Régulation : principes économiques, modes d’organisation et poids des pratiques Le cas des télécommunications
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Entreprise & Société
2018 – 1, n° 3. varia - Auteur : Benghozi (Pierre-Jean)
- Résumé : Les transformations technologiques, industrielles et réglementaires du numérique interrogent les autorités de régulation à tous leurs niveaux d’intervention. Les nouvelles formes de concurrence supposent d’adapter les principes économiques de la régulation, de nouveaux objets et acteurs émergent hors des champs habituels et la dynamique internationale des institutions de gouvernance redessine les formes de coopération. Ces mouvements appellent de nouvelles modalités d’action.
- Pages : 35 à 72
- Revue : Entreprise & Société
- Thème CLIL : 3312 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Économie publique, économie du travail et inégalités
- EAN : 9782406084273
- ISBN : 978-2-406-08427-3
- ISSN : 2554-9626
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-08427-3.p.0035
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 22/08/2018
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français
- Mots-clés : Économie des réseaux, autorités de régulation, gouvernance réflexive, télécommunications, stratégie
RÉgulation : principes Économiques, modes d’organisation
et poids des pratiques
Le cas des télécommunications
Pierre-Jean Benghozi
Directeur de recherche au CNRS, professeur à l’École polytechnique et membre du Collège de l’Autorité des Communications Électroniques et des Postes (ARCEP)
Introduction
Quand ils analysent la régulation, les économistes institutionnels soulignent en général deux dimensions critiques pour l’élaboration et la mise en œuvre de politiques efficaces. Ils insistent d’une part, sur la définition des mécanismes optimaux de marché. Ils relèvent d’autre part, l’importance du design des outils et instruments de la régulation. Dans cette alternative, les différentes structures d’organisation et de gouvernance ne constituent souvent pour eux qu’une dimension secondaire d’ajustement, devant simplement être adaptées aux spécificités des mécanismes et outils retenus. À l’inverse, les spécialistes des organisations considèrent que si les responsables de la régulation prennent des décisions économiques en s’appuyant sur quelques principes et orientations stratégiques, ils le font, comme tous les autres managers, en intervenant 36dans un environnement fait d’objectifs multiples et conflictuels, dans un contexte effectif d’action borné par des contraintes matérielles et opérationnelles de différents types (March et Simon, 1958), en donnant donc aux modes d’organisation un poids prépondérant (Mintzberg, 1979).
La différence entre ces deux perspectives ne relève pas seulement de points de vue épistémologiques, elle tient également à leurs conséquences potentielles importantes sur l’approche et l’action du régulateur. Envisager la concurrence comme un processus plutôt que comme un objectif signifie en particulier que c’est moins l’équilibre entre acteurs économiques qui est important et doit être recherché que la dynamique de leurs interactions. C’est en effet par elles que se sélectionnent les entreprises les plus efficaces et les plus à même de contester les marchés en place. Prenons-en une illustration. Les débats européens actuels sur les télécommunications balancent entre le souci d’améliorer le bien-être des consommateurs (par des prix réduits et des services ouverts) et celui de renforcer la santé économique des opérateurs (pour favoriser innovations et développement des infrastructures). Dans un cas, la concentration entre firmes est préjudiciable parce qu’elle lèse les consommateurs : il faut alors la corriger et créer des incitations pour que les entreprises investissent pour se concurrencer. Dans une autre perspective, c’est le processus compétitif qui est considéré comme vertueux en soi, plus que la situation concurrentielle visée (mesurée par exemple par les positions de monopoles ou le nombre d’entreprises sur un marché). Dans ce cas, les actions du régulateur pour soutenir cette dynamique sont plus importantes que celles visant à établir légitimement le contrôle des concentrations et des monopoles.
C’est ce qui rend particulièrement sensible et important l’intérêt à porter aux processus et pratiques de la régulation. Le débat n’est pas nouveau. Comme le notent DiMaggio et Powell (1991), les théoriciens des institutions ont du mal à en tirer toutes les leçons et à mesurer la pleine ampleur du phénomène. De façon surprenante, la plupart de leurs approches privilégient toujours l’analyse des effets structurels et les performances comparées des différentes formes de gouvernance. Cependant, à la suite de Mintzberg et Waters (1985), un courant de recherche s’est attaché à envisager différemment ces questions de gouvernance, en s’intéressant moins aux structures en soi qu’à la prise de décision. Ils l’envisagent comme un processus constitué par une séquence 37de différentes phases, engageant des ressources spécifiques, créant des irréversibilités et s’accompagnant d’une vague de décisions de moindre importance. À ce titre, les décisions de régulation sont un processus de prise de décision comme un autre : complexe, non routinier et mal structuré (Schwenk, 1988). Kimberly et Evanisko (1981) l’avaient déjà démontré pour l’innovation, les décisions de régulation sont en même temps le résultat d’une décision stratégique et la conséquence d’un processus en multiple étapes.
Dans une telle appréhension de la régulation comme processus, la gouvernance doit pouvoir, dans la durée, dans un marché en pleine croissance et un écosystème technique changeant, établir un environnement réglementaire stable. Il doit notamment être assez robuste pour s’adapter ou résister aux chocs réguliers des innovations et des disruptions techniques, ainsi qu’à l’apparition de modèles d’affaires novateurs et à l’émergence de nouveaux acteurs économiques. Les organisations et les règles de régulation doivent, en conséquence, être conçues pour s’affiner sans cesse au fil du temps. Dans son travail de suivi, de compréhension et d’analyse du marché, le régulateur ne doit donc pas seulement chercher à définir, adapter, améliorer et consolider les règles de base de son action, il doit aussi donner du sens et clarifier les logiques d’action présidant à chacune des décisions spécifiques composant ses processus d’intervention.
C’est l’objectif du présent papier que de présenter ces enjeux, à partir d’une double expérience de chercheur en stratégie des organisations et de régulateur des télécommunications. Une première partie dresse un tableau du caractère particulièrement évolutif de l’environnement technique sectoriel, elle précise notamment ce cadre dans le cas plus spécifiquement français. Une deuxième partie présente les conséquences de cette situation sur l’évolution de l’organisation et montre l’importance d’envisager la régulation in concreto, par ses pratiques concrètes. La troisième partie souligne enfin la dimension multi niveau et multi-acteurs des nouvelles formes de gouvernance.
38I. Un environnement technique
en Évolution
Par leur flexibilité et modularité, les Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) ont pénétré tous les secteurs et pèsent sur toutes les activités économiques et sociales : dans les organisations industrielles, les services comme pour les ménages. Elles ont, par leur caractère ouvert, fait de l’innovation un élément clé de la nouvelle économie numérique, en donnant aux consommateurs un rôle inédit dans l’organisation de la production et des marchés. Par les nouvelles activités qu’elles stimulent, par l’arrivée de nouveaux acteurs qu’elles favorisent et par les nouveaux marchés qu’elles créent, ces technologies sont porteuses de dynamiques révolutionnaires1 qui remettent en cause la manière dont s’articulent et se coordonnent les multiples niveaux d’organisation de l’économie et des services (cf. Benghozi et al., 2009).
I.1. De la thÉorie À une rÉgulation en situation
Dans un marché en fort développement, la gouvernance de la régulation est affectée par des changements aux registres très différents, qui bouleversent et en interrogent radicalement et simultanément toutes les composantes. Ces nouveaux contextes sont encore compliqués par la nouveauté radicale des objets « techniques » que les autorités de régulation considèrent désormais. Loin des seules infrastructures de télécommunication fixes et mobiles ou des attributions de fréquence constituant leur « cœur de métier », des questions nouvelles telles que la « neutralité de l’internet », l’attribution ou la propriété des noms de domaine et les modalités d’adressage IP deviennent dorénavant essentielles dans la concurrence internationale entre territoires et entre firmes. D’autres nouvelles questions pour la régulation découlent également des formes d’activités économiques se faisant jour sur les marchés numériques. C’est le cas des plateformes d’intermédiation dont la place et le poids sont désormais déterminants dans l’économie2, appelant 39des interrogations sur leur modalités de dominance et de « loyauté » : qu’il s’agisse des mécanismes de prescription, de recommandations ou d’acquisition des données (Big Data, référencement, algorithme, priorisation et mise en avant de certains contenus et services) qui s’avèrent une ressource compétitive essentielle dans leurs modèles d’affaires. Plus largement, de nouvelles questions de la régulation sont aussi soulevées par les infrastructures modernes de communication, de contrôle et d’accès (internet des objets), par l’interopérabilité construite dans les nouveaux composants logiciels (DRM, cookies, « Apps », API) et par les conditions d’accès proposés par de nouveaux appareils (box, terminaux, smartphones). Ces différentes dynamiques ouvrent de très larges possibilités de contrôle des consommateurs et créent de fortes incitations aux dynamiques d’intégration verticale et de convergence entre services.
La gestion du risque systémique est enfin aussi un dernier sujet important de régulation. Les organisations et sociétés modernes sont en effet extrêmement dépendantes des communications électroniques. En reposant sur une connectivité généralisée, les infrastructures et les systèmes d’information et de communication sont de plus en plus sensibles à des événements fortuits pouvant résulter de catastrophes naturelles3, d’actions externes (malveillance), de bugs logiciels et de pannes techniques, d’erreurs humaines ou de gestion. Maîtriser la dynamique des risques – leurs conséquences et leurs effets « domino » – suppose une gouvernance à même de contrôler et d’organiser la coopération de différents acteurs, privés et publics.
Pour répondre à ces développements, les régulateurs ont adopté des solutions très variées. D’un côté, l’évolution des structures du marché et des formes de concurrence a appelé l’adaptation des règles et des principes économiques (modèles de coûts, lignes tarifaires…) sur lesquelles se fondent les décisions. D’un autre côté, la régulation a dû apprendre à intégrer dans son champ les nouveaux objets et les nouveaux acteurs qui ne faisaient pas traditionnellement partie de sa gouvernance des secteurs industriels. Enfin, les institutions nationales et internationales de gouvernance ont transformé le cadre légal de leurs interventions.
Toutes ces dimensions ont conduit les régulateurs à développer et acquérir de nouvelles compétences et les a incités à concevoir de nouvelles 40organisations et de nouveaux principes d’action. Il ne s’agit pas seulement d’organiser une forme de laissez-faire où les normes et actions de régulation émergeraient spontanément des interactions entre acteurs et du flux des décisions. Mais il ne peut pas être non plus question de se contenter d’appliquer de manière systématique des lois, règles et principes économiques non ambigus et intangibles. Une régulation efficace doit savoir articuler à la fois des principes de base et des règles d’action en pratique. Cela suppose de penser cette articulation dans plusieurs niveaux d’intervention. Afin de promouvoir la concurrence dans les télécommunications (premier niveau, celui des acteurs), des règles doivent être définies pour caractériser les marchés pertinents et les différents pouvoirs de marché (deuxième niveau, celui des théories). Puis les procédures et directives méthodologiques doivent être définies pour caractériser la domination sur ce marché et la nécessité d’une régulation sectorielle (troisième niveau, celui des méthodologies4). Pour concevoir, appliquer et mettre en œuvre principes et procédures, une organisation doit être définie et établie (quatrième niveau, celui de la structure d’organisation). Se concrétisent ainsi des décisions explicites ayant force réglementaire (price cap ou niveau tarifaire des terminaisons d’appel versées entre opérateurs) qui sont définies et proposées (cinquième niveau, celui des solutions), puis s’accompagnent enfin de la mise en œuvre du contrôle et de la transparence des informations sur le marché (sixième niveau, celui des informations).
Si l’on reprend l’exemple du cadre européen de régulation des télécommunications, on constate ainsi qu’il ne se cantonne pas à affirmer des principes généraux harmonisation applicables par pays, pas plus qu’à fixer pour tous des niveaux précis de performance sur le marché européen. Le choix qui a été fait consiste à aller profondément dans les détails de « méta-règles » en fixant des lignes directrices pour déterminer les modalités de fixation des prix5), pour mettre en œuvre 41les analyses du marché en cas de position dominante d’un acteur, ou pour définir les droits d’attribution et d’utilisation de la ressource rare que constituent les numéros de téléphone. Un tel souci d’entrer dans les détails opérationnels ne doit pas être compris comme une simple tentation de contrôle technocratique. Au contraire, il est une condition sine qua non pour garantir l’interconnexion et l’accès réciproque des opérateurs à leurs réseaux. Au-delà de l’enjeu général de promotion de la concurrence et d’un marché ouvert, le cadre ainsi défini fixe des objectifs précis dans plusieurs registres techniques spécifiques (gestion des fréquences, numérotation et adressage, partage des équipements), tout en posant des éléments de structure et de procédure, des principes de base ainsi que des objectifs, des cadres d’organisation et des règles d’intervention pour des agences nationales indépendantes (Enaux et Escribano 2013).
La régulation au concret se compose donc autant des exigences légales qui encadrent l’action du régulateur, des théories économiques qui fondent son action que des formes collectives d’organisation de l’économie. Elle concerne un nombre significatif de parties prenantes et voit ses cadres d’action formel et informel (soft law) reconnus par les instances publiques comme par leurs organismes de contrôle. Cette importance des processus concrets de la régulation explique pourquoi, comme l’ont noté Levy et Spiller (1996), les réformes de dérégulation et de libéralisation n’ont pas appelé le renouvellement théorique qu’on aurait pu attendre pour améliorer les architectures très variées et si différentes des institutions nationales en charge de cette gouvernance.
I.2. Un regard sur la rÉgulation
des tÉlÉcoms en France
La régulation des télécommunications résulte, dès l’origine, du caractère de monopole naturel6 de ses infrastructures et de la possibilité de rentes associées. Pendant longtemps, les opérateurs en place étaient protégés de la concurrence par le poids de leurs actionnaires publics. L’état d’esprit d’ensemble des régulateurs des télécommunications était 42alors façonné par les théories économiques néoclassiques postulant que le bien-être social est maximisé sous la concurrence parfaite. Ce cadre théorique continue de fournir, jusqu’à présent, le paradigme dominant de la régulation des télécommunications (cf. Bourreau, 2015). Dans cette perspective, le défi et le principal objectif des régulateurs consistaient, en créant les conditions de la concurrence la plus large, à briser le monopole des opérateurs historiques. Pour ce faire, ils ont surtout fait porter leur action sur les goulets d’étranglement où les entreprises en place pouvaient exercer leur pouvoir de marché et créer des effets de domination. C’est ce cadre qui a étayé et accompagné les changements profonds vécus par le secteur des communications électroniques depuis son ouverture à la concurrence dans les années 90. C’est aussi lui qui a justifié l’existence d’une régulation sectorielle spécifique ex ante7 prenant la forme d’une intervention publique s’appuyant sur des autorités indépendantes. Dans la plupart des pays, l’action publique fut d’abord une dérégulation s’appuyant sur la privatisation des acteurs en place qu’on continue d’ailleurs encore maintenant à qualifier, partout, d’opérateurs historiques.
Dans une deuxième étape, l’action publique a consisté à ouvrir le marché à la concurrence, puis à structurer, à travers le dégroupage notamment, une nouvelle architecture de marché à même de favoriser le dynamisme des offres. En France, le déclenchement de ce mouvement eut lieu en 1997, avec la création d’une autorité administrative indépendante : d’abord sous le nom de l’ART (Autorité de Régulation des Télécommunications) puis de l’Arcep8. L’Autorité a accompagné l’ouverture du marché français et encadré leur développement avec l’objectif d’assurer, au bénéfice des consommateurs, une concurrence loyale et efficace. À sa création, le Parlement lui donna explicitement comme objectif de réduire les barrières à l’entrée de nouveaux opérateurs, de favoriser la fourniture d’offres variées pour les consommateurs, 43et de garantir la qualité de services à des prix abordables. Mais la loi a également assigné au régulateur d’autres objectifs complémentaires d’intérêt général : l’équilibre territorial, les incitations à l’innovation et à l’investissement, la stimulation de l’activité économique et de l’emploi9 (cf. Arcep, 2012).
Dans les années 2000, la première phase de l’Autorité fut marquée par une exceptionnelle croissance du secteur, portée par plusieurs avancées technologiques (Internet, services mobiles), par la généralisation des accès ainsi bien que par la redéfinition du cadre de développement économique et légal (ouverture et dérégulation). Après cette première phase focalisée sur la libéralisation et l’ouverture du marché à la concurrence, un tournant s’opère dans la régulation, ouvrant sur une deuxième phase (2001-2004) entrant plus directement dans l’organisation des réseaux, notamment via le dégroupage de la boucle locale10, le déploiement de réseaux haut débit et le développement du marché des communications électroniques. La régulation connut ensuite une troisième phase (2005-2012) quand il s’est agi de mettre en œuvre le cadre européen et de soutenir la croissance économique grâce aux réseaux mobiles et à large bande. Cette étape prit fin une fois normalisés les déploiements et l’usage des réseaux de télécommunications. Il fallait alors assurer la régulation du marché dans une phase de ralentissement associé notamment aux difficultés économiques liées à la crise mondiale et à une concurrence grandissante par les prix11. C’est désormais une dernière étape qui s’ouvre sous l’effet d’une part des possibilités de rebond économique ouvert par des nouvelles avancées techniques (fibre optique, 5G, virtualisation des réseaux) mais aussi par le poids grandissant des recouvrements entre le monde des infrastructures de télécommunications et le monde des services en ligne. L’un comme l’autre appellent à traiter des questions radicalement nouvelles pour le régulateur : la neutralité de l’internet ou l’internet des objets par exemple.
À chacune de ces étapes, les développements de l’Internet et la demande croissante des utilisateurs pour les contenus ont appelé des besoins croissants d’investissement, autant publics que privés. Ils étaient 44nécessaires pour soutenir la progression des déploiements des réseaux, la création de services innovants et la réduction de la fracture numérique territoriale. Le développement des nouveaux écosystèmes d’innovation associé à l’Internet remet en outre en cause les modalités de distribution des contenus et les modèles d’affaires traditionnels des opérateurs12, appelant de nouveaux partages entre création et capture de la valeur.
II. Une organisation
et des compÉtences À construire
Du point de vue de l’organisation du régulateur, expertise et connaissance sont déterminantes, concrètement, pour recueillir et élaborer les informations, puis préparer les décisions. Avant d’être préparées et proposées pour décisions aux instances de décision de l’Autorité de régulation, les options à trancher doivent être explorées, approfondies, vérifiées et supervisées. Cette partie cruciale de la qualité d’une décision est prise en charge l’ensemble des services opérationnels, en leur donnant un rôle-clé dans le processus de régulation… mais singulièrement méconnu dans la littérature académique.
L’évolution de l’environnement technique comme la complexité des changements à l’œuvre nécessitent des compétences renouvelées pour les régulateurs. Au-delà des expertises qu’elles avaient traditionnellement construites en matière d’ingénierie, de droit et d’économie, les autorités doivent désormais développer des capacités prospectives et de veille pour mieux anticiper les changements techniques disruptifs et les retournements rapides des cycles industriels. Les compétences technologiques sont, en particulier, décisives pour comprendre les situations émergentes, surveiller les expérimentations, mettre en œuvre les mesures de régulation opérationnelles et engager, si besoin est, des mesures coercitives.
Supervision du processus complet de décision et de son implémentation, communication publique avec les médias et relations avec l’environnement institutionnel (gouvernement, parlement, élus locaux, autres institutions publiques…) constituent plus largement l’autre 45fonction importante à assurer par une autorité de régulation. Le plus souvent, cette fonction est assurée par le président, les membres du Collège, ou les responsables des services de l’autorité13. Une telle supervision concerne aussi la détermination de l’agenda du régulateur et la fixation du calendrier de ses décisions. Il s’agit là d’une dimension déterminante dans la production réglementaire et dans la gestion des relations avec les acteurs économiques, les opérateurs et les pouvoirs publics et (gouvernement, parlement, autorités de la concurrence organismes de régulation sectoriels voisins, Conseil d’État…).
II.1. L’organisation de la dÉcision
Dans la plupart des agences de régulation, la prise de décision constitue une démarche collective et collégiale entre des membres du collège dont le nombre et la composition peuvent changer d’une autorité à l’autre. Ce rôle et ces pratiques spécifiques des collèges ou « board » commencent à être évoqués dans la littérature, notamment dans le contexte européen (cf. Savino, 2005 ou Bergström, 2006). Dans le cas particulier de l’Arcep, le collège exécutif est constitué de sept membres aux diverses compétences administratives et juridiques14. Les antécédents des membres et leurs expériences professionnelles ont évidemment des effets spécifiques sur les décisions réglementaires. Dans la régulation comme dans toutes les organisations, les caractéristiques des échelons supérieurs du management sont naturellement des éléments déterminants des choix stratégiques et de leurs résultats en termes de performance (Hambrick et al., 1996 ; Hambrick et Mason, 1984).
Il est toutefois important de noter que la variété de formation et de compétences des membres du collège contribue de deux différentes manières à l’expertise collective de l’autorité et à la prise de décision. Dans un premier cas, le plus souvent pour des décisions relativement mineures, l’ensemble d’un collège peut mandater celui de ses membres 46qui est « spécialiste » de superviser l’instruction avec les services, de faire une recommandation pour rejoindre ensuite son avis. Dans ce cas, le point de vue du spécialiste contribue essentiellement à développer une vision et une analyse collective qui deviennent ensuite celle de l’ensemble du collège15. Mais dans d’autres cas, la variété des compétences est plutôt mobilisée dans un processus séquentiel et interactif, notamment dans les décisions plus lourdes, faisant l’objet d’une longue préparation. Dans ce cas, un dialogue et un débat contradictoire s’établit entre les perspectives alternatives soutenues par les différentes compétences spécifiques (juridique, économique ou technique) représentées dans le collège. La décision collective se construit alors par le biais des délibérations et ajustements internes où les vues spécifiques sont défendues successivement. En s’opposant, proposant des alternatives, ou complétant les prises de position, chacun contribue progressivement à converger vers une vision partagée, mais d’une manière cette fois très différente.
Dans les deux cas, l’impulsion et la cohérence de la régulation résultent largement du leadership et de l’orientation donnée le président de l’institution comme c’est traditionnellement la situation dans les grandes organisations (voir Mintzberg et al., 1985). Le président peut imposer sa vision à l’organisation par son contrôle personnel sur les actions des services et le personnel opérationnel. Mais son influence réside aussi dans sa capacité de peser sur les décisions collectives du Collège, par sa maîtrise des informations disponibles et des relations avec des partenaires institutionnels, par la fixation de l’agenda et par son aptitude à appuyer ou pousser telle ou telle orientation.
Comme Balta et al. (2013) l’ont observé pour l’innovation, les effets de la structure du conseil exécutif d’une organisation s’effectue par le moyen du contrôle de gestion et de la formalisation des processus de décision. Un fort lien existe ainsi, dans les politiques de régulation, entre la gouvernance économique et juridique d’une part et le système de gouvernance et de délibération, en liaison avec les différentes parties prenantes (pouvoirs publics, acteurs économiques, experts techniques). Cette responsabilité collégiale dans les conseils de direction se retrouve dans toutes les autorités de régulation. Elle appelle, cependant, un large éventail de conditions. L’efficacité de l’organisation et de la composition 47du collège du régulateur suppose qu’il soit composé d’experts aussi bien techniques, juridiques qu’économiques : à savoir, les dimensions principales structurant les décisions. En outre, ces collèges sont aussi censés représenter les différents intérêts de la société. Cela suppose que ces collèges puissent tenir compte – si ce n’est incorporer dans leur fonctionnement – une forme de représentation des acteurs régulés permettant d’intégrer leurs points de vue dans les prises de décision du régulateur. La solution peut être d’incorporer directement une représentation du marché lui-même, par le biais de représentants des acteurs régulés au sein même du collège de direction (c’est par exemple le cas en France pour l’autorité des marchés financiers) ou en l’inscrivant dans le processus de décision du régulateur (dans le cadre de forums d’échanges, d’auditions formalisées, ou par des consultations publiques).
Dans une telle gouvernance, les tensions qui peuvent advenir tiennent moins des conflits d’acteurs ou de relations de dominance, que des analyses contradictoires portées au sein des collèges par les différentes compétences. Selon Joerges (2006), de telles tensions peuvent aussi résulter des contradictions internes propres aux objectifs assignés à l’organisation : ainsi, les autorités de régulation soutiennent la concurrence et la régulation économique… mais n’ont pas, pour autant, la compétence légale pour régler toutes les facettes de l’équité des contrats privés entre les entreprises16.
Lorsque plusieurs acteurs différents se retrouvent naturellement dans les mêmes principes, sur la même perspective et les mêmes schémas d’intervention, ceux-ci imprègnent toute l’organisation. Trondal (2001) a d’ailleurs souligné la force de cette existence d’esprit d’équipe ou d’esprit de corps dans les systèmes à base de conseils exécutifs. C’est ce qui soutient ce que Mintzberg et Waters (1985) appellent une stratégie de consensus. Dans ce cas, la régulation ne se forme pas autour d’un système de strict principes économiques et juridiques définis a priori, elle naît plutôt de décisions consensuelles résultant de l’ajustement mutuel qui s’opère entre les différents acteurs, y compris les membres de l’autorité de régulation, au fur et à mesure qu’ils apprennent les uns 48des autres et qu’ils élaborent différentes réponses aux sollicitations de leur environnement.
Lorsque les membres de l’organisation partagent une même vision et s’identifient si fortement à elle, elle opère alors comme un vrai cadre d’action dans lequel s’inscrivent leurs différentes interventions et décisions. C’est ainsi que se construisent, se réalisent et s’identifient, tout au long du processus de décision, des stratégies claires. La régulation évolue et se construit comme l’effet d’un flux de décisions singulières, découlant plus d’une action collective que d’une volonté collective. La question est donc d’examiner dans quelle mesure la régulation résulte de principes de régulation constituant la colle conceptuelle qui permet de relier entre elles les diverses activités d’une organisation complexe… ou si, au contraire, ce sont les différentes actions du régulateur qui définissent et font progressivement émerger des principes réglementaires.
II.2. GÉrer l’incertitude
La littérature en théorie des organisations a relevé depuis longtemps l’importance de la notion d’incertitude pour saisir la relation entre les organisations et leur environnement (Lawrence et Lorsch, 1967 ; Thompson, 1967). Selon Downey et Slocum (1975), le sentiment d’incertitude résulte de la difficulté d’anticiper l’éventualité d’événements futurs (changement des variables d’environnement), de l’absence de connaissance des relations de cause à effet, de l’incapacité de prédire les résultats d’une décision (le comportement futur d’un concurrent clé par exemple). Ces différentes raisons renvoient à plusieurs structures d’incertitude auxquels les régulateurs font face quand ils doivent réagir à des situations particulières ou quand ils cherchent à répondre à de nouvelles conditions économiques. Pour Milliken (1987), l’incertitude est d’abord celle des caractéristiques de l’environnement (volatilité, complexité et hétérogénéité) dans lequel les organisations opèrent. Mais un deuxième type d’incertitude – très différent – se rapporte pour sa part à la plus ou moins bonne capacité de prédire l’impact des événements ou des changements mis en œuvre. Enfin, un troisième type tient au degré d’appréhension des réponses disponibles et de leurs efficacités comparées.
Chaque organisme de régulation aborde ces formes d’incertitude de manière différente selon ses niveaux d’intervention. Le rythme des changements en œuvre dans le secteur, l’importance comme la haute 49technicité des questions de régulation conduisent ainsi des autorités comme l’Arcep à chercher à l’extérieur (en commanditant des études ou sous-traitant certaines analyses) des compétences techniques, économiques, statistiques et juridiques supplémentaires ou plus spécifiques. Cela suppose également le développement et l’appropriation d’outils d’analyse destinés à des usages internes mais qui n’ont pas vocation à devenir publics17. En outre, l’Arcep a institué plusieurs organes consultatifs afin de répondre à des questions spécifiques (prospective, marché entreprise, collectivités locales) et de fournir des forums avec diverses parties prenantes du secteur formé, selon les cas, des représentants des opérateurs de réseaux publics, des fournisseurs de services ou des consommateurs.
De façon plus générale, face à l’incertitude de l’environnement, les organismes de régulation doivent par ailleurs consacrer beaucoup de temps et de ressources à la veille, la prospective et le suivi de leur environnement technico économique. C’est une des raisons de l’importance que prend la mise en place d’observatoires et d’études économiques dans la conduite et l’organisation des agences de régulation. Dans un univers incertain et mouvant, les régulateurs sont incités, en pratique, à jouer davantage sur le registre de l’arbitrage et de l’intermédiation que sur celui de l’expertise. Ce faisant, ils favorisent le développement d’une connaissance commune partagée dans l’ensemble du secteur réglementé (d’où l’importance des structures d’observatoire, des auditions et des consultations publiques régulières).
Les déficits d’expertise des régulateurs face à l’incertitude, en particulier en matière de haute technologie, est, pour Milliken (1987), un moteur important. Il alimente le nouveau rôle d’acteurs opérant à différents niveaux et contribue ainsi à l’expansion de l’espace de la régulation, que ce soit à l’échelle nationale ou internationale. C’est aussi ce qui explique le nombre de consultations publiques et d’appels à contributions sur des sujets de tous types. Les consultations publiques sont utilisées tout autant en matière d’allocation des ressources (avant toute allocation de fréquences par exemple), ou pour assurer une information et un processus contradictoires lors de règlements de différends en cas de litige ou de violation des règles concurrentielles. Vingt-sept consultations publiques ont ainsi été lancées en France en 2016, soit 50dans le cadre des procédures formelles d’analyses de marché18, sur des questions relevant des compétences réglementaires de l’Autorité, ou dans le cadre du processus de mise en œuvre des décisions spécifiques telles que par exemple l’utilisation du spectre, le service universel, la numérotation, l’architecture et le déploiement des réseaux, les mécanismes ou tarifs d’interconnexion.
III. La rÉgulation comme pratique
La régulation consiste en l’élaboration de règles, en la façon de les appliquer, ou d’envisager de le faire, dans une grande variété de contextes. Dans une telle perspective d’ensemble, penser la régulation suppose de concevoir des solutions qui puissent s’ajuster à une vaste gamme de situations et problèmes économiques pratiques. C’est la raison pour laquelle la littérature envisage en général le processus de régulation à travers la manière dont sont articulées et contrôlées les règles, en identifiant trois principaux facteurs indépendants mais interagissant de manière séquentielle et rationnelle : la formation de règles, leur mise en œuvre, puis leurs mécanismes de contrôle. Dans une telle planification de l’action, les pouvoirs publics et les organismes de régulation formulent d’abord leurs intentions avec précision, puis s’attachent ensuite à leur mise en œuvre et leur traduction dans l’action collective. La situation européenne en fournit encore une bonne illustration. Les annonces récentes de la Commission ont fixé des objectifs très clairs et communs pour tout le marché européen des télécommunications, d’une manière centralisée : itinérance internationale, investissements, réseaux du futur, tarifs d’interconnexion, gouvernance des autorités de régulation européennes. Toutes les agences nationales européennes de régulation suivent ainsi le même cadre réglementaire, entré en vigueur en 2003 : il s’agit d’aligner la régulation sectorielle sur des principes généraux similaires 51dans l’ensemble du marché européen, tout en laissant une autonomie significative pour chaque régulateur national. Enaux et Escribano (2013) notent de manière intéressante que ce cadre fournit d’une part des règles générales transposées dans les législations nationales des États membres, contraignantes pour le développement des réseaux. Il fournit également des dispositions opérationnelles s’appliquant à la structure et au mode de fonctionnement des fournisseurs nationaux de télécommunications. Il fixe donc à la fois des règles générales à appliquer dans toute l’Union et la possibilité pour des autorités nationales de régulation d’élaborer séparément des règles particulières. De ce fait, les différents pays peuvent suivre leurs propres chemins dans leurs approches de la régulation. Ce fut par exemple le cas, dans les années 90, lors de l’introduction des normes techniques pour les services mobiles 2G : imposition harmonisée en Europe des normes GSM versus concurrence technologique entre solutions GSM et CDMA19 aux États-Unis.
Mais pas plus les responsables publics que les experts académiques n’ont encore véritablement rendu compte de la manière dont une telle adaptation des règles s’opèrent : en un mot, des pratiques concrètes de l’organisation de la régulation et de ses effets. Dans les recherches économiques et juridiques récentes, le processus exact de décision de la régulation reste une « boîte noire ». Peu de travaux ont vraiment cherché à rendre compte des modes effectifs de la prise de décision et des pratiques réelles de gouvernance des régulateurs. Ils n’expliquent pas plus comment les processus de décision prennent en compte les dimensions d’incertitude attachées à la multitude des acteurs, aux différents registres d’intervention en interaction ou encore le caractère multicritère des objectifs de la régulation. Dans la littérature, les mécanismes de prise de décision sont censés trier rationnellement les « “meilleures” options alternatives » face à des critères multiples voire parfois contradictoires.
Iii.1. Le poids des micro décisions
L’enjeu dépasse les organismes de régulation. Johnson et al. (2003) ont établi qu’alors que le domaine de la stratégie s’est traditionnellement concentré sur la macro-niveau des organisations, il a besoin de s’attacher désormais davantage à des phénomènes de micro-niveau : en l’occurrence, 52aborder les activités de la régulation par le biais de l’observation des pratiques, en se concentrant sur le détail des processus et des pratiques qui constituent le quotidien des organismes de régulation, et en les mettant en regard de leurs conséquences observables.
Laisser le contenu et les principes économiques de la régulation émerger, au jour le jour, des pratiques suppose de de savoir articuler les procédures de l’organisation avec les compétences et ressources en connaissance afin de canaliser au mieux le flot des actions et des décisions. En conséquence, les orientations données par les autorités de régulation ne se réduisent pas aux décisions de leur seul président ou de leur Collège. La plus grande part de ces organisations est au contraire composée de services opérationnels qui prennent en charge toute la gestion de l’organisme, collectent et fournissent une gamme variée d’informations, instruisent et analysent les situations, publient les nombreux documents et textes réglementaires, organisent et préparent les auditions, assurent la mise en œuvre et la plupart des travaux qui découlent des décisions prises par le collège de l’autorité. De fait, l’ensemble du personnel opérationnel des services constitue la très grande part des organismes de régulation, alors son collège n’en représente que la pointe de l’iceberg réglementaire. Dans le cas de l’Arcep par exemple, l’autorité compte 172 personnes (des juristes, des économistes, des ingénieurs, des spécialistes des relations internationales…) pour seulement sept membres du collège.
En conséquence, l’organisation soutenant les organismes de régulation doit être conçue afin de pouvoir prendre en charge plusieurs types de procédures, aux caractéristiques différentes. En effet, à chaque étape du processus de prise de décision, des connaissances, des compétences et des savoirs spécifiques doivent être mobilisés afin de construire des données, de mener les études et analyses nécessaires pour appuyer les décisions, conformément aux délais réglementaires et aux exigences juridiques.
La régulation se constitue ainsi par une succession de décisions réglementaires, répondant à différents cas qui peuvent se produire, à des comportements qui se manifestent ou à des évènements qui surviennent. Une trace directe de cette importance des micro décisions dans le fonctionnement quotidien et la pratique de la régulation réside dans le nombre considérable de décisions et d’actes qu’une autorité sectorielle est amenée à assurer tout au long de l’année. Dans le cas de la France, par exemple, on observe une croissance continue du nombre total d’avis 53ou décisions rendues sur les communications électroniques par le collège de l’Arcep : à peine plus de 1 000 à la fin des années 2000 à près de 2 000 aujourd’hui, dont les ¾ d’entre elles concernent l’allocation des fréquences du spectre. Ces décisions sont reliées entre elles par une série d’accords, de contraintes, d’orientations, de plans qui constituent progressivement un cadre d’action et des objectifs partagés. Les problèmes et situations qui engendrent les choix du régulateur trouvent leur origine dans plusieurs motifs d’ordre technique, concurrentiel ou organisationnel. De nombreux avis ou décisions stratégiques résultent, par exemple, des constats faits à partir des outils de reporting réglementaire et de la modélisation économique.
Dans un tel cadre d’organisation, Vancil (1976) avait relevé très tôt qu’il n’est pas très utile, pour les managers comme pour les analystes, de se concentrer sur les principes devant pouvoir guider l’action a priori. Il est plutôt important de considérer ce que régulateurs « font » in concreto. C’est cette perspective qu’ont exploré les chercheurs dans le courant qualifié de « strategy as practice » : il s’agit, dans cette perspective, de considérer avec précision les traditions de l’organisation, ses normes, ses règles et routines car ce sont à travers elles que se définit progressivement la stratégie observable. Comme le montre Jarzabkowski (2004), l’interaction entre les acteurs et les structures sociales, ce qui est naturellement au cœur de l’action de la régulation, s’opère en effet par des pratiques récursives en situation, qui forment l’essentiel des routines quotidiennes de l’organisation. Étudier les micro-activités qui composent les processus de régulation conduit donc à ouvrir la boîte noire de l’organisation de la régulation pour mieux en comprendre la manière dont se définit sa stratégie par la pratique (cf. Carter et al., 2008).
Iii.2. Savoir gérer le temps
Comme l’a souligné Glachant (2008) après North (1990), les effets à long terme des changements institutionnels et des ressources créés ne se découvrent que progressivement par tâtonnement. Ce caractère fondamental justifie la manière dont les autorités de régulation définissent leurs pratiques, par exemple dans la manière d’organiser les relations souvent complexes entre les dispositifs définis a priori (cadre tarifaire et marché de gros des télécommunications, par exemple) avec des modalités correspondant au contrôle a posteriori des opérateurs (mesure de la qualité 54de service ou la couverture géographique, par exemple, voire, procédures de sanction en cas de manquement). La stratégie du régulateur consiste ici à définir en même temps la conception des principes économiques et réglementaires, l’agenda de leur mise en œuvre (notamment quand il s’agit d’attribuer des bandes de fréquences pour une série d’usages ou une génération de téléphonie par exemple), et l’élaboration de plans concrets pour arrêter des actions à court terme aux résultats attendus clairement définis. Mais une telle stratégie ne peut se définir et s’élaborer que chemin faisant, par capitalisation progressive, au gré des choix et actions opérationnelles menées à l’occasion de chaque décision (différends entre opérateurs, fixation de tarifs réglementaires, mise en œuvre d’orientations européennes, interaction avec les différents intervenants…) conduisant progressivement à consolider une stratégie globale et établir une forme de jurisprudence pour les décisions ultérieures (cf. Becker, 2007).
Ce mode de fonctionnement suppose de savoir penser en amont à la nature et à la temporalité des processus de décision. Les organismes de régulation sont en effet autant prisonniers des grands principes d’action qu’ils se donnent que des modalités concrètes de leur ordre du jour et de la fixation de leur agenda.
Le système réglementaire est très directement dépendant des contraintes associées à l’organisation du régulateur et à sa gestion de l’ordre du jour et des « flux » de décisions juridiques. De ce point de vue, le régulateur illustre ce que décrivent Mintzberg et Waters (1985) quand ils montrent que la stratégie de toute organisation se définit comme résultant d’un flux de décisions fait de stratégies délibérées et émergentes.
La gestion de l’agenda et de la temporalité des activités de régulation fournit de ce fait une illustration intéressante et importante de la manière dont s’articulent, dans l’organisation, la définition des grands principes d’intervention et les pratiques concrètes d’action. Ce point est important à souligner car il va à l’encontre de la vision spontanée que se donne la régulation : ex ante, elle se présente, de prime abord, comme une simple intervention statique consistant à fixer au préalable les structures et les prix de marché d’une industrie donnée, ex post elle consisterait simplement à corriger après coup des travers observables. Or, dans un cas, comme dans l’autre, ces temps de la régulation ne sont jamais en phase avec les temps des innovations technologiques ni avec celui des acteurs économiques.
55Iii.3. Définir des boîtes à outils
Pour mettre en œuvre de telles organisations, les décideurs publics doivent établir une structure ad hoc, mais concevoir aussi une boîte à outils réglementaire complète. Comme cela est généralement le cas pour toutes les autorités de régulation, l’Arcep utilise, par exemple, un grand nombre de procédures pour soutenir l’élaboration et la mise en œuvre de ses orientations économiques. Elle établit d’un côté des obligations générales applicables à tous les opérateurs, mais elle utilise aussi des modalités de régulation « asymétrique » dont les impératifs ne s’appliquent qu’à un seul acteur dominant. Pour appuyer ses décisions, un des principaux outils de l’Arcep est l’analyse du marché consistant à définir un marché pertinent, à désigner les opérateurs puissants sur ce marché et à fixer les obligations auxquelles les soumettre pour résoudre les problèmes de concurrence associés à leur position de marché. L’allocation des fréquences est une des autres responsabilités confiées à l’autorité. Dans un autre registre, suivant la loi de 1996, l’Arcep détermine aussi le montant des contributions au fonds de service universel et veille à son application. Une autre série d’outils reposent sur la collecte et la fourniture d’informations, de données et de sources de documentation : qu’il s’agisse des d’informations économiques sur l’activité des opérateurs, de données sur la couverture et la qualité des réseaux, ou d’éléments sur la structure du marché. Ce rôle de l’information est une des dimensions clés de la régulation20. Les acteurs façonnent en effet leurs stratégies en fonction du cadre de la régulation. La dynamique des acteurs économiques du secteur régulé comme toutes ses parties prenantes (élus, associations de consommateurs, etc.) ont besoin de l’information produite par l’Arcep pour faire leur choix, affiner leurs politiques, calibrer leurs investissements. Pour aider et anticiper et parer le caractère très mouvant de l’innovation dans les télécommunications, l’Arcep déploie un large éventail d’outils de communication (newsletter, sites web, observatoires, communiqués de presse…) afin de mettre à disposition et garantir à l’ensemble du secteur l’accès aux informations sur le marché comme sur les chantiers de régulation en cours.
Donnons-en un exemple. Un pan très important de l’activité d’un régulateur est ainsi constitué par le volet juridique. Cela semble trivial 56puisque la régulation découle très directement de la loi. L’Arcep a par ailleurs le pouvoir d’imposer des sanctions à tout opérateur qui ne respecte pas ses obligations, tout comme elle règle les différends entre les opérateurs sur les conditions techniques et tarifaires régissant l’accès au réseau. D’ailleurs, le rôle le plus médiatisé des autorités de régulation relève des fonctions de sanctions des règlements de différends entre opérateurs. N’en parle-t-on pas comme des gendarmes des télécoms, ou de la concurrence ou de l’audiovisuel ? Dans un cas, il s’agit d’obliger les opérateurs à se conformer à leurs obligations, dans l’autre cas, il s’agit d’affiner la doctrine d’intervention ou de compléter le cadre de la régulation en précisant une position en cas de désaccords entre opérateurs portés devant elle.
Mais des conséquences très fortes sont rarement évoquées du point de vue de la prise concrète de décision. Étant donné que les autorités de régulation sont des administrations de l’État, leurs décisions et leurs actions sont susceptibles d’être poursuivies légalement devant les tribunaux : l’indépendance de l’autorité de régulation ne lui confère aucun statut juridique dérogatoire. En France, les tribunaux administratifs et judiciaires ont ainsi compétence pour statuer sur les actions et les décisions de l’ARCEP en tant qu’elle est une autorité administrative ou que ses actions relèvent d’autres registres du droit. Les décisions du juge sont ainsi fréquemment et régulièrement amenées à confirmer, annuler ou modifier les décisions du régulateur. La conséquence en est que le travail du régulateur est quotidiennement et constamment sous la menace d’actions juridiques intentées par les acteurs régulés ou par les consommateurs. Dans la gouvernance de l’organisation, cela donne d’une part, une importance tout particulière aux services juridiques de l’autorité. Cela rend d’autre part les prises de position du Collège particulièrement précautionneuses21 en limitant souvent les solutions ou recommandations innovantes qui pourraient être explorées en termes de régulation.
57iV. Une gouvernance multi-niveau
Les principes à l’œuvre dans les premières formes de régulation sectorielle étaient profondément statiques et ne prenaient que partiellement en compte les dynamiques d’interaction sous-jacentes à tout processus d’innovation. Or ces innovations sont de plus en plus conçues dans une perspective d’ensemble reposant sur une conception globale du marché, de l’organisation, des partenariats industriels et de la R&D (cf. Corallo et al., 2007) où ces dimensions peuvent se substituer entre elles. Les problèmes de cybersécurité, par exemple, peuvent être pris en charge, le cas échéant, soit dans la gestion et le contrôle du réseau, soit par le biais de technologies propriétaires clairement maitrisées (cas de l’IoS d’Apple), soit, par des logiciels (antivirus) installés en local par les utilisateurs, soit en stimulant l’application de « bonnes » pratiques par les utilisateurs, soit en renforçant l’arsenal juridique des sanctions contre les hackers. De même, sur un registre très différent, l’objectif d’une couverture concurrentielle du territoire en très haut débit peut passer soit par la stimulation de la concurrence entre solutions techniques (fibre, câble, cuivre rénové, satellite ou 4G), soit par l’organisation de l’architecture du réseau (dégroupage, mutualisation, fourniture en gros de services d’accès), soit par des incitations économiques (lignes directrices tarifaires sur le marché de gros). Ces possibilités de choix alternatifs pèsent sur le niveau de risque des stratégies de chacun des acteurs économiques tout autant que sur les modalités concurrentielles et les processus de décision des autorités de régulation : il conduit les régulateurs à entrer parfois dans un niveau très fin de détail, en édictant des recommandations et des règles opérationnelles22 parfois très éloignées du registre habituel, économique et juridique de la régulation. La gestion des fréquences radio constitue, à cet effet, une très bonne illustration de la multiplicité des niveaux opérationnels des décisions réglementaires nationales. La gestion du spectre repose en effet sur un faisceau de décisions ancrées dans tous les registres suivants :
58–Définition des fréquences de bande mobilisables pour la fourniture du service mobile.
–Définition des blocs de fréquences à allouer.
–Définition des modalités d’enchères du spectre et des mécanismes d’appels d’offres.
–Définition des redevances d’usages.
–Définition des modalités de déploiement (couverture géographique, rythme et échéances).
–Durée de l’allocation.
–Allocation aux opérateurs spécifiques.
–Modalités des contrôles d’usage et de l’évaluation de la qualité de service.
iV.1. Une rÉgulation en couches
Comme l’a noté Glachant (2008), la régulation des industries de réseau ne se limite ainsi pas à la simple détermination économique des prix ou du niveau optimal de la concurrence. Le rôle déterminant des technologies de l’information et de la communication en tant que levier pour tous les secteurs économiques rend notamment critique pour la régulation, la prise en compte des externalités des réseaux tout autant que la variété de leurs caractéristiques formelles telles que la qualité du service, la couverture géographique, le volume des débits, la différenciation des services, la réactivité aux plaintes des consommateurs… Au-delà des questions habituelles du prix optimal auquel les économistes ont longtemps restreint l’approche de la régulation, les régulateurs abordent ainsi désormais un large spectre de problèmes : l’équilibre entre le poids des investissements dans les infrastructures et les services, les modalités différenciées d’accès aux réseaux fixes selon la densité des territoires, les interconnexions entre infrastructures concurrentes…
C’est naturellement au premier chef le cas des normes techniques et des modalités d’interopérabilité. La variété des acteurs et des parties prenantes impliquées y transparaît dans les nouvelles formes de gouvernance auto-organisée (ICANN, W3C…) auxquelles a donné lieu l’internet. Elles remettent en cause les bases habituelles d’une régulation internationale s’appuyant au contraire sur des instances collégiales d’experts et de « pairs », sous mandat des États, 59comme c’est le cas dans la gouvernance historique des réseaux de télécommunications23.
Une telle stratification des enjeux est d’autant plus forte en matière d’infrastructures de télécommunications que la structure technique est couramment décrite comme reposant sur une architecture de couches technique hiérarchisées, superposées et articulées les unes aux autres24. Elle correspond aux différents composants formant l’écosystème des technologies de l’information et de la communication : équipements et terminaux, services et logiciels informatiques, réseaux de télécommunications, services Internet (plateformes d’intermédiation) et enfin contenus. Chaque couche de cet écosystème correspond à des structurations différentes au sein de la chaîne de valeur. Le segment principal est organisé autour d’opérateurs de communications électroniques à l’activité strictement territorialisée sur des marchés nationaux, pour des raisons techniques autant que réglementaires : implantation et exploitation des antennes et des réseaux filaires, droit d’utilisation des fréquences. Plus en amont, se trouvent des entreprises productrices de tous types de biens (équipements de réseau, terminaux…) et de prestations de services (des services informatiques au génie civil) nécessaires à l’activité des opérateurs. En aval, on trouve essentiellement les producteurs de contenus et les entreprises de services qui ont besoin de réseaux de communication pour fournir et diffuser les services : contrairement aux opérateurs, ceux-ci évoluent spontanément sur des marchés mondiaux qui dépendent de facteurs économiques et juridiques supranationaux (cf. Perin et Pouillot, 2013).
Cette approche par couche reste au cœur des fondements des régulations sectorielles qui postulent ainsi l’existence de frontières bien définies entre couches, et donc, la possibilité d’établir, dans chaque couche, une compétition ouverte et équitable entre les acteurs (voir (Benghozi et al., 1996). Néanmoins, les principes d’une régulation à base d’un modèle par couches appellent plusieurs interrogations. La principale est la nécessité de dépasser la caractérisation historique des secteurs traditionnels associés à chaque couche (télécommunications, informatique, électronique grand public, services Internet et médias). Les 60dynamiques de convergence tuyau-contenu et les innovations disruptives (virtualisation des réseaux, services Over The Top) s’appuient en effet en général sur des courts-circuits entre les couches et une redéfinition des frontières des firmes. Les stratégies d’intégration verticale remettent donc en question le modèle en couches traditionnel utilisé à la base des analyses économiques sectorielles (voir Fransman, 2010). Il rend les limites entre couches techniques de plus en plus poreuses et de moins en moins séparables, démultipliant les relations entre un large éventail d’acteurs opérant à de multiples niveaux. Mais des interactions démultipliées rendent aussi le processus de régulation plus complexe en ce qu’il favorise les chevauchements et les dissonances réglementaires, et qu’il s’accompagne de fragmentations, d’incertitude et de moindre cohérence.
Ces configurations ouvrent des opportunités pour établir de nouveaux agencements de régulation : définir de nouveaux équilibres entre contraintes techniques, économiques et tarifaires, concevoir et élaborer rapidement solutions et décisions. Cette évolution a conduit les régulateurs à changer leurs perspectives traditionnelles, en incorporant progressivement aux objectifs de compétition et de tarification, de nouvelles préoccupations d’innovation, de croissance économique, de développement durable ou de protection des consommateurs25.
iV.2. Des technologies qui s’hybrident
Une caractéristique importante de l’évolution actuelle des technologies de l’information et des télécommunications tient donc à la forte hybridation des infrastructures, des équipements et des terminaux. Cela se retrouve dans les stratégies économiques des acteurs comme dans la régulation.
La demande pour les services de communications électroniques est largement éclatée : segments de marché variés, multiplicité des modalités d’usages, multiplicité des offres. Les services de télécommunications ne définissent plus des marchés homogènes et clairement délimités. Du côté des utilisateurs – résidentiels comme entreprises – les besoins restent imprécis et incertains quant à la manière de mobiliser les nouvelles technologies, de les utiliser et de savoir quoi en attendre vraiment. D’ailleurs, au fil du 61temps et des usages, les raisons pour lesquelles on choisit et utilise un système technique spécifique sont amenées à changer. Il existe donc un fort potentiel de substituabilité et d’interopérabilité entre les technologies et entre les différents types de services disponibles. Cette variété reflète à la fois la stratégie des fournisseurs pour offrir des bouquets de services et la multiplicité des pratiques d’utilisateurs exprimant des besoins complexes.
Des formes de substituabilité se font jour, résultant de la multiplicité d’outils technologiques organisés en grappe et structurés en différentes couches articulant architecture du réseau, organisation, processus d’interopérabilité et procédures utilisateurs. Les technologies d’information et de communication y sont encastrées de manière complémentaire et cohérente. Cela tient, d’une part, à la nature intrinsèque du système technique constitué de différentes technologies coordonnées et interconnectés entre elles, d’autre part, à l’imbrication constante des composants techniques, organisationnels et procéduraux à partir desquels se composent et s’utilisent les diverses applications. Ce caractère congloméral explique que des substitutions puissent s’opérer entre des composants techniques a priori non comparables : les besoins exprimés par les utilisateurs sont en effet susceptibles d’être satisfaits par plusieurs configurations techniques dont le potentiel et les marchés se recoupent. Ainsi, certains services ou fonctions (connexions à très haut débit, par exemple) peuvent être assurés par des configurations matérielles très différentes (fibre optique, réseaux mobile LTE, modernisation des réseaux traditionnels (VDSL2) ou satellite) relevant de décisions réglementaires différentes.
Une telle hybridation est source d’opportunités autant que de difficultés potentielles. Une opportunité car elle permet aux entreprises et opérateurs d’éviter d’être strictement dépendants d’un choix technologique spécifique. Une difficulté aussi parce que les préoccupations des utilisateurs et les contraintes du réseau ne se recoupent pas nécessairement. Cela a deux conséquences pour la régulation. La définition des marchés pertinents ou des technologies en concurrence peut d’abord changer au fil du temps et au cours du processus de décision ; ainsi, dans l’analyse économique de la concurrence, le pouvoir de marché des différents acteurs peut autant résulter des investissements et de la maîtrise d’une infrastructure technologique que de la capacité d’agréger des services technologiques et opérationnels26.
62iV.3. Une rÉgulation
qui dÉcouple ses interventions
D’autres raisons militent aussi pour la stratification des couches de régulation dans la gouvernance des télécommunications et de l’économie numérique. La principale s’interprète directement dans les principes théoriques de Coase suggérant le découplage des droits à réguler, l’émergence de nouveaux systèmes techniques entraînant de nouveaux registres de régulation : gestion de l’attribution du spectre et de la fréquence, génie civil, règles de numérotation… Dans la continuité de Coase (1988), les approches institutionnalistes se sont directement intéressées aux mécanismes optimaux soutenant les décisions d’attribution de tels droits : les différents types de ventes aux enchères par exemple. Ces travaux font cependant l’impasse sur les modalités opérationnelles d’attribution de ces droits, tout autant que sur l’ingénierie des mécanismes de régulation : des « structures institutionnelles de régulation » pour paraphraser les termes de Coase.
Les politologues tout autant que les décideurs politiques envisagent de plus en plus la notion de gouvernance comme s’inscrivant à plusieurs niveaux, sans compétence exclusive ou autorité hiérarchique de l’un ou l’autre. Différents chercheurs ont tenté d’en définir le concept. Schmitter (2004) l’envisage par exemple comme le fruit d’arrangement permettant de prendre des décisions engageant une multiplicité d’acteurs – privés et publics – indépendants mais interdépendants, situés à différents niveaux d’organisation territoriale et engagés dans des processus plus ou moins continus de négociation, de délibération et d’opérationnalisation.
Face à de tels enjeux, loin des réponses simples et univoques en général prônées par les spécialistes, la régulation appelle donc des solutions nouvelles, à la fois en termes de principes et d’arrangements institutionnels. Une première alternative tient d’abord au rôle plus ou moins volontariste des décideurs. Internet suggère en effet, d’une part, un mode de déploiement distribué où le caractère complet et partagé de son protocole permet à chaque acteur (producteur, agrégateur et consommateur) d’être indépendant et de construire un système de 63nœuds à même de contrôler éventuellement une partie du réseau. Dans un tel cadre, le meilleur rôle que peut jouer une autorité de régulation est celle d’un arbitre distant, visant essentiellement à soutenir les meilleurs ajustements qui se mettent en place entre les acteurs, dans une forme de laissez-faire prudent (regulation holiday). Un phénomène marquant avec le développement de l’Internet a d’ailleurs été l’émergence de nouvelles formes d’autorégulation. Elles reposent sur des types inédits d’institutions qui se démarquent à la fois des formes traditionnelles en usage dans les instances internationales de standardisation et des formes de gouvernance interétatiques. Le cas du WWW illustre cette puissance des institutions mises ainsi en place, sur la base du volontarisme, des ressources individuelles des parties prenantes et de l’engagement des internautes. Ce faisant, une alternative à la régulation des États souverains se construit par la mobilisation d’une multitude de communautés et d’organisations politiques : des institutions formelles transnationales relevant de démarches top down ou des organisations émergentes bottom up comme les communautés de pratiques ou les associations professionnelles.
Ces modes d’intervention contrastent avec la régulation traditionnelle des industries de réseau – parfois appelée régulation éclairée – qui enserre les différents acteurs dans des mécanismes stricts de déploiement, de concurrence ou de tarification. L’une ou l’autre de ces formes de régulation ne correspondent pas seulement à deux différents types de principes ou de mise en œuvre, elles renvoient aussi à différentes procédures de décision dans l’organisation des régulateurs. Elles touchent la manière de négocier avec les parties prenantes, d’ajuster les choix et de s’appuyer sur de la soft law d’une part, elles concernent les justifications de la régulation, la nature et la force de son influence de la puissance et la place de la loi d’autre part.
Les frontières des différentes autorités rendent particulièrement critiques la manière dont les décisions sont – ou pas – partagées et distribuées entre les différentes couches administratives. Une telle gouvernance multi-niveau peut s’opérer soit de manière verticale, en pensant l’articulation entre les différentes hiérarchies territoriales (nationale, continentale ou internationale), soit de manière horizontale, en organisant les échanges entre les autorités respectivement en charge de différents registres d’interventions.
64Cette situation conduit, paradoxalement, à deux dynamiques antagonistes. Considérant la convergence grandissante entre télécommunications, audiovisuel et informatique, les décideurs publics ont d’abord régulièrement la tentation de regrouper, d’aligner et de fédérer les différentes autorités réglementaires : c’est en France le cas, par exemple, de projets évoqués de manière récurrente à propos de l’ARCEP, du CSA, de la CNIL ou de l’Hadopi. Mais d’un autre côté, ces mêmes décideurs ont tout aussi régulièrement tendance à créer des autorités de régulation nationales spécifiques pour répondre à l’émergence et à la segmentation de nouveaux objets de la régulation (données personnelles, propriété intellectuelle, jeux en ligne, cybersécurité…). L’enjeu, en l’occurrence, est de savoir si les spécificités des différents objets à réguler appellent des institutions et des expertises spécifiques ou si, au contraire, la convergence sectorielle et le chevauchement des espaces territoriaux doit conduire à élargir les responsabilités et le niveau d’intervention des autorités de régulation en place. Dans la première perspective, la spécialisation progressive et la segmentation croissante des objets doit trouver son écho dans une spécialisation correspondante des autorités de régulation27. Mais une deuxième perspective consiste, à l’inverse, à prendre acte du caractère indissociable des différents niveaux d’intervention en favorisant, à cet effet, le rapprochement des différentes autorités de régulation, au niveau national ou international. Le débat a ainsi été ouvert en France, depuis quelques années, pour suggérer une éventuelle fusion entre l’ARCEP et CSA. La même tentation s’est retrouvé, au niveau européen, pour encourager la coordination des régulateurs nationaux dans le cadre d’un simple organe de coordination agissant comme un forum exclusif pour soutenir la coopération entre les ARN28, et même, dans certains projets de la commission, visant à transformer cette instance de coordination en un véritable agence paneuropéenne de régulation du numérique.
65iV.4. Une rÉgulation en terra incognita
La société numérique génère ainsi des perspectives inhabituelles pour la régulation traditionnelle. Avec le nombre et la variété des évolutions en cours, les institutions se transforment sous l’effet de leurs capacités internes d’adaptation et par l’effet de nouveaux cadres de régulation. Les instances non techniques de gouvernance internationale (UE, G8, G20…) ont tout d’abord évolué en intégrant dans leurs débats et réflexions les nouvelles questions de déploiement et de gouvernance des réseaux afin de soutenir l’impact de l’Internet sur l’économie mondiale et la mondialisation des échanges. La régulation des télécommunications se résumait, au départ, à l’animation concurrentielle du secteur et aux enjeux du couplage entre services de la voix et infrastructures. Mais ce cadre a dû évoluer car les infrastructures de communications électroniques sont désormais bien plus qu’un support de la voix, ce sont des ressources essentielles pour tous les industriels et fournisseurs de services. Dans cette perspective, certaines autorités ont choisi d’utiliser la concurrence des infrastructures pour stimuler une concurrence plus efficace dans les services, mais d’autres ont préféré se contenter de réguler la fourniture des services, en restant neutre pour ce qui concerne les infrastructures.
Ainsi, d’un côté les aspects très techniques de la régulation tendent à accroître les barrières sectorielles. Mais de l’autre côté, la régulation se déroule dans de nouveaux territoires au-delà d’une régulation classique de la concurrence entre firmes analogues relevant de mêmes couches bien identifiées. Un point crucial pour la construction de l’espace de la régulation est donc la manière dont elle répond et redéfinit ses champs d’intervention, en caractérisant les différents cadres de régulation (ceux de l’Internet, de l’audiovisuel et des télécommunications par exemple). Du fait des dynamiques d’innovation, la régulation tend aussi à étendre progressivement sa portée à des zones jusque-là en dehors de son champ d’application : les objectifs de Net neutralité29 conduisent les régulateurs, par exemple à intervenir dans le champ de la production de contenus, dans les services en ligne, voire dans la production des terminaux par exemple. Cela les amène à redéfinir les interlocuteurs de leur cœur de 66métier historique et la porosité des différentes solutions technologiques : les opérateurs de réseaux de téléphonie commutée se voient concurrencés par les services de communication téléphonique sur Internet (Skype, Viber ou Hangout), tout comme la transmission de SMS se voit substituée par les services de messagerie instantanée (Messenger, Whatsapp) ou la télédiffusion de télévision remplacée progressivement par des services OTT (Netflix, Molotov, Youtube). Parallèlement, le modèle de régulation interactive donne aux régulateurs une fonction de conseil autant que de sanction30.
Ainsi, tout au long de son histoire, et de manière encore plus prononcée ces dernières années, l’Autorité française de la concurrence a cherché, parallèlement à ses fonctions contentieuses à assurer un rôle explicitement proactif et consultatif. L’AdlC a ainsi développé de nouvelles compétences pour lancer, de sa propre initiative, des analyses sectorielles, publier des avis et des recommandations au gouvernement ou au Parlement sur les questions générales de concurrence, envisager l’impact concurrentiel de la régulation et des lois. Ce changement d’échelle en matière d’anticipation ou de réactivité aux changements émergents a constitué, de ce point de vue, un renversement par rapport aux modes traditionnels d’intervention de l’AdlC. Ces deux approches ne doivent, toutefois pas être envisagées comme antagonistes ni distinctes car la fonction consultative aide à clarifier les principes généraux d’intervention du régulateur, s’inscrit dans une procédure légère et rapide, bien plus souple que les démarches contentieuses. Elle permet de prévenir, en anticipation, les recours litigieux en fournissant d’abord a priori aux entreprises, avant tout litige potentiel, certains points d’attention juridiques et économiques applicables et en donnant ensuite aux tribunaux le cadre concurrentiel applicable en matière de traitement des différends.
iV.5. D’une rÉgulation multiniveau
À une rÉgulation multi-acteurs
L’une des conséquences associées à la nature multiniveau de la gouvernance est la multiplicité et la diversité des acteurs qui contribuent à la régulation : la régulation multiniveau est d’abord une régulation 67multi-acteurs. Les décideurs publics en sont, bien sûr, les principaux. En effet, les objectifs et principes de la régulation sont toujours, dans une large mesure, imposés aux autorités de régulation de l’extérieur, notamment par la loi. Le cadre public légal – en particulier au niveau européen – pèse directement sur l’organisation de la régulation en fixant ses modèles d’action et en influençant ses flux de décisions. Mais les responsables gouvernementaux ne sont pas les seuls acteurs à considérer. L’ouverture du marché et la promotion de la concurrence sur le secteur des télécommunications ont correspondu à l’émergence de stratégies industrielles alternatives où acteurs privés comme publics jouent un rôle tout aussi déterminants pour la conception et la mise en œuvre des normes de marché.
La sophistication croissante des écosystèmes numériques et le développement de nouveaux entrants s’appuyant sur des modèles d’affaires innovants (par exemple les opérateurs virtuels dits MVNO31) ont naturellement eu un effet sur la quantité des acteurs à réguler. En 2017, au-delà des quatre grands opérateurs nationaux les plus connus (Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free), ce sont ainsi 2 354 opérateurs télécoms qui sont déclarés et attributaires de numéros auprès de l’Arcep. Année après année, leur nombre croît de manière significative et rend d’autant plus difficile d’assurer une régulation traditionnellement basée sur la capacité de bien connaître la position et les dynamiques économiques de chaque partie prenante. Pour faire face à de telles évolutions, la loi française a d’ailleurs, en 2004, cherché à simplifier le cadre réglementaire applicable aux communications électroniques : alors qu’ils devaient, jusque-là, demander une autorisation préalable, ils ont ensuite simplement été tenus de se déclarer à l’Autorité avant de mener leurs activités.
Les autorités ne régulent donc plus simplement une poignée d’acteurs partageant les mêmes modèles économiques. La profonde remise en question de la chaîne de valeur et de l’architecture des réseaux fait très directement écho à leur transformation technique : évolution des services, processus de production, moyens de distribution, usages, nouveaux acteurs, structure concurrentielle, fusions et acquisitions. 68Les régulateurs doivent prendre en compte (et anticiper) la variété et la diversité croissante des modèles d’affaires coexistant entre acteurs économiques proposant des services similaires : structure low cost versus lourdes organisations historiques, opérateurs avec infrastructure versus opérateur virtuel… L’évolution de la régulation est ainsi affectée par l’arrivée régulière d’innovations qui conduisent à redéfinir sans cesse la liste des « marchés pertinents » du fait de nouveaux services de substitution : produits et services disruptifs (voix sur IP, messagerie en ligne) et renouvellement rapide des terminaux (des services voix du téléphone aux exigences renouvelés de connexion internet en mobilité et de débit associés aux smartphones et tablettes).
Dans ces changements de l’offre de produits/services, un facteur particulièrement important à souligner tient à l’émergence d’acteurs puissants (OTT32) s’appuyant sur la désintermédiation des transactions et la redéfinition de la chaîne de valeur des communications électroniques. À côté des transformations de la structure concurrentielle des marchés portés par le numérique, c’est en effet la base même de la régulation qui est affectée par ces acteurs situés hors du cadre légal d’action des autorités et qui appellent de ce fait un changement dans les principes de décision et d’action des autorités, voire du cadre législatif.
La régulation et la gouvernance multiniveau sont aussi nourries de la variété des acteurs publics et privés relevant des multiples couches administratives : organismes internationaux, régulateurs européens, associations professionnelles d’industriels, entreprises multinationales, responsables des États membres, organismes de normalisation. Ces acteurs, qui jouent un rôle essentiel dans le processus de régulation, peuvent avoir, ou non, un rôle formel ou légalement reconnu.
Leur variété se reflète plus ou moins explicitement dans la composition des collèges des autorités de régulation ou trouvent un écho, plus souvent, dans les phases délibératives en étant présents dans les ateliers de travail, les forums ou instances de consultation. Certains acteurs sont aussi actifs à des niveaux administratifs spécifiques et interfèrent avec le régulateur sans être directement inscrits dans ses processus formels. La régulation multiniveau ouvre des espaces importants aux stratégies de 69communication et de lobbying aux différents niveaux des instances de régulation : celui des services opérationnels et du Collège comme celui des administrations et décideurs politiques. Cet aspect est très important à souligner car une partie significative de la littérature suggère que les acteurs régulés sont souvent en mesure d’influencer le cadre et les contraintes réglementaires qui pèsent sur eux, en allant même parfois jusqu’à tenter de « capturer » le régulateur.
Conclusion : la rÉgulation, un problÈme d’organisation et de pratiques
Les acteurs institutionnels, publics ou privés ne sont jamais en mesure de concevoir et de construire parfaitement a priori l’organisation idéale pour définir et organiser les ressources qui leur sont nécessaires. A fortiori dans le monde des télécoms où l’existence d’innovations constantes et de disruptions régulières appellent de plus en plus une capacité d’intervention a posteriori, une fois identifiées les difficultés en jeu. Ce secteur se prête mal à des interventions réglementaires qui conduiraient à figer les dynamiques de croissance et d’innovation, à empêcher l’arrivée de nouveaux acteurs en préemptant la création de valeur au profit de quelques acteurs circonscrits.
Dans un environnement complexe, imprévisible et incontrôlable, le contenu d’une stratégie ne peut pas être seulement élaboré à un niveau global, en fixant d’une manière générale les grands objectifs, le cadre institutionnel et les frontières d’action du régulateur. L’organisation de la régulation doit être plutôt conçue de manière concrète, en pensant dans une perspective d’efficacité les pratiques et le contrôle du processus de régulation (procédures, personnel, statut des organismes…).
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1 Celles-là même souvent résumés par le terme d’Ubérisation.
2 Cf. Parker et al. 2016.
3 Pensons aux effets des inondations et tornades récentes sur les infrastructures d’une ile comme Saint-Martin.
4 Cf. par exemple, les recommandations européennes définissant des outils très précis pour établir les conditions d’une régulation asymétrique sur un marché pertinent. Le test des trois critères (barrières à l’entrée, absence de concurrence effective, inaptitude du droit de la concurrence à répondre aux problèmes de concurrence) a ainsi pris une forme juridique contraignante au-delà de sa seule dimension d’outil économique.
5 La mise en œuvre du Roaming Like At Home (RLAH), soit la possibilité d’appeler partout en Europe avec le forfait du pays d’origine suppose par exemple l’élaboration d’un cadre tarifaire précis et de fourchette de cout de terminaison d’appel garantissant la possibilité de mise en œuvre du RLAH malgré des tarifs très différenciés selon les pays.
6 On qualifie de monopole naturel des infrastructures dont la duplication serait irréaliste ou absurde économiquement : une voie de chemin de fer entre deux points, ou le raccordement à un réseau d’eau par exemple.
7 En matière de régulation, on distingue traditionnellement entre régulation ex post et ex ante. La première (ex post) consiste, comme le fait l’Autorité de la concurrence (AdlC) à sanctionner a posteriori les abus de position dominante et les positions anticoncurrentielles avérées). La seconde, dite ex ante ou sectorielle, vise à définir a priori, comme le font l’Arafer pour les transports, la CRE pour l’énergie ou l’Arcep pour les communications électroniques, les architectures et les règles d’organisation d’un secteur les plus à même de garantir dynamiques d’investissements, marché ouvert et concurrence.
8 Elle prendra le nom d’Autorité de régulation des communications électroniques et des Postes en 2005, à l’occasion de l’élargissement de ses compétences aux services postaux.
9 Cf. Code des Postes et Communications Électroniques : CPCE art. L 32-1 qui liste désormais jusqu’à 23 objectifs !
10 C’est-à-dire la possibilité, pour des concurrents d’accéder à la partie terminale (« le dernier kilomètre ») du réseau de l’opérateur historique.
11 Accentuée notamment par l’arrivée en 2012 d’un quatrième opérateur mobile.
12 Cf. Benghozi et Simon (2016).
13 Les Autorités de régulation telles que l’Arcep, s’organisent concrètement autour de trois pôles : le Collège, composé de membres indépendants, est l’instance de décision, les services, sous la responsabilité d’un directeur général, assurent le fonctionnement de l’Autorité et la préparation des décisions, le Président préside le Collège et supervise l’action et l’organisation des services.
14 Dans la configuration de 2017, quatre sont universitaires (deux économistes, un juriste et un expert en technologies de l’information), deux – dont le président – sont ingénieurs des télécommunication et un est haut-fonctionnaire.
15 C’est d’ailleurs explicitement sur cette base que le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel est organisé.
16 Ces dernières années, la question s’est explicitement posée en France quand les contrats d’itinérance passés entre Free et Orange ont été remis en cause par d’autres opérateurs. Plus récemment, la loi a d’ailleurs donné à l’Arcep la possibilité exceptionnelle de pouvoir, dans certains cas, remettre en cause des contrats privés entre acteurs.
17 Certains rapports et enquêtes sont à l’inverse volontairement conçus pour être disponibles à tous, comme un moyen d’information du secteur.
18 En matière de régulation sectorielle, les procédures et décisions d’analyses de marché constituent le socle des interventions dites « asymétriques ». Elles définissent les marchés considérés comme « pertinents » pour déterminer l’influence et le pouvoir de marché des différents acteurs, et imposent en conséquence des obligations à l’opérateur (ou aux opérateurs) qui exerce(nt) une influence significative sur le marché considéré.
19 Resp. Global System for Mobile Communications ou Code Division Multiple Access.
20 L’Arcep a ainsi fait de la « régulation par la data » un des leviers de sa dernière revue stratégique.
21 Y compris dans la rédaction de simples communiqués ou de présentations de presse. Le poids grandissant de la « soft law » dans l’action publique donne en effet, indirectement, un poids et un statut nouveau à des interventions ou des documents qui deviennent désormais opposables en justice alors qu’ils n’avaient, jusqu’à présent, aucune existence légale.
22 C’est par exemple le cas pour la définition et l’affectation des numéros par opérateur, des modalités de portabilité des numéros lors du changement de fournisseurs… voire même la couleur de connexion des fiches de connexion de la fibre optique en matière de raccordement FTTH.
23 Cas par exemple de l’Union Internationale des Télécommunications (UIT) ou de la Conférence européenne des administrations des postes et télécommunications (CEPT).
24 Zimmermann (1980).
25 Cf. en particulier, la nécessité d’un « pivot » ressenti par l’Arcep en 2015 pour redéfinir ses leviers d’action stratégiques : www.arcep.fr/larceppivote/
26 Ainsi, une « guerre des sandwiches » a-t-elle fait rage entre compagnies aériennes concurrentes, il y a quelques années, lorsque faute de compétition tarifaire, les compagnies se concurrençaient sur le service à bord. Lorsque les acteurs économiques ne peuvent se concurrencer véritablement par les prix, la compétition se déplace ainsi sur d’autres éléments de la chaîne de valeur : produits associés à l’offre initiale, forme de monétisation, recommandations et services de prescription, modes de transaction.
27 Ce qui est justement le cas, dans l’exemple évoqué, d’autorités ou d’agences comme l’Arjel (pour les jeux en ligne), du CSA (pour les contenus audiovisuels), de l’Hadopi (pour le piratage), de la CNIL (pour la protection des données personnelles), de l’ARCEP (pour les infrastructures de communications électroniques), de l’AdlC (pour la concurrence)…
28 L’Organe des régulateurs européens des communications électroniques (ORECE) est l’instance qui rassemble les régulateurs européens pour exploiter leur expertise commune, donner des avis sur la définition des marchés européen de l’Internet et étudier les mesures correctives proposées par les autorités nationales.
29 On appelle neutralité du net ou internet ouvert un principe de non-discrimination à l’égard de la source, de la destination ou du contenu des données transmises sur Internet. Il garantit aux consommateurs une qualité d’acheminement des flux de données indépendante de la nature des services auxquels ils souhaitent accéder.
30 Même si les régulateurs veillent à s’en défendre, ceci n’est pas sans lien, à certains égards, avec une longue tradition française de gouvernance – pensons à Colbert – mêlant réglementation et politique industrielle.
31 Les MVNO (Mobile Virtual Network Operator) sont des opérateurs de téléphonie mobile qui ne possèdent ni de spectre de fréquences ni d’infrastructures de réseau radio en propre. Ils louent le réseau des opérateurs d’infrastructures selon des modalités variées : c’est par exemple le cas de « La Poste Mobile » qui loue les réseaux internet et mobile de SFR.
32 Les acteurs OTT (Over-The-Top) fournissent des services et contenus en ligne, en s’appuyant sur la fourniture de l’internet, indépendamment des modalités spécifiques d’accès des opérateurs traditionnels de réseau.