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Classiques Garnier

Délégation et RSE dans un duopole différencié

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Entreprise & Société
    2018 – 1, n° 3
    . varia
  • Auteur : Ouattara (Kadohognon Sylvain)
  • Résumé : Cet article analyse une industrie oligopolistique composée de deux firmes qui produisent des biens différenciés. Les propriétaires de chaque firme ont la possibilité d'offrir à leurs managers des contrats incitatifs incluant des critères RSE. Il est mis en évidence que chaque propriétaire d'entreprises a stratégiquement intérêt à engager un manager socialement responsable. De plus, la mise en place de ce type de contrats incitatifs permet d'augmenter le surplus des consommateurs et le bien-être total de l'industrie.
  • Pages : 119 à 136
  • Revue : Entreprise & Société
  • Thème CLIL : 3312 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Économie publique, économie du travail et inégalités
  • EAN : 9782406084273
  • ISBN : 978-2-406-08427-3
  • ISSN : 2554-9626
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-08427-3.p.0119
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 22/08/2018
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
  • Mots-clés : Incitations managériales, RSE, concurrence imparfaite, différenciation des produits
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DÉlÉgation et RSE
dans un duopole diffÉrenciÉ

Kadohognon Sylvain Ouattara

ESDES – The Business School
of UCLy

Introduction

Depuis quelques années, de plus en plus dentreprises cherchent à intégrer des objectifs liés au développement durable dans leurs stratégies. Lenquête mondiale de la société daudit KPMG a montré quen 2015, environ 3/4 (73 %) des 100 plus grandes entreprises des pays industrialisés ont publié des rapports sur leur politique en matière de RSE (Responsabilité Sociale des Entreprises). Ce reporting RSE est en évolution puisquil ne représentait que 64 % en 2011 (KPMG, 2011) et 41 % en 2005 (KPMG, 2005).

Malgré cette importance croissante de la RSE au sein des firmes, peu de travaux se sont penchés sur les déterminants économiques des stratégies RSE. Pour Bénabou et Tirole (2010), le déploiement de stratégies RSE peut être une réponse à des imperfections de marché et de gouvernement. Sans entrer dans force détails, nous relevons trois raisons (hormis le devoir moral et altruiste) qui poussent les entreprises à déployer des stratégies RSE1 : a) la RSE permet dinternaliser les externalités environ120nementales et sociales ; b) elle permet de développer un positionnement concurrentiel dentreprise verte responsable ; c) elle permet de répondre aux attentes des parties prenantes internes de la firme. La réflexion menée dans ce papier est relative au dernier déterminant économique, plus spécifiquement aux situations dans lesquelles les propriétaires des firmes engagent des managers socialement responsables.

Lexistence de conflits dintérêts entre les propriétaires et les managers des firmes a été soulignée dans la littérature par Jensen et Meckling (1976). Dans un contexte de concurrence oligopolistique, Vickers (1985), Fershtman et Judd (1987) et Sklivas (1987) supposent que les propriétaires des firmes privées offrent à leur manager un contrat incitatif basé sur une combinaison linéaire du profit et du chiffre daffaires. Ces auteurs montrent que les propriétaires ont intérêt à inciter leurs managers à être plus agressifs que sils maximisaient le profit2. Les conséquences de la délégation ont aussi été analysées sous dautres types de contrats incitatifs tels que la performance relative des concurrents (Fumas, 1992 ; Miller et Pazgal, 2002, 2005) ou encore les parts de marché (Jansen et al., 2007 ; Ritz, 2008). Ouattara (2013) suppose que le schéma de rémunération dune firme publique tient compte des objectifs sociaux de lautorité publique.

En matière de RSE, certains auteurs tels que Cespa et Cestone (2007) et Barnea et Rubin (2010) mettent en évidence lexistence de conflits dintérêts entre actionnaires et managers dans les choix de RSE. Ils montrent que les managers (sur)-investissent dans les activités socialement responsables afin de sattirer le soutien des autres parties prenantes (au détriment des actionnaires), ce qui conduit à lémergence de logiques denracinement pour les dirigeants les moins performants. Dans ce papier, nous abordons la question des contrats incitatifs qui intègrent le bien-être des autres parties prenantes de la firme et analysons limpact de lutilisation de tels contrats dans un jeu où deux firmes sont en concurrence. Étant donné que lobjectif des propriétaires des firmes est la maximisation du profit, ils ne peuvent pas sengager de manière crédible à poursuivre un objectif autre que la maximisation du profit. Dans le but de rendre crédible cette stratégie de non-maximisation du profit, les propriétaires engagent un manager socialement responsable à qui ils délèguent les décisions de production de la firme. 121Ainsi, la présence dun manager Socialement Responsable (SR) au sein de la firme représente un moyen dengagement stratégique pour les propriétaires. Le contrat incitatif offert aux managers tient compte du bien-être des propriétaires (le profit) et de celui des consommateurs3. Cette modélisation de la dimension sociale de la RSE est usuelle dans la littérature.

Goering (2007) modélise la firme socialement responsable comme une firme qui tient compte (dans sa fonction objectif), en plus du profit, dune partie du surplus des consommateurs. Dans ces conditions, il analyse les incitations optimales à offrir aux managers de cette firme, lorsquelle est en concurrence avec une firme privée maximisant le profit4. Il montre que les propriétaires ont intérêt à inciter les managers à se détourner du vrai objectif de la firme SR. Kopel et Brand (2012) reprennent le modèle de Goering (2007) en supposant que la firme privée a aussi la possibilité doffrir à son manager un contrat basé sur la somme pondérée du profit et du chiffre daffaires. Dans ces conditions, les auteurs endogénéisent la décision dinciter les managers et montrent quà léquilibre du jeu, les deux entreprises incitent leurs managers.

Dans les contributions présentées ci-dessus, la RSE est supposée être lobjectif initial de la firme, et son niveau est supposé être exogène. À la différence de Goering (2007) et Kopel et Brand (2012), nous considérons que les firmes ont pour objectif initial la maximisation du profit et quelles peuvent engager un manager SR en choisissant le contrat optimal à fournir à ce dernier. Ceci nous permet de traiter la question de lintégration de critères sociaux dans la part variable de la rémunération des managers. Selon une étude publiée en 2012 par lORSE (Observatoire sur la Responsabilité Sociale des Entreprises), la part variable de la rémunération conditionnée à des critères sociaux atteint les 30 % pour les managers du groupe La Poste. De plus, selon le baromètre 2015 de Capitalcom, les entreprises du CAC 40 sont six fois plus nombreuses à communiquer sur lindexation de la part variable de la rémunération des dirigeants sur des critères extra-financiers en 2014 quen 2006.

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Dans notre travail, nous cherchons à répondre aux questions suivantes : i) Quel est limpact de lutilisation de contrats incitatifs SR sur les profits des firmes ? ii) Les propriétaires des firmes ont-ils toujours intérêt à mettre en place ce type de contrats incitatifs ? iii) Ces contrats incitatifs sont-ils socialement désirables ?

Afin de répondre à ces questions, nous modélisons un jeu de concurrence entre deux entreprises qui produisent des biens différenciés. Les propriétaires des firmes, qui délèguent les décisions de production à leurs managers, ont la possibilité doffrir à ces derniers des contrats incitatifs incluant des objectifs sociaux. Dans ces conditions, nous considérons un jeu à trois étapes où séquentiellement les propriétaires prennent la décision dinciter les managers et choisissent ensuite le contrat optimal de ce dernier. Enfin selon les instructions reçues des propriétaires, les managers se font concurrence de manière simultanée en quantité.

Les principaux résultats de notre travail sont les suivants. Les propriétaires préfèrent déléguer la gestion de la firme à des managers qui ne valorisent pas trop les activités sociétales. Cependant, la politique RSE mise en place par les propriétaires est dautant plus importante que la concurrence est intense. Lorsque les propriétaires des firmes engagent un manager SR, ils enjoignent à ce dernier dêtre plus agressif que sil maximisait le profit. Ce qui conduit à une hausse du niveau de production de la firme, une baisse des prix, une augmentation du surplus des consommateurs et une baisse des profits. Notre modèle met également en lumière que le bien-être total de lindustrie augmente suite à lintroduction de contrats incitatifs SR pour les managers. Cette hausse du bien-être total sexplique par le fait que le gain en surplus des consommateurs permet de compenser la baisse de profits des firmes. Ce qui implique que les autorités publiques devraient encourager la mise en place de tels contrats incitatifs.

Lorsquon endogénéise la décision doffrir des contrats incitatifs SR aux managers, nous obtenons une solution de type dilemme du prisonnier dans laquelle les propriétaires engagent un manager SR et obtiennent un profit inférieur à ce quil serait sils maximisaient le profit.

Le reste de larticle est organisé de la manière suivante. Dans la section 2, nous présentons le modèle. La section 3 analyse lensemble des équilibres. Limpact des contrats incitatifs SR sur le bien-être total est analysé dans la section 4. Enfin, la section 5 conclut.

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I. Le modÈle

Soit un marché composé de deux firmes privées identiques produisant des biens différenciés : la firme 1 et la firme 2.

Nous utilisons la spécification de Singh et Vives (1984) pour modéliser la fonction dutilité du consommateur5 qui sécrit :

(1)

avec la quantité de biens i achetée par le consommateur et le prix de ce bien (i=1,2). Le paramètre b ϵ (0,1] représente le degré de substituabilité des biens. Plus b est élevé, plus les biens sont substituables. Le paramètre b est donc une mesure de lintensité de la concurrence entre les firmes. De ce fait, la réduction de notre analyse au cas dun duopole (au lieu dun oligopole) se fait sans perte de généralité.

Nous supposons que les firmes se font concurrence en quantité. Le modèle de Cournot différencié nous permet de modéliser de manière simple et rigoureuse lanalyse de limpact concurrentiel des incitations managériales (par rapport au modèle de Bertrand).

Le surplus du consommateur représentatif est égal au niveau dutilité moins les dépenses relatives à lachat des biens . Les fonctions de demande sobtiennent en résolvant les conditions du premier ordre de maximisation du surplus par rapport aux quantités. On a :

La fonction de demande inverse sécrit alors :

(2)

Les deux firmes ont une fonction de coût identique. Nous supposons que celle-ci est convexe, ce qui traduit des rendements décroissants :

(3)

124

Les propriétaires des firmes ont pour objectif de maximiser leur profit. Le profit de la firme qui est la différence entre ses recettes totales et ses coûts totaux de production, sélève à :

(4)

Contrat incitatif socialement responsable (SR) : À linstar de Fershtman et Judd (1987) et Sklivas (1987), nous supposons que les propriétaires des firmes peuvent engager un manager avant le début du jeu de concurrence et déléguer à ce dernier les décisions de production.

Les propriétaires des firmes offrent ainsi aux managers un contrat incitatif qui tient compte du profit (bien-être des actionnaires) et du bien-être de certaines parties prenantes (les consommateurs). Le contrat incitatif du manager de la firme i sécrit :

(5)

Les managers se font concurrence sur le marché en maximisant leur fonction objectif représente le paramètre incitatif (le niveau de RSE) choisi par les propriétaires de la firme i afin de maximiser le profit. Plus est grand, plus le poids accordé au surplus des consommateurs est important. En dautres termes, les instructions données aux gestionnaires impactent directement lutilité des consommateurs. Par ailleurs, le contrat incitatif du manager de la firme ninclut pas uniquement le surplus de ses propres consommateurs, mais aussi celui des consommateurs de sa rivale. Cela permet de capter le fait quune firme socialement responsable sintéresse au développement des communautés dans lesquelles elle est implantée. Étant donné que les membres de ces communautés ne sont pas nécessairement des clients de la firme socialement responsable, cette dernière est tenue de sintéresser au surplus de tous les consommateurs.

Afin de permettre aux propriétaires des firmes de décider de lengagement ou non dun manager, nous endogénéisons la décision dinciter les managers. Nous considérons un jeu qui se déroule en trois étapes :

Première étape : Les propriétaires des firmes décident de manière simultanée et indépendante, si leur firme sengage dans des activités sociétales.

125

Deuxième étape : Sils décident de sinvestir dans la RSE, ils engagent un manager socialement responsable (de type  > 0 et délèguent à ce dernier les décisions stratégiques de la firme (choix du niveau de production). Dans le cas où les propriétaires décident de ne pas faire de la RSE ( = 0, ils engagent un manager qui ne valorise pas les activités sociétales. Ainsi, dans ce dernier cas, tout se passe comme si les propriétaires choisissaient eux-mêmes le niveau de production de la firme (absence dincitation managériale).

Troisième étape : compte tenu des incitations reçues, les managers se font concurrence de manière simultanée en quantité.

Le déroulement de ce jeu implique que le contrat incitatif SR est un moyen dengagement stratégique, car linformation sur ce contrat est connaissance commune avant que les managers ne se fassent concurrence sur le marché.

Les équilibres de Nash parfaits en sous-jeux sont caractérisés par la méthode de récurrence vers lamont.

II. Analyse des Équilibres

Pour résoudre le jeu, les quatre cas (sous-jeux) suivants qui découlent des choix de délégation des propriétaires sont analysés :

(Cas NN) aucune firme nincite son manager ;

(Cas II) les deux firmes incitent leur manager ;

(Cas NI) seule la firme 2 incite son manager ;

(Cas IN) seule la firme 1 incite son manager.

Étant donné que les deux firmes sont identiques, les cas (IN) et (NI) sont symétriques. Sans perte de généralité, les équilibres du cas (NI) ne seront pas présentés.

La matrice du jeu représentant les profits des firmes pour chaque cas est de la forme suivante :

126

Firme 2

Incite (I)

Nincite pas (N)

Firme 1

Incite (I)

Nincite pas (N)

II.1. Aucune des deux firmes nincite sans manager
(le cas
NN)

Nous considérons dabord le cas de référence où aucune des entreprises ne sengage dans des activités SR. Dans ces conditions, les managers poursuivent exactement le même objectif que leurs propriétaires . Le jeu se résume ainsi à une seule étape (la troisième étape) dans laquelle les managers des firmes choisissent la quantité qui maximise le profit .

À léquilibre de ce sous-jeu, chaque firme réalise un profit de et le surplus des consommateurs vaut .

II.2. Une seule firme incite son manager
(les cas IN et NI)

Nous nous intéressons maintenant au cas où une seule des deux firmes incite son manager. Supposons que les propriétaires de la firme i incitent leur manager et que ceux de la firme j nincitent pas le leur (cas IN). À la troisième étape, le manager de la firme i et les propriétaires de la firme j choisissent les quantités qui maximisent respectivement les équations (5) et (4).

Ensuite, à la deuxième étape, les propriétaires de la firme i choisissent le paramètre incitatif qui maximise le profit. On a ainsi :

(6)

On constate que les propriétaires de la firme i choisissent un paramètre incitatif positif Ils incitent ainsi le manager à se détourner 127de la simple maximisation du profit et à tenir compte dune partie du surplus des consommateurs .

De lexpression de , il découle aussi quil existe un lien positif entre lintensité concurrentielle et linvestissement des managers dans des activités RSE ( est une fonction monotone croissante de b). En effet, lorsque la concurrence sintensifie (degré de différenciation des produits est faible), les propriétaires de la firme i ont intérêt à encourager un management en termes de RSE.

La firme qui adopte un contrat incitatif SR pousse ses managers à produire plus (quune firme qui maximise le profit) et donc à pratiquer des prix plus bas. Ce résultat sexplique par le fait que la mise en place de contrats incitatifs SR sert dengagement stratégique pour la firme qui délègue. Elle peut ainsi placer un poids positif sur le surplus des consommateurs et augmenter sa production par rapport au cas sans délégation. En réponse à cette stratégie, la firme rivale (qui ne délègue pas) baisse sa production. À léquilibre, le prix de vente fixé par la firme SR est plus faible que celui de sa concurrente. Ce résultat nest pas surprenant dans la mesure où une firme qui tient compte du surplus des consommateurs a plus de raisons de baisser son prix quune entreprise ayant pour objectif fondamental la maximisation du profit. Observons maintenant ce qui se passe lorsque le degré de substituabilité des produits augmente : les propriétaires de la firme qui délègue accordent un poids plus important à la RSE, ce qui intensifie davantage la concurrence et pousse les firmes à baisser les prix.

Les profits des deux firmes et le surplus des consommateurs sont donnés par :

(7)

La firme qui utilise un contrat incitatif SR réalise un profit plus important que celui de sa rivale.

Pour mieux cerner le caractère stratégique du contrat incitatif SR, comparons les résultats de cette section à ceux obtenus lorsquaucune firme nadopte de contrats incitatifs SR. Lorsque les propriétaires de la firme offrent à leur manager un contrat incitatif SR, ils enjoignent à ce dernier dêtre plus agressif que sil maximisait le profit (produire plus). Face à cette stratégie de la firme SR, sa rivale réagit en diminuant sa 128production. Quel que soit le degré de substituabilité des produits, les prix des deux firmes diminuent et le surplus des consommateurs augmente . La firme qui adopte le contrat SR réalise un profit plus important que dans le cas sans délégation tandis que le profit de sa rivale diminue . Ainsi, malgré la baisse des prix et la hausse des coûts liés à laugmentation de la production, lutilisation de contrats incitatifs SR permet daugmenter le profit de la firme.

Notons que les équilibres du cas (NI), où seule la firme 2 incite son manager, sont symétriques à ceux du cas (IN). Pour ces raisons, et sans perte de généralité, nous ne les présentons pas ici.

II.3. Les deux firmes incitent leur manager (le cas II)

Intéressons-nous maintenant au cas où les propriétaires des deux entreprises offrent un contrat incitatif SR à leur manager. À la troisième étape du jeu, chaque manager choisit la quantité qui maximise son utilité (expression 5).

En anticipant parfaitement ces choix de production des managers, les propriétaires des firmes choisissent à la deuxième étape, le paramètre incitatif qui maximise le profit (expression 4). On obtient le paramètre incitatif optimal :

(8)

Les enseignements de limpact de lintensité concurrentielle sur le management en terme de RSE sont identiques à ceux du cas où une seule firme incite son manager (cas IN ou NI). Les propriétaires des deux firmes ont intérêt à inciter les managers à tenir compte du surplus des consommateurs. Linvestissement des managers dans les activités RSE saccroit avec lintensité concurrentielle.

Il est important de souligner que . Ce résultat indique que les propriétaires préfèrent déléguer la gestion des firmes à des managers qui valorisent les activités sociétales afin de sengager de manière crédible à poursuivre un objectif autre que la maximisation du profit. Cependant, les propriétaires de chaque firme incitent les managers à ne pas trop simpliquer dans les activités sociétales .

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Dailleurs, la comparaison des expressions met en évidence que lengagement en termes de RSE dune entreprise est plus important lorsque son concurrent nest pas impliqué dans ce type dactivités . Lintuition associée à ce résultat est simple. Lorsque la gestion de toutes les firmes du marché est déléguée à des managers socialement responsables, les interactions concurrentielles sintensifient et les profits baissent. De ce fait, les propriétaires des firmes choisissent un niveau de RSE plus faible que celui qui prévaudrait en labsence de stratégies RSE déployées par les concurrents.

En incitant toutes les deux leurs managers, chaque firme réalise un profit et le surplus des consommateurs vaut .

Afin de déterminer limpact de lutilisation de contrats incitatifs SR, on peut comparer les résultats de cette section à ceux obtenus lorsquaucune des firmes nincite son manager (cas NN). Lorsque les propriétaires des deux firmes incitent leurs managers à tenir compte dune partie du surplus des consommateurs, la production des firmes et le surplus des consommateurs augmentent . Ce comportement agressif des deux entreprises conduit à la diminution des prix et en conséquence les profits se réduisent .

II.4. DÉcision endogène dinciter les managers

Nous étudions à présent de manière endogène la décision des propriétaires dinciter les managers. À cette étape, les profits des entreprises découlant des choix de délégation des propriétaires sont connus.

Si aucune des deux firmes nincite son manager, les firmes obtiennent un profit identique . Si les deux firmes incitent leur manager, elles réalisent aussi un profit identique, mais moins élevé par rapport au cas sans incitation managériale . Lorsquune seule des firmes incite son manager, elle obtient un profit plus élevé que celle de sa concurrente.

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Analysons maintenant les décisions des firmes selon que leur concurrent incite ou non les managers. Lorsque le concurrent dune firme nincite pas son manager, la firme a toujours intérêt à inciter le sien .

De même si le concurrent incite son manager, la firme a aussi intérêt à inciter le sien . Ainsi, quelle que soit la stratégie déployée par le concurrent (incité ou ne pas inciter), il est toujours profitable pour chaque firme dinciter son manager.

Proposition 1 : À léquilibre, les propriétaires des deux firmes ont intérêt à inciter leur manager à avoir un comportement SR.

Preuve : voir annexe 1.

Il est à noter que cette solution selon laquelle toutes les firmes ont intérêt à sengager dans des activités SR nest pas optimale. Cest en effet une solution de type dilemme du prisonnier, car les firmes obtiennent un profit inférieur à ce quil serait si les managers ne tenaient pas compte de la RSE.

III. Impact des contrats incitatifs
sur le bien-Être social

Analysons maintenant limpact de lutilisation des contrats incitatifs SR sur le bien-être social.

La fonction de bien-être social noté W, est la somme du surplus des consommateurs () et des profits des deux firmes (surplus des producteurs) :

Proposition 2 : Lutilisation de contrats incitatifs SR permet daugmenter le bien-être total de lindustrie .

Preuve : voir annexe 2.

La proposition met en évidence que lorsque les propriétaires des firmes engagent un gestionnaire qui valorise les activités sociétales, le bien-être social augmente. Pour comprendre ce résultat, nous pouvons décomposer le bien-être social entre surplus des producteurs et surplus des consommateurs. Nous avons vu que lintroduction des contrats incitatifs SR avait pour conséquence daugmenter le surplus des consommateurs 131et de baisser les profits des firmes (surplus des producteurs) par rapport au cas sans contrat incitatif. Le bien-être total de lindustrie augmente, car la hausse du surplus des consommateurs permet de compenser la baisse de profit des firmes.

Conclusion

Le modèle propose une analyse de la stratégie RSE de firmes contemporaines où il existe une séparation entre la propriété et la gestion. Les propriétaires des firmes peuvent engager des managers tout en leur offrant des contrats incitatifs socialement responsables (SR). Dans ce contexte, nous analysons les incitations optimales à donner aux managers socialement responsables.

Nous montrons que chaque propriétaire dentreprises a stratégiquement intérêt à engager un manager socialement responsable afin dobtenir un avantage concurrentiel sur le marché. En effet, la mise en place de contrats incitatifs SR est un moyen dengagement stratégique pour les propriétaires des firmes. En adoptant cette stratégie, les propriétaires enjoignent aux managers dêtre plus agressifs que sils maximisaient le profit, ce qui conduit à une hausse du niveau de production, une baisse des prix et une augmentation du surplus des consommateurs. Chaque propriétaire a individuellement intérêt à inciter son manager (à sengager dans des activités socialement responsables) si sa rivale ne le fait pas. Cependant, lorsque les deux firmes incitent leur manager, les profits sont moins élevés quen labsence de manager. Ces résultats peuvent être rapprochés de ceux de Goering (2007) et Kopel et Brand (2012), qui montrent quune firme a toujours intérêt à sengager dans la RSE lorsque son concurrent maximise le profit. Dans cette contribution, nous élargissons le cadre danalyse à un duopole où toutes les firmes ont la possibilité de sengager dans la RSE.

Un autre apport de notre article à la littérature est relatif à limpact de lintensité concurrentielle sur les stratégies RSE. Les contributions présentées ci-dessus ne tiennent pas compte de lintensité de la concurrence. Dans le cadre de notre modèle, on montre que plus la concurrence est intense, plus les managers sont incitées à déployer des stratégies RSE.

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Cet article a également permis de mettre en exergue que la RSE permet daugmenter le bien-être total de lindustrie et que ce sont les consommateurs qui en sont les principaux bénéficiaires. Ainsi, les pouvoirs publics devraient encourager lutilisation de contrats incitatifs socialement responsables.

Une des extensions à cette analyse serait danalyser le cas de la concurrence en prix. Dans les modèles dorganisation industrielle, le mode de concurrence influence les stratégies des firmes. Il serait intéressant danalyser la robustesse de nos résultats à lintroduction dun autre mode de concurrence.

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Bibliographie

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Annexe I

Preuve de la proposition 1

On recherche la meilleure réponse de la firme i à la stratégie « incite » de la firme j .

Étant donné que les deux firmes sont identiques, on a .

Ainsi,

La différence de profit est illustrée par le graphique ci-dessous.

On a ainsi si

et si .

Recherchons maintenant la meilleure réponse de la firme i à la stratégie « nincite pas » de la firme j  :

Les deux firmes étant identiques, on a

Ainsi,

On a ainsi

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Annexe II

Preuve de la proposition 2

On a

La différence de ces deux expressions nous donne :

La variation du bien-être (en fonction de b) est représentée par le graphique ci-dessous :

On a bien pour tout b > 0.

1 Pour une analyse plus détaillée des déterminants économiques de la RSE, voir Benabou et Tirole (2010) et Crifo et Forget (2015).

2 Lanalyse se fait dans un jeu de concurrence en quantité (à la Cournot).

3 Dans ce papier, nous nous focalisons sur la dimension sociale de la RSE.

4 Ce type de modélisation est assez proche des oligopoles mixtes qui sont des structures de marché dans lesquelles des entreprises privées sont en concurrence avec des entreprises détenues au moins partiellement par une autorité publique.

5 La fonction dutilité du consommateur est quadratique et strictement concave en q1, q2.