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Classiques Garnier

« Grand angle » avec Julie Battilana

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Entreprise & Société
    2018 – 2, n° 4
    . varia
  • Auteur : Thoenig (Jean-Claude)
  • Pages : 25 à 52
  • Revue : Entreprise & Société
  • Thème CLIL : 3312 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Économie publique, économie du travail et inégalités
  • EAN : 9782406092483
  • ISBN : 978-2-406-09248-3
  • ISSN : 2554-9626
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-09248-3.p.0025
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 04/07/2019
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
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« Grand Angle »
avec JULIE BATTILANA

Jean-Claude Thoenig

Rappel sur la rubrique
« Grand Angle »

Dans sa politique éditoriale, Entreprise & Société (ENSO) a décidé de consacrer, dans chacun de ses numéros, une rubrique spécifique, dite « Grand Angle », consacrée à une personne, un groupe ou un évènement particulier. Il ne sagira pas dun article académique, dune recension ou dune information factuelle, comme dautres rubriques de la revue peuvent les offrir, mais dune réflexion menée sur la relation entre entreprise et société, vue à travers litinéraire et la vision de la personne « mise à la question », du groupe étudié, de lévènement analysé. Lobjectif recherché est daider les lecteurs de la revue dans leur démarche de compréhension – parfois de déchiffrage – de cette relation entre entreprise et société, en ajoutant, aux rubriques usuelles ci-dessus mentionnées, cette rubrique « Grand angle » qui se veut comme un instant de pause et de réflexion partagée.

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Entretien avec Julie Battilana (JB)

Propos recueillis par Jean-Claude Thoenig (JCT)

Jean-Claude Thoenig : Lobjectif du Grand Angle est de retracer votre itinéraire professionnel et, dans ce cadre, de situer et dapprofondir votre démarche sagissant notamment de la relation entre entreprise et société.

Pour commencer, nous pourrions retracer votre parcours jusquà votre arrivée à Harvard Business School (HBS) en 2006. Au départ vous avez fait des études surtout en sociologie. Comment et pourquoi avez-vous rejoint par la suite une filière qui est ancrée en gestion ? Comment et pourquoi vous êtes-vous intéressée à la relation entre lentreprise et la société ? Cet intérêt émerge-t-il déjà dès votre formation de base ?

Julie Battilana : Commençons par la sociologie. Mon intérêt pour le social et les mécanismes sociaux remonte à loin : enfant, déjà, jétais intéressée par les mécanismes de coordination au sein des groupes et par lémergence et le maintien des règles du vivre ensemble.

Jai grandi dans une famille dorigine italienne établie dans le sud de la France. Petite fille, jai très vite pris conscience du pouvoir des traditions et de la force de reproduction des normes sociales. Dans le monde où je vivais, les femmes étaient souvent cantonnées dans la sphère domestique. Quand je regardais autour de moi, à part lexemple de ma mère, artiste peintre, je ne voyais pas de femmes qui aient pu sortir de cette sphère.

Mes parents, quant à eux, ne mont imposé aucune limite intellectuelle ni physique : ils mont toujours dit que tout métait possible. Jai donc très tôt exprimé la volonté de sortir du modèle dominant autour de moi, tout en minterrogeant sur la possibilité de le faire. Jai ainsi développé un fort intérêt pour le rôle des normes sociales ainsi que pour les conditions nécessaires à la divergence par rapport à ces normes établies. Je ne posais bien sûr pas le problème en ces termes à lépoque, mais la question de la possible divergence me taraudait.

Alors que jétais encore enfant, mon père, médecin, est devenu président bénévole de lassociation La Bourguette où vit ma sœur, qui a un handicap psychomoteur. Cest une organisation qui prend en charge 27des enfants et des adultes handicapés et vise à assurer leur bien-être, leur épanouissement personnel et professionnel, ainsi que leur intégration dans leur communauté, notamment par le travail. La Bourguette sappuie essentiellement sur des subventions publiques pour financer ses activités, mais elle génère aussi des revenus de la vente des produits et services issus du travail de ses résidents. Ils produisent notamment de lhuile dolive, du vin, et des céramiques et accueillent des clients dans les auberges restaurants de lassociation dans le sud de la France. Je trouvais le modèle dorganisation de La Bourguette très original par rapport à tous ceux que je voyais autour de moi. Cest par ce biais que jai commencé à mintéresser aux organisations que je qualifie maintenant dorganisations hybrides, cest-à-dire celles qui poursuivent une mission sociale tout en sengageant dans des activités commerciales pour générer tout ou partie des revenus nécessaires à leur fonctionnement. Ces organisations divergent du modèle dominant des organisations caritatives et de celui des entreprises classiques, en combinant des aspects communs à ces deux formes dorganisation.

Javais donc déjà en tête toutes ces questions autour de la divergence par rapport aux normes sociales dominantes aussi bien pour les individus que pour les organisations quand jai découvert, au lycée, les philosophes des Lumières. Jai été fascinée par la rupture cognitive que représentaient des penseurs comme Voltaire, Rousseau et Diderot. Là aussi, leur capacité de divergence minspirait.

Une fois mon bac en poche, jai décidé de me lancer dans un cursus de classes préparatoires Hypokhâgne et Khâgne B/L parce quil faisait une place importante non seulement aux humanités classiques, mais aussi à la sociologie et à léconomie. Malgré mon enthousiasme et ma soif dapprendre, quand je suis arrivée en prépa au Lycée Henri IV au milieu des années 1990, je navais pas vraiment le profil adéquat. Mes parents nétaient ni professeurs ni hauts fonctionnaires comme ceux de la plupart de mes camarades et les provinciaux, comme moi, étaient peu nombreux. Bien que venant de Marseille, je nai pas pu entrer à linternat de Henri IV car il nétait pas ouvert aux filles. A posteriori, je regrette de ne pas avoir lancé de vrai mouvement pour accélérer louverture de linternat aux filles, qui na eu lieu quen 2010 !

Dès les premières semaines en prépa, jai compris que je ne possédais pas les codes adéquats en matière dexpression orale et écrite pour réussir 28le concours dentrée à lÉcole normale supérieure. Jai donc passé deux ans à essayer de faire lacquisition de tout le capital culturel nécessaire pour parler la même langue que mes condisciples.

Cest pendant ces années que jai commencé à lire Auguste Comte, Émile Durkheim, Max Weber et tous les pères fondateurs de la sociologie. Leurs travaux mont particulièrement intéressée car ils avaient des liens forts avec les questions que je me posais et mapportaient un vocabulaire et des outils pour mieux comprendre les dynamiques sociales. Je me suis engagée dans ces lectures et jai développé des dialogues intérieurs avec leurs textes. Jai aussi découvert les économistes – Adam Smith, John Maynard Keynes, les néo-classiques…

Une fois admise à lÉcole normale supérieure de Cachan (ENS-C) et à HEC, la sociologie, et plus particulièrement la sociologie des organisations, sest imposée à moi comme une évidence. À lENS-C, jai notamment été marquée par les cours que nous avons eus ensemble et toutes les conversations avec vous-même et tout le groupe de sociologues, déconomistes et détudiants. Je pense aussi au formidable séminaire de lecture organisé par Catherine Paradeise pour nous familiariser non seulement avec les auteurs français et européens, mais aussi nord-américains. Par exemple, jy ai lu le livre de Neil Fligstein sur la transformation du corporate control. La lecture de cet ouvrage ma permis de réaliser que cétait ce type de travail que je voulais faire : étudier linteraction entre institutions et organisations, comprendre les grands mouvements sociaux et économiques, tout en tenant compte des dynamiques organisationnelles.

Dans le cadre du Magistère de lENS-C, nous suivions aussi des cours à luniversité de Nanterre. Nanterre, cest pour moi la rencontre avec des penseurs comme Alain Caillé et la découverte dauteurs que je navais pas encore lus, tel Erwin Goffman – un cours sur lui mouvre à une autre entrée sur la sociologie nord-américaine. La lecture dAlain Caillé et son dialogue (ainsi que ses désaccords) avec Pierre Bourdieu, dont japprofondis aussi les écrits à ce moment-là, minterroge de plus en plus sur la tension entre structures et autonomie de lacteur dans les différents types de systèmes sociaux. Le travail sur lhabitus et les différentes formes de capital de Pierre Bourdieu minfluence également beaucoup. Jy ajoute les textes dAnthony Giddens et la lecture, décisive pour moi, de louvrage de Mary Douglas sur les institutions. Mary Douglas est une auteure quon oublie trop souvent me semble-t-il, 29en tout cas outre-Atlantique, quand il sagit de retracer lhistoire de la pensée sur les institutions et leur évolution. La féministe que je suis sinsurge souvent de ce manque de reconnaissance dans certains travaux et colloques !

La grande chance que jai eue dans le magistère de lENS-C, cest dêtre exposée en même temps à la sociologie et à léconomie, et ce de façon non vulgarisée, avec au contraire une approche qui plaçait les étudiants au cœur de chacune des deux disciplines. Au contact de ces modes de pensée différents, mon attention sest aiguisée et jai accru ma capacité à identifier les hypothèses fondatrices de chacune des disciplines. Cela ma aussi permis dapprécier plusieurs méthodes de recherche, sans minimiser ni exagérer limportance dune discipline par rapport à une autre. Cette approche pluridisciplinaire ma beaucoup marquée : aujourdhui encore, jessaie de multiplier les contacts avec dautres disciplines pour enrichir ma pensée et ma capacité danalyse.

Grâce à la compréhension de la future directrice adjointe de lENS-C, Catherine Paradeise, jai pu être en même temps élève à Cachan et Nanterre, et à HEC, à Jouy-en-Josas. Ce double cursus a été formidable : à lENS-C et à Nanterre, jétais ancrée dans la théorie et dans les recherches empiriques et dans le même temps, à HEC, je découvrais les fonctionnements organisationnels dun point de vue pratique. HEC mexposait aussi à la réalité du processus de socialisation des étudiants destinés à rejoindre ou créer des entreprises. Pendant cette période, des stages ont également nourri ma réflexion tout en minsérant dans le monde de lorganisation. Cela ma permis de reformuler certains de mes questionnements en évitant une réflexion trop « stratosphérique » sur le rapport entre structures et autonomie des acteurs et en prenant en compte, de façon plus systématique, les relations de pouvoir dans les organisations.

À la fin de mon dernier stage long à HEC, dans le secteur du conseil, ma décision était prise : je voulais me consacrer à la sociologie des organisations et mener un travail de thèse sur les tensions entre structures et autonomie des acteurs dans les organisations. Jai eu la chance de pouvoir conduire ce travail non seulement dans le système français de lENS-C mais aussi à lINSEAD. Si mon ancrage continue dêtre la sociologie des organisations, à lINSEAD je découvre le champ de la gestion (management), au sein duquel je me spécialise sans surprise en 30« Organizational Behavior », cest-à-dire dans létude des dynamiques organisationnelles. Là encore, ce double cursus à lENS-C et à lINSEAD ma placée à lintersection de plusieurs mondes : la sociologie et la gestion (management), la France et les États-Unis – et plus globalement lEurope et les États-Unis.

Quand jarrive à lINSEAD, une fenêtre souvre sur les penseurs anglo-saxons que javais commencé à lire à lENS-C. Je mengage plus avant dans la lecture dHerbert Simon, James March, Richard Cyert, lécole de Carnegie. Et aussi de tout le courant institutionnel de Philip Selznick à Richard Scott en passant par John Meyer, Woody Powell, Paul DiMaggio, Frank Dobbin, et Mary Ann Glynn etc.

La culture internationale est très présente à lINSEAD, où je suis entourée détudiants en MBA et de doctorants venus du monde entier. Certains dentre eux, comme Metin Sengul, aujourdhui professeur à Boston College, qui est lun de mes co-auteurs, ont eu un impact fort sur mon parcours de chercheur en sciences sociales. Néanmoins, quand on en vient à mon sujet de thèse, mon choix est encore très influencé par ma formation française et européenne, et mon moteur reste assez théorique, autour de la tension sociétale et organisationnelle et de la possibilité de lautonomie de lacteur. Sans surprise, je moriente donc vers une recherche sur lentrepreneuriat institutionnel liée à la question qui me taraude depuis mon plus jeune âge, celle de la possibilité (ou non) de divergence par rapport aux normes dominantes. Si les institutions ont un pouvoir et une force dinertie tels quelles contraignent les individus et les organisations à les reproduire, comment des divergences apparaissent-elles dans un système ? Et si certains acteurs divergent, quelles sont les conditions qui leur permettent de le faire dans différents types de système ? Cette question va guider ma thèse sur le National Health Service (NHS), le système de santé britannique, soutenue en 2006 sous la double signature de lINSEAD et de lENS-C, avec un jury de thèse international composé de professeurs américains comme Thomas dAunno et Herminia Ibarra et français comme Albert David, Isabelle Huault, Pierre Romelaer, et vous-même. Au fil de ce travail qui sappuie à la fois sur des méthodes de recherche qualitatives (fondées sur des observations et des entretiens) et sur des méthodes quantitatives (fondées sur lanalyse de données recueillies par questionnaire et codage darchives), je me suis intéressée de plus en plus aux dynamiques de 31changement organisationnel qui sont au cœur de toute tentative de divergence à lintérieur des organisations.

Ces travaux mettent en avant les facteurs qui permettent aux acteurs non seulement de diverger, mais ensuite de réussir (ou non) dans la mise en œuvre de changements divergents. Ils ont été publiés dans une série darticles parus dans lAcademy of Management Journal1, Organization Science2, Management Science3, Organization4, la Harvard Business Review5 et la Stanford Social Innovation Review6. Sur cette base, jai aussi développé des contenus pédagogiques, à la fois des cas pour mes étudiants et des notes pédagogiques pour les enseignants désireux de les utiliser dans leurs cours. Je les utilise aujourdhui dans mon cours « Pouvoir et Influence ».

Il manque un élément dans ce panorama personnel. Quand jétais à lENS-C, une rencontre importante fut celle des travaux de Michel Crozier et de certains membres de son école, dont vous-même. Dans mon travail de recherche sur la divergence par rapport aux normes dominantes au sein dune institution très établie comme le NHS, la question des dynamiques de pouvoir et de la maîtrise de lincertitude est naturellement majeure.

J.-C.T. : Vous travaillez certes sur les entreprises, mais aussi sur le secteur public ? 

J.B. : Oui, tout mon travail de thèse était consacré à une organisation publique.

J.-C.T. : Comment concilier cela ?

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J.B. : Une fois encore, ma motivation est de comprendre les organisations quel que soit leur type. À HEC, jeffectue mon tout premier stage dans une organisation publique, la chambre régionale des comptes à Marseille, choix révélateur de mon approche. Par ailleurs, jai toujours eu un fort intérêt pour la chose publique et pour la politique – jai consacré mon mémoire de maîtrise de sociologie à létude du mouvement pour la parité hommes-femmes en politique en France.

Par la suite, tous mes choix de stage révèlent ma volonté dêtre exposée à des mondes organisationnels très différents les uns des autres, pour mieux les comparer et les comprendre. Celui dans lentreprise Johnson and Johnson, choisi pour lopportunité quil moffre daller améliorer mon anglais aux États-Unis, me permet aussi davoir une expérience dans une multinationale. Je veux comprendre les processus et les modes de fonctionnement dans une organisation de cette taille, comment les gens y travaillent, comment ils se sentent reconnus ou non. Lors de mon second stage chez Johnson and Johnson, je choisirai une autre branche, et en France cette fois-ci, afin de comparer les modes de fonctionnement et de travail aux USA et en France.

Mon dernier stage se déroule dans un cabinet de conseil, Mercer Management Consulting, pour tester mon envie de mener des missions plus courtes et avec des positionnements différents de ceux de la recherche. Tout se passe admirablement et je reçois une offre dembauche, mais je préfère la décliner : cest décidément la sociologie des organisations qui me passionne et je désire me consacrer à la recherche et à lenseignement dans ce domaine, pour contribuer, je lespère en tous cas, à un meilleur fonctionnement des organisations et de la société.

J.-C.T. : Comment se fait en 2006 votre passage à la Harvard Business School (HBS) ?

J.B. : Quand je termine mes études de doctorat, je candidate essentiellement sur le marché européen. Or les membres de mon comité de doctorat mencouragent à présenter mon dossier dans quelques écoles américaines, ne serait-ce que pour faire connaître mon travail de lautre côté de lAtlantique. Donc jy pense. Et la suite est une histoire assez étonnante, avec le recul !

Cette année-là, jai prévu dintervenir sur mon sujet de thèse au congrès de lAcademy of Management (AOM). À la fin de ma présentation, un 33monsieur dont le visage mest inconnu vient vers moi : « il faut absolument que vous candidatiez à la HBS, votre sujet nous intéresse, je vous lassure ». Il me donne sa carte de visite : cétait Jay Lorsch, professeur et chercheur renommé dans le domaine de la gestion et de la théorie des organisations pour ses travaux sur la théorie de la contingence structurelle. Poussée par mon comité de thèse et par linsistance de Jay Lorsch, je décide de candidater.

Lors de mon job talk à HBS, un très influent membre de la faculté ma aidée, là encore de façon inattendue. À peine avais-je commencé à parler depuis deux minutes, et avant même que jaborde les implications managériales possibles de mon travail – je savais quil était essentiel den parler à HBS – il ma interrompue en disqualifiant mon propos, assez sèchement, voire en des termes vulgaires. Je ne me suis pas démontée… Mon anglais nétant pas aussi bon quaujourdhui, je ne connaissais pas le terme – rats ass – employé par cette personne. Mon calme, en partie dû à cette relative ignorance de largot anglais, a impressionné les personnes présentes, qui me rappellent encore souvent cette anecdote ! Jai répondu à mon futur collègue que sil me donnait plus de deux minutes de présentation, il aurait les informations qui lui manquaient pour quil puisse établir son jugement sur la qualité de mon travail. Je crois que cest à ce moment-là que jai convaincu mes interlocuteurs de sengager avec moi dans un vrai débat de fond. Ils se sont sans doute aussi dit que je pourrais faire face à nimporte quelle situation dans la salle de classe à HBS si jétais capable de répondre avec cet aplomb à celui qui mavait aussi vulgairement interpellée. Peut-être lavait-il fait exprès pour maider à faire preuve de mon assurance ? Peut-être espérait-il vraiment me déstabiliser ? Lui seul pourrait le dire… Il a en tous cas contribué à mon succès à lissue de ce rituel de passage académique du job talk.

À mon retour en France, Jay Lorsch ma prise au dépourvu en me téléphonant alors que jétais en train de prendre le train en gare de Fontainebleau – jétais encore à lINSEAD à ce moment-là. Il ma demandé si jétais prête à venir aux États-Unis. La réponse nétait pas évidente pour moi. Je me suis vraiment posée la question daller ou non à HBS. Mais javais moi-même montré dans ma thèse quêtre exposé à des environnements institutionnels différents facilite linnovation et la mise œuvre de changements divergents par rapport aux normes 34en vigueur. Rejeter loffre dHBS, ceût été quelque part ignorer les résultats de mes propres travaux, puisque jaurais fermé la porte à une formidable opportunité dévoluer dans un autre univers institutionnel, celui du monde universitaire américain.

Jai eu la chance dêtre encouragée et soutenue par ma famille pour tenter cette aventure américaine. Quand jentrai pour la première fois en salle de classe à HBS, mon mari, qui était avocat à Paris, sapprêtait à retourner sur les bancs de luniversité pour devenir avocat aux États-Unis, puis entrepreneur. On me demande souvent comment concilier vie de famille et vie professionnelle dans le monde académique et dans celui de lentreprise. Pour ma part, je dois dire que si jai pu le faire, cest sans doute parce que les choses ont été aussi difficiles pour mon mari que pour moi, dans la mesure où il est aussi impliqué que moi dans tous les aspects de notre vie de famille, y compris toutes les tâches domestiques, qui encore trop souvent aujourdhui incombent bien plus aux femmes quaux hommes.

J.-C.T. : Cest intéressant de voir que Lorsch sintéresse à quelquun dont la présentation porte sur une institution publique, de surcroît non-américaine. Ce qui est aussi en contradiction avec limage ou la réalité que HBS véhicule dune institution méprisant le secteur public.

J.B. : Jay Lorsch ma ouvert la première porte, celle qui ma menée à un poste dAssistant Professor of Business Administration. Mais par la suite, il a fallu la succession dune multitude dévénements pour que je parvienne à ouvrir dautres portes, une fois arrivée à HBS.

Je pense que ce qui a intéressé Jay, cest le fait que jétudie le secteur de la santé et les dynamiques de changement, même si je le faisais dans les organisations publiques et même si jétais très ancrée dans la tradition institutionnelle des travaux de Philip Selznick, Paul DiMaggio, Woody Powell etc., assez peu suivie par mes collègue dHBS à lépoque. Pour eux, la théorie institutionnelle restait assez abstraite, sans véritable pertinence managériale. Jespère quils ont changé davis maintenant ! Cela dit, la tradition institutionnelle était tout de même représentée, et même très bien représentée à HBS avant mon arrivée. Je pense notamment à Rosabeth Moss Kanter, dont le travail mavait beaucoup inspirée. Rakesh Khurana, sociologue des organisations intéressé par 35lanalyse des dynamiques institutionnelles, était également membre du département Organizational Behavior (OB)7 que jai rejoint.

Au début, ce qui a pu surprendre certains de mes collègues, cest lévolution de mon travail du secteur de la santé vers lentrepreneuriat social. Pourtant, cette transition était naturelle pour moi et sinscrivait déjà en filigranes dans ma réflexion depuis de nombreuses années. Ce qui mintéressait, cétait encore et toujours la divergence par rapport aux normes établies, y compris à léchelle du capitalisme. Aussi ai-je porté attention, au milieu des années 2000, à la montée en puissance des entreprises sociales. Ce qui me fascinait dans ces organisations, cétait leur caractère hybride : elles poursuivaient une mission sociale tout en sappuyant sur des activités commerciales pour générer tout ou partie de leurs revenus. De telles organisations hybrides nétaient pas nouvelles, certaines existaient même depuis des siècles, telles les coopératives, les hôpitaux et les universités. La nouveauté, cest quau cours des dernières décennies, les organisations hybrides ont commencé à prendre de lampleur dans tous les secteurs, même celui de la finance, avec les entreprises de micro-crédit, ou celui de laction sociale, avec les entreprises dinsertion. Si bien que nous assistons à un mouvement graduel dhybridation de léconomie, qui fait bouger les frontières entre le secteur marchand et le secteur social, et contribue ainsi à changer le capitalisme.

J.-C.T. : La vie au département OB de HBS semble importante, notamment par rapport à dautres business schools en France et aux USA. Cela vous a-t-il surpris ? Notamment par le fait que des professeurs sidentifient non par rapport à un PhD en management mais par rapport à une discipline telle que par exemple la sociologie ou la psychologie ?

J.B. : Le département dOB de HBS est particulier. Son histoire remonte à la fondation de cette discipline, à Elton Mayo et Fritz Roethlisberger et à toute la lignée des Human Relations qui en est issue : encore aujourdhui le département est marqué jusque dans son quotidien par cette forte empreinte. Ainsi, on y manifeste une préférence pour des travaux qui sont et restent dans le goût et la ligne dOB – par exemple sur et autour du leadership – et également un attrait pour des étudiants qui ont fait du travail en OB.

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Cela dit, au fil du temps, la composition du département sest diversifiée pour inclure des chercheurs formés dans des disciplines voisines et complémentaires, comme la sociologie et la psychologie sociale. Si certains de mes collègues sinquiètent parfois dune situation dans laquelle les ancrages disciplinaires pourraient lemporter par rapport à la tradition dOB, je crois que la richesse de notre département vient précisément de notre capacité à diversifier les connaissances sur les organisations et leur évolution, en mobilisant aussi bien les travaux et les méthodes dOB que des autres disciplines.

Le département est aussi caractérisé par un double attachement à la rigueur académique et à la pertinence pratique de la recherche produite en son sein. Ce qui compte, ce nest pas seulement le nombre darticles parus dans des revues de rang A mais aussi et surtout que ces publications permettent de faire avancer la connaissance et aident à améliorer le fonctionnement des organisations et de la société.

J.-C.T. : À propos de lapproche du leadership : cela implique-t-il un agenda de recherche et de formation quasi exclusivement centrés sur lintérieur des entreprises ? Où se situe la thématique de la relation avec la société à HBS ?

J.B. : En 2006, quand je rejoins le département dOB, Michael Tushman, Nitin Nohria et Rakesh Khurana en font tous les trois partie, et ce depuis plusieurs années. Leurs travaux explorent les liens entre entreprises et société. Ce sera aussi le cas de Ranjay Gulati, qui intègre le département un an après moi.

Par ailleurs, David Thomas, alors directeur du département, ma beaucoup soutenue. Enfin, jarrive à peu près au même moment que plusieurs professeurs juniors, qui, comme moi, prennent en compte les interactions entre entreprise et société dans leurs travaux, tels Christopher Marquis et Michel Anteby avec qui nous avions à lépoque formé un groupe de réflexion auquel nous invitions des collègues intéressés par le sujet.

J.-C.T. : Comment cela se passe-t-il pour lenseignement ? Y a-t-il eu entre votre arrivée à HBS en 2006 et aujourdhui une reconnaissance par les programmes – celui du MBA mais pas seulement – de la partie « société » ?

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J.B. : Indéniablement.

Quand je suis arrivée à HBS en 2006, aussi bien en termes de recherche que denseignement, il faut dire la vérité : jétais assez marginale. Jétais un produit exotique dans un système qui pouvait se permettre cette originalité.

Deux mouvements de fond vont alors sengager. Le premier est la crise financière de 2007-2008 qui frappe de plein fouet léconomie américaine, avant léconomie européenne, et qui constitue un choc dune très forte magnitude. Le second, lié au premier, est que le monde change autour de nous à la suite de cette crise : de plus en plus de voix sélèvent pour demander aux entreprises de faire du business autrement, en intégrant les considérations sociales et environnementales dans leurs stratégies, en plus des considérations financières.

Cela dit, je pensais quune telle crise amènerait une remise en cause et des changements divergents majeurs beaucoup plus rapidement. Je sous-estimais la force des processus de socialisation et à quel point la mentalité dominante de maximisation de la valeur financière pour les actionnaires était encore prégnante.

J.-C.T. : Or visiblement, à votre avis et en matière doffre denseignement des business schools tant ailleurs aux USA quen Europe, les évolutions ne se sont pas nécessairement et partout traduites par des évolutions substantielles – je ne parle même pas de contenu de recherche – comme cela a été le cas à HBS.

J.B. : À HBS, un processus de questionnement sest mis en branle à la suite de la crise financière, puis il a fallu du temps pour que nos programmes évoluent de façon significative pour mieux intégrer la problématique entreprise et société. Certains membres de la faculté, dont je fais partie, ont œuvré en ce sens et dimportants changements ont déjà eu lieu, tandis que dautres se dessinent aujourdhui.

Dès le début de la crise, le véhicule du cas, central à la pédagogie de HBS, a été mobilisé pour permettre aux membres de la faculté de réfléchir ensemble à la situation, de mieux la comprendre et discuter des mesures à prendre. Certains de mes collègues ont très rapidement écrit un cas sur la crise et tous les membres de la faculté lont lu et discuté ensemble. Lors dune réunion sur le sujet, jai volontairement provoqué lun de mes collègues du département de finance en lui demandant sil 38se rendait compte que les marchés étaient socialement construits. Je regrettais quon perde de vue le processus dinstitutionnalisation des outils utilisés dans le monde de la finance si bien quon ne se pose pas (ou plus assez) la question de savoir sur quelles hypothèses ces outils se fondent. On finit par les utiliser sans véritablement les comprendre. Grâce à ce cas, les professeurs ont pu engager de véritables échanges sur le rôle de chacune des parties prenantes dans la crise, y compris le nôtre et celui de notre institution. Cest en tout cas comme cela que jai perçu cette période.

Le questionnement sest poursuivi avec larrivée dun nouveau doyen en 2010, le professeur dOB Nitin Nohria, qui a clairement inscrit lenjeu « Organisation et Société » à lagenda de lécole. Il a donc lancé un certain nombre de chantiers et encouragé le développement de nouveaux contenus et de nouveaux outils pédagogiques.

Le curriculum de MBA a davantage valorisé les expériences de terrain des étudiants, notamment à létranger, en les encourageant à travailler auprès dentreprises qui créent des produits et services. Avec pour objectif de mieux comprendre les différents environnements culturels et institutionnels dans lesquels elles évoluent.

Certains membres de la faculté reprennent des cours enseignés depuis longtemps à HBS et modifient leur contenu en profondeur. Dautres développent des cours entièrement nouveaux dédiés aux enjeux de linteraction entreprise-société, telle Rebecca Henderson qui a créé, avec George Serafeim, un cours optionnel de deuxième année « Re-imagining capitalism », dont une partie du contenu sera enseignée à partir de la rentrée prochaine dans le cadre dun cours obligatoire de première année. Certes, entre la crise de 2007 et 2019, il aura fallu 10 ans pour quun tel cours puisse simposer comme lun des cours clefs, mais le changement est bien là et il est important.

Pour ma part, jai repris le cours « Pouvoir et Influence » en le restructurant autour de trois modules : pouvoir et influence dans les relations interpersonnelles, dans les organisations et dans la société. Le module traitant de la société8 vise à pousser les étudiants à comprendre 39comment les organisations sinsèrent dans la société et quel rôle ces organisations et leurs membres peuvent jouer dans la création de valeur non seulement financière, mais aussi sociale et environnementale. Il leur permet de comprendre à la fois les mécanismes qui entraînent linertie et la reproduction des normes à léchelle de la société et le rôle quils peuvent jouer, dans leurs organisations et au-delà, comme acteurs du changement malgré linertie.

Sur la base de mes travaux de recherche, je mets en avant trois rôles nécessaires à laboutissement des efforts collectifs de changement dans la société, à savoir le rôle dagitateur, celui dinnovateur, et celui dorchestrateur. Jai notamment écrit et inséré trois nouveaux cas illustrant chacun de ces rôles, pour pousser les étudiants à les endosser en ayant examiné les défis quils peuvent rencontrer. Le premier porte sur lorganisation hybride OrganJet9, qui oriente les malades en attente de greffe aux États-Unis vers la ville où un organe compatible est disponible. Les deux autres cas portent sur deux organisations caritatives. Lune, Unis-Cité10, est française et a créé et développé le service civique en France ; lautre, le Sustainability Accounting Standard Board (SASB)11, est américaine et a développé des systèmes de mesure de la performance sociale et environnementale des entreprises dans chacune des industries existantes. Le SASB vise à faire adopter par les entreprises de nouveaux systèmes de mesure de la performance, qui leur permettent de préparer chaque année non seulement un bilan financier mais aussi un bilan de limpact de leurs activités en matière sociale et environnementale, dont pourront tenir compte les investisseurs.

En plus des cas, jutilise aussi des simulations et beaucoup dexemples historiques pour aider les étudiants à comprendre lémergence des hiérarchies de pouvoir et des institutions dans la société. Jexamine la façon dont ces dernières compliquent toute tentative de mise en œuvre de changement à léchelle dun champ ou plus généralement de la société.

Comme loffre de cours de MBA, celle de programmes exécutifs a elle aussi évolué à la suite de la crise de 2007-2008. Ils intègrent de plus 40en plus la dimension entreprise et société, et plusieurs sont proposés sur le thème de la création de valeur financière, sociale et environnementale. Jinterviens dans ces programmes pour parler non seulement de la mise en œuvre du changement dans les organisations, mais aussi de la gestion des organisations hybrides que jétudie, car elles poursuivent des objectifs à la fois financiers, environnementaux et sociaux.

Au-delà des cours de MBA et des programmes exécutifs, la Social Enterprise Initiative, qui existe depuis plus de 20 ans à HBS et dont je fais partie, joue un rôle important dans le développement de la recherche et de lenseignement sur le thème entreprise et société.

Enfin, jai le plaisir de travailler avec de formidables doctorants à HBS et au sein du département de sociologie dHarvard, qui eux aussi sintéressent de plus en plus à létude des interactions entre entreprise et société.

En résumé, le contenu des programmes a donc évolué et continue dévoluer. Ces changements, si nécessaires de mon point de vue, prennent indéniablement du temps et daucuns pourraient reprocher la lenteur du processus face à lurgence créée par la crise. Mais nous parlons de changements divergents qui ont trait à la redéfinition du système capitaliste, il nest donc pas étonnant quils prennent du temps…

J.-C.T. : Au départ de cet enseignement, y a-t-il eu une acceptabilité immédiate de la part des étudiants MBA ?

J.B. : Cela sest passé en deux temps.

Quand jarrive en 2006, les étudiants connaissent mon intérêt pour le thème de lorganisation et de la société, et savent que je mintéresse tout particulièrement à lentrepreneuriat social. Ils viennent me voir pour me parler de ces thèmes, mais peut-être plus par curiosité que parce quils pensent les prendre en compte dans leurs choix professionnels.

Les choses changent au lendemain de la crise, à partir de 2008-2009. Les étudiants commencent alors à voir le monde autour deux différemment. Ils ont soif de comprendre le système dans lequel ils évoluent, les causes et les implications de la crise. Ils sintéressent aussi de plus en plus à la poursuite dobjectifs autres que financiers. Je me souviens dun étudiant qui avait pris rendez-vous avec moi, à peu près à ce moment-là, pour parler longuement de son dilemme : rejoindre une organisation de micro-crédit ou travailler pour un grand cabinet de conseil. Il a finalement choisi lentreprise de micro-crédit. Par la suite, ils ont été 41de plus en plus nombreux à choisir des parcours entrepreneuriaux, et même, pour certains, lentrepreneuriat social.

Les étudiants ont été une force motrice de lévolution dHBS. Ils sont en quête de sens au travail et non pas seulement de maximisation du profit ou de leur utilité. Aujourdhui plus que jamais, ils veulent savoir comment gérer la poursuite dobjectifs multiples dans les entreprises. Cest vrai des étudiants de MBA comme des participants aux programmes exécutifs.

J.-C.T. : En dehors de OB à HBS, est-ce que des évolutions sont en cours dans les autres départements de HBS qui vont dans le même sens douverture, par exemple en finance ou en stratégie, ou bien OB reste-t-il le seul dépositaire de ce fond de jeu ?

J.B. : Notre département na pas lapanage des questionnements sur le thème « Organisation et Société », mais il serait tout aussi faux de dire que tout le corps professoral sy implique. Certains le font, dautres pas ou pas encore.

Au sein du département de finance, un de mes collègues, Shawn Cole, travaille sur les investissements à impact social. HBS se positionne beaucoup sur ce champ en pleine éclosion et participe à son développement. Nous sommes tous les deux actifs dans la Social Enterprise Initiative et pour son nouveau cours sur linvestissement social, jai écrit un cas sur lun des premiers fonds dinvestissement à impact social au Brésil, Vox Capital12. Ceci dit, une approche plus classique de la finance est bien sûr toujours très présente dans le département de finance.

Au sein du département Technology and Operation Management (TOM), mon collègue Michael Toffel travaille sur tous les enjeux liant environnement et business. Lui et moi sommes entrés à HBS au même moment. Michael a pris la tête de linitiative Business and Environment. Dautres collègues de TOM sont également fortement impliqués, je pense notamment aux travaux dAmy Edmondson.

Dans le département de stratégie, plusieurs collègues sintéressent non seulement aux shareholders mais aussi aux stakeholders. Je pense en particulier à Rebecca Henderson dont les travaux visent à ré-imaginer 42le capitalisme. Rebecca travaille en collaboration avec un autre de mes collègues très actif sur ces questions, dans la recherche comme dans les activités denseignement, Georges Serafeim, membre du département Accounting.

Évidemment dans le département dit de General Management, il y a Rosabeth Moss Kanter. Elle a écrit encore récemment sur tous ces enjeux.

Il faut aussi mentionner lunité de Social Enterprise Initiative, qui fait un travail de fond sur le rôle des entreprises et surtout des entreprises sociales dans la société depuis plus de 20 ans. Sans compter le département de Business and Government, qui a pour vocation détudier et denseigner les dynamiques dinteraction entre les organisations et leur environnement institutionnel dans chaque pays.

Donc il y a bien une dynamique de changement portée par différents membres de la faculté. Je nen ai cité que quelques-uns, mais bien dautres participent à cette évolution des enseignements, et ce dans plusieurs départements.

J.-C.T. : Quest-ce qui pousse HBS à se remettre en question, alors que dans dautres business schools en Europe comme aux USA la crise ne suscitera pas une telle évolution ?

J.B. : Dans son livre sur HBS intitulé LÉcole des Patrons13, Michel Anteby, sociologue des organisations formé en France et aux États-Unis, et qui fut professeur à HBS pendant dix ans, pose notamment la question de la capacité de lécole (ou plutôt de son incapacité) à prendre position en matière de morale dans le monde des affaires. Les initiatives que je viens dévoquer essaient de remettre cette question au centre des enseignements et de la recherche, en affirmant limportance pour les entreprises de prendre en compte non seulement des considérations financières, mais aussi des considérations sociales et environnementales.

Cela dit, les changements ont-ils été assez rapides et profonds ? La crise a débuté en 2007. Dix ans plus tard, ces changements sont là, mais il aura fallu du temps. Les années qui viennent diront si le changement est effectif, ou bien si la force des institutions existantes aura raison de lui. Je crois quil est essentiel que ce changement aboutisse : pour éviter 43la reproduction des mêmes cycles infernaux que ceux déclenchés par la crise financière de 2007, et pour permettre la réduction des inégalités, nécessaire à de meilleurs équilibres sociétaux.

J.-C.T. : Quel rôle jouent les anciens élèves de HBS dans cette prise en compte des interactions entre entreprise et société ? Est-il aussi conservateur que celui quon peut observer dans une bonne proportion de grandes écoles en France ?

J.B. : Les anciens avec lesquels je travaille et qui me contactent sont, sans surprise, très soucieux des liens entre entreprise et société. Certains sont sans doute plus conservateurs que les étudiants daujourdhui, mais pour beaucoup, ce conservatisme est contrebalancé par un désir sincère de voir HBS, en tant quécole de management, se préoccuper de son rôle économique mais aussi social dans le monde contemporain.

J.-C.T. : Par rapport à la réalité et à limage de HBS dans les décennies précédentes, où on inculquait aux étudiants quil suffisait de créer de la valeur pour lactionnaire, cest donc une évolution radicale ! Le reste navait pas dimportance comme idéal ou comme source de légitimité du management. Au passage les différences de nature entre entreprises nétaient pas considérées. On les ignorait tout simplement. Il était inutile de se soucier de la société sous prétexte quelle est différente ici et là. Il existait une approche en termes de one best way valable partout et pour toutes les sociétés : celle que les business schools enseignent en comptabilité, en stratégie, en finance. Or vous dites aujourdhui quil faut prendre en compte les environnements sociaux et les contextes politiques ou culturels qui sont de nature hybride.

J.B. : Je my applique dans mon travail de recherche, dans mon enseignement et dans les initiatives que je lance.

Mon travail de recherche est dédié à létude du changement divergent dune part, et dautre part à celle des organisations hybrides, aussi appelées entreprises sociales, qui combinent une logique commerciale et sociale.

Dans mon enseignement, jai repris un cours déjà existant mais pour le changer dune façon qui mest personnelle et y insérer des cas et des exercices qui permettent aux étudiants de mieux comprendre le rôle des entreprises dans la société et son évolution.

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En outre, depuis 2016, date à laquelle jai obtenu la tenure à la fois à la Harvard Business School et à la Harvard Kennedy School of Government, HBS et HKS, jai une double affiliation (un « joint appointment ») qui est hybride comme le sont les organisations hybrides que jétudie ! Cette position à lintersection des deux écoles, et par là-même des deux mondes quelles représentent, me convient parfaitement. Elle est alignée avec mon parcours et mes centres dintérêt en matière de recherche et denseignement. En effet, mon travail sest toujours situé, et continue de se situer, à lintersection des champs public et privé, marchand et non marchand.

Jai rejoint la Kennedy School of Government pour y créer et y lancer une nouvelle initiative, la Social Innovation and Change Initiative (SICI : http://sici-hks.org), dédiée aux questions dinnovation sociale et de changement social. Depuis maintenant trois ans, SICI a pour mission de développer de la recherche, des contenus pédagogiques et des programmes denseignement permettant aux étudiants, et plus généralement aux innovateurs sociaux de par le monde, de surmonter les défis liés à la mise en œuvre de leurs projets de changements sociaux. La création de SICI a été notamment motivée par la demande des étudiants de la Kennedy School, avides de contenus sur linnovation et le changement social quils mobilisent, ensuite, dans les organisations publiques ou privées quils rejoignent.

J.-C.T. : Aujourdhui et pour les années qui viennent, dans votre propre agenda professionnel, quels sont les enjeux ou les thèmes que vous considérez comme essentiels et que vous allez vous approprier ?

J.B. : Mon travail se concentre actuellement sur létude de trois enjeux : les relations de pouvoir dans les organisations et la société, la mise en œuvre de partenariats multisectoriels pour régler les problèmes économiques et sociaux persistants, et la poursuite simultanée dobjectifs financiers, sociaux et commerciaux au sein des organisations. Ces trois enjeux sont étroitement liés au travail danalyse des processus de changement dans les organisations et dans la société que je mène depuis quinze ans.

Un premier axe est danalyser des enjeux de pouvoir dans les organisations et dans la société. Je poursuis ainsi la réflexion entamée depuis ma thèse. Je travaille actuellement sur un projet de livre avec Tiziana Casciaro, qui est professeure à lUniversité de Rotman à Toronto, 45et qui analyse ce qui a changé (ou pas) en matière de relations de pouvoir dans les organisations du fait des nouvelles technologies et de la modification considérable de la composition de la force de travail, bien plus diverse depuis quelques décennies. Certains aspects nont bien sûr pas changé : le pouvoir dun individu (ou groupe dindividus) sur un autre réside toujours dans le contrôle de laccès aux ressources valorisées par cet autre individu (ou groupe dindividus) dans un contexte donné. En revanche, ce qui change au fil du temps et dun environnement culturel à un autre, cest à la fois ce qui est valorisé et le processus de valorisation. Les façons dexercer le pouvoir ont, elles aussi, évolué.

Un deuxième axe de recherche vise à mieux comprendre les facteurs clefs de succès dans la mise en œuvre de partenariats multisectoriels formés pour régler les problèmes économiques et sociaux persistants à léchelle locale ou nationale dans différentes régions du globe. De tels partenariats entre le secteur privé et public, marchand et non marchand, sont difficiles à mettre en œuvre : ils exigent des investissements qui vont à lencontre des normes dominantes dans chacun de ces secteurs qui ont historiquement évolué de façon parallèle et sans trop dinteractions. Nous avons besoin de mieux comprendre comment ces partenariats peuvent émerger, subsister et atteindre leurs objectifs. Léquipe académique de la Social Innovation and Change Initiative (SICI), que jai fondée, organise des conférences sur ce thème.

Un troisième axe regroupe plusieurs études en développement qui sappuient à la fois sur des méthodes de recherche qualitatives, quantitatives et expérimentales. Il prolonge mes travaux sur les organisations hybrides14, entités qui poursuivent une mission sociale tout en sengageant 46dans des activités commerciales pour générer tout ou partie des revenus nécessaires à leur fonctionnement. Comment peuvent-elles satisfaire de façon simultanée des objectifs financiers, sociaux et environnementaux ? Alors que les entreprises sont de plus en plus nombreuses à afficher leur volonté (réelle ou feinte) de prendre en compte toutes les parties prenantes et des objectifs de performance sociale et environnementale, il est temps de comprendre comment il est possible de le faire en maîtrisant les tensions susceptibles démerger du fait de la poursuite dobjectifs multiples.

Il serait faux de croire que tout ce que nous avons appris concernant la maximisation de la valeur pour les actionnaires sapplique à la poursuite dobjectifs multiples. Des travaux récents sur les entreprises dinsertion15 en France menés avec Metin Sengul, Anne-Claire Pache et Jacob Morel montrent que ce nest pas le cas. Pour réussir non seulement sur le plan financier mais aussi sur le plan social, les entreprises étudiées créent en leur sein des espaces de négociation dans lesquels les employés discutent les tensions existantes entre les objectifs sociaux et commerciaux et saccordent sur la meilleure façon de les gérer. Ces espaces sont essentiels pour développer et entretenir une double culture, à la fois dengagement social et dexcellence opérationnelle. De tels espaces ne sont pas efficients du point de vue de la maximisation de la valeur financière : lengagement des employés dans ces espaces est à la fois chronophage et source de 47tensions potentielles entre eux, quand ils ont du mal à saccorder. Pourtant, créer, maintenir et savoir gérer ces espaces semble bien être un facteur clef de succès pour les organisations hybrides. Je conduis actuellement une étude internationale sur le sujet, afin de mieux comprendre le fonctionnement de ces espaces de négociation dune part, et danalyser les différentes formes dorganisations hybrides et leur fonctionnement dans différentes régions du monde, dautre part.

J.-C.T. : Le management public a développé une série dapproches qui portent sur lévaluation des impacts et des effets externes ou sociétaux résultant des actions des politiques publiques. Cest une sensibilité explicitement développée si on pratique et se forme au management public, et ce beaucoup plus que dans les seuls termes du management des entreprises. Ce nest pas quune histoire de fonctionnaires. Comment enseigner cela à des managers dentreprises ? La collaboration avec HKS vous permet-elle de faire émerger une culture et un savoir-faire plus adaptés aux effets et aux impacts ?

J.B. : Lenjeu est bien dopérer un changement culturel au sein des organisations. Les systèmes de mesure de la performance financière, sociale et environnementale jouent un rôle important dans cette transformation. Cest dailleurs pour cette raison que jai étudié lorganisation SASB (Sustainability Accounting Standards Board)16 qui a développé des métriques visant à évaluer la performance des organisations dans les trois domaines financier, social et environnemental.

Du point de vue de lévaluation de limpact social et environnemental, les échanges avec le management public sont très fertiles. À la Kennedy School, au sein de SICI, je travaille avec Mark Moore sur la création de valeur publique en utilisant le cadre conceptuel quil a développé pour prendre en compte la création de valeur sociale des organisations que nos étudiants ont créées ou pour lesquelles ils travaillent.

J.-C.T. : Vous décrivez des avancées aux États-Unis vers une meilleure prise en compte par la formation et la recherche en management de la relation entre entreprise et société. Lévolution concrète en cours à HBS et 48la coopération avec HKS suggère que la France a pas mal de retard. Dans ses grandes écoles et ses universités, la question se résume souvent à un modeste cours de responsabilité sociale de lentreprise. Quant à la formation dispensée par lÉcole Nationale dAdministration… Les politiques de modernisation lancées par les gouvernements successifs privilégient principalement les critères defficience et, sous linfluence de Bercy, des critères financiers. Vous qui avez un pied outre-Atlantique et un autre en France, que peut-on apprendre de votre expérience concernant la relation entre les entreprises et la société qui ferait sens pour nous Français ?

J.B. : Je ne veux pas généraliser sur la base de ma seule expérience et encore moins donner de leçons. Bon nombreux de mes collègues français sont engagés dans des projets de recherche et denseignement qui se concentrent sur le thème « Organisation et société ». Il me semble donc que la prise en compte de cet enjeu progresse également en France. Je pense notamment au travail dAnne-Claire Pache et Bernard Leca à lESSEC, de Marie-Laure Djelic à Sciences-Po, dIsabelle Huault, qui est maintenant présidente de lUniversité Paris-Dauphine, et de Rodolphe Durand à HEC.

Cela dit, les solutions doivent venir de plus en plus de partenariats multisectoriels. Partout dans le monde, les partenariats inter-écoles et universités sont essentiels pour pouvoir mieux penser et étudier les défis multisectoriels auxquels faire face. La difficulté, cest de les mettre en œuvre dans un monde universitaire qui fonctionne encore en silo.

On ne peut pas dire en même temps aux praticiens de mettre en place des partenariats multisectoriels et nous excuser devant eux de fonctionner pour notre part en silos académiques. Si nous ne sommes pas capables de faire ce que nous leur demandons de faire, non seulement nous aurons du mal à les aider, mais nous perdrons aussi toute crédibilité.

Cela dit, je sais à quel point il est difficile de mettre en œuvre de tels partenariats, encore plus quand chaque discipline a son propre vocabulaire et ses propres normes en matière de méthodes de recherche et de publication.

J.-C.T. : En France léconomie sociale et solidaire possède un socle historique solide. Cependant les générations des années 1970 et suivantes ont tourné le dos à ce type de tradition et de champ.

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J.B. : Il existe un paradoxe français concernant le développement de lentrepreneuriat social à léchelle internationale. Le pays a une forte tradition en matière déconomie sociale et solidaire qui aurait dû lui faire prendre le flambeau dans ce mouvement. Or, trop souvent les autres pays ignorent encore la richesse que la France peut offrir en matière de modèles dorganisation hybride.

Il existe une multitude dorganisations innovantes en France qui proposent de nouveaux modèles dorganisation permettant de poursuivre des objectifs multiples. Il faut les soutenir, les aider et les valoriser car elles jouent un rôle pionnier en matière de réinvention des modèles dentreprise.

J.-C.T. : Comment être innovatrice en enseignement ? Quelles sont les marges de jeu et les limites ? Quavez-vous appris au cours de ces dix dernières années à Harvard à ce propos ?

J.B. : HBS et HKS ont une soif dexcellence en matière denseignement qui a été un formidable moteur pour mon apprentissage. Lenseignement est une priorité absolue et le dévouement de tous les professeurs pour leurs étudiants est quelque chose qui va sans dire. Nous sommes loin dun modèle publish or perish classique, où seul compte le nombre de publications des professeurs dans de prestigieuses revues. Ce critère est bien sûr nécessaire dans la promotion des professeurs, mais il nest pas suffisant. Les professeurs doivent aussi démontrer leur capacité à enseigner et à développer des contenus pédagogiques de qualité. Dailleurs, HBS dispose en interne dun centre dédié à la pédagogie. Une équipe y aide les jeunes professeurs comme les plus expérimentés à améliorer leur capacité pédagogique. Pour les cours qui sont dispensés à toute une promotion détudiants de MBA, il existe aussi des teaching groups entre professeurs auxquels jai participé dès que jai commencé à enseigner. Ces groupes se réunissent toutes les semaines pour préparer en équipe les sessions du cours et discuter des différentes façons denseigner un cas ou une simulation par exemple. Lintérêt porté à la qualité de lenseignement, la capacité de chaque enseignant à se remettre en cause et à enseigner un cas ou une simulation différemment, sont donc une réalité aussi bien à HBS quà HKS.

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En rejoignant la faculté en 2006, javais une conception très intellectuelle et intellectualisée de lenseignement, visant essentiellement à transmettre aux étudiants des concepts et outils danalyse pour mieux comprendre leur environnement organisationnel et mieux y naviguer. Lors des teaching group meetings, mes collègues mont encouragée à améliorer cette transmission théorique du savoir par la prise en compte des émotions et de la psychologie des étudiants. Jai beaucoup appris sur ce plan.

Les teaching group meetings sont enrichissants, mais ils peuvent aussi parfois réduire les marges de manœuvre : les enseignants saccordent sur un plan de cours quils doivent suivre ensuite. Jai compris très tôt quil était essentiel de conserver aussi sa propre approche en matière denseignement. Jai donc appris de mes collègues, échangé avec eux, mais je ne me suis pas sentie contrainte. Une fois dans la salle de cours, jai suivi mon instinct et vite développé mon propre style.

Jai pu façonner le cours de « Pouvoir et Influence » avec une liberté totale. Jai aussi la chance denseigner ce cours à la fois à des étudiants de HBS, de HKS et de la Advanced Leadership Initiative créée à Harvard par Rosabeth Moss Kanter. Jai donc des étudiants et des étudiantes du monde entier, avec des profils très variés et représentant toutes les classes dâge (des jeunes étudiants en formation initiale à ceux de la Advanced Leadership Initiative qui sont plus seniors, en passant par ceux en milieu de carrière). Une telle diversité dans la salle de cours permet à chacun dapprendre non pas seulement du professeur, mais aussi des autres participants qui apportent un point de vue et une analyse différents.

Jai aussi développé deux nouveaux programmes dans le cadre de la Social Innovation and Change Initiative (SICI) à HKS. Le premier est organisé autour dune nouvelle bourse (fellowship) qui vise à soutenir des étudiants dHarvard qui travaillent sur des projets dinnovation sociale. Les vingt étudiants sélectionnés chaque année bénéficient dune session de trois heures toutes les semaines pour que nous les aidions à approfondir et à concrétiser leurs projets. Nous suivons leur progrès sur le terrain tout au long du programme et continuons de les soutenir une fois le programme terminé. Le second programme, que jai développé avec Alnoor Ebrahim, professeur à luniversité de Tufts, et Johanna Mair, professeur à la Hertie School of Governance, en partenariat avec la 51fondation Schwab pour lentrepreneuriat social, est destiné à des entrepreneurs sociaux expérimentés désireux de faire passer leurs initiatives à léchelle supérieure.

Les synergies entre ces programmes denseignement et ma recherche sur le changement social et les entreprises sociales sont évidentes : les programmes sont en partie fondés sur les résultats de cette recherche, et réciproquement, ils me permettent de la nourrir grâce aux questions posées par les innovateurs sociaux avec lesquels jai le privilège de travailler.

J.-C.T. : Au final quel conseil donneriez-vous à un jeune académique européen qui veut sengager dans une perspective de type « entreprise et société » ?

J.B. : Je lui dirais dabord dentretenir au quotidien la flamme qui lanime et le/la pousse à étudier cet enjeu.

Le deuxième élément, qui a été un de mes aiguillons, cest louverture : ne pas senfermer dans une école, dans une université, mais garder ouverts les canaux de lapprentissage et de léchange entre champs disciplinaires, entre écoles, entre universités, entre pays différents. Il faut exister dans le débat international, y contribuer, le faire avancer.

Je suis reconnaissante et fière davoir eu accès à la formation française que jai reçue et qui ma permis davoir un ancrage multidisciplinaire, ce en plus dune bonne connaissance des textes. Ma vision de la théorie est une vision française. Elle est ambitieuse. Cest un atout formidable. Mais dans le même temps, le mode de fonctionnement anglo-saxon qui met laccent sur lanalyse empirique a, lui aussi, de bons côtés. Jattache beaucoup plus dimportance à la dimension empirique de mes travaux depuis que jévolue dans le monde académique nord-américain. Ce double engagement à la fois théorique et empirique me paraît essentiel, non seulement pour produire des recherches rigoureuses, mais aussi pour pouvoir participer à lévolution des pratiques dans les organisations en se fondant sur de telles recherches.

Suivre de tels conseils nest pas chose aisée dans un système dominé à léchelle mondiale par le fameux « publish or perish »… Les règles du jeu existantes menacent parfois déteindre la flamme des jeunes chercheurs et les empêchent de souvrir à dautres champs et à de nouvelles 52méthodes de recherche. Cest dommage… Chacun doit trouver son propre équilibre, mais il est essentiel de ne pas confondre la fin et les moyens. Publier ne doit pas être une fin en soi, mais le moyen de donner un nouvel éclairage, une nouvelle compréhension aux phénomènes sociaux majeurs de notre temps.

1 Battilana J. et Casciaro T. (2012), « Change agents, networks, and institutions : A contingency theory of organizational change », Academy of Management Journal, vol. 55, no 2, p. 381-398.

2 Battilana J. (2011), « The enabling role of social position in diverging from the institutional status quo : Evidence from the U.K. National Health Service », Organization Science, vol. 22, no 4, p. 817-834.

3 Battilana J. et Casciaro T. (2013), « Overcoming resistance to organizational change : Strong ties and affective cooptation », Management Science, vol. 59, no 4, p. 819-836.

4 Battilana J. (2006), « Agency and institutions : The enabling role of individuals social position », Organization, vol. 13, no 5, p. 653-676.

5 Battilana J. et Casciaro T. (2013), « The network secrets of great change agents », Harvard Business Review vol. 91, no 7/8, p. 62-68.

6 Battilana J. et Kimsey M. (2017), « Should you agitate, innovate, or orchestrate ? Understanding the roles you can play in a movement toward societal change », Stanford Social Innovation Review. http://ssir.org/articles/entry/should_you_agitate_innovate_or_orchestrate.

7 À la Harvard Business School, le département OB se consacre aux thématiques de sociologie des organisations et de psychologie sociale des organisations.

8 Battilana J. (2015), « Power and Influence in Society », Harvard Business School module note, p. 415-055. Battilana J. et Kimsey M. (2017), « Should you agitate, innovate, or orchestrate ? Understanding the roles you can play in a movement toward societal change », Stanford Social Innovation Review. http://ssir.org/articles/entry/should_you_agitate_innovate_or_orchestrate.

9 Battilana J. et Weber J. (2013), « OrganJet and GuardianWings », Harvard Business School case, p. 413-068.

10 Battilana J., Anteby M. et Pache A.-C. (2015), « Marie Trellu-Kane at Unis-Cité : Establishing Youth Service in France », Harvard Business School case, p. 415-035.

11 Battilana J. et Norris M. (2014), « The Sustainability Accounting Standards Board », Harvard Business School case, p. 414-078.

12 Battilana J., Kimsey M., Paetzold F. et Zogbi P. (2017), « Vox Capital : Pioneering Impact Investing in Brazil », Harvard Business School case, p. 417-051.

13 Anteby M. (2015), LÉcole des patrons : Silence et morales dentreprise à la Business School de Harvard, Paris, Éditions Rue dUlm.

14 Dimitriadis S., Lee M., Ramarajan L. et Battilana J. (Forthcoming), « Blurring the boundaries between the social and commercial sectors : The interplay of gender and social context in the commercialization of social ventures », Organization Science, in press. – Battilana J., Besharov M. et Mitzinneck B. (2017), « On hybrids and hybrid organizing : A review and roadmap for future research », in : R. Greenwood, C. Oliver, T. B. Lawrence et R. E. Meyer (éds.), The SAGE Handbook of Organizational Institutionalism, 2d edition, Thousand Oaks, SAGE Publications Ltd, p. 128-162. – Battilana J., Sengul M., Pache A.-C. et J. Model (2015), « Harnessing productive tensions in hybrid organizations : The case of work integration social enterprises », Academy of Management Journal, vol. 58, no 6, p. 1658-1685. – Battilana J. (2015), « Recasting the corporate model : What can be learned from social enterprises ? », in : S. Rangan (éd.), Performance and Progress : Essays on Capitalism, Business, and Society, Oxford, Oxford University Press, p. 435-461. – Ebrahim A., Battilana J. et Mair J. (2014), « The governance of social enterprises : Mission drift and accountability challenges in hybrid organizations », Research in Organizational Behavior, vol. 34, p. 81-100. – Lee M., Battilana J. et Wang T. (2014), « Building an infrastructure for empirical research on social enterprise : Challenges and opportunities », in : J. Short, D. Ketchen et D. Bergh (éds.), Social Entrepreneurship and Research Methods, Volume 9, Bingley, United Kingdom : Emerald Group Publishing Limited, p. 241-264. – Battilana J. et Lee M. (2014), « Advancing research on hybrid organizing : Insights from the study of social enterprises », The Academy of Management Annals, vol. 8, no 1, p. 397-441. – Mair J., Battilana J. et Cardenas J. (2012), « Organizing for society : A typology of social entrepreneuring models », Special Issue on Social Entrepreneurship Theory and Practice, Journal of Business Ethics, vol. 111, no 3, p. 353-373. – Rimac T., Mair J. et Battilana J. (2012), « Social entrepreneurs, socialization processes, and social change : The case of Sekem », in : K. Golden-Biddle et J. Dutton (éds.), Using a Positive Lens to Explore Social Change and Organizations : Building a Theoretical and Research Foundation, New York, Routledge, p. 71-90. – Seelos C., Mair J., Battilana J. et Dacin T. (2011), « The embeddedness of social entrepreneurship : Understanding variation across local communities », in : C. Marquis, M. Lounsbury et R. Greenwood (éds.), Research in the Sociology of Organizations, Volume 33, Bingley, United Kingdom : Emerald Group Publishing Limited, p. 333-363. – Battilana J. et Dorado S. (2010), « Building sustainable hybrid organizations : The case of commercial microfinance organizations », Academy of Management Journal, vol. 53, no 6, p. 1419-1440.

15 Battilana J., Sengul M., Pache A.-C., et Model J. (2015), « Harnessing productive tensions in hybrid organizations : The case of work integration social enterprises », Academy of Management Journal, vol. 58, no 6, p. 1658-1685.

16 Battilana J. et Norris M. (2014). « The Sustainability Accounting Standards Board », Harvard Business School case 414-078.