dentreprise. Ainsi, selon vous, 1/3 des entreprises de lindice S&P500 peuvent être considérées comme des entreprise familiales. Dabord une question courte : quelle est votre définition de lentreprise familiale ?

G. H. : En provoquant un peu, je vous dirais que je ne sais pas ce quest une entreprise familiale. Allouche et Amann3 ont réalisé une intéressante étude de littérature sur les définitions de lentreprise familiale. Les définitions sont nombreuses et plurielles. Dun côté, il y a les petites et moyennes entreprises, et à lautre bout du spectre, il y a des groupes comme Bonduelle ou Auchan, ou Peugeot, dont la direction nest plus assurée par la famille, laquelle ne contrôle pas non plus la majorité du capital. Comment les caractériser ? Peut-être par le pouvoir dinfluence. Les définitions sont légion. Certains auteurs parlent dune détention minimale de 20 % du capital par la famille, dautres du fait quau moins deux membres de la 25famille y travaillent… mais pourquoi ces seuils fixés arbitrairement ? Personnellement, je mattache à détecter lexistence du pouvoir dinfluence de la famille dans le management de la firme, lexistence dun lien autre que purement économique entre la famille et lentreprise. On parle souvent de lien socio-émotionnel, qui va au-delà des purs intérêts financiers et, surtout, qui sinscrit dans le temps. La perspective dune entreprise familiale est toujours une perspective de long terme, contrairement aux entreprises managériales qui, souvent, se contentent dune maximisation à court terme de la valeur actionnariale. Mais toutes ces définitions sont partielles. La vraie définition de lentreprise familiale reste à écrire.

P. G. : Les entreprisse familiales se distinguent-elles des entreprises traditionnelles par un mode de gouvernance particulier ? Lequel ?

G. H. : La gouvernance dans lentreprise familiale est duale : une gouvernance de lentreprise et une gouvernance de famille. La gouvernance familiale vise à prévoir la manière dont une entreprise familiale est gérée lorsque la génération suivante prend la relève et/ou que de nouveaux membres de la famille sont amenés à jouer un rôle actif dans lentreprise. Il est primordial pour la continuité de lactivité dorganiser la gouvernance appropriée au plus tard lorsque la génération suivante est sur le point de prendre la relève. Car ce qui rassemble souvent la Famille cest lentreprise et ce qui détruit souvent lentreprise cest la Famille.

Plus le nombre de membres de la famille impliqués dans lentreprise est important, plus les points de vue sont susceptibles de diverger. Une absence de consensus entre les membres de la famille est alors à craindre sil nexiste pas de structure décisionnelle clairement définie.

Lentreprise familiale ne se gère pas comme une entreprise managériale. Son mode de fonctionnement est en effet dominé par lémotion et laffect. Ce face à face entre la gouvernance informelle dune famille et la gouvernance formelle dune entreprise sapparente à un exercice déquilibriste, qui fait la spécificité dune entreprise. Afin déviter le débordement des conflits familiaux sur les entreprises, le Conseil de famille et la charte familiale qui en découle, sont de bons garde-fous. Quand une menace pèse sur la richesse socio-émotionnelle, la famille peut prendre des décisions non incitées par la logique économique, préférant mettre lentreprise dans une situation risquée plutôt que lordre familial.

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P. G. : Si lon regarde les entreprises familiales à la lumière de la théorie des parties prenantes, les actionnaires « familiaux » font-ils partie des actionnaires traditionnels ou constituent-il une partie prenante nouvelle, différente des autres actionnaires ? les actionnaires familiaux ont-ils des comportements spécifiques qui les distinguent des autres actionnaires ?

G. H. : Dans les entreprises traditionnelles, la volonté des investisseurs de sassocier est fondé par laffectio societatis. Dans les entreprises familiales, un affectio familiae se superpose à laffectio societatis. On entre donc dans les secrets de famille, on quitte le domaine de la pure maximisation de lutilité de linvestisseur pour entrer dans le monde des « jalousies paroissiales », des rancunes familiales4. Il y a des biais comportementaux émotionnels dans les familles, des distorsions qui nécessitent pour les comprendre, délaborer des outils spécifiques comme les génogrammes qui permettent de mesurer lintensité des liens entre les membres familiaux. Les exemples sont nombreux, où les conflits familiaux ont miné lentreprise. On peut évoquer sans être exhaustif, les cas des entreprises emblématiques comme Gallimard, Teisseire, Lacoste, des familles Bettencourt ou de Lur-Saluces. Cela affecte bien évidemment la gestion de ces firmes et la recherche peut donc faire émerger un nouveau type de partie prenante, les actionnaires familiaux aux côtés des actionnaires traditionnels5.

P. G. : Les entreprises familiales ont-elles elles-mêmes des comportements particuliers en termes de management ? Apparaissent-elles comme plus éthiques, plus socialement responsables ? Au point de vue de la GRH, les entreprises familiales ont-elles également des comportements particuliers, plus de paternalisme par exemple (on pense par exemple à des firmes comme Michelin ou Pierre Fabre ?)

Cest une question essentielle. Dans lentreprise, il y a trois grandes catégories de valeurs : les valeurs de la famille, les valeurs de lentreprise et les valeurs de lindividu. À la confluence de ces trois catégories de 27valeurs on trouve les valeurs partagées. Lexploitation de ces valeurs est spécifique à lentreprise familiale.

Jai eu loccasion de travailler à partir des données de Vigeo, notamment avec Thierry Poulain-Rehm, sur la responsabilité sociale, sociétale et environnementale des entreprises familiales6. Plusieurs arguments militent en faveur dune responsabilité sociétale supérieure des entreprises familiales.

Leur vision de long terme impacte les relations entretenues entre les entreprises familiales et leurs parties prenantes. Il existe une relation étroite entre les entreprises familiales et lenvironnement auquel elles appartiennent. En ce sens, elles peuvent déjà être qualifiées de socialement responsables. Ayant un rapport différent au risque et une meilleure connaissance des ressources offertes par leur environnement immédiat, elles sont mieux à même de saisir des opportunités de croissance et dinvestir dans des secteurs négligés par les entreprises non familiales : elles contribuent ainsi à lemploi, à la dynamique économique et, in fine, au bien-être de la population. En effet, les relations harmonieuses avec lenvironnement atténuent la pression exercée sur les salariés et améliorent leur moral, ce qui accroît le niveau de productivité et favorise la pérennité de lentreprise. Le développement économique et le développement social tout à la fois sen trouvent ainsi améliorés.

Cest notamment ce que jai pu observer en écrivant le cas Catherineau7, entreprise hénokienne créée en 1750, située à Saint-Médard-en-Jalles en Gironde.

P. G. : Enfin, très prosaïquement, les entreprises familiales sont-elles plus profitables que les autres ?

G. H. : La question qui se pose est celle de savoir si devenir actionnaire de telles entreprises se révèlent un choix payant dans la mesure ou le style de gestion pourrait limiter leur potentiel de création de valeur. Cest tout le contraire que lon observe, les actions des entreprises familiales ayant montrées dans le passé leur capacité à surperformer les principaux 28indices boursiers sur la durée tout en versant des dividendes réguliers à leurs actionnaires. Toutes les études professionnelles ou académiques ayant examiné les facteurs de performances mettent en évidence, que ces entreprises surclassent leurs pairs « non familiales », aussi bien en terme de croissance du chiffre daffaires, que de rentabilité, ou de flux de trésorerie, particulièrement en France et en Allemagne, mais aussi dans tous les pays du monde.

La gouvernance familiale profite à la firme. Je mettrais juste un bémol à cela précisant quil est important de réintroduire la dimension générationnelle. Il semblerait que les héritiers soient moins habiles à créer de la valeur que les fondateurs. Je rejoins en cela lavis de Thomas Piketty8 : le capitalisme de créateur dentreprise ne doit pas devenir un capitalisme dhéritier. La succession ne doit pas automatiquement revenir aux héritiers. Je suis très favorable à une direction non familiale dans les entreprises familiales lors dun saut de génération. Les compétences doivent jouer un rôle majeur par rapport à la seule dimension affective. Des entreprises familiales comme Osborne ont carrément interdit que le successeur soit choisi parmi les membres de la famille ce qui a contrario traduit une position excessive.

P. G. : Puisque lon parle de profit et de rentabilité, votre parcours de recherche vous a également amené à vous intéresser de près à la notion de création de valeur, notamment dans le cadre de louvrage que vous avez écrit avec Jérôme Caby et Christian Prat dit Hauret dans la 4e édition9. Dans cet ouvrage, vous vous êtes intéressé à la relation entre gouvernance et création de valeur. Quavez-vous pu en déduire ?

G. H. : Je me suis au départ intéressé à la notion de création de valeur grâce à la demande dYves Simon qui mavait suggéré décrire un article dans lencyclopédie de gestion10. La vraie question est quel type de gouvernance pour quel type de création de valeur ? Je suis plutôt partisan dune gouvernance plurale par opposition à une gouvernance ouvrant vers une création de valeur purement actionnariale. La valeur créée dans 29lentreprise doit profiter à lensemble des parties prenantes et pas uniquement aux actionnaires. La gouvernance visant à la maximisation de la seule valeur actionnariale est une gouvernance myope focalisée sur le court terme dont lintérêt est forcément limité. Jépouse bien volontiers la vision des entreprises familiales qui inscrivent la création de valeur dans le temps et dans une perspective de développement durable. Sans oublier que les valeurs créent de la valeur.

P. G. : Au-delà de votre carrière denseignant-chercheur, vous avez également été un bâtisseur et un administrateur : vous avez créé lIRGO, centre de recherche de léquipe de gestion de lUniversité de Bordeaux, mais surtout dirigé lIAE de Bordeaux, et vous avez aussi été Président de lUniversité de Montesquieu-Bordeaux IV. À laventure souvent individuelle du chercheur, vous avez ajouté laventure collective de la direction de lIAE et de la Présidence dune Université. Avez-vous pensé, comme Durkheim à qui vous avez consacré un article dans la Revue Française de Gestion, « quil y a un plaisir à dire nous plutôt quà dire moi » ?

G. H. : Oui, sûrement. Dans ce parcours, jai aimé exercer des responsabilités collectives. Lexercice du pouvoir nest intéressant que sil permet, en partage avec la communauté, de mener à bien un certain nombre de projets. Je suis favorable à lexercice dune gouvernance partagée avec lensemble des acteurs cest-à-dire : avec les étudiants, les collègues et les personnels BIATOS11. Même si, in fine, la décision est solitaire. Jai retenu de cette période une chose : on ne gouverne pas contre, on gouverne avec, ce qui implique souvent le compromis. Jai beaucoup pratiqué la gouvernance informelle. Cest ainsi que jai pu faire accepter sans trop de difficultés la réforme du LMD12 à Bordeaux-IV, notamment aux juristes alors même que lassociation des doyens des facultés de droit sétait positionnée contre la réforme. Cest à force de discussions, de négociations, surtout informelles que lon obtient un compromis acceptable pour tous.

P. G. : Votre expérience théorique de la notion de pouvoir vous a-t-elle aidé lors de votre mandat de Président dUniversité ?

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G. H. : Ma connaissance du pouvoir, notamment du pouvoir dinfluence ma sûrement aidé dans cette tâche, mais ce qui ma le plus servi a été mon long parcours, ma connaissance de lUniversité. Jai gravi tous les postes à lUniversité ; jai été moniteur de mathématiques, assistant, maitre-assistant puis professeur. Jai été élu Directeur de lIAE de Bordeaux avant dêtre élu Président de lUniversité. Je connaissais donc tous les rouages, ce qui ma permis – je le pense – de réussir mon mandat de Président. Il y a des étapes à franchir pour exercer le pouvoir et malheureusement, ceux qui prennent le pouvoir sans avoir cette expérience échouent souvent.

P. G. : En sus de cet engagement, vous avez a de très nombreuses reprises été membre du Jury dagrégation en France puis Président du Jury dagrégation du CAMES. Jimagine que lon naccepte pas une telle fonction de si nombreuses fois sans y éprouver un certain plaisir. Quel est lapport intellectuel, pour un enseignant-chercheur, de participer ou de présider un jury dagrégation ?

G. H. : Aujourdhui encore, je sais gré à mes collègues A. Cotta, P. Spiteri et M. Saias de mavoir convié à participer aux jurys des concours dagrégation quils ont présidé. Je leur exprime ma profonde reconnaissance et mes plus sincères remerciements. Siéger à leur côté, et à celui des autres collègues, membres des jurys respectifs, a été un très grand honneur, un plaisir et une source denrichissement intellectuel. Jen retiens, en plus des moments de partage les plus amicaux, les beaux échanges entre nous, et nos riches discussions et débats souvent animés …

Nostalgie de ces instants étalés sur plusieurs mois et dont le souvenir reste intact dans ma mémoire. De façon identique, jai également beaucoup apprécié la belle expérience que jai eu en Afrique et à qui jai consacré plus de 25 ans de ma vie. Le Jury de lagrégation du CAMES a donné au continent africain des collègues de très haut niveau. Cette expérience ma beaucoup apporté.

P. G. : Comment voyez-vous lévolution de la recherche et de lenseignement de la gestion et plus particulièrement de la finance dans les vingt prochaines années ? En France, quel sera la place de lUniversité et des grandes écoles dans cette évolution ?

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G. H. : Je suis dun naturel optimiste mais je nourris quelques inquiétudes quant à lavenir. Je me demande si lon arrivera toujours à conserver notre spécificité de gestionnaire. La ligne de partage entre économie et gestion nest pas aussi tranchée que lon pourrait le croire. Par exemple, la finance senseigne aussi bien en économie quen sciences de gestion, dans les universités, les IAE ou les écoles de commerce ; les écoles disposent de moyens que les universités nont plus pour favoriser lémergence dune recherche en gestion abondante et de qualité. Les candidats en thèse provenant de nos universités sont rares et difficilement financés. Cela mattriste de voir que des bons étudiants issus de nos filières universitaires ne sinscrivent pas dans les processus doctoraux. Mais je comprends pourquoi : les bourses en nombre très limité, la carrière universitaire qui attire moins quelle na pu le faire, le prestige qui seffiloche, la faiblesse des salaires…

Et puis que deviendra lUniversité ? Jen suis un pur produit ayant consacré une grande partie de ma vie à la servir. LUniversité est ma famille. Avec mes collègues qui ont cheminé à mes côtés, nous avons essayé daméliorer la fonction dutilité collective. Personnellement, je nen nai jamais rien retiré dautre que du bonheur. Mais je trouve quil ny a plus aujourdhui de grande ambition universitaire. Les fusions actuelles profitent aux plus forts. Les équipes de gestion ne lemportent pas dans ces processus et nous sommes souvent noyés dans la masse des sciences sociales. Mais jespère sincèrement me tromper et reste donc résolument optimiste pour lavenir.

1 A. Couret, G. Hirigoyen, J. Caby, (1998) Introduction à la gestion – Connaissance de lentreprise à travers ses documents financiers, Paris, Montchrestien.

2 G. Hirigoyen (Dir.), Entreprises familiales, défis et performance, Paris, Economica, 2014.

3 J. Allouche et B. Amann : « Lentreprise familiale : un état de lart », Finance-Contrôle-Stratégie, Volume 3 no 1, mars 2000, p. 33-79.

4 G. Hirigoyen : « Lapport de la pensée dEmile Durkheim à la connaissance de lentreprise familiale », en collaboration avec Amélie Villéger, Revue Française de Gestion, 44,275, 2018.

5 G. Hirigoyen : « Concilier Finance et Management dans les Entreprises Familiales », numéro spécial de la Revue Française de Gestion, décembre 2009, coordonné par Michel Albouy.

6 G. Hirigoyen : « La responsabilité sociétale des entreprises familiales : les leçons dune approche comparative internationale », Mélanges en lhonneur de Jacques Igalens, Une vision des ressources humaines sans frontières, Questions de société, Éditions EMS 2018, en collaboration avec Thierry Poulain-Rehm, p. 157 à 181.

7 G. Hirigoyen : « Catherineau » : case studies and reports. Henokiens case collection 2018.

8 T. Piketty : Le capital au xxie siècle, Paris, le seuil (2013).

9 Création de valeur et gouvernance de lentreprise. (En collaboration avec Jérôme CABY et Christian Prat dit Hauret) Economica, 4e édition, 2013.

10 G. Hirigoyen : « Le lien stratégie-finance : approche par la création de valeur » in Encyclopédie de gestion Economica (2e édition) 1997.

11 Personnel non enseignant de lUniversité.

12 Licence-Master-Doctorat, réforme interne à lUniversité.