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Classiques Garnier

Logique d’encastrement de la finance dans l’éthique Cas de l’investissement socialement responsable (ISR)

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Entreprise & Société
    2017 – 1, n° 1
    . varia
  • Auteur : Revelli (Christophe)
  • Résumé : Cet article a pour objectif de proposer une analyse critique de l’investissement socialement responsable (ISR), dans une logique de débat et de reconstruction, en expliquant quelle est la place réelle de l’éthique et des enjeux sociétaux au sein des différentes composantes de l’ISR moderne. Face au constat de la perte d’identité éthique via notamment le concept « d’intégration ESG », l’étude propose un modèle qui ré-encastre les enjeux financiers au sein des valeurs éthiques au sens de Polanyi (1983).
  • Pages : 167 à 196
  • Revue : Entreprise & Société
  • Thème CLIL : 3312 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Économie publique, économie du travail et inégalités
  • EAN : 9782406068426
  • ISBN : 978-2-406-06842-6
  • ISSN : 2554-9626
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-06842-6.p.0167
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 10/03/2017
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
  • Mots-clés : Investissement socialement responsable (ISR), Investissement éthique, Encastrement, ISR mainstream, Impact ESG
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Logique dencastrement
de la finance dans léthique

Cas de linvestissement
socialement responsable (ISR)

Christophe Revelli

Introduction

Depuis lAntiquité, et au fil des siècles, lantagonisme entre les concepts déthique et de Finance (au sens de richesse ou de profit) a constamment existé et sest définitivement invité aujourdhui dans les sphères économiques et sociales, renforcé par une crise financière durable. Aristote déjà opposait « économie » et « chrématistique1 » et proposait de « définanciariser léconomie2 » (cette dernière devant agir « dans le bien être de la communauté »).

Ce questionnement sest développé ensuite au fil des siècles principalement au sein de la pensée religieuse. Ainsi, certains extraits de La Bible et du Nouveau Testament, ou encore du Coran condamnent le principe de possession et daccumulation de richesses sans objectif de redistribution ou de partage. Aujourdhui, au sein des différents courants de la finance durable (Revelli, 2012), la finance islamique condamne lintérêt et lusure et prône le partage des pertes et profits entre prêteur 168et emprunteur, tandis que le concept dinvestissement dimpact cherche à favoriser limpact social plutôt que limpact financier dun investissement, qui restera modéré.

Parmi les concepts composant le thème de finance durable (Revelli, 2012), linvestissement socialement responsable (ISR) peut être considéré le porteur de voix, au vu des encours quil génère et de lintérêt que lui prêtent les institutionnels de la finance. Ainsi, selon la dernière étude publiée par Global Sustainable Investment Alliance (GSIA, 2014)3, les marchés ISR américains et européens, qui englobent 94,5 % du marché mondial de lISR, enregistraient respectivement en 2014 un montant dactifs ISR sous gestion de plus de 6 572 et 13 608 milliards de dollars US.

Mais une certaine absence de consensus sétablit autour de la définition exacte du concept dISR. Les appellations diverses et trop nombreuses font que lISR souffre dune véritable confusion conceptuelle et définitionnelle. Investissement socialement responsable, investissement éthique, investissement responsable, investissement durable, investissement « ESG » (environnement, social, gouvernance), ISR Core, ISR Broad, exclusion, inclusion, Best-in-Class, Best effort, engagement actionnarial, screening positif ou négatif… sont autant dexpressions qui prouvent quil est difficile de sy retrouver dans cette « jungle lexicale » (Zaouati, 2009, p. 83). Outre le fait que « les sigles pullulent » (Bernard-Royer, 2010, p. 26), lISR, sous son aspect pluriforme, reste toutefois bien ancré dans les circuits financiers et fait lobjet dun intérêt toujours plus grandissant de la part du monde académique. Ainsi, depuis plus de 20 ans, les travaux scientifiques traitant du concept dISR portent principalement sur la rentabilité financière (Capelle-Blancard et Monjon, 2012 ; Revelli et Viviani, 2015), en essayant de déterminer sil est possible de « bien faire en faisant du bien ». Lopposabilité originelle entre éthique religieuse (issue du mouvement Quaker notamment4) et performance 169économique et financière a évolué au fil du temps pour se matérialiser aujourdhui sous un aspect global autour du courant Business Ethics, où intérêts éthiques et enjeux financiers cohabitent pour créer une éthique de performance.

La question surabondante de la performance financière de lISR dans la littérature5 nous pousse donc à essayer de comprendre quelle est la place réelle de léthique dans le concept dISR. En dautres termes, les principes éthiques qui constituent le socle de lISR sont-ils priorisés par rapport aux objectifs de rentabilité dans les choix dinvestissement ? Quelques travaux ont déjà développé une approche « critique » de lISR sur les meilleures stratégies de gestion à adopter (Johnsen, 2003 ; Goodpaster, 2003) ou sur une posture critique idéologique analysant le positionnement éthique de lISR (Laufer, 2003 ; Schwartz, 2003 ; Hellsten et Mallin, 2006). Mais à notre connaissance, aucune recherche naborde cette problématique sous un angle actuel et depuis le phénomène dISR mainstream tel que présenté par Arjaliès (2010) ou encore Crifo et Mottis (2011).

Pour répondre à cette question, nous adoptons une approche en trois temps. Dans une première section, nous cherchons à comprendre comment se construit lISR aujourdhui autour de ses concepts fondateurs et de ses composantes. Ceci nous permet dans une seconde section de mieux appréhender la question du positionnement éthique de lISR via ses différentes composantes actuelles, notamment la stratégie de « lintégration ESG » qui a fait passer lISR dun marché de niche à un marché global (ISR mainstream). Ce débat nous amènera à constater que lISR mainstream a induit une logique de rentabilité via la matérialité des enjeux éthiques et ESG et quil a ainsi raté loccasion de jouer le rôle dagent du ré-encastrement des enjeux financiers au sein des valeurs éthiques. Ceci nous permettra dans une troisième section de proposer un modèle dencastrement de la finance dans léthique pour lISR au sens de Polanyi (1983). Enfin, nous conclurons sur lapproche de Dron (2015) et la nécessité dadapter les principes de résilience des 170écosystèmes naturels aux systèmes financiers et économiques, et donc au cadre de lISR.

I. Débat autour de la terminologie
du concept dISR

Investissement éthique
ou socialement responsable ?

Avant de définir quelle est la place réelle de léthique au sein de lISR, il convient tout dabord de développer ex-ante les principes originels de léthique. La littérature saccorde pour affirmer que léthique se réfère à lindividu ou à lidée de personne, quelle soit physique ou morale. Lessence même de léthique est la conviction personnelle, le libre arbitre (Pesqueux et Biefnot, 2002 ; Morin, 2004 ; Benoît, 2005), et permet à lindividu de faire la différence entre ce qui est bien ou ce qui est mal, de distinguer la bonne ou la mauvaise façon dagir, en formalisant « une réflexion en amont de laction » (Mercier, 2002 : 39) ou en proposant un « ensemble de repères, des principes, des valeurs qui guident laction dun individu » (Hireche et El Mourabet, 2007 : 52). Spinoza, dans son approche sur léthique et la liberté, va même au-delà de la notion de libre arbitre et décrit léthique comme le fruit de la volonté de lacteur relative à des situations concrètes et déterminées. Toujours selon le philosophe, léthique se caractériserait par sa perspective téléologique, cest-à-dire déterminée par sa finalité. Demont (2013) confirme cette approche de léthique telle une visée, qui « permet de regarder laction selon sa finalité et selon la capacité de lacteur à conserver des valeurs constantes entre la fin et la réalisation ». Au final, les principes daction et de finalité détermineraient et circonscriraient léthique via la capacité de lindividu à exprimer son libre arbitre. Cest en cela que léthique se distingue de la morale, qui relèverait dun point de vue axiologique (fondée sur un jugement de valeurs), auquel il faut rajouter un aspect déontologique (Chardel, 2002). Mercier (2002 : 43) résume bien les nuances entre ces deux concepts, en affirmant que « léthique nest pas la morale. On ne peut limposer, on ne peut que la partager ».

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Linterchangeabilité entre les concepts déthique et de morale dans le langage courant se retrouve également dans le concept dISR. Les termes dinvestissement éthique, dinvestissement moral, de critères éthiques ou moraux sont employés par les acteurs du marché de linvestissement socialement responsable sans que la lumière soit réellement faite sur leur définition exacte (Zaouati, 2009). Mais lensemble de la littérature académique saccorde pour dire quà lorigine, ce type dinvestissement trouve son appellation dans le terme dinvestissement éthique (Férone et al., 2001 ; Sparkes, 2001 ; Sparkes et Cowton, 2004 ; De Brito et al., 2005 ; Sandberg et al., 2009 ; Zaouati, 2009). De lapproche religieuse issue du courant Quakers au 17e siècle à lintégration des concepts de responsabilité sociale de lentreprise (RSE) et de développement durable (DD) au sein des marchés financiers, lISR moderne démontre quil possède un aspect multiforme. Il sagit de bien définir les contours du concept en présentant les définitions historiques et par marché.

I.1. À lorigine était léthique

Sous linfluence du mouvement Quaker aux 17e-18e siècles et des premiers investissements éthiques (refus dinvestir dans la vente darmes, la vente desclaves…), le rôle joué par les différentes congrégations religieuses (baptistes, méthodistes) au sein de la communauté financière va prendre de lampleur. Linvestissement éthique prend véritablement racine entre 1890 et 1917, dans une période appelée aux États-Unis « Age of Reform » (âge des croisades) (Férone et al., 2001). À la fin de cette période, léthique sest institutionnalisée au sein des marchés financiers et « financiarisé » sous la forme de fonds commun de placement excluant de leur décision dinvestissement les actions dites « du péché » (sin stocks)6. Lexclusion de secteurs dactivité sur la base de principes religieux au sein de portefeuilles boursiers se développera dans les décennies suivantes et permettra à la fin des années 1960 « lavènement de la version moderne de linvestissement éthique » (Déjean, 2005 : 21) 172qui favorise lactivisme actionnarial et la « discrimination citoyenne » (Pérez, 2002 : 134). Ainsi, la logique exclusive fondée sur des principes religieux se transforme petit à petit en contestation politique. Cette contestation passe par lactionnaire, qui va jouer un rôle prépondérant dans linfluence sur les décisions des entreprises. Une multitude de résolutions et de campagnes de dénonciation vont voir le jour et plus particulièrement concernant les entreprises ayant des intérêts financiers en lien avec la guerre du Vietnam7 ou lAfrique du Sud au moment du régime de lApartheid8.

I.2. Émergence des concepts
de RSE, DD et Gouvernance

Depuis lémergence du concept de Corporate Social Responsibility (CSR) aux États-Unis suite aux travaux pionniers de Bowen (1953), les gestionnaires et scientifiques ont essayé de définir les objectifs sociaux et éthiques que les entreprises se devaient de prendre en compte. La RSE sest basée pendant plusieurs années sur des fondements paternalistes et philanthropiques, avec pour but premier de faire du profit et de développer la responsabilité économique. Elle sest nourrie ensuite de différentes influences telles que léthique, la société et lenvironnement pour évoluer vers une forme plus moderne prenant en compte lensemble des acteurs et partenaires qui ne sont plus uniquement les actionnaires (shareholders) mais lensemble de ses parties prenantes « stakeholders » (Freeman, 1984 ; Donaldson et Preston, 1995 ; Mitchell et al., 1997).

Parallèlement à lémergence des concepts de CSR et de la théorie des parties prenantes (TPP), un nouveau paradigme centré autour des enjeux écologiques émerge, désigné sous lintitulé « développement durable » (DD)9. La notion de DD est souvent considéré comme difficilement 173applicable dun point de vue théorique à lentreprise, mais a su basculer dune sphère macroéconomique (considérant les enjeux nationaux, régionaux, planétaires) à une sphère microéconomique (portant sur les enjeux pour lentreprise et les secteurs économiques). La convergence des courants CSR/TPP/DD a permis lémergence dun concept moderne de RSE qui sarticule autour des trois piliers fondamentaux du triple bottom line (économique, environnement, social ou People, Profit, Planet). Un pilier supplémentaire autour du principe de gouvernance peut être ajouté à ce triptyque. Ce concept émerge surtout au début des années 2000 et fait suite aux différents scandales issus du monde financier (Enron, Tyco, Worldcom…), provoquant une grave crise de la gouvernance « et une remise au goût du jour de ses principes au sein de la communauté financière » (De Brito et al., 2005 : 22).

Ainsi, à la fin des années 1990 et au début des années 2000, plusieurs normes et référentiels de reporting volontaire (Férone et al., 2001) type Global Reporting Initiative (GRI) vont être mis en place dans un cadre soft law, afin de faciliter la prise en compte des différents piliers de la RSE pour les entreprises, favorisant ainsi lémergence dun marché de la notation extra-financière.

I.3. Naissance des premières agences
de notation extra-financière et dun ISR moderne
dune approche dexclusion
à une approche de sélection/inclusion

Face à lessor des normes de reporting sociétal et aux nouvelles exigences de communication sur les thèmes de RSE et DD, plusieurs agences de notation vont émerger (EIRIS, KLD et Innovest, ARESE10…) dans un but de répondre « à une demande croissante de clients particuliers et institutionnels quant à la prise en compte de critères de sélection sociaux et environnementaux dans la gestion de leurs actifs » (De Brito et al., 2005 : 38). Lensemble des analystes extra-financiers se partagent le marché de la notation sociétale et ce marché sétend ensuite à lensemble des praticiens financiers opérant au sein des sociétés de gestion (analystes 174buy-side) ou des sociétés de courtage type broker (analystes sell-side) (Alberola et Giamporcaro-Saunière, 2006 ; Perin et Quairel-Lanoizelée, 2012). Ainsi, linvestissement éthique originel va muter pour offrir une « face B » aux investisseurs basée sur la valorisation des entreprises vertueuses dun point de vue ESG. Lobjectif est donc de rendre la RSE chiffrable, quantifiable et gérable (Acquier, 2007 : 10). Dun principe de rejet de secteurs dactivités jugés non éthiques (screening négatif) et défini comme une contrainte par les gérants de portefeuille11, lISR moderne inclut une composante basée sur le screening positif (ou inclusif). Les gestionnaires de fonds ISR vont ainsi utiliser les notes des analystes pour intégrer les sociétés scorées dans leur portefeuille en fonction de leurs objectifs financiers mais également sociétaux. Selon Arjaliès (2007), cette nouvelle génération de fonds dits ISR fait son apparition dans les années 1980. Lauteur précise (2007 : 7) que contrairement aux fonds éthiques de première génération, « ils ne présentent aucune dimension morale, individuelle ou sociétale » et « cherchent plutôt à privilégier dans leurs investissements les entreprises considérées comme étant les plus socialement responsables » puisque « la RSE est censée refléter le degré de prise en compte des intérêts des différentes parties prenantes tant internes quexternes ». Il convient donc dintégrer dans les portefeuilles de gestion les entreprises bénéficiant des meilleures notes ou des meilleures progressions12 issues des notations des analystes extra-financiers. LISR moderne se positionne donc aujourdhui principalement sur les logiques de screening, quelle soient négatives (screening négatif ou exclusif) ou positive (screening positif ou inclusif).

I.4. lISR aujourdhui : consensus ou dissensus ?

Malgré des efforts dharmonisation des pratiques, les cultures historiques restent différentes selon les marchés ISR (voir fig. 1).

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Marchés et institutions

Marché ISR américain (selon US SIF)

Équivalent marché ISR européen (selon Eurosif)

Équivalent GSIA

Équivalent PRI

Catégories ou composantes ISR

Incorporation ESG

Exclusions sectorielles

Screening ESG négatif

Screening ESG négatif/exclusions sectorielles

Exclusions basées sur les normes internationales et pratiques non éthiques

Exclusions basées sur les normes internationales et pratiques non éthiques

Exclusions basées sur les normes internationales et pratiques non éthiques

Sélection Best-in-class

Sélection Best-in-class et screening ESG positif

Sélection Best-in-class et screening ESG positif

Investissement sur le thème de la durabilité (fonds thématiques)

Investissement sur le thème de la durabilité (fonds thématiques)

Investissement sur le thème ESG

Intégration ESG

Intégration ESG

Intégration des questions ESG

Investissement dans la communauté

Investissement dimpact/dans la communauté

Investissement dimpact

Activisme actionnarial

Engagement et vote

Engagement des entreprises et action actionnariale

Engagement

Appellation officielle

Sustainable, responsible and impact investing (SRI)

Sustainable and responsible investment (SRI)

Sustainable investing (SI)

Responsible investment (RI)

i.Les PRI (Principles of Responsible Investment) est un programme lancé par lONU en 2006 et ayant pour but de regrouper les entreprises et institutions financières autour de 6 principes promouvant les critères ESG. À ce jour, 1481 propriétaires dactifs ou gérants de fonds ont signé les PRI (principe du volontariat, non contraignant).

Fig. 1 – Comparatif des composantes ISR selon les appellations officielles internationales.

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Ainsi, selon US SIF13, lISR intègre trois composantes : « lincorporation ESG » (ESG incorporation), « linvestissement dans la communauté » (community investing) et « lactivisme actionnarial » (shareholder activism). En Europe et selon Eurosif, lISR intègre les composantes « exclusions sectorielles » (exclusions), « screening exclusif sur les normes et pratiques non éthiques » (norms-based screening), « sélection Best-in-class » (Best-in-Class Selection), « investissement sur le thème de la durabilité » (sustainability themed investment), « intégration ESG » (ESG integration), « engagement et vote » (engagement and voting) et « investissement dimpact » (impact investing).

Dun point de vue historique, le marché ISR américain intègre des composantes non intégrées sur le marché européen. Cest le cas de linvestissement communautaire, nétant pas considéré comme de lISR à part entière sur le marché européen mais plus comme de linvestissement solidaire car intégrant une politique de redistribution financière par les fonds dinvestissement non présente dans la logique dISR européen (Revelli, 2012). Cela vient aussi de la culture historique américaine basée sur la philanthropie, déjà présente dans le concept de CSR, où la pyramide de Carroll (1991) hiérarchise la responsabilité philanthropique (reposant sur la volonté de la firme) juste après les responsabilités économique (faire du profit), légale (respecter les lois) et éthique (respecter les obligations morales non dictées par la loi). Par ailleurs, lensemble des catégories de screening (négatif/positif) européennes sont comparables à la seule catégorie « ESG Incorporation » aux États-Unis. Idem pour les PRI qui ne prennent pas en compte linvestissement dimpact ou linvestissement communautaire dans les composantes ou les stratégies ISR.

Au-delà des composantes, ce sont les appellations internationales qui ne convergent pas. Le S de SRI est passé de socially à sustainable (Capelle-Blancard et Monjon, 2012) et aucune institution internationale ne reprend la même définition (voir tableau 1). À ce jour, le problème de lISR se situe certainement dans un manque de consensus définitionnel à travers les marchés. Cela se retrouve dans les communications officielles des 177institutions. Selon lUSSIF (2014 : 5), « quy-a-t-il dans un nom ? ESG, éthique, vert, impact, mission, responsable, socialement responsable, durable et valeurs sont autant de labels que les investisseurs appliquent aujourdhui dans leurs stratégies pour considérer les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance, afin de générer des rentabilités compétitives à long terme et un impact sociétal positif. Tandis que la variété des étiquettes peut parfois être source de confusion, le message central est clair. Un nombre croissant dinvestisseurs, institutions et professionnels de la finance déploient et gèrent des capitaux pour construire une économie plus durable et équitable ». Bien que la mission soit claire, elle reste confuse en raison du manque de consensus définitionnel. Cela se retrouve également dans la définition dEurosif (2014 : 8) qui précise que « la présente édition de létude sur les marchés ISR européens nimpose pas un définition spécifique de lISR », ajoutant « quaucune définition européenne harmonisée et opérationnelle de lISR nexistait à ce jour ».

Ces divergences se retrouvent également dans la littérature scientifique. Pour Déjean (2006 : 20), « il est difficile de proposer une approche unique de lISR ». La question se situe surtout sur lappellation du concept : éthique ou socialement responsable ? Sparkes et Cowton (2004 : 46) affirme quau fur et à mesure du temps, le terme « investissement éthique » a de plus en plus été remplacé par le terme « investissement socialement responsable », précisant que « linvestissement éthique est lappellation la plus ancienne ». Cela est en lien avec les valeurs éthiques prônées par les inspirations religieuses au sein des pays anglo-saxons à la fin du 20e siècle et au début du 21e siècle. Pour Michelson et al. (2004), lappellation « investissement éthique » est plus utilisée en Grande-Bretagne, tandis que le terme « investissement socialement responsable » est plus communément employé aux États-Unis. Selon Schueth (2003 : 189), les termes « investissement social, investissement socialement responsable, investissement éthique, investissement socialement conscient, investissement vert [] font tous partie du même processus général et sont la plupart du temps utilisé de manière interchangeable ».

Il est avéré aujourdhui que le terme « investissement éthique » est plus identifié comme linvestissement originel et historique basé sur lexclusion sectorielle et influencé par les courants de pensée religieux (Sparkes et Cowton, 2004). Capelle-Blancard et Monjon (2012) démontrent que le terme « éthique » est utilisé de manière décroissante dans les études 178académiques dans la période 1990-2010 (de 75 % des articles académiques publiés dans le thème au début des années 1980 à moins de 50 % en 2010, et de quasi 100 % des articles de presse en 1985 à 45 % en 2010). De plus, le terme « investissement éthique » semble plus impopulaire auprès des investisseurs institutionnels (Sandberg et al., 2009). Sparkes et Cowton (2004) expliquent cet argument par le fait que cela implique auprès des professionnels de la finance que les approches traditionnelles ne seraient pas éthiques. Selon les auteurs, pour les acteurs du monde de lISR, le terme « investissement socialement responsable » pourrait être plus adapté car il implique que les approches traditionnelles sont irresponsables, ce qui paraît moins réducteur quune accusation implicite de « non-éthique » ou de manquement moral (en lien avec les valeurs religieuses). Le terme éthique est ainsi plus lié à la morale dans lapproche de linvestissement, cest-à-dire en lien avec les inspirations de léglise anglicane ou des Quakers lors des siècles précédents. Aujourdhui, lexclusion sectorielle (screening négatif) est toujours pleinement considérée comme une stratégie ISR stricto-sensu, mais est-elle toujours considérée comme un rejet des actions du « péché » par les investisseurs et acteurs ISR, et appliquée dans un objectif purement religieux ou idéologique ? Lapproche académique et institutionnelle sest plutôt déportée vers la sémantique « investissement socialement responsable » dans une logique dintégration des enjeux de la RSE et du DD au sein des stratégies de gestion, tout en mettant en avant de manière centrale les enjeux financiers de ce type dinvestissement (Capelle-Blancard et Monjon, 2012). Ainsi, en lien avec ce positionnement, la question la plus souvent posée dans le cadre de la recherche sur lISR est celle de sa performance financière (Revelli et Viviani, 2015). En dautres termes, lISR est-il rentable ou « bankable » ? Le concept de « performance » de lISR pose aujourdhui la question de son ancrage idéologique et de son positionnement. Les problématiques actuelles autour de la « mainstreamisation » de lISR (Arjaliès, 2010) ont pour effet de soulever également la question de son éthicité réelle. LISR est-il finalement éthique (Revelli et Sentis, 2012) ? Au vu du débat liminaire, léthique peut être définissable par linterrogation de la relation entre la pensée et laction. Cela rejoint la thèse de la philosophie de conversion de Pierre Hadot (2002), pour qui lindividu doit convertir les dogmes et les morales sociales dans lesquels il sinscrit en action éthique, cest-à-dire en se consacrant au lien entre soi et le monde. 179Ainsi, lenjeu est de comprendre si lISR « fait ce quil dit au-delà de dire ce quil fait » en sortant du dogme moral pour sinscrire véritablement dans laction éthique, mais également de comprendre sil doit réellement sinscrire aujourdhui dans un marché de niche ou alors se déployer dans la communauté financière au risque de perdre son identité éthique.

II. Débat sur lISR mainstream
ou la logique de lISR de performance

Une perte didentité éthique

Depuis de nombreuses années, de nombreux chercheurs ont essayé de comprendre comment lISR pouvait sinscrire ou se fondre dans la gestion dactifs traditionnelle (Cowton, 1999 ; Dunfee, 2003 ; Sparkes et Cowton, 2004 ; Arjaliès, 2010 ; Crifo et Mottis, 2011). Il sagit dans un premier temps de redéfinir les enjeux dun ISR de niche et dun ISR mainstream. Selon Azoulay et Zeller (2006 : 3), « lISR de niche » relève « des produits dédiés pour lesquels la dimension socialement responsable ou ESG se traduit par une contrainte de gestion ». Toujours selon les auteurs, lISR mainstream cherche quant à lui « à intégrer la dimension ESG dans les approches danalyse ou de gestion classique ». Lenjeu se situe donc entre un ISR qui permet clairement dexprimer ses valeurs et convictions éthiques plus facilement (ISR de niche) et un ISR qui mettra laccent sur les enjeux ESG reconnus comme matériels, cest-à-dire intégrés à lanalyse fondamentale de la performance des entreprises (ISR mainstream). La question est donc de savoir, à travers ce débat, si la notion déthique est toujours centrale dans la logique dISR mainstream ou si celle-ci a été absorbée par les enjeux financiers.

II.1 De lapproche éthique originelle à la matérialité
des enjeux ESG via le principe dintégration ESG

La première section de cette recherche a pu mettre en exergue que linvestissement éthique originel sinscrivait dans une logique de niche militante (Crifo et Mottis, 2011) principalement basée sur lexclusion de secteurs dactivités non éthiques ou dentreprises aux pratiques non 180vertueuses. Ceci implique des choix de gestion forts et pouvant contraindre la performance financière dans une logique de diversification de lunivers dinvestissement selon la théorie du portefeuille de Markowitz (1952). Dès 2003, Dunfee affirmait que linvestissement éthique avait le potentiel pour devenir un phénomène mainstream pratiqué par des investisseurs ordinaires et intégrés dans les politiques dinvestissement des fonds dinvestissement et de retraite, sous condition que linformation extra-financière soit précise et comparable pour tous les investisseurs et gestionnaires de portefeuilles. Sparkes et Cowton (2004) précisent que ladoption par les fonds de pension et les compagnies dassurances de politiques ISR a généré une augmentation très significative des encours dans les pays tels les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada ou encore lAustralie. Les auteurs soulignent que les législations et enjeux internationaux (GRI, PRI notamment) sur les pratiques socialement responsables ont joué un rôle majeur dans le développement de lISR à lensemble des pratiques de gestion, tout comme la création dindices éthiques ou ISR (Déjean, 2006) tels les indices FTSE4Good ou Dow Jones Sustainability. Le basculement serait intervenu dès lors que les gérants de fonds auraient assimilé quintégrer des enjeux socialement responsables dans leur processus de gestion ne pénalisait pas la performance financière, dans un phénomène de légitimation cognitive (Déjean, 2006 : 26-27). Lanalyse ISR est ainsi présentée « comme un enrichissement de lanalyse classique, susceptible, en creux daméliorer lefficience des marchés » (Benchemam et Chambost, 2010 : 9). Crifo et Mottis (2011 : 18), à travers une enquête réalisée auprès de gestionnaires dactifs ISR et dinvestisseurs institutionnels du marché français, soulignent que « pour près des trois quarts des répondants, la principale valeur ajoutée de lISR réside dans la meilleure gestion des risques des investissements réalisés », ajoutant que « cela renvoie à un paramètre classique de la performance financière : toute information qui permet de réduire le risque dun portefeuille contribue à en augmenter la valeur ».

Pour Arjaliès (2010, p. 69), « lère du mainstream » pour lISR sur le marché français sest inscrite dans la période 2006-2009, lorsque Novethic utilisa pour la 1re fois le mot « intégration ISR », qui indiquait quune nouvelle demande émergeait de la part des investisseurs, pour intégrer des critères non-financiers au sein des processus danalyse financière classique. Comme pour les pays anglo-saxons, la prise en compte des critères ESG dans les stratégies de gestion par les investisseurs institutionnels 181enclenche linstitutionnalisation de ces pratiques au sein des marchés et des équipes danalystes et gestionnaires financiers. Lauteur prend pour exemple la décision du fonds de réserve des retraites (FRR) dintégrer en 2008 des filtrages ISR à lensemble de ces investissements.

Le déclencheur réel de lintégration de lISR dans le mainstream sinscrit dans la période post-crise financière (2008-2009). Laccélération des processus dintégration des enjeux ESG sest actée, notamment dans les sociétés de gestion et chez les brokers, dès lors que limage des acteurs financiers a été touchée au plus profond. Perin et Quairel-Lanoizelée (2012 : 89) soulignent que « les analystes et gérants du mainstream tendent à intégrer, dans leurs critères, des informations ESG pour rétablir une légitimité sociale fortement contestée, notamment depuis la crise financière de 2008 et pour élargir le champ des opportunités et des risques pris en compte dans les analyses financières traditionnelles ». Au-delà du désir de légitimité, les acteurs institutionnels du monde de lISR voient donc en lintégration denjeux ESG une opportunité de diversification pour générer de la rentabilité. Novethic (2010) précise que dans le cadre de ses échanges avec les investisseurs sur lintégration ESG,« lobjectif de durabilité ou de responsabilité sociétale des acteurs économiques est resté quasi absent du débat, au profit de considérations sur limpact financier ou les enjeux de réputation pour leurs clients ». Largument de la « (ré)-conciliation » (Landier, 2012), entre impact financier et impact social et environnemental est soulevé par Ninet (2015). Selon lauteur, le terme de « conciliation » sous-entendrait « que ces objectifs seraient a priori divergents accréditant involontairement lidée selon laquelle lISR resterait (comme on le voit encore très souvent dans la littérature) une contrainte additionnelle plus ou moins sévère qui ne peut que dégrader la performance financière attendue ».

Depuis le début des années 2000 et le débat sur la convergence de lISR et de la gestion traditionnelle (Cowton, 1999 ; Dunfee, 2003) et ce jusquà ce jour (Azoulay et Zeller, 2006 ; Arjaliès, 2010 ; Crifo et Mottis, 2011), linfluence de lanalyse de la performance financière de lISR a ainsi permis de légitimer le concept dun point de vue pratique dans une logique financière, notamment via les process et stratégies développés par les équipes de gestion ISR depuis lapparition du Global Compact et des PRI respectivement en 2000 et 2006, notamment autour du concept dintégration ESG. Novethic ajoute dans son étude publiée en 2010 que les stratégies d’’intégration ESG « sont moins contraignantes que lISR 182dans la mesure où elles ne se traduisent pas par un impact systématique sur la sélection des titres en portefeuille ». Conséquence flagrante de la financiarisation et la « mainstreamisation » de lISR, lintégration ESG représentait en 2011, selon Eurosif (2012)14, la très grande majorité des actifs gérés en France (95 %)15 et dans les principaux marchés européens (Pays-Bas, Royaume-Uni) sous forme ISR. Selon Franca Perin, directrice ISR chez Generali Investments Europe et sponsor de létude, « ce chiffre me laisse sceptique. Il signifie que la recherche ESG est mise de plus en plus à disposition des gérants, mais cela nest pas forcément fait avec obligation de lintégrer. Ce nest pas une pratique de lISR en tant que telle16 ».

Le débat sur la performance financière de lISR et linscription de ce dernier dans la finance mainstream a également été porté par lapparition de données ESG issues des agences de notation extra-financière, donnant ainsi plus de facilités aux scientifiques pour tester la rentabilité de lISR (Benchemam et Chambost, 2010). La volonté des brokers et des fournisseurs de données financières (Thomson Reuters, Bloomberg) de vouloir sinscrire dans le marché de lISR résulte dune prise en compte de responsabilité mais également de diversification (Benchemam et Chambost, 2010). À ce stade, la notion de greenwashing nest plus très loin. Cest le danger qui guette lISR et le principal reproche qui lui est adressé. Mais cette critique ne date pas daujourdhui. Déjà, Hellsten et Mallin (2006 : 403) posaient la question de savoir si lISR « était simplement la rhétorique du marché plutôt quun signe dengagement sérieux de la responsabilité sociale en finance17 ». Cette tendance à lancrage marketing des fonds éthiques a pour objectif final 183« dintégrer les critères ISR pour atteindre une meilleure performance financière en anticipant les coûts liés à une performance inférieure à la moyenne dans les domaines sociaux, environnementaux et de gouvernance ». Cette précédente citation dArjaliès (2010) est très révélatrice : lISR mainstream semble prioriser lenjeu financier, positionné dans une vision utilitariste de la RSE, où lenjeu extra-financier nest pas considéré comme une fin en soi.

Selon Azoulay et Zeller (2006), lintégration ESG a donc bien pour objectif de favoriser « le passage dun ISR de niche à un ISR mainstream ». Ainsi, le danger du greenwashing, abordé plus haut, ou des biais de communication développés par les acteurs financiers (Hellsten et Mallin, 2006) prend toute son ampleur dans le cadre de lintégration ESG. Novethic précise ainsi dans son étude que « le manque de contrainte et le peu de lisibilité concernant lefficience de lintégration ESG sont également encore en question et le risque dun marketing trompeur jamais très loin des esprits. [] Cette tendance à la convergence de lintégration ESG et de lISR génère un risque de confusion et ouvre la porte à un marketing décorrélé de pratique ESG réellement mises en œuvre », ajoutant que « ces réserves confirment limportance que revêt le maintien de fonds ISR exigeants, structurés ». La soutenabilité et léthique constitueraient donc plutôt lomega que lalpha au sein des stratégies dintégration ESG (ou ISR), où le principe de matérialité des critères ESG (impact espéré de ces critères sur la valeur économique ou financière dune institution type entreprise, État…) pousse les investisseurs institutionnels à raisonner en termes de gestion des risques en percevant léthique comme un outil au service de la contrainte financière, cest-à-dire encastré en son sein même. Ainsi, il est possible daffirmer que lISR, par sa dilution dans le mainstream, a raté loccasion dagir tel lagent du ré-encastrement de la finance au sein des valeurs éthiques.

II.2. Modèle dencastrement actuel de lISR :
approche top down et idéologie financière

Actuellement, le principe de financiarisation de léconomie décrit dans la littérature internationale (entre autres Orléan, 2011 ; Piketty, 2013 ; Lagoarde-Segot, 2014 ; 2015) engage que léconomie réelle se retrouve encastrée au sein de la Finance (au sens de Karl Polanyi18), bien quà lorigine, 184cette dernière était un outil au service de léconomie réelle avant dêtre érigée au titre de « Science » (Lagoarde-Segot, 2014 ; 2015 ; Pérez, 2015). Le schéma ci-dessous propose de comprendre cette logique dencastrement.

Fig. 2 – Logique dencastrement de léconomie et des relations sociales dans la finance au sens de Polanyi.

La prise en compte de la matérialité des enjeux ESG a amené la communauté scientifique a tenté de déterminer si léthique était « bankable », au point den oublier que lobjectif originel des Quakers étaient dexclure des modes de pratique dinvestissement jugés non éthiques. En ce sens, léthique avait alors à cette époque un réel pouvoir dencadrement de la finance, tandis quactuellement, lISR moderne ne permet pas à la finance dêtre encastrée au sein de léthique, mais plutôt à léthique dêtre guidée par les enjeux financiers. Ainsi, lorientation financière de la recherche sur lISR a généré le débat de son inscription globale au sein de lensemble des pratiques de marché, comme une suite logique à son développement (si lISR na pas de coût financier, alors il se doit de sinscrire dans lensemble des stratégies mainstream).

Le schéma no 1 peut ainsi sadapter au cadre de lISR, où les enjeux éthiques et extra-financiers se retrouvent encastrés au sein des enjeux financiers dans une approche descendante ou top down (fig. 3).

185

Fig. 3 – Logique dencastrement de léthique
dans la finance dans le cadre dun ISR de performance.

Ainsi, la logique financière de lISR priorisera dans un premier temps le screening financier au sein de lunivers dinvestissement, avant dappliquer ensuite les objectifs éthiques et extra-financiers dans un univers dinvestissement devenu financier. Au final, « linvestisseur-spectateur » ISR choisira les entreprises qui composeront son fonds ISR « par défaut » parmi les meilleures financières et non parmi lunivers dinvestissement global. Lapproche dencastrement top-down ne permettra pas à linvestisseur éthique de formaliser ses choix selon le libre arbitre décrit par Morin (2004). Il sagit donc de ré-encastrer la finance au sein de léthique afin de rendre possible lémergence dun « investisseur-acteur » qui ne subit pas les choix éthiques.

III. Débat sur le positionnement réel
de léthique au sein de lISR

Proposition dun modèle dencastrement

Léthique, pour revenir au cœur du jeu, doit jouer un rôle moteur dans la volonté de changement des pratiques financières, notamment au 186niveau de linvestissement. Le principe est donc de réinsérer la finance dans léthique et non léthique dans la finance.

III.1 Émergence de linvestisseur-acteur

Si nous reprenons la définition de léthique telle que nous la présentons en première partie (basée sur la réflexion en amont de laction), alors léthique au sein des marchés financiers devrait agir comme une « réflexion » ou comme la valeur première qui orienterait ou guiderait les choix individuels financiers assimilables aux « actions ». Si léthique est introduite dans les stratégies financières, elle doit alors servir de référence pour les individus sur la mise en place de leurs valeurs au sein de leurs décisions dinvestissement. Elle doit donc simposer à la base à lindividu, déterminée par les systèmes de valeur imposés par lencastrement de lindividu dans les relations sociales (Boltanski et Thévenot, 1991) et donc par le sens du bien-être collectif, afin « dêtre bien » au sens spinoziste du terme. Les convictions individuelles doivent être le fruit dun processus de recherche de « plaisir » et de quête de sens qui se partage ensuite avec lAutre (Levinas, 1971), dans un processus collectif et humaniste. En ce sens, linvestissement éthique devrait sancrer dans un principe « déthique de linvestissement », où le sentiment éthique propre à chaque individu guide et encadre les décisions financières et la recherche dutilité économique. Léthique doit donc être permettre aux « individus-investisseurs » de se réapproprier la fonction de finance, en redéfinissant la place du retour financier au sein dune hiérarchie à plusieurs dimensions (utilité économique, financière, sociale, environnementale, personnelle…). « Linvestisseur-spectateur » deviendrait donc un « investisseur-acteur », orientant ses propres choix dans un univers global en amont des enjeux financiers.

Ainsi, lISR devrait pouvoir conserver son éthique originelle dans une approche ascendante ou bottom-up. Linvestisseur-acteur (impliqué dans une chaîne de relations sociales, du gestionnaire de portefeuille ISR à linvestisseur ISR) agirait selon ses propres choix et objectifs éthiques (eux-mêmes déterminés par les systèmes de valeurs qui lencadrent), et en personnalisant son rapport à lentreprise dans laquelle il choisit dinvestir (impact social, retour financier modéré…). Lobjectif de lISR nest pas de changer le monde à court terme, mais de favoriser le changement, dans un principe de soutenabilité qui engage la notion de long terme 187et qui ne doit pas être réduite à un outil de performance court-termiste, ceci étant incompatible avec sa nature19.

III.2 Proposition dun nouveau modèle
dencastrement pour lISR : approche bottom up
et priorisation des enjeux éthiques

Si nous reprenons la logique dencastrement de Polanyi (1983) et que nous lappliquons à nos précédents arguments, les relations sociales et léthique encadrent léconomie, qui encadre la finance (fig. 4). Laccent est mis sur une logique de ré-encastrement et dinversion, repositionnant la finance comme un outil daide à la décision au service denjeux sociaux et économiques.

Fig. 4 – Logique dencastrement de la finance
dans léconomie et les relations sociales au sens de Polanyi.

Le repositionnement de lISR dans une logique éthique prend toute sa dimension dans un ré-encastrement de la rentabilité financière par la performance extra-financière, et ce dans une logique ascendante ou bottom-up, 188où les choix sont dabord formalisés par linvestisseur-acteur sur le positionnement éthique et extra-financier des entreprises elles-mêmes (fig. 5).

Fig. 5 – Proposition dun modèle dencastrement de la finance
dans léthique dans le cadre de lISR.

La priorisation des enjeux éthiques doit se faire selon le libre arbitre de chaque investisseur-acteur, non pas dans une forme idéologique reproductible et standardisable pour tous, mais bien au sens utopique tel que le préconise Ricœur (1997)20. LISR doit ainsi sortir de lidéologie financière mainstreamvia ses principes dintégration ESG et revenir à une utopie éthique où les enjeux extra-financiers sont priorisés au sein de lunivers dinvestissement global.

Ainsi, de manière opérationnelle, si lISR veut évoluer, il doit aujourdhui sappuyer sur une notation fondée sur lanalyse du « résultat ». Capelle-Blancard et Petit (2013) soulèvent ce point, en insistant sur le fait que lISR se doit de promouvoir aujourdhui la performance extra-financière. Les sociétés notées sur des critères ESG doivent lêtre sur la base de leurs résultats environnementaux, sociaux et relatifs à la prise en compte de principes de bonne gouvernance. En ce sens, Lagoarde-Segot (2014) explique quà terme, le triptyque théorique de la RSE (économie, social et environnement) devra intégrer les résultats 189économiques, sociétaux et environnementaux de lentreprise dans une réflexion unique. Mais les limites concernant les conflits entre objectifs sociétaux, environnementaux et économiques ont la plupart du temps tendance à orienter le discours de lentreprise autour dune approche utilitariste de la responsabilité sociale et du développement durable, où le rôle du sociétal est de permettre à lentreprise de générer des profits pour ses actionnaires (Friedman, 1970). En cela, la vision de la performance extra-financière doit sémanciper du cadre informationnel et sinstaller durablement autour du principe de « mesure dimpact ». La principale difficulté réside actuellement dans le fait de quantifier limpact social et environnemental, et de le rendre commensurable pour tous. Certaines grilles dévaluation dimpact existent à ce jour21, mais leur légitimité et indépendance nest aujourdhui pas totalement définie. Le rôle de la recherche est donc de favoriser le développement dun « impact ESG » qui doit inciter les agences de notation à modifier leurs méthodes dévaluation, pour développer un culte du résultat ESG22.

Le principe de la controverse est également un sujet majeur à prendre en compte, au-delà de la priorisation du screening extra-financier et de la promotion du résultat ESG. Ainsi, plusieurs fonds ISR labellisés best in class intègrent parfois des entreprises engagées dans le financement de projets controversés ou détenant des actions dentreprises controversées23. Les fonds ISR qui intègrent des entreprises vertueuses devraient systématiquement croiser leurs scorings ESG avec la participation à des projets controversés, que ce soit par le financement bancaire ou direct, pour éviter tous conflits éthiques.

190

Fig. 6 – Stratégie ISR avec encastrement de la finance
dans léthique et les enjeux extra-financiers.

Au final, un fonds ISR prônant une logique dencastrement de la finance dans léthique et les enjeux extra-financiers appliquera les filtres extra-financiers sur lunivers global en amont des filtres financiers, en considérant la mesure dimpact ESG et les entreprises controversées (fig. 6).

Conclusion

Dominique Dron (2015) dans sa recherche intitulée Pour une régulation écosystémique de la finance compare la logique dencastrement mis en avant par Polanyi à celle dun écosystème naturel. Selon lauteur, puisque les écosystèmes naturels font partie des systèmes complexes au même titre que les systèmes financiers et quils démontrent une remarquable capacité de résilience et dautorégulation, leur observation attentive devrait permettre de mettre à jour les principes qui assurent leur longévité et de sen inspirer. Ainsi, il est légitime de penser que ces principes sont valables aussi dans dautres domaines, notamment les systèmes économiques et financiers. Le tableau 2 représente les principes et caractéristiques dun écosystème naturel (régulation, compartimentation, diversité, recyclage) 191et démontre comment les systèmes économiques et financiers actuels en sont dépourvus.

Selon la théorie de Dron (2015), dès lors quun sous-système (finance) encadre et pilote un sur-système (économie), alors lécosystème seffondre (société). Dans le cadre de lISR, dès lors quun investisseur choisit dappliquer des critères ISR, il doit normalement prioriser ce critère (léthique encastre lenjeu financier), sinon son choix sorientera vers un investissement traditionnel. La théorie de Dron est donc transposable au cas de lISR. À partir du moment où le sous-système « financier » absorbe le sur-système « éthique » (au sens du mimétisme de Dron) et ne compartimente plus, lécosystème « ISR » ne fonctionne plus dans son rôle initial (fig. 7, p. 193).

Il est donc important de conserver la diversité, notamment dans les critères de décision (extra-financier, éthique, ISR) et dans les profils dinvestisseur. Pour ce, il sagit également de soutenir la diversité dans loffre de produits, et donc conserver une identité éthique et ESG forte pour les produits ISR. Au final, si la taille des acteurs financiers saccroit, que ces acteurs possèdent tous les mêmes profils, utilisent tous les mêmes ressources, alors des pans entiers de léconomie ne se retrouveront plus financés. Cela rejoint lanalyse de Fischbach (2009 : 41) qui affirme quil sagit de contester « que les acteurs sociaux nentrent plus en relation les uns avec les autres que par lintermédiaire des choses quils produisent en vue de leur échange sur le marché », en vue détablir des modes de relation basés sur les valeurs éthiques et sur un échange commun. Dans les sphères financières, lindividualisme via linvestissement et la recherche dutilité ne peut concilier un rapport à « lAutre » au sens de Levinas. La décorrélation de léconomie réelle et léconomie financière via la financiarisation empêche de prendre en considération le fait que lhomo oeconomicus puisse appréhender la notion de relation sociale et partagée avec le reste de la communauté. Lagent économique « rationnel » inscrit dans le dogme néo-classique (Keen, 2014) exécute des décisions et optimise ses choix sur des critères de rentabilité et de risque dans un unique but de maximisation de son intérêt personnel. LISR, sil veut conserver son identité éthique, se doit de rester structuré dans une idée où les investisseurs en quête déthique pourront conserver cet esprit de compartimentation et de diversité (au sens de Dron) sans pour autant être absorbé par les logiques de la finance mainstream que ce soit dans les processus de décision, les objectifs de recherche de liquidité permanente et de rentabilité, ainsi que de linterconnexion et donc de linterdépendance des acteurs.

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Écosystème naturel

Systèmes économiques et financiers

Principe

Circulation dénergie et de matière

Circulation de monnaie, de liquidité

Caractéristiques

Résilience

Régulation (conservation de limites viables, autocorrection) => principe du prédateur-proie

Absence

de résilience

Absence dautorégulation (aucun plafond sur limites de crédit, sur le trading haute fréquence, sur les produits dérivés, logique dintérêt composé amplificatrice)

Degré de connexion, compartimentation, tamponnage des propagations (isolation du risque)

Finance décompartimentée qui met tous les domaines en connexion (accéléré par le numérique) de manière instantanée et universelle ; acteurs et systèmes interconnectés et non diversifiés visant la même ressource quest la liquidité ; monnaie rendant substituable tout ce qui est échangé en prix

Diversité (baisse du risque dépidémie, pas dinterdépendance sur les besoins en ressource)

Acteurs de moins en moins nombreux et de plus en plus gros (concentration), adoptant les mêmes outils, les mêmes agences de notation, les mêmes comportements, ayant les mêmes objectifs (rentabilité, liquidité), étant sensibles aux mêmes signaux…

Recyclage (bouclage des cycles) = exemple : les sols nourrissent les plantes, qui meurent et nourrissent de nouveau les sols (cercle vertueux)

Acteurs absorbent les plus petits ; phénomène de concentration ; circulation ne se répartit pas dans le réseau comme dans un écosystème (flux se détournent des systèmes dinvestissement de léconomie réelle, alors que cest elle qui alimente le secteur financier) (cercle non vertueux)

Effondrement

En présence de résilience : attaque externe de lécosystème : pollution, surexploitation, espèces invasives…

En non présence de résilience : autodestruction du système dès lors que le sous-système (finance) gère le sur-système (économie et relations sociales) => bulles spéculatives, crise financière…

Fig. 7 – Principe de résilience dun écosystème naturel adapté aux systèmes économiques
et financiers actuels (adapté de Dron, 2015).

193

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1 Aristote distingue ainsi la chrématistique « naturelle » (nécessaire à la survie de lhomme) de la chrématistique « anti-naturelle » (placer la richesse dans la possession de monnaie en abondance, dans un but strictement cumulatif et daccroissement du profit).

2 Textes issus de louvrage Éthique à Nicomaque.

3 Le Global Sustainable Investment Alliance (GSIA) représente une alliance ou un réseau de collaboration entre les différents forums ISR mondiaux (US SIF, UK SIF, Eurosif, ASrIA, RIIA et VBDO et le forum japonais JSIF). Les missions du GSIA sont « dapprofondir limpact et la visibilité des organisations dinvestissement durable au niveau mondial » et de promouvoir « un monde où linvestissement durable est intégré dans les systèmes financiers et dans la chaîne dinvestissement » (www.gsi-alliance.org).

4 Les premiers investissements éthiques sétablissent réellement au 17e siècle avec la création du mouvement dissident de léglise anglicane, la « Société Religieuse des Amis », dont les membres sont nommés les Quakers. Ce mouvement qui prône la lutte contre lesclavage et la consommation dalcool ainsi que la vente darmes favorise également lémergence des droits de la femme et à la préservation de lenvironnement.

5 Selon Capelle-Blancard et Monjon (2012), 72,5 % des études académiques publiées dans le thème de lISR et sur la période 2002-2009 traitent du sujet de la performance financière.

6 Le premier fond éthique à voir le jour est le Pioneer Fund, créé par léglise évangéliste américaine en 1928 à Boston, excluant de ses décisions dinvestissement toutes les valeurs basées sur des secteurs considérés non éthiques tels que la vente ou la consommation dalcool, la production et la vente de tabac ou la promotion de la pornographie. Orientés à la base sur les vices stigmatisés par la bible, les critères dexclusion des fonds éthiques sétendent rapidement à dautres secteurs tels que la prohibition ou lindustrie du jeu.

7 En 1971, les révérends méthodistes Luther E. Tyson et Jack Corbett créent le Pax Word Fund, qui décide dexclure de ses investissements toutes les entreprises controversées impliquées dans la vente darmes en lien avec le conflit vietnamien.

8 Plusieurs entreprises type Coca-Cola, IBM, Mobil… ont été retirées de fonds dinvestissement éthiques « activistes » car en lien commerciaux avec lAfrique du Sud au moment de lapplication du régime de lApartheid. Selon Alberola et Giamporcaro-Saunière (2006, p. 4), « cette lutte anti-Apartheid débouchera sur le départ de plus de deux-tiers des entreprises américaines implantées dans ce pays ».

9 Lappellation « développement durable » prend véritablement racine en 1972, lors du sommet de Stockholm, même si le mot Sustainable Development est prononcé pour la première fois en 1987 dans le rapport Brundtland.

10 KLD et Innovest ont depuis été rachetées par le groupe MSCI pour former lagence de notation MSCI ESG Research, ARESE a été rebaptisée VIGEO en 2002, puis VIGEO-EIRIS en 2015 suite à la fusion avec EIRIS.

11 Dun point de vue purement financier, le screening négatif est défini comme une contrainte par les gestionnaires de portefeuille car selon la théorie du portefeuille de Markowitz (1952), il réduit lunivers dinvestissement et donc les objectifs de diversification permettant doptimiser le couple rendement/risque.

12 Approches Best in class et Best effort.

13 US SIF (Social Investment Forum) pour le marché US, Eurosif (European Sustainable Investment Forum) pour le marché européen, AIR (Association pour linvestissement responsable) pour le marché canadien, RIAA (Responsible Investment Association Australasia) pour le marché australien, ASrIA (Association for Sustainable and Responsible Investment in Asia) pour le marché asiatique. Ces institutions représentent des associations ou réseaux de réflexion dont les missions sont de développer la durabilité par le biais des marchés financiers et de promouvoir lISR auprès des acteurs financiers.

14 Bien que non considéré par Novethic comme de lISR stricto-sensu, lintégration ESG est comptabilisée dans les encours ISR par le forum européen de linvestissement responsable Eurosif (étude disponible à ladressehttp://www.eurosif.org/publication/european-sri-study-2012/).

15 1805 milliards deuros investis en stratégie « intégration ESG » sur les 1884 milliards deuros investis dans lensemble des stratégies ISR du marché français en 2012 (exclusions, best-in-class, engagement actionnarial…), compte tenu des systèmes de double comptabilité (certains fonds normatifs peuvent aussi intégrer des techniques de screening type best-in-class).

16 Article disponible sur le lien http://www.lesechos.fr/02/12/2014/LesEchos/21826-138-ECH_isr---un-marche-europeen-dynamique--mais-encore-trop-heterogene.htm#2QWrKChMFuiXUp5k.99.

17 Les auteurs précisent que cela vient à lesprit lorsque « les fonds éthiques utilisent ouvertement leur position éthique pour attirer des investisseurs via des stratégies marketing et des phrases chocs type “investir éthique et vous sentir mieux avec votre argent”, “investissez votre argent là où sont vos valeurs”, “apportez une nouvelle dimension dans votre vie financière et mettez en corrélation vos investissements et vos valeurs” ».

18 Karl Polanyi (1886-1964), historien et économiste hongrois, explique la tendance libérale à placer le marché au centre de la nature humaine et de la société. Dans son ouvrage intitulé La grande transformation (1944, version française en 1983), Polanyi explique « comment le capitalisme industriel du 19e siècle et sa représentation idéologique dans léconomie politique libérale ont marqué une rupture fondamentale dans lhistoire humaine, rupture dont la conséquence désastreuse a été leffondrement de la civilisation mondiale durant la première moitié du 20e siècle (Hart, 2008). Selon la théorie de Polanyi, les relations sociales se retrouvent encastrées dans léconomie, elle-même encastrée dans la logique de marché.

19 Dans leur étude, Benchemam et Chambost (2010) soulignent le témoignage dun analyste ISR : « On essaie de faire en sorte que les analystes lèvent le nez et quils rallongent un peu leur horizon. Cest la principale résistance avec laquelle on doit composer aujourdhui, cest le court-termisme ambiant des salles de marché (…) On considère que lon vient compléter la recherche financière traditionnelle à plus de 12 mois (…). Sur les marchés financiers, 12 mois cest du long, long terme… ». Novethic souligne également ce point dans son rapport sur lintégration ESG de 2010 (« Autre risque, la quête de critères ayant une matérialité financière pourrait demain entraîner des effets pervers comme labandon denjeux de très long terme au profit de seuls critères extra-financiers impactant dores et déjà entreprises et acteurs publics »).

20 Selon Ricœur (1997), « ce qui est en jeu dans toute idéologie, cest en fin de compte la légitimation dun certain système dautorité », tandis que « ce qui est en jeu dans toute utopie cest le fait dimaginer une autre manière dexercer le pouvoir ».

21 Grille IRIS (Impact reporting and investments standards) promue par GIIN (Global Impact Investing Network), grille SROI (Social return on investment) promue par SROI Network, et la grille Global Impact investing Rating System promue par B-Analytics.

22 Suite aux récentes décisions prises sur les enjeux climatiques lors de la COP21, certaines pratiques dévaluation de lempreinte carbone des fonds dinvestissement commencent à voir le jour, proposées notamment par la société Trucost. Dans le même objectif, linitiative Montréal Carbon Pledge, soutenue par les PRI et lUNEPFI, comptabilise aujourdhui 120 sociétés de gestion signataires sengageant à mesurer et communiquer publiquement tous les ans (à partir de 2016) la trace carbone de leur portefeuilles dinvestissement. Le 1er signataire de ce projet fut lÉtablissement du Régime Additionnel de la Fonction Publique (ERAFP) français.

23 Un rapport publié par les Amis de la Terre en 2010 (http://www.amisdelaterre.org/Finance-responsable-Les-Amis-de-la.html/) donne lexemple de BNP Paribas (financement de la centrale nucléaire de Belene en Bulgarie, expansion du barrage deTheun Hinboun au Laos…) ou Novartis (actionnaire à 33 % de Roche impliquée dans des essais cliniques controversés en Chine liés à la transplantation dorganes de condamnés à mort).