Aller au contenu

Classiques Garnier

Introduction [au dossier thématique « Coopérative, management et société »]

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Entreprise & Société
    2017 – 2, n° 2
    . varia
  • Auteur : Artis (Amélie)
  • Pages : 41 à 46
  • Revue : Entreprise & Société
  • Thème CLIL : 3312 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Économie publique, économie du travail et inégalités
  • EAN : 9782406073901
  • ISBN : 978-2-406-07390-1
  • ISSN : 2554-9626
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-07390-1.p.0041
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 22/12/2017
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
41

Introduction

Amélie Artis1

Sciences Po Grenoble

Les débats autour de lentreprise, incarnés par la polémique autour de lentreprise Uber, interpelle la notion même dentreprise. Ce dossier propose de contribuer à ce débat à partir de létude des coopératives, comme forme dentreprise spécifique et dinterroger la nature de lentreprise sous langle de la gouvernance et de la diversité institutionnelle.

Les coopératives sont des entreprises reposant sur un contrat dassociation spécifique liant des sociétaires dans le but de mettre en œuvre une activité économique répondant à leurs besoins, sans recherche de profit individuel. Cette forme organisationnelle dentreprise a émergé, sest développé et institutionnalisé au xixe siècle en Europe afin de répondre aux besoins sociaux de la société industrielle en construction.

Les coopératives ont fait lobjet de travaux académiques. Au xixe siècle, les coopératives émergent comme les réalisations concrètes des auteurs de lassociationniste utopiques comme Fourier ou Cabet. Des auteurs classiques comme Marx (1965) ou Walras (1990) proposent une vision positive sur ces initiatives, tout en les laissant à la marge de léconomie pure ou de la grande transformation politique. Charles Gide contribue à leur institutionnalisation et leur développement à limage des coopératives de consommateurs. Bien plus tard, des travaux néo classique de chercheurs américains entre 1950 et 1970, dont B. Ward (1958), Domar (1966), Vanek (1975) sintéressent à lentreprise auto-gérée et par 42extension à la coopérative. À cette époque, lanalyse porte sur la question de lefficience de la forme autogérée par rapport à la firme capitaliste autour de deux thèmes : les objectifs et lorganisation interne.

Pourtant, les approches précitées ne permettent pas de prendre en considération les spécificités des coopératives de façon plus approfondie : les notions defficience ou dopportunisme nintègrent pas les notions de valeurs, de normes ou de justice sociale ; les finalités de laction ne sont pas questionnées et les agents demeurent des individus supposés rationnels sans influence sur leur environnement. Des travaux récents (Barreto, 2010, Chevallier, 2011) critiquent le « réductionnisme » de léconomie standard qui réduit lentreprise à un simple croisement de « flux » ou une entreprise financiarisée « liquide » (Colletis, 2010). Aujourdhui, les analyses sectorielles sur les coopératives dominent : elles sattachent à comprendre les avantages et les limites du modèle coopératif dans le cadre concurrentiel. Dès lors lanalyse des coopératives se focalise sur des questionnements sectoriels en termes de performance économique et dorganisation industrielle dans lesquels les approches gestionnaire et juridique sont privilégiées. Les approches gestionnaires sattachent à comprendre les spécificités des modèles coopératifs dorganisations, par exemple dans le secteur agricole ou dans le secteur bancaire tandis que les approches juridiques questionnent lactualité des règles de droit des coopératives (nouveaux statuts, simplification, évolution). Ces approches ne permettent pas dappréhender au mieux les coopératives, et implicitement les débats autour de lentreprise et de son rôle dans la société.

Les coopératives sont des organisations spécifiques régies par des règles internes différentes des autres formes dorganisations productives (entreprise lucrative, artisanale, ou familiale). Une coopérative est un groupement de personnes qui sassocient selon un ensemble de règles communes. Issues du droit coopératif, ces règles sont communes et obligatoires à toutes les coopératives, ce sont des règles instituées au sens de Desroche : par exemple, la règle démocratique « un homme = une voix », la gestion non lucrative des excédents, le montant obligatoire des réserves impartageables, etc. Émanant des aspirations du collectif de personnes de la coopérative, certaines sont propres à chaque coopérative et inscrite de façon plus ou moins formelle dans les statuts (objet social, qualité des membres, affectation des excédents, etc.). Les coopératives sont à la fois des entreprises avec une fonction économique, 43des collectifs dacteurs sociaux associés dans une organisation formelle, et des institutions productrices de règles objectivées pouvant avoir une influence sur les rapports sociaux.

Insérées dans le marché, les coopératives sinsèrent dans un contexte institutionnel qui impose des contraintes économiques, politiques et sociales et elles sont sensibles aux phénomènes de financiarisation et de dérégulation de léconomie. Les processus de marchandisation et de concentration, à la recherche de la taille critique, se développent dans certains secteurs dactivité et affectent les coopératives. Pourtant ces processus ne sont pas sans incidences sur lévolution des coopératives en termes dactivités (rapport dusage, financement) et de gouvernance (engagement, démocratie) et saccompagnent dune reconfiguration des acteurs coopératifs et de leurs rapports avec les pouvoirs publics et les entreprises classiques.

Aujourdhui, les coopératives sont questionnées sur leur raison dexistence. Les coopératives se seraient banalisées… sous cette thèse il faut comprendre que le processus de banalisation serait synonyme dune perte didentité, de valeurs, de caractéristiques qui les définissaient comme une entreprise unique par rapport à lentreprise publique ou lentreprise par action. De ce fait, leur raison dêtre et leurs spécificités par rapport aux autres formes entrepreneuriales sont remises en question.

La thèse de la banalisation pose en creux la question de la diversité et de lhégémonie de lentreprise par actions : les coopératives ne suivent elles plus des objectifs, des règles daction différentes de lentreprise par actions, sa consœur symbole du capitalisme ? Dès lors, lhybridation, les formes alternative entre le marché et lentreprise par actions comme les coopératives, seraient des formes transitoires comme le soulevait Williamson à une époque (Ménard, 2012, 2009).

Dans ce contexte, les auteurs de ce dossier proposent danalyser les coopératives comme des institutions productrices de règles pouvant avoir une influence sur les rapports économiques par létude des modes de coordination entre acteurs (approche conventionnaliste) ainsi que par lanalyse des règles plus globales du fait de leur inscription dans leur environnement socio-économique (approche institutionnaliste). Cette réflexion fait écho aux travaux récents sur la nature de lentreprise (Baudry & Chassagnon, 2010).

44

Le choix de centrer lobservation sur des formes dentreprises spécifiques est source dinnovation dans une littérature principalement concentrée sur les entreprises qui fonctionnent plus sur des logiques hiérarchiques internes et concurrentielles internes que sur des logiques de coopération internes et externes.

Le dossier est composé de trois articles avec des apports complémentaires sur les coopératives. De façon transversale, ces articles questionnent la spécificité des coopératives dans une approche qui postule la diversité institutionnelle. Dans les trois articles, il est question de pouvoir et de démocratie dans lentreprise, questionnement fondateur des sciences économiques et de gestion, mais souvent oublié. En effet, les trois articles soulignent la fragilité dans lexercice de la démocratie dans les coopératives, poussant expliquer des processus de dégénérescence. Cependant, au-delà de ce constat, les auteurs montrent comment les coopératives renouvèlent leur système de règles, de conventions et de normes en interne comme en externe pour surmonter cette fragilité.

Larticle dAnsart, Artis et Monvoisin propose de revisiter la thèse de la banalisation dans une approche institutionnaliste qui postule la diversité des formes dentreprises. En rejet dune forme de domination de lentreprise capitaliste, lapproche par le changement institutionnel permet de montrer comment les coopératives sont des organismes vivants qui se sont adaptés au fil des siècles, en fonction des contraintes économiques et sociales. Les auteurs montrent leur rôle dans la régulation sectorielle bancaire tant dans des périodes de fort libéralisme que dans des périodes plus administrées. Ce rôle, souvent invisible, atteste de la capacité dadaptation et dinnovation des coopératives pour répondre aux besoins de leurs membres et de la communauté.

Larticle de Caire et Chevallier présente une analyse fine des sociétaires participatifs dans les grandes coopératives et mutuelles en France, ces entreprises souvent critiquées pour leur manque de démocratie, leur banalisation et leur immobilisme. Les auteurs montrent quil nexiste pas un modèle unique de participation et dexercice de la démocratie, ces derniers étant influencés par les activités de la coopérative, léchelon territorial daction et les modalités de la participation (modalités de vote, danimation de lassemblée générale par exemple). Bien que le constat atteste dun affaiblissement de la participation, létude montre 45aussi toutes les initiatives mises en œuvre par les coopératives pour y faire face et lattachement des sociétaires au modèle de la coopérative.

Larticle de Maroudas et Rizopoulos déconstruit la thèse de la dégénérescence des coopératives et montre comment dans une gouvernance élargie, possible via linscription de chaque coopérative dans des réseaux plus larges constituent une condition favorable à la pérennisation du projet de démocratie économique des coopératives.

46

Références bibliographiques

Barreto T. (2011), A theoretical Approach to Co-op Firms: Beyond Mainstream Reductionism, Annals of Public and Cooperative Economics, Vol. 82, Issue 2, p. 187-216.

Baudry B. et Chassagnon V. (2010), « The Close Relation Between Organization Theory and Oliver Williamsons Transaction Cost Economics: A Theory of the Firm Perspective », Journal of Institutional Economics, Volume 6, no 4, p. 477-503.

Bazin C. et Malet J. (2009), Économie Sociale ; Bilan de lemploi 2009, Recherches et Solidarités.

Chevallier M. (2011), Démesure de la réactivité et de lexpertise. Tempérance de la stabilité et du sens vécu. Le cas des coopératives, thèse en sciences économiques, soutenue le 16 novembre 2011, Université de Toulouse 1.

Colletis G. (2010), Intervention 23e Rencontres Jacques Cartier, 23 et 24 novembre 2010, IEP de Grenoble.

Domar E. (1966), « The Soviet Collective Farm as a Producer Cooperative », American Economic Review, vol. 56, p. 737-757.

Marx K. (1965), Œuvres, Économie, I, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade.

Ménard, C. (2009), « Oliver Williamson and the Economics of Hybrid Organizations » in Mario Morroni (éd.) Corporate Governance, Organization Design and the Firm. Cooperation and Outsourcing in the Global Economy. Cheltenham : Edward Elgar Pub. Chap. 5, p. 87-103.

Ménard, C. (2012), « Hybrid Modes of Organization. Alliances, Joint Ventures, Networks, and other “Strange” Animals » in R. Gibbons and J. Roberts, The Handbook of Organizational Economics, Princeton University Press, p. 1066-1108.

Vanek J. (1975), Self-management, economic liberation of man, Penguin.

Walras L. (1990), « Les associations populaires coopératives », in Auguste et Léon Walras, Œuvres complètes, Economica, vol. VI (recueil de textes écrits dans les années 1865-1868).

Ward B., (1958), « The Firm in Illyria: Market Syndicalism », American Economic Review, 48, 4, p. 566–568.

1 amelie.artis@iepg.fr