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Classiques Garnier

Innovation sociale L’apport de la tradition économique autrichienne

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Entreprise & Société
    2018 – 2, n° 4
    . varia
  • Auteur : Vivel (Christel)
  • Résumé : La tradition autrichienne offre une grille d’analyse pertinente pour comprendre l’innovation sociale et l’entrepreneur social. L’innovation sociale est le produit d’un double processus : d’identification des opportunités et de sélection des structures institutionnelles source d’innovations sociales. L’entrepreneur social se définit par sa vigilance vis-à-vis des opportunités non encore découvertes et surtout sa persuasion.
  • Pages : 101 à 119
  • Revue : Entreprise & Société
  • Thème CLIL : 3312 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Économie publique, économie du travail et inégalités
  • EAN : 9782406092483
  • ISBN : 978-2-406-09248-3
  • ISSN : 2554-9626
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-09248-3.p.0101
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 04/07/2019
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
  • Mots-clés : Entrepreneuriat social, innovation sociale, tradition autrichienne, Kirzner, entrepreneur, processus entrepreneurial
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Innovation sociale

Lapport de la tradition
économique autrichienne

Christel Vivel

ESDES-The Business School of UCLy

Linnovation sociale semble un sujet à la mode à tel point que certains comme Richez-Battesti et al. (2012, p. 15) parlent dun « déplacement du regard, de la technologie ou de lentreprise vers la société ». Cette mode participe des idées selon lesquelles linnovation sociale pallie labsence dinnovation technologique et la croissance économique peut reposer sur linnovation sociale. Plus encore, différents organismes internationaux tels que lOCDE ou lUnion Européenne font de linnovation sociale une solution à privilégier face aux défaillances du marché ou la crise économique et financière, en raison des valeurs de solidarité et de partage qui la sous-tendent. Toutefois, la littérature souligne la nature polysémique de la notion dinnovation sociale. Lensemble de ses utilisateurs ne lemploie pas dans le même contexte doù une ambiguïté croissante. Cette ambigüité a donné naissance à diverses tentatives de définition de léconomie sociale parmi lesquelles nous pouvons citer Besançon et al. (2013) dans le cadre de linstitut Jean-Baptiste Godin ou ceux de Richez-Battesti et al. (2012) pour les plus récents.

Bien que ces travaux ne saccordent pas sur une définition unique, ils soulignent trois points importants : 1/ linnovation sociale est au cœur du renouveau des politiques publiques axé sur lefficience et la compétitivité des services publics ; 2/ linnovation sociale peut être appréhendée au travers du prisme de lentrepreneuriat social même si elle ne se résume 102pas à ce dernier ; 3/ linnovation sociale entendue comme source de la transformation sociale participe du champ de léconomie sociale et solidaire. Linnovation sociale se définit ainsi comme « toute solution à un problème évalué insatisfaisant à légard dun problème spécifique. Pour le résoudre, des acteurs sociaux coopèrent, souvent en dépit de la diversité et de la distance sociale » (Harrisson, 2012, § 10). Finalement, linnovation sociale se caractérise par sa nouveauté, sa créativité et sa finalité sociale. Elle renvoie à un produit ou service nouveau, comme à lamélioration dun produit ou service existant. Dans tous les cas elle répond à une finalité sociale en ce quelle permet daméliorer la situation des individus et apporte une solution à un problème économique et social. Enfin, elle est affaire dinterprétation de la situation économique et sociale. Les auteurs saccordent aussi à dire que linnovation sociale doit être appréhendée en termes de processus. Plus que le résultat, cest le processus démergence, de diffusion et de pérennisation qui doivent être étudiés et qui définissent chaque innovation sociale.

Linnovation technologique partage de nombreux points communs avec linnovation sociale comme le soulignent Harrisson et Vézina (2006, p. 129) dans leur introduction au numéro spécial des Annales de léconomie publique sociale et coopérative. Innovation sociale et innovation technologique émergent au travers dun processus dans lequel différents acteurs interviennent et interagissent pour donner naissance à une solution, un bien ou service dont la diffusion permettra de qualifier de réussite ou déchec linnovation sociale selon son processus dessaimage et plus largement dévolution. Parmi les travaux sur les liens entre innovations technologiques et innovation sociale, Joseph Schumpeter est cité tant pour sa définition de linnovation que pour celle de lentrepreneur. Pourtant, les travaux de Schumpeter ne sont pas les seuls à mettre laccent sur la nature processuelle et dynamique du processus démergence de linnovation et dentrepreneuriat. La tradition économique autrichienne a aussi beaucoup à apporter à lanalyse de linnovation sociale. Dans cet article nous souhaitons mettre en évidence lapport de la tradition autrichienne à lanalyse de linnovation sociale, apport qui est le plus souvent omis par la littérature sur le sujet.

Dans un premier temps nous montrerons que la tradition économique autrichienne met en relief la dimension sociale de linnovation. Linnovation sociale y apparaît comme une activité entrepreneuriale 103entendue comme une construction sociale qui na de sens que par rapport aux individus quelle satisfait. Pour la comprendre il faut donc comprendre le processus qui lui a permis de voir le jour. Plus encore nous montrerons que la tradition économique autrichienne offre une grille pour comprendre le processus de sélection des innovations sociales.

Dans un second temps, nous évoquerons le processus démergence de linnovation sociale, linnovation sociale apparaissant comme le fruit dun processus de confrontation des différentes représentations des individus. Ce faisant nous soulignerons que linnovation sociale, dans cette perspective, est une construction indissociable du processus dessais et derreurs.

Enfin, dans une dernière partie nous verrons que derrière ce concept se cache le spectre de lentrepreneur social. La tradition autrichienne nous enseigne que cet entrepreneur nest pas nécessairement un individu mais plutôt une fonction qui peut être exercée par différents individus au fil du temps. Au final, une figure de lentrepreneur social émerge. Elle renvoie à un profil type dentrepreneur social fondé sur lexercice de la vigilance et la persuasion.

1. Innovation sociale, besoins humains
et processus de sélection

Nous montrerons tout dabord que la tradition économique autrichienne sintéresse demblée à la dimension sociale de lactivité humaine. En ce sens son analyse sinscrit dans le cadre de la définition de linnovation sociale comme solution à des problèmes économiques et sociaux par identification de nouveaux biens ou services ou dun nouvel arrangement de ceux-ci afin daméliorer la qualité de vie et le bien-être des individus ou du groupe. Dans cette définition plusieurs éléments peuvent être analysés par le biais de la tradition économique autrichienne. Dabord nous montrerons que lobjet même de lactivité économique est la résolution de problèmes économiques ou sociaux.

Carl Menger fut le premier à établir le point de départ de lanalyse économique autrichienne comme la relation de lhomme aux choses. 104Dans ses Grundsätze der Volkswirtschaftslehre1, il souligne que le principal problème économique est la recherche des liens de causalité existants entre les choses et les besoins humains à satisfaire. Subvenir à son existence et son bien-être est la principale activité, un « pré-requis à et le fondement de toute autre activité », Menger (1950 [1871], p. 77). Lhomme subvient à son existence en satisfaisant ses besoins, cest-à-dire en cherchant à contrôler les choses dont sa satisfaction dépend. Comprendre le processus démergence de linnovation sociale nécessite de revenir au(x) besoin(s) à son origine.

En outre, la vie des hommes et leurs préoccupations sinscrivent dans le temps. Lhomme cherche donc à subvenir à ses besoins futurs. Pour subvenir aux besoins de lexistence, les hommes ont à leur disposition la connaissance de leurs besoins, de la situation dans laquelle ils se trouvent et de la possibilité dagir sur ces circonstances. Lhomme agissant fait des choix. Il choisit de satisfaire tel ou tel besoin. Mais parfois, les choix sont erronés. Ils ne parviennent pas à satisfaire les besoins. Linnovation sociale est le fruit dun choix. Comprendre linnovation sociale passe par lanalyse non seulement du besoin mais du processus de décision/sélection des besoins les plus « urgents ». Plus exactement, le principal objectif vers lequel tend laction humaine est lamélioration de la situation et du bien-être de lindividu qui agit. Ainsi, pour Mises (1985 [1949], p. 103), « laction est un essai de substituer un état plus satisfaisant des choses, à un état qui lest moins ».

Linnovation sociale est le produit dune action humaine en ce quelle permet de remplacer un état moins satisfaisant par un état plus satisfaisant. Elle permet de satisfaire des besoins matériels comme immatériels. Les désirs économiques ne se résument pas aux seuls gains monétaires, mais comprennent aussi bien des valeurs morales ou religieuses. Mises (1985 [1949], p. 254) note dailleurs :

[] lhomme qui choisit comment dépenser son revenu [] est libre de faire ce qui lui plaît le mieux. Il peut faire des aumônes. Il peut, motivé par certaines doctrines et préjugés, user de discrimination à légard de biens de certaine origine ou provenance et choisir larticle inférieur ou plus coûteux que larticle technologiquement le meilleur et le moins cher.

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Linnovation sociale peut être analysée comme toute autre innovation dans le sens où elle est le résultat dun processus visant à améliorer la satisfaction de lindividu ou du groupe qui la porte. Elle est le résultat du choix du groupe qui lintroduit et du choix des autres individus de ladopter. En ce sens le processus de sélection est central à lanalyse de linnovation sociale.

La tradition économique autrichienne met demblée laccent sur le rôle de sélection exercé par le consommateur dans le cadre du processus de production. Le produit na dexistence que parce quil répond à un besoin et quil le satisfait. Le producteur peut produire autant de bien quil le souhaite, seul le produit vendu, sélectionné par le consommateur compte. Cest la sanction du marché.

Wieser fut le premier à étendre cette analyse en dehors de la sphère purement économique au travers de la dichotomie établie entre deux catégories dindividus : les « masses », multitude inorganisée, incapable dagir par elles-mêmes et les « chefs2 », seuls capables dimpulser laction en contrôlant et dirigeant les premiers. Les « chefs » inclus non seulement « les grands hommes de lhistoire », mais « toute personne qui, par sa capacité de guide, se tient au-dessus des masses », (1926, p. 37). Parallèlement, le rôle des masses est donc de « suivre » leur « chef », (1926, p. 37). Mais, bien que les chefs puissent occuper une position hiérarchique supérieure et exercer leur pouvoir afin de conduire les masses sur la voie quils ont décidé de suivre, ils restent dépendants de celles-ci. Les masses ont un rôle de sélection des chefs. Elles ont le pouvoir de suivre un chef plutôt quun autre. Il ny a donc pas de scénario déterminé. Selon Wieser, lévolution des rapports entre les masses et les chefs dépend réellement des conditions dans lesquelles ces rapports sexpriment.

Cette distinction permet aussi bien dexpliquer le pouvoir exercé par les entrepreneurs sur les ouvriers que le développement du pouvoir dans le mouvement ouvrier3 (Wieser, 1927 [1914], p. xix).

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On trouve lidée que lentrepreneur na pas seulement une fonction économique mais une fonction sociale. Les actions des hommes ne sont pas seulement mues par « la recherche dun équilibre heureux qui est au sens le plus fort utilitariste4 », mais « lhomme est par nature un être social » (Wieser, 1927 [1914], p. 155). Les innovations sociales, comme tout bien ou service, sont le produit dune sélection par la société. Si le consommateur/citoyen ne les adopte pas, elles disparaissent.

De ce fait, lapproche proposée met laccent sur la dimension sociale de lactivité humaine. En dépit de son individualisme méthodologique assumé, la tradition économique autrichienne insiste sur lencastrement social voire sociétal de laction humaine. Laction humaine ne se comprend que par rapport aux actions des autres individus qui composent la société. La prise en compte des relations sociales, du rôle des coutumes et des traditions par la tradition autrichienne permet ainsi de la rapprocher de la problématique polanyienne de lencastrement de léconomique dans le social5.

Pour résumer, la tradition autrichienne souligne limportance du processus démergence de linnovation sociale. Linnovation sociale répond à un besoin, créé ou découvert. Comme toute activité économique, linnovation sociale na de sens que parce quelle améliore la satisfaction du consommateur/acteur social. Le consommateur/acteur social oriente laction de lentrepreneur et impose la direction que devra prendre son action. Le processus de sélection est donc double. Il comprend une phase de persuasion où lentrepreneur est actif et une phase de sélection/adoption par la société de linnovation où lentrepreneur est inactif.

La capacité de persuasion de lentrepreneur est essentielle dans la diffusion de linnovation sociale. Dans léconomie de marché, cette persuasion est exercée au travers de la publicité dont Kirzner a mis en évidence le rôle. La publicité est inhérente à lactivité entrepreneuriale en ce quelle 107permet à lentrepreneur de satisfaire au mieux le consommateur en lui permettant de choisir entre les différents produits et services disponibles. Elle nest donc pas une contrainte exercée sur la liberté individuelle et elle ne remet pas en cause la « souveraineté du consommateur ». Les consommateurs auront connaissance grâce à la publicité des nouvelles offres disponibles.

Dans le même temps, les autres producteurs prendront connaissance des nouvelles possibilités de profit offertes par le lancement de ce nouveau bien. Ces concurrents auront en effet la possibilité de chercher une méthode de production meilleur marché leur permettant de concurrencer le premier entrepreneur. La fonction sociale de lentrepreneur consiste dans la diffusion dune partie de la connaissance qui ne peut être acquise par un processus dacquisition délibéré. Lentrepreneur peut ainsi parvenir à atténuer les résistances auxquelles son action est confrontée. La publicité a une fonction sociale liée à son aspect persuasif qui ne peut être séparée de son aspect informatif. Selon Kirzner (1973, p. 165), son rôle est de permettre de modifier le type dopportunités disponibles sur le marché en modifiant : a) « le caractère des opportunités perçues par les consommateurs », b) « la vigilance des consommateurs vis-à-vis de ces opportunités » et enfin, c) « les goûts des consommateurs ». Par-là, des opportunités nouvelles sont mises à jour et exploitées. La publicité nappartient pas aux seules prérogatives de la concurrence monopolistique mais participe au fonctionnement « normal » du processus entrepreneurial.

Alors que bon nombre de travaux en entrepreneuriat social mettent laccent sur les capacités de lentrepreneur, ses compétences, ses qualités mais aussi son rôle dans la conduite de linnovation, la tradition économique autrichienne souligne demblée le caractère social de laction entrepreneuriale. La « mission sociale » de lentrepreneur porteur de linnovation sociale comprend plusieurs dimensions. Il fait prendre conscience aux différentes parties prenantes quune solution est possible au problème rencontré. Il propose une solution pour répondre à un besoin social ou sociétal. Il fait face aux résistances sociales et institutionnelles. Ce comportement nest cependant pas lapanage dun type particulier dindividus doté de « super pouvoirs » ou « super capacités ». Chaque individu peut, selon les circonstances, agir de manière entrepreneuriale. Lintentionnalité de lactivité entrepreneuriale importe peu puisque laction et la solution proposées sont par nature « sociales ». Linnovation sociale est ainsi présentée comme à la portée de « monsieur ou madame tout le monde ».

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2. De laction humaine
à linnovation sociale

Linnovation sociale est le résultat dune co-construction par une variété dacteurs, des mouvements sociaux et de laction de la société civile animés par les principes de solidarité et de réciprocité. Harrisson et Vézina (2006 p. 131) arrivent ainsi à la conclusion que les « innovations sociales concernent la coordination des relations entre les acteurs sociaux dévolues à la résolution de problèmes socio-économiques, en vue dune amélioration des performances et du bien-être des collectivités ». Ce faisant nous retrouvons lidée de la tradition autrichienne selon laquelle linnovation est le fruit du processus de coordination des différents acteurs (le processus de marché selon la terminologie autrichienne). Chaque acteur participe à sa façon au produit.

Pour comprendre lémergence de linnovation sociale il est nécessaire de se pencher sur la manière dont les individus agissent et interagissent au sein de leur environnement. Pour cela la théorie de laction humaine misesienne peut être mobilisée pour comprendre laction du porteur de projet. Lindividu agit dans un environnement incertain en fonction de ses connaissances, de la représentation quil se fait de lenvironnement dans lequel il agit et des circonstances sur lesquelles il pense ne pas pouvoir agir. Chaque individu interprète à sa manière cet environnement et propose une action différente des autres6.

La théorie hayekienne de lesprit humain, telle que présentée dans The Sensory Order, souligne que la connaissance des individus est par essence subjective parce quissue dun classement particulier effectué par lesprit, classement qui diffère selon les individus. Cette connaissance est incomplète, imparfaite puisque lesprit na jamais fini dapprendre. Elle est enfin dispersée entre les divers individus et ne peut par essence 109être explicitée, donc a fortiori centralisée7. De ce fait la réussite du plan entrepris par le (ou les) porteur(s) de linnovation sociale est incertaine.

Plus récemment Ludwig Lachmann a poussé ce subjectivisme encore plus loin8 en soulignant que non seulement la connaissance mais les anticipations sont subjectives. Chaque composante de laction de lhomme est le produit de son esprit créatif. Autrement dit, tout phénomène et toute action doivent être interprétés. Linnovation et lacte entrepreneurial quelle renferme est œuvre dinterprétation et de création. On pourrait ainsi presque utiliser le pléonasme d« interprétation créative ». Linterprétation est ainsi au cœur de lactivité entrepreneuriale. Ainsi, toute innovation sociale est le produit non seulement de la motivation des acteurs (intérêt personnel, esprit de solidarité ou de partage) mais surtout de la représentation que les individus se font de leur passé, de leur présent et de leur futur. Toute action est fondée sur un plan, cest-à-dire « une image mentale » ou une « interprétation » de la réalité. Les moyens, les fins et les obstacles sont des contraintes à laction des hommes. Comme les individus poursuivent simultanément leurs plans, lesquels partagent certaines fins et certains moyens, chaque plan individuel constitue un « point dorientation » pour les plans des autres individus. Des « frictions » ou du moins des « problèmes dinteraction ou de coopération » apparaissent alors. Linnovation sociale est le fruit de cette confrontation. Comprendre le processus démergence de linnovation sociale passe donc nécessairement par la reconstruction des différents plans daction des acteurs du processus et la mise en perspective de ces plans avec ceux des autres participants et avec le contexte institutionnel.

Lhomme ignore donc tout ou partie des facteurs influant sur son activité. Lincertitude qui entoure le processus de production est ainsi source derreurs. En outre, les décisions des individus étant prises sur la base de leurs connaissances, ils peuvent se tromper. Le produit de lactivité de lhomme est incertain. Le processus démergence de linnovation sociale ne peut être compris en dehors des essais et erreurs, de lincertitude qui entoure les acteurs. Aussi, chaque plan se doit dêtre « flexible », dans 110la mesure où « certaines des connaissances pertinentes pour laction ne seront quacquises in agendo, cest-à-dire quune fois que le plan aura été dressé et que laction aura débuté », (Lachmann, 1971, p. 40). Par conséquent, les plans sont soumis à des révisions perpétuelles du fait de lincertitude, des erreurs pouvant être commises et des obstacles inattendus que les individus peuvent rencontrer. Finalement, seul le hasard peut permettre que les actions des divers individus se coordonnent. La coordination nécessite un processus continu de confrontation des plans et des actions individuels. En outre, la coordination des actions individuelles nest pas immédiate, mais elle prend du temps. Le délai ainsi introduit complique encore davantage le processus de coordination, puisquil fait courir de nombreuses incertitudes sur lissue du processus du fait de la multiplication des révisions de plan.

En accumulant des connaissances, les entrepreneurs réduisent lincertitude entourant leur activité mais aussi celle des autres participants au marché. Lintroduction de lincertitude et de lerreur par Menger et la tradition économique autrichienne permet de rompre avec lidée selon laquelle lentrepreneur fait une utilisation efficace des ressources. Une meilleure compréhension du processus démergence de linnovation sociale semble donc passer par la prise en compte du contexte institutionnel et culturel de celle-ci. Au cours de processus démergence de linnovation, les acteurs découvrent les plans des autres participants. Cette connaissance produite par linteraction des individus permet de réduire lignorance dans laquelle étaient placés les individus avant dy entrer. Toutefois, rien nassure que le résultat du processus sera conforme à ce quanticipent les participants au départ. Lignorance tend à se réduire mais elle perdure du fait notamment que « la capacité des hommes à noter ce qui se produit (et a fortiori ce qui est susceptible de se produire) est hautement imparfaite », (Kirzner, 1973, p. 223). Linnovation sociale ne peut donc être certaine.

Linnovation sociale dépend non pas des connaissances a priori des acteurs mais de leur capacité à faire face à lincertitude, cest-à-dire à mobiliser les ressources nécessaires et à les combiner pour parvenir à satisfaire une fin. Cette vigilance entrepreneuriale identifiée par Kirzner a fait lobjet dune abondante littérature en entrepreneuriat. Mais cette littérature sest bien souvent limitée à la découverte des opportunités de profit monétaire. Or, la théorie kirznerienne est tout aussi mobilisable 111dans le cadre dopportunités de profit non monétaire. Ainsi, il est possible danalyser linnovation sociale comme le résultat de la vigilance entrepreneuriale. Lorsque linnovation sociale comble un besoin non satisfait par lÉtat ou les collectivités locales elle participe de lexercice de la vigilance entrepreneuriale. La vigilance qui caractérise lactivité entrepreneuriale ne permet pas de caractériser un type dindividu particulier, mais se rencontre dans toute action humaine. Tout individu est donc potentiellement un entrepreneur. Seul le degré de vigilance varie selon les individus puisque dans les faits, certains entrepreneurs réussissent mieux que dautres. La vigilance permet de répondre au changement mais dans le même temps crée le changement. Ainsi en créant une solution nouvelle, linnovation sociale bouleverse les plans daction des autres acteurs et se faisant crée du changement et est potentiellement source de nouvelles innovations futures. Ainsi, sexplique lapparition dinnovations sociales en grappes par exemple.

Selon Kirzner (1979, p. 146), lignorance est due à « des changements constants qui transforment lomniscience en ignorance », même si « cette ignorance sans cesse renouvelée est sujette à lérosion constante du fait de la découverte spontanée ». Autrement dit, il reste des sources de profit non exploitées, des sources dinnovations sociales permanentes.

Lignorance perdure, parce que lentrepreneur nest pas vigilant. La vigilance ne permet cependant pas dexpliquer la créativité. La créativité provient de la manière dont les individus interprètent chaque action, chaque situation. Elle nest donc pas réservée à un type dindividu en particulier mais est inhérente à la nature et laction humaine ainsi que nous lavons évoqué dans la première partie de cet article. Il en découle que la figure de lentrepreneur proposée par la tradition économique autrichienne est dé-personnifiée. Elle ne correspond pas à une figure économique particulière. De ce fait, la représentation de lentrepreneur devient essentielle pour lanalyse de linnovation sociale.

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3. Dé-personnification de lentrepreneur,
vers une figure de lentrepreneur social

Linnovation sociale est portée par un ou plusieurs acteurs parmi lesquels il est possible de discerner un porteur de projet. Toutefois, laction entrepreneuriale telle que décrite par la tradition autrichienne peut très bien sappliquer à chacune des parties prenantes de linnovation sociale et ne se réduit pas au seul porteur de projet identifié.

Prenons lexemple de la figure du porteur dinnovation sociale décrit par Schieb-Bienfait et al. (2009) dans leur étude sur le territoire de la Région Pays de Loire des micro-projets innovants financés par le Fonds de Social Européen. Dans cet article les auteurs identifient un profil type de porteur de projet : une personne qui vit en couple, a des enfants, bénéficie dun « très haut niveau de diplômes », dorigine sociale hétérogène mais autour des classes moyennes, dorigine géographique diverses. La caractéristique dominante réside dans lengagement de ce porteur de projet. Son statut est généralement celui de salarié, ce qui ne modifie en rien lanalyse que nous proposons. En effet, au-delà de ce portrait, ce qui nous intéresse plus particulièrement est le rôle assumé par le porteur de projet. Létude identifie plusieurs rôles assumés par le porteur de projet : coordination, gestion (de projet ou management déquipes), création/conception, communication, développement de partenariats et mise en réseau. Derrière chacun de ces rôles il est possible de discerner la figure d lentrepreneur telle que présentée par la tradition économique autrichienne.

La nature entrepreneuriale de lactivité du porteur de projet réside dans sa capacité à informer et persuader les différentes parties prenantes de la nécessité dagir selon son plan daction. Lactivité de conception/création réside dans la création du plan daction lui-même. Cette activité peut être déléguée à un individu. Lactivité entrepreneuriale repose aussi dans la capacité à convaincre les autres parties prenantes de suivre ce plan. Cette persuasion passe par lactivité de communication et de développement du réseau9. Cette dernière peut aussi être déléguée à 113un individu. La nature entrepreneuriale réside alors dans la capacité du porteur de projet à convaincre cet individu de réaliser la campagne de communication ou de développement commercial. Lactivité de coordination elle-même peut être déléguée à un individu dans la mesure où nest entrepreneuriale que la décision dengager tel ou tel coordinateur plutôt quun autre, et convaincre cet individu de suivre son plan daction. Au final, linnovation sociale dépend de la capacité de persuasion de celui qui a établi le plan daction permettant de donner naissance à cette innovation. Linnovation sociale nest pas lœuvre dun individu mais une fonction économique. La tradition économique autrichienne permet cette dé-personnification10. Elle souligne linterdépendance entre les différentes fonctions économiques et souligne la transversalité de ces fonctions. Linnovation peut être portée par un manager, un opérationnel, un apporteur de capitaux comme un bénévole dune association. Le statut du porteur de linnovation importe peu. Seule la capacité à découvrir de nouvelles opportunités et persuader les autres parties prenantes de le suivre compte.

Kirzner (1973) est celui qui a le mieux établi cette idée en utilisant la figure de lentrepreneur pur. Lentrepreneur « pur11 » se distingue de lentrepreneur tel quil se présente dans la réalité. La fonction entrepreneuriale est ainsi mise en parallèle avec les autres fonctions économiques auxquelles elle peut être associée. Lactivité entrepreneuriale est une composante de laction humaine. Elle est donc présente à des degrés divers chez tous les individus.

Lactivité entrepreneuriale ne se réduit donc pas au fondateur de lassociation ou de lorganisation sociale. Le porteur de projet nest pas nécessairement créateur dentreprise. Il est même le plus souvent un bénévole du secteur associatif qui créant son activité devient salarié de cette même association (Schieb-Bienfait et al., 2009, p. 24).

Laction entrepreneuriale ne se réduit pas à la possession dun quelconque capital (économique ou social) mais dépend davantage de sa 114capacité à convaincre et mobiliser les apporteurs de capitaux. Il existe malgré tout un lien entre le propriétaire du capital (économique ou social) et lentrepreneur dans la mesure où lentrepreneur persuade le capitaliste de lui prêter son capital pour accomplir son plan daction.

De même, il existe un lien entre le directeur/manager de lentreprise et lentrepreneur dans la mesure où lentrepreneur, grâce au capital emprunté, engage un « directeur » capable de remplir les objectifs fixés par lui. Le directeur/manager quant à lui fait preuve dun comportement entrepreneurial lorsquil est en capacité dexploiter une opportunité de profits. Ainsi, lors de la mise en place dune nouvelle méthode de management, il exploite une opportunité non encore découverte.

De ces éléments il est possible de dresser un portrait de la figure de lentrepreneur social. Lentrepreneur social, est une figure particulière, historique, du capitalisme au même titre que lentrepreneur ingénieur ou lentrepreneur manager. Lentrepreneur social se définit comme un individu ou un collectif dindividus qui se lancent dans lexploitation dune opportunité non encore exploitée par dautres quel quen soit la raison. Pour ce faire il persuade dautres individus de le suivre dans son « aventure entrepreneuriale » en lui confiant diverses ressources sur la base dune rémunération qui peut ne pas être pécuniaire (comme la solidarité, le partage). Cette activité entrepreneuriale répond à un besoin à un moment donné et ne peut donc se comprendre indépendamment du contexte qui la vu naître. Cest sur ce point que lapport de la tradition économique autrichienne est essentiel : innovation sociale et entrepreneur social sont des processus continus dadaptation/ajustement et de sélection. Lentrepreneur social est en mouvement perpétuel : il cherche à tirer parti des interstices laissés par les autres entrepreneurs ou les institutions. Ainsi en est-il par exemple lorsquun entrepreneur migrant tire parti des structures dopportunités de son pays daccueil et des caractéristiques de sa communauté pour mettre en place son activité économique. Laction entrepreneuriale est par essence socialisée en raison de lintensité de la division du travail et de linterdépendance entre les agents, (Boutiller, 2009).

En ce sens, il nous semble que la tradition économique autrichienne nous permet didentifier différentes pistes de recherche dans le champ de linnovation sociale :

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1/ comment les entrepreneurs font-ils coïncider leur anticipation du futur avec les besoins actuels. Autrement dit, comment les entrepreneurs parviennent-ils à se persuader que leur solution permettra de répondre aux besoins de la société. Il sagit ici de sintéresser au processus didentification des opportunités, des différentes stratégies projectives des individus et les facteurs qui y contribuent.

2/ comment les entrepreneurs combinent, cest-à-dire identifient et mobilisent les différentes ressources nécessaires à la mise en œuvre de leur plan daction. Ce type de question renvoie au processus de choix entre différentes combinaisons de ressources hétérogènes. Lanalyse porte alors non pas tant sur les motivations que sur les circonstances qui ont entraîné tel ou tel choix de combinaisons.

3/ comment la mise en œuvre de la solution modifie la structure institutionnelle, économique et sociale créant ainsi de nouvelles sources dincertitudes et donc dopportunités futures. Ce type de recherche porte sur lanalyse du processus de diffusion de linnovation sociale et la manière dont celle-ci contribue à modifier les institutions. Cette recherche passe nécessairement par la mobilisation de la théorie évolutionniste et/ou institutionnaliste. Il sagit, dans le langage hayekien, de sintéresser au processus dévolution de lordre spontané, à la manière dont les institutions sont sélectionnées. Ainsi, lintérêt se porte sur les structures institutionnelles les plus susceptibles de produire des innovations sociales car il est fondamental « de choisir parmi les dispositifs institutionnels et sociaux alternatifs ceux des modes dorganisation qui minimiseront ce type dignorance – cest-à-dire ces modes dorganisation qui génèrent le volume le plus important dapprentissage spontané, non délibéré », Kirzner (1979, p. 147).

Conclusion : retour sur la définition
de linnovation sociale

Lobjectif de cet article était de souligner lapport de la tradition économique autrichienne à lanalyse de linnovation sociale. Nous pensons avoir montré que la tradition autrichienne offre une grille danalyse 116pertinente pour comprendre linnovation sociale comme « une solution nouvelle à un problème social qui est plus efficace, efficient, durable ou juste que les solutions préalables et qui rapporte davantage à la société quà des individus en particulier » selon la définition proposée par Phills et al. (2008, p. 36). Linnovation sociale est indissociable du processus qui la vue naître et ne peut se comprendre sans faire référence aux plans dactions du (des) porteur(s) de projet. Comme toute activité économique, linnovation sociale est le produit dun processus de sélection social, fruit des interactions des différentes parties prenantes. Comprendre linnovation sociale passe par la reconnaissance du rôle de chacun de ses acteurs. Ce processus de sélection nest pas à sens unique mais comprend deux dimensions : une phase de diffusion/persuasion portée par linitiateur de linnovation et une phase dadoption/rejet par laquelle la société sapproprie linnovation et transforme le mode de fonctionnement même de la société. Ce faisant linnovation sociale est une réponse à une situation dincertitude dans la mesure où elle permet de produire une solution à un problème économique ou sociale. Mais elle est productrice dincertitude dans la mesure où elle modifie la représentation (les habitudes) des autres parties prenantes. Derrière linnovation sociale apparaît le spectre de lentrepreneur. Lentrepreneur social se définit par sa vigilance vis-à-vis des opportunités non encore découvertes.

Lentrepreneur social développe son activité dans des activités qui ne sont pas rentables pour les entreprises « ordinaires » ou encore qui sont délaissées par lÉtat qui en avait la charge jusquà présent. Cest un entrepreneur « classique » qui développe une activité quil juge socialement utile parce quelle répond à de nouveaux besoins sociaux et économiques du moment (Boutillier, 2008, p. 57).

Il renvoie en outre à laction de persuasion qui participe du processus de diffusion et de sélection de linnovation sociale. Finalement, nous avons mis en évidence limplication de la tradition autrichienne à trois niveaux dans lanalyse de linnovation sociale : le processus didentification des opportunités, des différentes stratégies projectives des individus, le processus de choix entre différentes combinaisons de ressources hétérogènes, et enfin, le processus de sélection des structures institutionnelles les plus susceptibles de produire des innovations sociales. Lexamen de la dernière 117question est sans doute celle sur laquelle lapport de la tradition économique autrichienne ne serait pas totalement en accord avec les tenants de léconomie sociale et solidaire. Cette question pourrait faire lobjet dune nouvelle contribution notamment sur la question de la pertinence et la nature des politiques publiques de soutien à linnovation sociale. Au final, nous espérons avoir souligné quune voie est ouverte pour de nouveaux travaux sinspirant de la tradition économique autrichienne pour traiter de linnovation sociale et que nombreuses questions restent à traiter afin de mieux appréhender linnovation sociale.

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Bibliographie

Besançon E., Chochoy N. et Guyon T. (2013), Linnovation sociale, Principes et fondements dun concept, Paris, LHarmattan.

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1 Pour aller plus loin sur ces aspects de la connaissance et de linformation se reporter aussi à son ouvrage méthodologique de 1883, Untersuchungen über die Methode der Socialwissenschaften und der politischen Ökonomie insbesondere, traduit de lallemand et présenté par Gilles Campagnolo, 2011, Recherches sur la méthode dans les sciences sociales et en économie politique en particulier, Paris, Éditions de lEHESS, « traduction EHESS translation ».

2 Nous préférons le terme de « chef » pour traduire le terme « führer », bien que le terme « dirigeant » aurait pu être utilisé. Nous suivons en cela la traduction de M. Roche-Agussol (1930). Le terme de dirigeant ne renvoie selon nous quà une supériorité hiérarchique sans rapport avec le pouvoir quune telle position implique ou avec sa dimension sociale. Notons que la traduction anglaise emploie le terme de « leader ».

3 Wieser distingue dailleurs plusieurs types de « chefs ». Ce terme sapplique aussi bien aux « chefs militaires ou politiques, aux princes, aux commandants de larmée, aux hommes dÉtat ou aux chefs de partis, quaux chefs religieux et chefs dans les arts ou dans les sciences, en bref, à tous ceux qui, dans tout domaine de lactivité sociale, montrent le chemin », (1926, p. 37). Pour une analyse plus poussée de ce concept se reporter à Campagnolo et Vivel 2012.

4 On pourrait sans doute, dans une interprétation contemporaine de Wieser, dire que laction humaine nest pas régie par les seuls principes économiques de réduction des coûts et de maximisation de lutilité.

5 Polanyi souligne lencastrement des activités économiques dans les relations sociales et rejette lidée dune création spontanée des marchés, voir notamment Polanyi (1944 et 1947). Pour une analyse des liens entre Polanyi et la tradition autrichienne se reporter à Maucourant 2005 par exemple.

6 De nombreuses études sociologiques ont ainsi mis en évidence le rôle des structures institutionnelles et de la solidarité, ce qui conduit à reconnaître limportance des réseaux sociaux daccès dans le succès entrepreneurial. Plus récemment, des travaux sur la sociologie des logiques daction inhérente à linnovation sociale ont été menés comme les travaux de Schieb-Bienfait et al. (2009). Dans une perspective « autrichienne », Lavoie (1991) propose une analyse compréhensive, herméneutique qui pourrait être appliquée à linnovation sociale.

7 Cette idée est à la base de largumentation hayekienne dans le cadre du débat sur la possibilité de réaliser un calcul économique en économie socialiste.

8 Lachmann est ainsi à lorigine dun subjectivisme radical que Littlechild (1986, p. 29) caractérise de « subjectivisme radical », mettant en évidence « limagination requise pour créer les alternatives aux décisions qui sont prises, et donc linévitable incertitude associée au résultat de ces décisions ».

9 Cette capacité de communication renvoie à la capacité de persuasion présentée par Kirzner comme un élément déterminant du processus entrepreneurial et analysée au travers de la publicité.

10 La question de la dé-personnification de lentrepreneur et plus spécifiquement la figure multiple de lentrepreneur est lobjet du numéro spécial de la Revue de Philosophie Économique de juin 2014.

11 Pour aller plus loin sur lemploi des types « purs » au sein de la tradition autrichienne et une comparaison avec lanalyse weberienne se reporter à Campagnolo et Vivel (2014, p. 13).