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Classiques Garnier

Réflexions sur la gestion de la dette Des textes fondateurs à la crise actuelle

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Entreprise & Société
    2017 – 1, n° 1
    . varia
  • Auteurs : Dupré (Denis), Visser’t (Caspar)
  • Résumé : Le rapport créancier-débiteur est historiquement source de nombreux conflits. Les textes anciens, du code d’Hammourabi aux textes de l’Ancien Testament, rapportent des tentatives de pacification de ces relations et tentent de proposer des principes de bonne conduite. Ces textes peuvent-ils encore nous aider dans une finance moderne ? L’emprunteur est aujourd’hui un particulier, une entreprise, État. Lors de mauvaise fortune du débiteur, comment définir les bonnes pratiques modernes de ce rapport créancier-débiteur ?
  • Pages : 223 à 243
  • Revue : Entreprise & Société
  • Thème CLIL : 3312 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Économie publique, économie du travail et inégalités
  • EAN : 9782406068426
  • ISBN : 978-2-406-06842-6
  • ISSN : 2554-9626
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-06842-6.p.0223
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 10/03/2017
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
  • Mots-clés : Dette, Jubilé, créancier, débiteur, Hammourabi, Bible, Ancien Testament
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Réflexions sur la gestion
de la dette

Des textes fondateurs à la crise actuelle1

Denis Dupré
et Caspar Vissert

Introduction

Le cycle dette-violence

La dette est un rapport, une relation, un face-à-face entre créancier et débiteur. Mais lexigence éthique nest pas une nécessité ontologique. Cependant léthique peut poindre du face-à-face. Pour léviter, des intermédiaires, comme les huissiers par exemple ou les modernes financiers gestionnaires de « fonds vautours », font souvent la besogne dexiger la dette pour éviter au créancier une confrontation directe avec son débiteur car « voir un visage, cest déjà entendre : “Tu ne tueras point.” » [Levinas E. (1963), p. 21]. Sur cette question, que nous apprennent les sagesses véhiculées par les textes fondateurs ?

La monnaie est apparue, il y a 5000 ans en Mésopotamie, comme une monnaie dette, sur des « tablettes dargile où lon inscrivait une obligation de paiement futur, puis que lon scellait à lintérieur denveloppes dargiles marquées du sceau de lemprunteur. Le créancier conservait lenveloppe 224en garantie ; au moment du remboursement, on louvrait en brisant le sceau. » [Graeber D. (2013), p. 263]. Ainsi ces tablettes, reconnaissances de dette, ont circulé, devenant instrument négociable et monnaie. La « dette » devient monnaie du fait que le débiteur accepte que sa dette soit réclamée ultérieurement par toute autre personne que son premier créancier. La monnaie aujourdhui est à 90 % de la dette fabriquée, selon ce vieux principe, par les banques privées. Cela étonne toujours car on pense que la banque compte sur nos dépôts pour prêter de largent – les dépôts font les crédits – : ce nest vrai que dans 1 cas sur 10. Dans les autres cas – les crédits font les dépôts – la banque dit à son client : « Je vous prête 100 et je les dépose sur un compte de dépôt. Vous pouvez utiliser un chéquier, plus pratique quun billet, qui permet de payer nimporte qui pour des montants jusquà 100 ». Le pouvoir de dépenser 100 vient ainsi dêtre créé ex-nihilo. Le banquier court un risque. Si tous les clients venaient demander largent inscrit sur leur compte en billets, la banque ne pourrait en honorer que 5 %. Elle se tournerait vers la Banque Centrale qui, pour ne pas reproduire le mécanisme de la crise de liquidité de 1929, lui fournirait les billets quitte à les fabriquer. Réfléchir sur la monnaie cest donc réfléchir sur la dette, sur les dettes [Aglietta M. & al., (2016)]

Dans cette réflexion, nous voulons suivre deux pistes. Dune part, différencier les emprunteurs : les particuliers, les entreprises (prêts commerciaux) et les États. Dautre part, nous interroger sur les buts avoués ou inavoués du créancier : un but daide ou un but de domination, et ceci que lemprunteur soit un particulier, une entreprise ou un État.

Particuliers

Entreprises

États

Empathie du créancier

Le crédit est consenti tout dabord pour « aider ».

Le créancier remet éventuelle une partie de la dette en cas de mauvaise fortune pour le débiteur.

Le crédit est réalisé pour partager les éventuels profits avec celui qui apporte son travail

Un taux majoré prend en compte le risque de faillite. Le crédit est en adéquation avec les possibilités futures de remboursement de lÉtat. Une remise dune partie de la dette assure à létat un service minimal des citoyens

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Égoïsme du créancier

Le crédit est consenti tout dabord pour « senrichir ».

Si le remboursement ne le permet pas, la saisie des biens et lesclavage sont les alternatives

Le crédit est réalisé en exigeant un taux fixe indépendant des profits générés par lactivité.

Larrêt de lactivité par la faillite est exigé lorsque ce taux de rendement nest pas atteint

Un taux majoré prend en compte le risque de faillite.

Le crédit peut dépasser les possibilités futures de remboursement de lÉtat. Il ny a pas de remise de dette mais privatisation des biens communs et suppression des dépenses de létat pour rembourser les créanciers

Des anciens textes de la culture occidentale qui fondent encore notre vie en société et nos échanges nous serviront de repères ou nous permettront dillustrer ces classifications.

I. Les dettes des particuliers

Juste remboursement sans esclavage

Tout homme est un être déchanges, de besoins mais aussi de désirs. Un prêt à un particulier peut être motivé par une aide ; le créancier aide son voisin.

Ainsi dans la Bible, le créancier apporte laide à limage de son Dieu qui a aidé son peuple à sortir de lesclavage en Égypte :

Car ce sont mes serviteurs, que jai fait sortir du pays dÉgypte ; ils ne seront point vendus comme on vend des esclaves. [] Si ton frère devient pauvre, et que sa main fléchisse près de toi, tu le soutiendras ; tu feras de même pour celui qui est étranger et qui demeure dans le pays, afin quil vive avec toi. [Lévitique 25, v42 et 35].

Des règles éthiques au sens du bien vivre ensemble qui assurent la sécurité pour tous :

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Mettez mes lois en pratique, observez mes ordonnances et mettez-les en pratique, et vous habiterez en sécurité dans le pays [Lévitique 25, v18].

Selon le Coran, laccès au Paradis va dépendre des bonnes actions pour aider ses frères en difficulté. Le danger de laccumulation des richesses, dont le prêt est une possibilité, éloigne de Dieu. La nécessité impérieuse daider les plus pauvres va structurer la société. Ces commandements proviennent directement de la Sourate LXIV du Jugement Dernier du Coran :

15. Vos richesses et vos enfants sont votre tentation pendant que Dieu tient en réserve une récompense magnifique. 16. Craignez Dieu de toutes vos forces ; écoutez, obéissez, faites laumône (sadaqa) dans votre propre intérêt. Celui qui se tient en garde contre son avarice sera heureux.

Le créancier ne fait pas un don et il veut être remboursé parce quil aura peut-être besoin de cet argent ou parce quun tiers pourrait aussi avoir besoin de son aide ultérieurement. Il nest pas question dintérêt, mais le remboursement de la dette va de soi, sauf si le débiteur ne le peut pas. Dans ce cas lemprunteur, sil ne peut rembourser, aura un sentiment de culpabilité2. Parallèlement, lautonomie du sujet moral créancier permet à ce dernier dêtre responsable devant son choix dexiger la dette ou de remettre cette dette en cas de mauvaise fortune du débiteur car

lautonomie de la volonté est lunique fondement dune morale authentique, un impératif catégorique qui ne commande rien dautre que cette autonomie. Le sujet moral kantien est ainsi défini par la suffisance dune raison qui a le pouvoir de donner la loi. La raison fondatrice de la loi morale permet de faire léconomie de toute autorité extérieure. [Sarthou-Lajus N. (1997), p. 43].

Mais les prêts aux particuliers peuvent être aussi motivés par le désir du créancier de posséder tous les biens de lemprunteur. Il devient alors créancier asocial, sous une forme bien particulière daffirmation de la volonté de puissance, à la façon du surhomme de Nietzsche. 

Les règles et les lois doivent se multiplier pour éviter les dérives de la cupidité sans limite que permet la dette. Alors que je ne pouvais pas empiler la nourriture pour des années parce quelle est périssable et difficile à conserver, je peux maintenant rêver dendetter le plus possible de voisins pour les mettre à mon service comme esclaves ou confisquer leurs propriétés.

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Lesclavage pour dette est au service dun individu. Il est différent de lesclavage lié à la guerre qui est au service de létat victorieux en lui donnant un moyen de financer la guerre et daugmenter la force de travail de la cité. Lesclavage pour dette affaiblit lÉtat au profit de personnes privées dont la puissance concurrence lÉtat lui-même :

Linstitution de lesclavage permet déjà au riche de devenir un maître, elle lui permet de commander à certains hommes ; lesclavage pour dettes fait plus, permettant au riche de réduire à sa merci, outre des étrangers dorigine captive ou achetés, les membres mêmes de sa propre communauté, les plus pauvres ou les plus faibles. [] Le sujet du Roi ou le citoyen dune cité, sil tombe en esclavage, nest plus ni sujet ni citoyen. Lesclave na quun seul maître. Il ne paye pas dimpôts et ne doit pas le service militaire. À chaque fois quun homme libre est réduit en esclavage, le pouvoir y perd une source de revenu fiscal et un soldat. Lesclavage pour dettes et la vente, de soi ou dapparentés, en esclavage sont en eux-mêmes une cause daffaiblissement du pouvoir central. []Les États, dans leur majorité, nont pas permis que les membres libres de la communauté puissent être réduits en esclavage et ainsi soustraits à leur autorité.[Testart A. (2000), p. 609].

Pour tenter denrayer la mise en esclavage en Mésopotamie il y a 4000 ans, les ordonnances royales pour libérer les endettés se sont succédées. Le plus vieux texte de loi du monde, le Code de Hammurabi – datant de 3800 ans – énonce des limites claires pour empêcher que les créanciers saisissent les moyens dautonomie de leurs débiteurs :

Le créancier ne peut prendre de lorge dans la maison du débiteur sans son consentement (art. 113), pas plus quil ne peut saisir un bœuf (art. 241), ce qui implique que lon ne peut prendre ni ses moyens de travail, ni ceux de sa survie. Le créancier peut seulement saisir une personne, le débiteur peut-être, en tout cas sa femme, ses enfants ou un de ses esclaves (art. 115 sq.). Il est clair que, sauf bien sûr le dernier, ces gens ne sont pas dans la condition desclave : non seulement parce quils seront automatiquement libérés au bout de trois ans, comme le dit larticle 117, mais aussi parce que, sils meurent dans la maison du créancier en raison de mauvais traitements quil leur aura infligés, le créancier le paiera de la mort dun des siens, de la mort de son fils si cest le fils du débiteur qui est mort (art. 116). (Ib)

Les prescriptions des Hébreux relatives à la dette permettent, il est vrai, que lendetté originaire « des nations étrangères » puisse être asservi à tout jamais, acheté et possédé en toute propriété, transmis en héritage 228[Lévitique 25, v44-46)] Mais les « fils dIsraël » sont, comme les sujets du roi dHammourabi, traités comme des « frères » :

Si ton frère devient pauvre près de toi, et quil se vende à toi, tu ne lui imposeras point le travail dun esclave. [] Il sera chez toi comme un mercenaire, comme celui qui y demeure ; il sera à ton service jusquà lannée du jubilé. [] Il sortira alors de chez toi, lui et ses enfants avec lui, et il retournera dans sa famille, dans la propriété de ses pères. [] Tu ne domineras point sur lui avec dureté, et tu craindras ton Dieu.[Lévitique 25. 39-41 et 43].

Pour laisser les moyens de lautonomie future au débiteur, il ne faut toucher ni à sa nourriture de tous les jours ni à son outil de travail qui lui permet de vivre. Ainsi la terre ne se vend pas, car elle appartient à la famille et sa descendance. Seules sont vendues les récoltes et seulement jusquau jubilé :

Les terres ne se vendront point à perpétuité ; car le pays est à moi, car vous êtes chez moi comme étrangers et comme habitants. []Plus il y aura dannées, plus tu élèveras le prix ; et moins il y aura dannées, plus tu le réduiras ; car cest le nombre des récoltes quil te vend.[Lévitique 25, v15 et 23].

Ainsi il faut limiter le poids de la misère du débiteur en le libérant par le jubilé et en ne profitant pas du rapport de force :

Et vous sanctifierez la cinquantième année, vous publierez la liberté dans le pays pour tous ses habitants : ce sera pour vous le jubilé ; chacun de vous retournera dans sa propriété, et chacun de vous retournera dans sa famille. [] Tu ne tireras de lui ni intérêt ni usure, tu craindras ton Dieu, et ton frère vivra avec toi.[Lévitique 25, v10-36].

Cette règle du jubilé a fait couler beaucoup dencre. Les exégètes de la Bible et les historiens se demandent si cette règle a pu être appliquée dans la réalité. Il existe un large consensus parmi les spécialistes de lAncien Testament pour dire que les livres de la Tora (parmi lesquels figure le livre du Lévitique) ont été rédigés à lépoque Perse, cest-à-dire entre 520 et 330. La société juive, vivant en Judée – province de lempire Perse – était déjà trop complexe pour quune application à la lettre de lensemble des lois contenues dans la Tora pût être envisagée. Soit on actualisait ces lois par un travail continu de formulation de commentaires, soit on les considérait comme des orientations plus générales pour la vie en commun, dont il sagissait de dégager lesprit. Or, pour ce qui concerne la règle du 229jubilé, il existe un texte qui suggère quelle a pu être appliquée dans les faits au moins une fois. Il sagit dun passage dans livre de Néhémie, à savoir le chapitre 5. Si ce livre comporte des parties dont lauthenticité nest pas toujours assurée, les spécialistes sont daccord pour affirmer que le chapitre 5, qui fait partie de ce quon appelle « le mémoire de Néhémie », est un témoignage authentique de la situation politique évoquée. Face à la misère du peuple, Néhémie qui, au milieu du 4e siècle avant JC, avait été nommé gouverneur de la province de Judée, en appelle aux riches propriétaires pour quils remettent à leurs débiteurs leurs dettes :

Remettons-leur donc cette dette. Rendez-leur aujourdhui même leurs champs, leurs vignes, leurs oliviers et leur maisons, et remettez-leur la part de largent, du blé, du vin et de lhuile que vous avez exigée comme intérêt [Néhémie 5, 11 – 12].

Applique-t-il le règle du jubilé ou sagit-il dune mesure unique inspirée par du simple bon sens ? Dans la suite, au chapitre 10, Néhémie fait état dune série dengagements pris par le peuple, et cela sous son impulsion. Ces engagements concernent les lois contenues dans la Tora parmi lesquelles la règle du jubilé :

… le septième jour, nous ferons relâche et remise de dettes de toutes sortes. [Néhémie 10, 32].

Il est donc plus que probable que la mesure de remise de dettes appliquée par Néhémie ait été inspirée de façon directe par cette règle du jubilé. Il est important de le souligner puisque cela montre que le jubilé est de lordre du réalisable.

Dans lhistoire de lÉglise, et notamment celle de lÉglise catholique, lidée du jubilé sest certes conservée, mais sous une forme spiritualisée. Les dettes remises – par Dieu par le moyen de lÉglise – nétaient pas des dettes dargent ou de biens, mais des péchés. Dailleurs, une contrepartie était généralement exigée (un pèlerinage, un don en argent…). Il est clair que ceci na plus grand-chose à voir avec le geste de Néhémie. Pour les Chrétiens, les lois de la Tora continuent à avoir une force dinterpellation. Cest sy dérober que daffirmer trop rapidement quelles sont, soit dépassées, soit à ne prendre quau figuré. Il serait temps de voir comment cette règle du jubilé, bien comprise, peut inspirer nos politiques daujourdhui.

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II. Les dettes des entreprises et commerçants

Juste partage des profits sans taux fixe

Pour être équitable, lintérêt de la dette doit correspondre à un partage des profits. Cependant il ne peut parfois pas sexercer par léloignement des acteurs commerciaux :

Les administrateurs des palais et des temples et les marchands aventuriers qui parcouraient le monde avaient peu de points communs, et les premiers avaient conclu, semble-t-il, quon ne pouvait pas attendre dun marchand rentré de terres lointaines quil soit totalement honnête au sujet de ses aventures[Graber D. (2013), p. 264].

Cest par manque de confiance que les prêts commerciaux introduisent alors le taux dintérêt avec un rendement fixé davance.

La pratique contemporaine des prêts commerciaux, non seulement ne se base plus sur un partage des profits et pertes, mais définit un taux dintérêt fixe qui ne prend pas en compte lévolution de la valeur des biens (inflation). Ce taux fixe, qui nest pas partage des profits, est celui que la finance islamique interdit car la dette, envisagée comme un lien qui unit, devient un lien qui étrangle. Ainsi la finance islamiste pratique théoriquement tout autre chose avec des emprunts liés à lactivité de lentreprise, tels quau cas où lactivité disparait, si lentrepreneur perd son travail, le créancier perd son argent.

Ce principe du taux fixe est non seulement injuste mais mauvais pour léconomie. Prenons un prêt à un taux fixe de 10 % dintérêt dans un contexte où linflation est à 8 % ? Si linflation passe à 1 % cest le débiteur qui est étranglé, alors que si linflation passe à 20 %, cest le créancier qui est spolié. Maurice Allais, prix Nobel, souligne linstabilité et liniquité dun tel taux fixe et propose lindexation des engagements sur lavenir sur le niveau général des prix :

le refus de lindexation ne peut avoir dautre signification que linstitutionnalisation du vol. Si, par contre, il y a déflation la situation est inversée, et ce sont les débiteurs qui sont spoliés et les créanciers qui sont indûment avantagés. La situation reste tout aussi inique [Allais M. (1990), p. 64].

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De plus, actuellement, les règles de droit qui fixent larrêt de lactivité dune entreprise en difficulté aggravent les dégâts provoqués par la dette à taux fixe3.

La conséquence de cette intransigeance de maintenir des intérêts fixes, hors de proportion et de justice, dans un contexte de crise, est la liquidation systématique de lentreprise. Entreprise qui reporte immanquablement le « risque final » sur les salariés. De plus, cette logique peut favoriser un risque systémique qui entrainera en cascade, par la simple faillite dune entreprise saine à laquelle on retire les capitaux nécessaires à son fonctionnement, toute une économie performante par ailleurs.

Il est aisé de constater que si lexcès de dette est nuisible pour lintérêt général de léconomie, ce même excès de dette est pourtant « la perle rare » recherché par les actionnaires pour fabriquer des rendements élevés. Nous constatons dans ce système à taux fixe quen période dexpansion économique de la société, les créanciers de lentreprise ne touchent quune partie du bénéfice que rapporte à lentreprise linvestissement de la somme apportée. Mais dans une logique purement financière, plus il y a de dettes, meilleur est le rendement pour les actionnaires, car la somme affectée au remboursement de la dette est constante, quel que soit le taux dinflation. Cest ainsi que ce système, piloté par des financiers, oblige les gestionnaires dentreprise à endetter lentreprise.

Le problème créé par les dettes est fabriqué par un mécanisme financier qui sépare la responsabilité des créanciers de celle des actionnaires. Car, plus la dette est forte, plus le rendement pour les actionnaires est grand, cest leffet de levier (cf. exemple supra).

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III. Les dettes des États

Légitimes pour lintérêt général de la collectivité

Pourquoi un État sendettait-il hier ? Pourquoi sendette-t-il aujourdhui ? À qui profite lemprunt ?

La dette des États est une monnaie qui séchange. La dette des États provient souvent de la guerre et conduit à la guerre. Lhistoire a montré comment rois et tyrans sendettaient pour mener des guerres. De la réussite de celles-ci dépendait le remboursement des créanciers ou leur traque, comme dans le cas des Templiers ou des Juifs au Moyen-âge en France. Au Moyen-âge, les riches marchands et banquiers des cités italiennes telles Venise ou Florence érigeaient un système de dette publique pour payer les mercenaires des conflits incessants entre les cités. En France, Saint Louis fut le premier à endetter lourdement lÉtat. Philippe le Bel est connu aussi pour avoir persécuté les Juifs et les Templiers non seulement pour ne pas payer sa dette, mais pour mettre la main sur les biens de ses créanciers.

À partir dun certain niveau de dette, celle-ci devient incontrôlable. En 1797, le Directoire dut se résoudre à une banqueroute dite « des deux tiers » garantissant le paiement dune rente réglée « rubis sur longle » pour le tiers restant.

Dautres chemins soffrent aux politiques : ne pas rembourser la dette, émettre de la monnaie, faire des économies, trouver des ressources supplémentaires avec les guerres ou les colonies. Ainsi la guerre est lorigine et la conséquence de la dette des États.

Noami Klein fait état – dans son livre « la Stratégie du choc » –dune stratégie de dette orchestrée par les institutions internationales contrôlées par lÉtat américain :

confrontés aux chocs à répétition des années 80, les pays endettés navaient dautre choix que de sadresser à la Banque mondiale et au FMI. Ils se heurtaient alors au mur dorthodoxie dressé par les Chicago Boys qui, en raison de leur formation, voyaient les catastrophes moins comme des problèmes à régler que comme de précieuses occasions quil fallait saisir au vol afin douvrir de nouveaux territoires au libre-marché [Klein N. (2008), p. 252].

Avec la crise de la dette grecque, loffensive de dépossession par les créanciers des biens communs du peuple grec a été des plus brutales : elle 233a exigé la privatisation des entreprises publiques, des ports et aéroports, la mise sur le marché des terres, jusquaux îles et des biens immobiliers. Les entrepreneurs et personnels politiques, qui se sont enrichis des contrats militaires ou de travaux publics, permis par lendettement, bien souvent avec dimportantes surfacturations, ont eu le temps de cacher leur fortune dans les paradis fiscaux, notamment dans les banques suisses, allemandes et françaises. Les classes moyennes grecques paient la facture par leur transformation en classe pauvre. Le même schéma est à prévoir pour dautres États européens. Or selon larticle 103 de la charte de lONU,

le respect et lapplication des droits humains, tels quils sont reconnus par les différentes conventions internationales, priment sur les autres engagements pris par les États, parmi lesquels le remboursement des dettes et lapplication des programmes daustérité [Millet D. et Toussaint É. (2012), p. 141].

Les États pourraient parfois payer les intérêts de leurs dettes non pas en faisant violence mais en levant limpôt. Encore faudrait-il quils luttent contre la fraude fiscale et les paradis fiscaux.

Mais la dette des États, cest aussi la paresse de consommer sans produire. Une paresse que Keynes avait pensé après-guerre en inventant un système déquilibrage des balances commerciales par les cours entre les devises (système Bancor). Ainsi, lorsquune balance commerciale dun pays était trop déficitaire, automatiquement le cours de change de cette monnaie baissait par rapport aux autres monnaies, si bien quil vendait plus alors et quil importait moins puisque les biens venant de létranger apparaissaient alors plus chers. Ce projet de système monétaire a été refusé au profit du système dollar qui permit dassurer alors la suprématie dun seul pays, les États-Unis.

Lessentiel de ce que nous consommons en Europe et aux États-Unis est produit par les pays asiatiques, avec des travailleurs soumis à des conditions de vie proches de celles des esclaves antiques, sans que nous ne nous en soyons émus pendant des décennies lorsque nous achetions nos habits et souliers à « prix bas ». Or, la dette dun État, cest aussi la conséquence du déséquilibre de la balance commerciale. En effet, la dette saccumule quand on ne produit plus autant quon consomme.

Il faudrait donc, soit produire plus, soit consommer moins (ce qui permettrait aussi dêtre en accord avec nos enjeux écologiques). Sans 234cela, la dette sallonge comme le nez de Pinocchio quand il ment. Lemprunteur-Pinocchio promet « un jour, je fabriquerai et te rembourserai » et il donne un papier représentant cette promesse : un bon du trésor. Mais au bout de 10 fois, le créancier ne le croit plus, il exige « tu me rembourses ; quas-tu ? Tout est à moi désormais ». Sauf si le débiteur reste fort militairement. Ainsi, la Chine continue à être lusine du monde, achetant les matières premières et sa nourriture en Afrique et Amérique du sud, pendant que les États-Unis et lEurope se permettent de consommer en sendettant. Mais elle naccepte plus les promesses des emprunteurs Pinocchio.

IV. Les dettes en 2015

Déséquilibres et (esquisses de) solutions

Il faut remarquer que, dans les périodes deuphorie en haut de cycle économique, la prudence des créanciers comme celle des emprunteurs sémousse :

Le succès pousse à linsouciance quant à la possibilité derreur ; labsence de sérieuses difficultés financières durant une longue période conduit au développement dune économie euphorique dans laquelle les financements à court terme de positions longues deviennent un mode de vie normal [Minsky H.P (1986), p. 213].

Dans les schémas traditionnels, la dette est remboursée par les flux monétaires des revenus de lentreprise ou la vente dune partie des actifs. Léconomiste Minsky montre quun nouveau type de dette se développe, quil nomme la « dette Ponzi4 ». Le remboursement de la dette nécessite soit que les actifs eux-mêmes prennent de la valeur pour pouvoir rembourser la dette, soit quun nouvel emprunt soit réalisé pour la rembourser.

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Sil ny a ni remise de dette, ni contrôle de lendettement, les crises de dette sont inévitables. Le tableau ci-dessous présente la dette des ménages, des entreprises et des États par rapport à la production de richesse du pays. On saperçoit que dès lan 2000 ce ratio aux États-Unis atteignait celui de la crise de 1929.

Fig. 1 – Accumulation des dettes des ménages, des entreprises
et de lÉtat américain par rapport au PIB de 1929 à 2008.
Source : Morgan Stanley.

Cest ainsi que lexcès de confiance dans lavenir de léconomie et laccumulation de dette conduisent à la crise.

Revenons à la typologie proposée selon que le créancier a de lempathie ou non pour le débiteur. Dans le cas où il nen a pas, si ses débiteurs ont peu de richesses et beaucoup de dettes, les violences sont proches, avec lesclavage et la saisie des biens. Il est intéressant de regarder ce qui se passe globalement aujourdhui et les ordres de grandeur des dettes. Nous sommes conduits à nous poser trois questions.

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Première question : Combien dacteurs, dans le monde, ont plus de dettes que de valeurs de tous leurs actifs ?

Il ny a pas de statistiques disponibles sur cette question et nous avons dû faire des estimations que nous donnons dans le tableau ci-après.

Particuliers

Entreprises

Finance

États

Dettesi

40 000

56 000

45 000

58 000

Stock de richesses par type dactifs

Capitalisation boursière mondiale cotée (Bloomberg) = 60 000

Matières premières : nc

Immobilier = 180 000ii.

Ensemble des terres cultivables < 15 000iii

Stock de richesses par type de détenteur

Richesse globale mondiale des États : 75 000iv

Richesse globale mondiale des institutions : nc

Richesse globale mondiale des patrimoines personnelsv : 263 000 (moyenne par adulte : 56 000 dollars).

Inégalités des stocks de richesses

1 % de la population adulte détient 126 000

10 % de la population adulte détient 228 000

50 % de la population adulte (en dessous du seuil de 3650 dollars) en détient moins de 580

Flux de richesses

PIB mondiale = 78 000 (source CIA)

Inégalités des flux de richesses

La part du centile supérieur des revenus dans lOCDE est passée de 6,5 % en 1981 à 9,7 % en 2012vi

Le nombre de personnes sous le seuil dextrême pauvreté (1,25 dollar par jour et par personne) sest réduit de 1,9 à 1 milliard entre 1981 et 2011 (Banque mondiale)

i. En 2014, la dette des pays et des entreprises, selon la Banque des règlements internationaux, atteint 100 000 milliards de dollars. Lhorloge mondiale de la dette publique donnée par The Economist atteint 50 000 milliards. Avec celle des ménages, selon McKinsey Global Institute, elle atteint 200 000 milliards de dollars soit 286 % du PIB mondial.

ii. http://pdf.euro.savills.co.uk/residential---other/private-wealth.pdf.

iii. Les terres cultivables représentent 22 % des terres émergées, soit 3 278 millions dhectares, la moitié est cultivée. À 5000 euros lhectare (prix français), cela représenterait 15 000 milliards.

iv. « The Public Wealth of Nations », Dag Detter and Stefan Fölster, Palgrave Macmillan, 2015, 230 p.

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v. En 2014, La richesse globale mondiale des patrimoines personnels selon le global Wealth report de Crédit Suisse atteint 263 000 milliards de dollars et 1 % de la population riche en détient la moitié. 67 personnes détiennent autant que 3 milliards des plus pauvres. Le patrimoine personnel est somme des biens financiers (actions et obligations) et non-financiers (immobilier notamment) détenus par les adultes là où ils résident, moins leurs dettes éventuelles.

vi. Focus on Top Incomes taxation in OECD countries : Figures and Data (April 2014), site de lOCDE consulté le 5 juillet 2015.

Fig. 1 – Dettes, actifs et revenus des particuliers,
des entreprises et des États en 2014 (en milliards de dollars).

De fait, on ne sait pas qui doit à qui. Les dettes des entreprises et de la finance sont en partie intégrées dans la capitalisation boursière mondiale et dans la richesse globale des patrimoines qui détiennent les créances. Mais combien de particuliers ont des dettes qui dépassent leurs actifs et combien détat ont eux aussi des dettes dépassant leurs actifs ? Ces données ne semblent pas disponibles ni en nombre ni en montant. En revanche, tout montre que les inégalités augmentent, poussant les uns vers une concentration des richesses et les autres vers des dettes [Piketty T. (2013)].

Deuxième question : Pourquoi les dettes semblent-elles croître sans limite ?

En partie parce que les créanciers qui détiennent déjà les actifs, sont parfois emprunteurs eux-mêmes pour pouvoir investir davantage. Nos sociétés semblent également admettre une opacité des circuits de largent telle que lévaluation de la richesse effective des créanciers est rendue impossible.

En partie parce que rien nempêche le créancier daugmenter la dette avec le taux dintérêt quil veut, puisque plus aucun autre créancier ne souhaite prêter au débiteur insolvable. Le cas de la Grèce lorsque les taux ont flirté avec les 50 % dintérêt par an en est un exemple.

Pourtant, il ne faut pas oublier quun taux dintérêt est élevé parce quil sous-entend que le créancier a un pourcentage de chance faible de percevoir sa créance et quil accepte ce fait. Il est donc légitime de ne pas payer intégralement une dette consentie à un taux dintérêt élevé lorsque son service devient hors des capacités de remboursement du débiteur.

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Troisième question : En réfléchissant au cas de la Grèce, on peut également se demander pourquoi des créanciers exigent des engagements sans mesure avec la « finitude » de ce pays et de ses ressources.

Nous proposons trois principes éclairés par les sagesses millénaires pour traiter la question de la relation juste entre débiteur et créancier.

Concernant la dette des particuliers, il faut donner à chacun la possibilité de repartir libre. Cest la remise de dette par la faillite personnelle. Lesclavage et le droit romain primitif prévoyait lexécution du débiteur. La pratique envers le débiteur insolvable sest adoucie avec la pratique légale de « venditio bonorum » qui consistait à la vente des biens du débiteur et sa perte du droit de vote. Léconomie moderne pour se développer a eu besoin de redonner « une chance » à lentrepreneur malchanceux de recréer une activité. Ainsi, la crise financière des années 1790 aux États-Unis engendra la première loi relative au droit de la faillite en 1800, abrogée en 1803. Linitiative commerciale, indispensable pour assurer lessor économique du pays conduisit alors à accorder au débiteur un nouveau départ en cas de déconfiture, ou « fresh start ». Le Bankruptcy Act de 1978, qui prolonge celui de 1898 et constitue le Titre 11 du Code fédéral des États-Unis, permet la faillite personnelle. Cest cette faillite personnelle qui correspond à un Jubilé permanent.

Concernant la dette des entreprises, il convient de partager le profit entre le créancier et lentrepreneur ; ici les principes de la finance islamique sont des principes de justice et defficacité économique. Il convient de limiter ou bannir lendettement à taux fixe en remplaçant le créancier par un actionnaire stable sur une longue durée évitant ainsi le déclanchement inefficace économiquement de la procédure de faillite. Cette pratique apportera une robustesse accrue des entreprises dans les périodes difficiles.

Concernant la dette des États, il est nécessaire détablir un nouveau code dHammourabi mondial pour respecter lÉtat créancier. Il comprendra de nouvelles règles permettant aux États débiteurs dassurer leur souveraineté et la dignité de leurs citoyens. Nous voyons comment les États excédentaires, tel la Chine avec son fonds souverain de 4000 milliards de dollars ou les Pays du Golfe vivant de la rente pétrolière, achètent les terres cultivables, leau, lénergie : tout ce qui devient des raretés. Il conviendrait, pour protéger les biens communs et ce qui 239permet aux peuples la survie et le travail, de ne payer dans certains cas que partiellement les dettes. Ceci passerait par une constitution protégeant les biens communs et interdisant leurs ventes en sinspirant des tentatives de lIslande ou de pays sud-américains. Il faudrait aussi que chaque État équilibre production et consommation dans le respect des contraintes écologiques. Sauf à accepter la disparition des classes moyennes, il faudrait enfin limiter lenrichissement actuel exponentiel des très riches constaté aujourdhui par léconomiste Piketty (2013).

Conclusion

La réponse à la question de la relation juste entre débiteur et créancier est donnée par le vieux code dHammourabi : il faut laisser laccès à la nourriture et à ce qui permet le travail du débiteur pour rembourser sa dette. Si les créanciers ne cèdent pas, il faut imposer, démocratiquement, par le nombre, la protection de nos biens communs et de nos moyens de travail. Il faut honorer le créancier de tout ce quil est possible de donner en vivant chichement, mais, quand bien même nous serions responsables de notre surendettement, limiter cette frugalité dans le temps pour pouvoir repartir et réinvestir nos vies et nos activités, et par principe libérer nos enfants de nos dettes.

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Annexe

Textes bibliques sur la dette

Lévitique 25, v8 : « LÉternel parla à Moïse sur la montagne de Sinaï, et dit :

25

v8

Tu compteras sept sabbats dannées, sept fois sept années, et les jours de ces sept sabbats dannées feront quarante-neuf ans.

25

v9

Le dixième jour du septième mois, tu feras retentir les sons éclatants de la trompette ; le jour des expiations, vous sonnerez de la trompette dans tout votre pays.

25

v10

Et vous sanctifierez la cinquantième année, vous publierez la liberté dans le pays pour tous ses habitants : ce sera pour vous le jubilé ; chacun de vous retournera dans sa propriété, et chacun de vous retournera dans sa famille.

25

v13

Dans cette année de jubilé, chacun de vous retournera dans sa propriété.

25

v14

Si vous vendez à votre prochain, ou si vous achetez de votre prochain, quaucun de vous ne trompe son frère.

25

v23

Les terres ne se vendront point à perpétuité ; car le pays est à moi, car vous êtes chez moi comme étrangers et comme habitants.

25

v35

Si ton frère devient pauvre, et que sa main fléchisse près de toi, tu le soutiendras ; tu feras de même pour celui qui est étranger et qui demeure dans le pays, afin quil vive avec toi.

25

v36

Tu ne tireras de lui ni intérêt ni usure, tu craindras ton Dieu, et ton frère vivra avec toi.

25

v37

Tu ne lui prêteras point ton argent à intérêt, et tu ne lui prêteras point tes vivres à usure.

25

v39

Si ton frère devient pauvre près de toi, et quil se vende à toi, tu ne lui imposeras point le travail dun esclave.

25

v40

Il sera chez toi comme un mercenaire, comme celui qui y demeure ; il sera à ton service jusquà lannée du jubilé.

25

v41

Il sortira alors de chez toi, lui et ses enfants avec lui, et il retournera dans sa famille, dans la propriété de ses pères.

241

Deutéronome 15

Tous les sept ans, vous remettrez les dettes. 2 Voici ce qui concerne cette remise des dettes : lorsque lannée de la remise aura été proclamée en lhonneur de lÉternel, tout créancier remettra la dette contractée envers lui par son prochain, qui est son compatriote, sans rien exiger de lui. 3 Vous pourrez exiger des étrangers le remboursement de leurs dettes, mais vous annulerez les dettes de vos compatriotes envers vous. 4 En fait, il ne doit pas y avoir de pauvres parmi vous, car lÉternel votre Dieu veut vous combler de bénédictions dans le pays quil vous donne comme patrimoine foncier pour que vous en preniez possession 5 à condition toutefois que vous lécoutiez pour obéir à tous les commandements que je vous transmets aujourdhui et pour les appliquer, 6 car lÉternel votre Dieu vous bénira comme il vous la promis. Alors vous prêterez de largent à beaucoup de nations étrangères, sans jamais avoir besoin demprunter. En effet, vous dominerez beaucoup de nations, et aucune ne vous dominera.

Deutéronome 23

20 Lorsque tu prêteras de largent, des vivres ou toute autre chose à un compatriote, vous nexigerez pas dintérêt de sa part. 21 Vous pouvez exiger des intérêts lorsque vous faites un prêt à un étranger, mais vous ne prêterez pas à intérêt à vos compatriotes. Alors lÉternel votre Dieu vous bénira dans tout ce que vous entreprendrez dans le pays où vous allez entrer pour en prendre possession.

Néhémie, 10, 1-32

32 Tous les sept ans, nous laisserons reposer la terre et nous annulerons toutes les dettes.

Luc 16

13 Aucun domestique ne peut servir deux maîtres : ou bien il haïra lun et aimera lautre, ou bien il sattachera à lun et méprisera lautre. Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et largent. »

Néhémie 5, 6-12

6 Lorsque jentendis leurs plaintes et toutes ces réclamations, je fus saisi dune violente colère 7 et je pris la décision dadresser de vifs reproches aux notables et aux chefs du peuple. Je leur dis : Quand vous 242prêtez de largent à vos compatriotes, vous leur demandez des intérêts ! Je convoquai une grande assemblée pour traiter leur cas. 10 Moi aussi, mes proches et mes collaborateurs, nous leur avons prêté de largent et du blé. Remettons-leur donc cette dette ! 11 Rendez-leur aujourdhui même leurs champs, leurs vignes, leurs oliviers et leurs maisons, et remettez-leur la part de largent, du blé, du vin et de lhuile que vous avez exigée deux comme intérêt. 12 Ils répondirent : Nous ferons ce que tu demandes, nous rendrons ce que nous avons pris et nous nexigerons rien deux. Alors jappelai les prêtres devant lesquels je fis prêter serment à ces gens dagir comme ils lavaient dit.

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Références

Aglietta M., Ould Ahmed P., Ponsot J-F. (2016), La monnaie entre dettes et souveraineté, Ed. Odile Jacob, Paris.

Allais M. (1990) Pour lindexation. Clément Juglar, Paris.

Graeber D. (2013), Dette : 5000 ans dhistoire. Les Liens qui libèrent, Paris.

Klein N. (2008), La stratégie du choc–la montée dun capitalisme du désastre. Montréal, Actes Sud, Arles.

Levinas E. (1963), Difficile liberté, Paris, Albin Michel.

Millet D. et Toussaint É. (2012) Triple AAA. Audit. Annulation. Autre politique, Seuil, Paris.

Minsky H.P (1986), Stabilizing an Unstable Economy, Yale University Press, New Haven.

Piketty Th. (2013), Le capital au xxie siècle, Seuil, Paris.

Sarthou-Lajus N. (1997), Léthique de la dette, P.U.F., Paris, (Coll. Questions).

Testart A. (2000), « Importance et signification de lesclavage pour dettes », Revue française de sociologie, 41-4, p. 609-641.

1 Cet article est issu dun travail collectif réalisé avec Annick Blanc, René Blanc, Dominique de France, Alain Granier, Francis Marchal, Véronique Métay, Martine Kentzinger, dans le cadre du groupe de réflexion “Bible et économie”, initié par Caspar Vissert, théologien E.R.F. Orange-Carpentras. Site : http://www.bible-et-economie.com/. Nous remercions Roland Pérez pour nos fructueuses discussions.

2 On sait que le mot allemand Schuld » signifie à la fois dette et faute.

3 Pour expliciter cette affirmation, supposons une entreprise commerciale qui a acheté 100 de stock de matière première. Ses actionnaires ont mis 10 et les banques ont prêté 90 au taux fixe 6 %. Si le bénéfice avant impôt et taxes (EBIT) est de 20, les charges d intérêt sur emprunt de 5,4 assurent un bénéfice (hors impôts) de 14,6 et un bénéfice net de 10,22 (pour un taux d imposition à 30 %). L actionnaire n ayant apporté que 10 reçoit plus 10 de bénéfice net soit un rendement supérieur à 100 %. ! En revanche, si l année suivante apparaît une crise avec une déflation entrainant une baisse 10 % du prix de vente de la production et de la valeur des stocks, ainsi qu une détérioration des marges opérationnelles. De fait, l EBIT est de 5 à 6 compensant juste les charges d intérêt ; la valeur du stock baisse à 90. Mais, puisque cette valeur est celle de la créance, le dépôt de bilan est constaté pour pouvoir rembourser le créancier. Dans cette logique, le créancier a conservé ces 90 malgré la déflation et a touché ses intérêts. L entreprise a fait « faillite » bien que conservant une marge positive.

4 Ponzi dans les années 1920 à Boston a créé un montage financier frauduleux qui consiste à rémunérer les investissements des clients essentiellement par les fonds procurés par les nouveaux entrants.