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Classiques Garnier

Les services de transports publics gratuits en France Synthèse des représentations géopolitiques

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Entreprise & Société
    2017 – 1, n° 1
    . varia
  • Auteur : Masclanis (François)
  • Résumé : Quels enseignements géopolitiques tirer de la mise en place de services de transports publics gratuits en France ? Cette étude présente quantitativement les réalisations existantes.
  • Pages : 127 à 153
  • Revue : Entreprise & Société
  • Thème CLIL : 3312 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Économie publique, économie du travail et inégalités
  • EAN : 9782406068426
  • ISBN : 978-2-406-06842-6
  • ISSN : 2554-9626
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-06842-6.p.0127
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 10/03/2017
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
  • Mots-clés : Gratuité, transports publics, représentations géopolitiques
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Les services de transports publics gratuits en France

Synthèse des représentations géopolitiques

François Masclanis

Introduction

La gratuité peut-elle être pensée comme une réponse paradoxale à la crise contemporaine des économies marchandes, et un élément de solution face aux risques écologiques actuels ?

Ce travail portant sur les transports publics gratuits comme nouveau « Business Model » de la gratuité, veut contribuer à tenter de répondre à cette interrogation. Cette étude sintéresse à la sphère des services publics locaux. Il porte ainsi sur la mise en place volontaire de services publics de transports gratuits par les structures administratives décentralisées françaises.

Ces services de transport gratuits, innovants et récents, ne sont disponibles actuellement que dans peu de structures administratives publiques sur lensemble du territoire. Leur mise en place est le plus souvent dictée par des choix plus idéologiques quéconomiques : il sagit pour les élus, de placer la gratuité au sein même de ce qui constitue habituellement la sphère marchande de léconomie traditionnelle. Lobjectif politique, voire social, est donc ici primordial, et prime sur les choix budgétaires de pure rentabilité économique, le retour sur investissement attendu nétant pas dordre pécuniaire.

Ce système de gratuité des transports est intéressant car il couvre plusieurs champs essentiels des préoccupations politiques et 128citoyennes contemporaines : léconomie (la gratuité comme réponse à la crise), lécologie (le développement des transports publics permettant une baisse des émissions polluantes), et le social (accessibilité pour tous à la mobilité urbaine et périurbaine).

Mais peut-on tirer un réel bilan de ces politiques publiques novatrices ? Les avis, positifs ou négatifs, sont le plus souvent partisans, et ne sappuient sur aucune étude concrète quantitative ou qualitative de lexistant. Cette étude vise donc à réaliser, hors de toute considération prédéfinie et hypothétiquement biaisée, une étude synthétique de lexistant à travers lexamen des points suivants : quentend-on, lexicographiquement parlant par « Business Model » de la « gratuité » dans les « services publics », et dans quel cadre institutionnel agissent les politiques publiques autonomes décentralisées ? Dautre part, quels sont les systèmes de transports publics gratuits actuellement existants en France, et quels enseignements peut-on retirer de lanalyse des systèmes en place ?

Ces questionnements nous ont conduits à créer une série de tableaux statistiques plurithématiques, analysant les répartitions géographiques, démographiques, institutionnelles et politiques des structures administratives décentralisées. Il sagit ici détudier si une quelconque homogénéité existe dans les choix opérés par les élus de créer un « Business Model de la gratuité » pour les transports publics locaux.

I. Le champ de la recherche
des Business Models publics de la gratuité

Afin de délimiter notre sujet, il est nécessaire, dune part, deffectuer une analyse lexicographique des termes essentiels à la compréhension du thème général et, dautre part, de cerner le champ institutionnel en place autorisant la création de transports publics gratuits dans les structures administratives françaises décentralisées.

I.1. Analyse lexicographique de létude

Il nous faut donc, tout dabord, définir trois termes essentiels délimitant le champ de notre travail. En effet, ces trois termes correspondent 129aux trois notions essentielles qui fondent lobjet de notre analyse : les notions de « business model », de « service public » et de « gratuité », doivent ainsi être explicitées. Elles peuvent être comprises de nombreuses façons, souvent antinomiques, et nécessitent donc dêtre précisées lexicographiquement.

Lacception retenue ici pour définir lexpression anglo-saxonne de « business model », mêle les deux conceptions francophones de « modèle dentreprise » et de « modèle économique ». En effet, nous étudions ici à la fois les intentions et les objectifs dune entité administrative en tant que « modèle entrepreneurial », et les mesures mises en place par celle-ci pour atteindre le « modèle économique » recherché. Ainsi, les valeurs socio-économiques de gratuité des transports recherchées par « lentreprise » publique que sont les structures administratives délocalisées, permettent de définir les règles de fonctionnement, les moyens matériels et les ressources financières nécessaires pour atteindre cet objectif. Le business model est donc « une convention qui interpelle un collectif dacteurs (porteurs du projet, financeurs, clients), et sous-tend une conception partenariale de la valeur (valeur de fait conçue comme valeur échangée entre parties prenantes) » (Verstraete, T. et Jouisson, E., 2009].

Notre business model présenté ici sintéressant à un service proposé par des administrations publiques, il se situe donc dans le champ des « services publics » étatiques. Or, lexpression « service public », regroupe également nombre dacceptions possibles. Nous nous intéressons ici à la conception décentralisée de lautorité publique de lÉtat, visant à la satisfaction dun besoin général, localement identifié et jugé comme nécessaire au bien commun, en loccurrence ici, le secteur des transports publics. Cette activité ne concerne donc pas les préoccupations liées à la souveraineté de lÉtat, en tant quorganisation politique et juridique centralisée du territoire national, cest-à-dire les services publics régaliens généraux et obligatoires (police, justice, armée, émission de monnaie). De plus, à lintérieur de la sphère des services publics « volontaires », ce sont les activités liées au secteur marchand qui nous préoccupent, dans la mesure où le secteur général des transports pourrait être privé et à but lucratif. Donc, créer des services de transports publics, qui plus est gratuits, relève dune décision politique locale, voulue par les élus, volontairement détachée de tout aspect de « rentabilité » économique.

130

Le troisième terme central pour notre analyse, la « gratuité », est ladjectif fondamental à la compréhension économique et sociale de notre thématique. Or, le concept de « gratuité » est dautant plus complexe à appréhender que ses interprétations sont multiples selon les champs danalyse auxquels il se confronte. Notre propos veut sattacher à la conception de la gratuité économique pour lusager dun service public. Nous ne parlerons donc pas ici des différentes notions liées à la « gratuité totale » (négation de toute valeur, quelle soit dusage ou déchange), ou de la gratuité du « don réciproque » au sens anthropologique de Marcel Mauss.

Économiquement, trois champs distincts sintéressent au concept de gratuité :

La sphère de la production marchande qui a trouvée ici un business model original fondé sur les nouvelles attentes du consommateur : obtenir des biens et des services sans avoir à les payer. Le coût et les bénéfices sont alors pris en charge par la publicité, le « sponsoring ». Il y alors trois acteurs : producteur – intermédiaire de financement – consommateur final.

La sphère idéologique sest approprié le concept comme étendard de la revendication altermondialiste et anticapitaliste1 : la gratuité devient « linterdit majeur du capitalisme » selon Paul Ariès 2007), et le fondement dune économie alternative aux diktats du marché. Le rapport devient donc direct, producteur – consommateur, et se rapproche de cette économie du don, fondateur dun lien social direct.

La sphère non-marchande sintéresse à la gratuité dans une conception économique de collecte et de redistribution des richesses. La solidarité par limpôt fonde la cohésion sociale, dans une volonté « déquité » : la production de biens et services doit être liée aux besoins citoyens, non aux profits marchands que cette production pourrait engranger. Cest cette dernière notion qui nous intéresse pour notre étude.

Pourtant, rapportée à la notion de service public, la gratuité pose un problème majeur : comment mesurer « réellement » le rapport coût/131bénéfice de la gratuité dun service public ? Le coût étant économique, son calcul peut se faire de façon rationnelle. Le bénéfice étant le plus souvent social, son calcul est éminemment difficile, voire impossible à effectuer.

Par principe, la comptabilité nationale ne mesure pas la production de services publics non marchands par ses effets, mais par leffort nécessaire à leur obtention. Ce sont donc les coûts de production qui sont pris en compte dans le calcul de la valeur de ces services particuliers. Le profit ou la perte qui sensuit, la plus value ou la moins value qui se dégage de ces opérations, ne sont donc pas pris en compte. Le bénéfice de la « gratuité » dun service public est ainsi économiquement non mesurable.

Ce sont donc bien les décisions politiques qui sont maître dœuvre ici. La volonté de créer un service social, exempté de toute obligation de rentabilité purement économique, permet de justifier la mise en place de ces services publics gratuits.

Ayant ainsi explicité le sens de ce que nous entendons comme « business model » de la « gratuité » dun « service public », il nous faut maintenant analyser le cadre institutionnel dans lequel ce modèle opère.

I.2. Lorganisation institutionnelle
des politiques publiques autonomes décentralisées

La place des services publics marchands et gratuits a pris de plus en plus dimportance en France, suite aux différentes politiques publiques instituant le concept administratif de décentralisation des décisions. Depuis les premières lois Defferre en 1982, de nouvelles responsabilités ont été confiées aux institutions publiques locales, qui deviennent maître dœuvre de ces services publics. De 1982 à 1986, 25 lois et 200 décrets fondent lacte I de la décentralisation. Cette première étape est essentielle, dans la mesure où elle délivre les collectivités territoriales de toutes tutelles administratives, financières et techniques, et fixe la répartition des compétences entre État central, régions, départements et communes. La création, dès 1992, des Communautés de Communes, permet la mise en place de la coopération intercommunale, sans laquelle la possibilité de création de transports gratuits intercommunaux eût été impossible. En 1999, la loi no 99-586 créant les trois structures de lintercommunalité, la Communauté de Communes, la Communauté dAgglomération et la Communauté urbaine, vient compléter ce processus 132dautonomisation des décisions politiques et administratives, en les dotant notamment dune fiscalité propre.

Lacte II de la décentralisation (2003) a permis ladoption dun important transfert de compétences au profit des collectivités territoriales, et pose comme principe lorganisation décentralisée de la République. Les notions de subsidiarité et de proximité deviennent ainsi la règle : selon la loi constitutionnelle du 28 mars 2003, « Les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour lensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur échelon ». Laspect économique est également précisé, puisque les collectivités territoriales sont désormais libres de fixer lassiette et le taux dimposition quelles décident, et donc de financer librement les services publics locaux quelles choisissent de mettre en place. De plus, dès 2004, le développement économique, le tourisme, la formation professionnelle, les infrastructures de transport, le logement social, la protection du patrimoine et lenseignement, deviennent des secteurs dévolus à ces collectivités. Le principe dautonomie décisionnel et budgétaire des collectivités territoriales est donc définitivement acquis.

Les mesures suivantes (exemples de la loi de réforme des collectivités territoriales en 2010, ou de la suppression de la taxe professionnelle la même année), ont permis dadapter et de rationaliser la répartition des compétences et lorganisation des services publics, de mutualiser certaines ressources et dépenses, et de renforcer les mécanismes de péréquation verticale (répartition des dotations de lÉtat aux collectivités territoriales) et horizontale (entre collectivités elles-mêmes).

Enfin, lacte III de la décentralisation, actuellement en cours, se fonde sur trois lois essentielles : celle du 27 janvier 2014 (loi 2014-58) de modernisation de laction publique territoriale et daffirmation des métropoles (loi MAPAM), va permettre de clarifier les compétences des collectivités territoriales par le biais des « conférences territoriales de laction publique » (CTAP), organes de concertation entre ces mêmes collectivités. La loi 2015-29 du 16 janvier 2015 redessine notamment la carte des régions (réduites de moitié dès 2016), et la loi no 2015-991 du 7 août 2015 portant sur la nouvelle organisation territoriale de la République vise à créer une nouvelle carte intercommunale à léchéance 2018.

Ces trois lois vont modifier dans les prochaines années le paysage administratif décentralisé français. Néanmoins, pour lheure, il se 133fonde sur six structures distinctes. La Commune, et les cinq structures organisationnelles de lintercommunalité, cest-à-dire les Établissements Publics de Coopération Intercommunale (EPCI) : la Communauté de Communes, la Communauté dAgglomération, la Communauté Urbaine, les Métropoles, et les Syndicats Intercommunaux (Les Syndicats dAgglomération Nouvelle ayant eux disparus au 1er janvier 2016). Toutes ces structures peuvent avoir des compétences à différents niveaux sur lorganisation des transports publics au sein de leurs espaces géographiques et administratifs respectifs.

Néanmoins, outre la Commune, seules deux structures de lintercommunalité nous intéressent ici, dans la mesure où elles sont initiatrices et maître dœuvre des services de transports publics gratuits. Ces deux EPCI, la Communauté de Communes et la Communauté dAgglomération, ont les spécificités suivantes :

La Communauté de Communes a pour seule contrainte la continuité géographique. Elle nest pas soumise à un seuil minimum de population.

La Communauté dAgglomération regroupe plusieurs communes formant un ensemble de plus de 50.000 habitants dun seul tenant et sans enclave, autour dune ou plusieurs communes « centre » de plus de 15.000 habitants. (Seuls 30.000 habitants, et aucun seuil démographique de 15.000 habitants par commune centre sont nécessaires, lorsque la Communauté dAgglomération comprend le chef-lieu du département). Outre ses compétences obligatoires (développement économique et social, habitat) et la gestion des transferts volontaires de compétence par certaines communes, elle reste libre de créer des compétences optionnelles, dites dintérêt communautaire, afin délargir son champ dintervention (DROIT.ORG., 2015).

Rapportée au territoire national, la part des Communes et des deux EPCI dans lorganisation administrative française est importante : au 1er janvier 2015, on recense 36.658 Communes en France, regroupant 66,3 millions dhabitants. Les deux autres entités administratives qui constituent 2.591 groupements intercommunaux, représentent 53,4 millions dhabitants répartis sur 35.974 Communes :

134

Forme administrative

Nombre

total

Pop.

(millions)

Total

communes

concernées

Commune (C)

36.658

66,3

36.658

Communauté de communes (CC)

2.365

27,5

31.230

Communauté dagglomération (CA)

226

25,9

4.744

Fig. 1 – Les structures administratives concernées
par la gratuité des transports.

Limportance pour lintercommunalité des deux EPCI est donc ici bien visible : 53,4 millions de français sur un total de 66,3 millions, sont régis par ces deux schémas dorganisation administratifs, et lessentiel des Communes sy retrouvent représentées. On note enfin logiquement une prédominance des Communautés de Communes au sein des deux EPCI : cette forme dorganisation est la plus simple à mettre en place, et na comme seule limite que la continuité géographique des Communes concernées.

Les transports publics payants ou gratuits étant tous régis, soit par les Communes, soit par les formes dintercommunalité présentées ici, il nous faut maintenant visualiser limportance et la répartition de ces derniers sur le territoire français.

II. La gratuité dans les transports publics
en France, état des lieux

Nous nous proposons ici détablir cet état des lieux en deux parties complémentaires : dune part en étudiant la typologie actuelle des systèmes de gratuité utilisés de façon générale par les pouvoirs publics et, dautre part, en créant une série de tableaux statistiques, permettant quantitativement de chiffrer les données importantes concernant la gratuité dans les transports publics en France.

135

II.1. Analyse des systèmes de gratuité
existants dans les transports publics

Nous voulons nous intéresser ici à quatre points majeurs : la typologie des systèmes de gratuité existants, les modes de financement de ceux-ci, et les avantages et inconvénients recensés pour ces systèmes en place.

De façon générale, en ce qui concerne la typologie des systèmes de gratuité, il faut séparer gratuité totale et gratuité partielle. Si les deux formes ont en commun la volonté des pouvoirs publics de créer un report modal de lusager vers les transports publics, ils se différencient néanmoins dans leurs finalités respectives.

La gratuité totale ne souffre daucune exception :

Tous les usagers y ont indifféremment droit, quelque soit leur appartenance sociale, leur niveau de revenu, leur âge.

Toutes les lignes ouvertes par les pouvoirs publics sont intégralement gratuites.

La raison du déplacement (travail, loisir) nest pas prise en compte.

Le lieu dorigine ou de destination du déplacement est libre, et na pas à être justifié.

Aucune limite horaire nest fixée : la gratuité sexprime tout au long de la durée du service.

Ainsi, dans ce cas, spatialement, temporellement, économiquement et socialement, la gratuité se veut alors intégrale et sans limites.

La gratuité partielle est plus complexe : des limites vont être crées, en fonction de lobjectif recherché par les pouvoirs publics.

a. Spatialement

Vont être ouvertes certaines lignes spécifiques correspondant à des axes répertoriés comme étant des goulots détranglements (passage de plusieurs voies à une voie unique, avec impossibilité matérielle dextension physique du réseau existant).

De même, certaines zones géographiques, vont être définies comme gratuites, dans un but premier de fluidification du trafic. On recense essentiellement les espaces suivants : centres villes, quartiers historiques et/ou touristiques, zones de chalandage, centres commerciaux, 136aéroports et gares, hôpitaux, universités. Un système de navettes, ou de service gratuit de vélos en libre service, qui peut être limité dans le temps, permet non seulement cette fluidification, mais aussi garantit une accessibilité accrue, un plus grand respect des horaires, et donc une meilleure gestion des espaces géographiques concernés.

b. Économiquement et socialement

La gratuité peut sappliquer en fonction de critères discriminants spécifiques. On retrouve majoritairement des motifs liés aux niveaux de revenus, au statut sociétal de la personne concernée, et/ou à lâge des usagers. Ainsi, par exemple, vont être exemptés de paiement les nécessiteux, les chômeurs, les retraités, les élèves des écoles publiques et les titulaires dune carte détudiant universitaire.

Le concept peut être mis en place afin déviter le coût de construction dinfrastructures trop onéreuses : il est moins coûteux de créer ou de rendre des transports gratuits, que de rénover de façon permanente, agrandir, ou mettre en place, de nouvelles structures. Lexemple de la ville dAmsterdam aux Pays-Bas (mise en place de services gratuits de ferry, en lieu et place de la construction dun pont reliant deux rives) est à cet égard tout à fait probant.

c. Écologiquement

La gratuité peut être temporelle, sappliquant aux transports publics usuellement payant, en raison de pics de pollution par exemple. Cet aspect est nouveau et innovant, dans la mesure où ce type de raison nest apparu quau début des années 2000. Cette gratuité ne répond donc pas à un acte volontaire des pouvoirs publics, mais à une simple obligation légale.

Mais, quel que soit le modèle de gratuité des transports choisi par une collectivité, se pose la question du financement du service en question. On recense essentiellement quatre grandes méthodes en cours :

La fiscalité locale. Le principe dautonomie financière des Communes et des EPCI, mis en place par les trois actes de la décentralisation permet, pour les collectivités qui le désirent, de financer par limpôt la mise en place de ces services. Les contribuables, entreprises et citoyens, sont ainsi promoteurs et récepteurs du service de transport gratuit.

137

Le parrainage par tout ou partie des commerçants locaux. Ces derniers, intéressés par laugmentation potentielle du nombre de clients, participent alors volontairement et collectivement aux dépenses dinfrastructures et de fonctionnement du service. La gratuité acquise des déplacements locaux, la fluidité accrue de la circulation, et le gain de pouvoir dachat procuré par la gratuité, sont des éléments importants pour une plus grande fréquentation des commerces par les habitants.

La publicité sur et dans les moyens de transports eux-mêmes. Laugmentation du nombre de transports mis en place, et le volume dusagers concernés par la gratuité, ne peut quinciter fortement les annonceurs : ils trouvent là une lisibilité accrue pour leurs annonces publicitaires, et donc un surcroît de clients potentiels.

Les entreprises désireuses de procurer un service, apparenté à un avantage en nature, à leurs employés. Pour celles-ci, les gains sont multiples : baisse, voire disparition de labsentéisme (les employés sont pris et raccompagnés directement de leur domicile à leur lieu de travail), ponctualité accrue (les horaires sont fixes), moins de stress et daccidents sur les trajets routiers et autoroutiers, augmentation du lien social entre salariés, et perception pour ceux-ci dun avantage économique important lié à la gratuité du transport professionnel quotidien.

Les avantages recherchés sont multiples et font appel à tous les domaines de la vie publique. On peut néanmoins différencier plusieurs catégories récurrentes majeures, toutes dues à une décision politique volontariste. Les élus, hors de toute considération économique de rentabilité, veulent créer (ou transformer) pour leurs administrés un service public qualitatif et quantitatif de transport urbain et périurbain. Le service rendu peut être vu évidemment sous un angle électoraliste, mais il est également indéniablement lié à une volonté réelle de rendre un service particulier aux citoyens sur les points suivants : léconomie, lécologie et le lien social.

L économie : cet aspect existe en amont et en aval du processus de production. On retrouve essentiellement une économie sur 138quatre postes clés : lédition de tickets de transport, lachat et lentretien du matériel (composteur), le traitement des fonctionnaires liés aux contrôles, le traitement et le recouvrement des infractions elles-mêmes. Sur ce dernier point, il est à noter que les coûts de perception peuvent être parfois supérieurs aux recettes dans les services payants. La gratuité nest donc pas quun coût pour les contribuables, elle est aussi potentiellement source déconomie pour les budgets publics locaux.

L écologie et la santé : La gratuité du transport étant incitatif à labandon de son véhicule personnel sur certains parcours, la réduction du trafic est bénéfique écologiquement (mois démission de gaz à effet de serre) et au niveau sanitaire (moins démissions de particules nocives) pour les populations concernées. De plus, la mise en place de services de transports gratuits nécessitant souvent de nouveaux investissements, le choix de véhicules électriques ou hybrides, est également probant sur ces deux aspects.

La vie sociale : la gratuité est un avantage économique et social indéniable pour tous les citoyens à faible niveau de revenu. De plus, elle permet à cet égard un effacement des barrières et des tensions sociales, les citoyens étant égaux face au service délivré.

La gratuité procure également un confort au niveau de la fluidité du trafic (moins de véhicules en circulation), avantage partagé à la fois par les usagers des transports en commun et par les automobilistes. On retrouve ici lidée du report modal de lautomobile aux transports publics, qui crée un bénéfice pour tous les usagers de la route et pour les piétons (moins de trafic).

Le gain de temps (rationalisation et exactitude des horaires), est également un facteur socialement et psychologiquement important de moindre stress pour la population concernée.

Au niveau sécuritaire, on peut envisager une baisse des incivilités, voire des violences, puisque la fraude disparait. La gratuité est ainsi un atout important de la tranquillité urbaine.

Les critiques portent le plus souvent sur deux aspects économiques et sociaux, touchant au coût relatif à la mise en place des services gratuits, et aux possibles actes dincivilités des bénéficiaires de ces services.

139

a. Le double coût de la mise en place de ces services gratuits

Dune part, le nécessaire financement par limpôt des infrastructures. Mais cette critique est inopérante, au sens où, le financement, nous lavons vu, peut être pris en charge, pour tout ou partie des investissements, par le secteur privé marchand (« sponsoring »), et par la publicité. De plus, que le service soit payant ou gratuit, ne change rien à la nécessité et au montant de linvestissement à faire.

Dautre part, la gratuité induit un manque à gagner dans les recettes budgétaires des collectivités concernées. Cette critique, pour autant quelle soit fondée, peut être relativisée sous deux aspects : Créer un service gratuit est un choix politique, qui fait appel volontairement à une priorisation du social sur léconomique.

La balance doit être faite, nous lavons vu, entre économie de fonctionnement grâce à la gratuité, et manque de ressources financières dues à la gratuité. Léquilibre comptable doit être calculé en net et non en brut, en tenant compte des coûts, mais aussi des bénéfices réalisés.

b. Lirrespect de lusager et le vandalisme

Le service gratuit peut être vu par nombre dusagers, non comme un service rendu, mais comme un service dû du fait même de cette gratuité. Lexemple le plus probant de cet état desprit, est « loubli » dannulation dune navette commandée. Le transport étant gracieux, les pénalités étant inexistantes, lusager peut se permettre une incivilité quil ne commettrait pas avec un service payant.

Les dégradations, pouvant aller jusquau vandalisme, sont également une résultante possible de la gratuité. On ne respecterait pas ce qui na ni coût apparent, ni prix à payer. On trouve ici un aspect psychologique important lié à la gratuité, qui pourrait inciter à la déprédation : ce qui na pas de valeur marchande na pas de valeur tout court, et na donc pas à être respecté.

Néanmoins, aucune étude complète récente na été menée à ce jour sur cet aspect. Laugmentation des dégradations constatées pourraient être dues à laugmentation de la fréquentation, non au fait que ces transports soient gratuits. On peut donc envisager lhypothèse inverse : les services gratuits seraient plus respectés par les usagers, que les services payants. Au-delà dun simple aspect civique, les usagers, sapproprieraient les services de transport comme un bien à respecter parce que justement 140gracieusement mis à leur disposition. Si payer me donne tous les droits, y compris celui de vandaliser ce que jai « acheté », ne pas payer me donne une responsabilité, un devoir, et lenvie de protéger lintégrité du bien collectif mis à ma disposition gratuitement.

Cependant, les avantages semblent primer sur les inconvénients, puisque depuis 1971, date de la première mise en place dun système de transport gratuit (ville de Colomiers), seule une Commune à choisi dabandonner le système, la ville de Provins en Seine-et-Marne (Ile-de-France). Cette décision dabandon de la gratuité prise en 2000 conjointement par la municipalité et le Syndicat des Transports Parisiens, fut essentiellement due à un regroupement des lignes locales au réseau francilien payant, et à une volonté du conseil municipal de ne plus financer par le budget de la Commune lintégralité du service de transport public. Les autres réseaux, que nous allons maintenant analyser, ont tous conservé la gratuité comme mode de fonctionnement de leurs transports publics.

II.2. Analyse statistique
des données quantitatives existantes

Il existe en France (août 2015), 290 réseaux de transports publics urbains et interurbains. Parmi ceux-ci, on recense 26 cas de gratuité totale ou partielle des transports publics, quelque soit la structure administrative concernée.

Nous avons réalisé un premier tableau synthétique, classant alphabétiquement les 26 Communes concernées, et regroupant les données suivantes : les lieux géographiques ayant décidé dopérer ce choix, la population totale concernée2, la forme administrative dorganisation des regroupements intercommunaux3, la date de mise en place des services de transports gratuits, et les formations politiques au pouvoir, à la fois à la date dorigine du schéma de gratuité (POL 1), et en 2016 (POL 2). Concernant ces deux dernières données, le but est danalyser si un changement de majorité politique a eu ou non une influence sur la continuité du service public gratuit.

141

Commune

Regioni

Dept.

Pop (1)

Adm

Date

Pop (2)

Pol 1

Pol 2

Aubagne

PACA

Bouches

du Rhône

45.243

CA

2009

104.003

PC

LR

Bar-le-Duc

Lorraine

Meuse

16.041

CA

2008

36.365

PS

UDI

Boulogne-

Billancourt

Ile-de-France

Hauts-de-Seine

117.126

C

1992

310.498

RPR (LR)

LR

Castres

Midi-Pyrénées

Tarn

41.529

CA

2008

79.849

UMP (LR)

DVD

Chantilly

Picardie

Oise

11.215

C

1992

11.215

CDS

LR

Chateaudun

Centre –

Val de Loire

Eure et Loire

13.039

C

2008

13.039

DVD

LR

Chateauroux

Centre – Val de Loire

Indre

44.960

CA

2001

75.094

UMP (LR)

LR

Cluses

Rhône-Alpes

Haute-Savoie

17.525

C

2009

17.525

UMP (LR)

DVD

Colomiers

Midi-Pyrénées

Haute-Garonne

36.699

C

1971

36.699

PS

PS

Compiegne

Picardie

Oise

40.028

CA

1975

74.000

CNIP

LR

Crepy En Valois

Picardie

Oise

14.514

C

2011

14.514

UMP (LR)

SE

Figeac

Midi-Pyrénées

Lot

9.783

C

2003

9.783

PS

PS

Gaillac

Midi-Pyrénées

Tarn

13.820

C

2014

13.820

UDI

UDI

Gap

PACA

Hautes-Alpes

40.761

C

2005

40.761

CDS

UDI

Graulhet

Midi-Pyrénées

Tarn

11.890

C

2013

11.890

PS

PS

142

Issoudun

Centre – Val de Loire

Indre

12.661

CC

1989

21.429

PS

PS

Libourne

Aquitaine

Gironde

23.736

C

2010

23.736

PS

PS

Manosque

PACA

Alpes de Haute-Provence

22.099

C

2010

22.099

UMP (LR)

LR

Mayenne

Pays de la Loire

Mayenne

13.257

C

2002

13.257

DVG

DVG

Muret

Midi-Pyrénées

Haute-Garonne

24.492

CA

2009

88.653

PS

PS

Neuves

Maisons

Lorraine

Meurthe

et Moselle

7.067

CC

2007

29.121

PS

PS

Noyon

Picardie

Oise

13.658

C

2008

13.658

PS

PS

Pont

Sainte Maxence

Picardie

Oise

12.584

C

2006

12.584

UMP (LR)

LR

Saint Brevin Les Pins

Pays de la Loire

Loire

Atlantique

13.088

C

2008

13.088

DVD

DVD

Senlis

Picardie

Oise

15.789

C

2000

15.789

UMP (LR)

DVD

Vitre

Bretagne

Ille et Vilaine

17.177

CA

2001

77.581

UDF (UDI)

UDI

i.Les Régions indiquées ici sont celles existantes à la date dorigine du schéma de gratuité. Les données liées au regroupement régional du 1er janvier 2016 sont présentées page 12.

Fig. 2 – Synthèse générale de la gratuité des transports publics.

143

Lanalyse de ce tableau permet de constater une très forte hétérogénéité des données relevées, quel que soit le prisme danalyse choisi : en fonction des éléments statistiques recensés, nous constatons que létude des différents éléments inventoriés, quils soient géographiques, démographiques, institutionnels ou politiques, présente des disparités fortes.

Il nous faut donc étudier successivement ces quatre données pour voir, dune part, si elles ont, pour chacune dentre elles, une quelconque influence sur la gratuité des transports publics et, dautre part, si elles peuvent éventuellement se suffire à elles mêmes pour expliquer à la fois la mise en place des politiques de transports publics gratuits, et le maintien de celles-ci de façon contemporaine.

A. Les données géographiques

Au niveau régional, seules dix régions métropolitaines sur les vingt-deux existantes à lorigine du choix sont concernées par la gratuité des transports en commun. Nous le verrons, le regroupement régional de 2016 donne des résultats plus flatteurs : dix régions sur treize sont maintenant concernées. Mais aucune « logique » ne semble se dégager de la répartition géographique de ces régions sur lensemble du territoire. On remarque par exemple, concernant ces régions dorigine, une plus forte implication sur deux dentre elles : Midi-Pyrénées et la Picardie. Or, celles-ci sont spatialement très éloignées, et ne sont régies par aucun schéma commun dorganisation administratif.

De même, au niveau départemental, au sein de chaque région concernée, la distribution ne montre pas dhomogénéité dans la répartition des données. LOise est ainsi, par exemple, le seul département picard à avoir mis en place les six schémas de gratuité des transports publics, les deux autres départements composant la région, lAisne et la Somme, nen ayant aucun. À linverse, la majorité des départements de la région PACA, soit trois sur cinq, ont fait ce choix.

Les deux tableaux ci-après démontrent cette hétérogénéité de façon plus précise : le premier recense les six régions concernées par la gratuité à lorigine du choix, et le nombre de départements qui les composent. Le deuxième recense pour chaque région, les départements ayant choisi la mise en place des réseaux gratuits, et la distribution de ceux-ci. Le but ici, est double : premièrement voire si lappartenance régionale est 144déterminante, deuxièmement, voire si la répartition départementale a une quelconque forme dhomogénéité territoriale.

Régions

Départements

Midi-Pyrenees

8

Picardie

3

Centre Val de Loire

6

Paca

6

Lorraine

4

Pays de la Loire

5

Aquitaine

5

Bretagne

4

Île de France

8

Rhone Alpes

8

Fig. 3 – Régions concernées.

Transports gratuits

Distribution

Tarn

Haute-Garonne

Lot

3

2

1

Oise

6

Indre

Eure et Loire

2

1

Alpes de Haute Provence

Bouches du Rhone

Hautes Alpes

1

1

1

Meurthe et Moselle

Meuse

1

1

Loire Atlantique

Mayenne

1

1

Gironde

1

145

Ille et Vilaine

1

Hauts de Seine

1

Haute Savoie

1

Fig. 4 – Distribution par département.

On constate ici que le découpage régional nest pas à la base de la décision de mettre en place ces services de transports, puisque tous les départements qui les composent ne sont pas concernés. De même, la distribution par département est tout à fait aléatoire, et ne peut être pris comme élément explicatif du choix opéré.

On peut donc en conclure que le recensement des données géographiques ne permet pas dexpliquer de façon probante le choix effectué par les municipalités concernant la gratuité des transports publics.

Il est à noter que le regroupement régional effectif au 1er janvier 2016 ne modifie en rien les données sur la gratuité. En effet, le « hasard » veut quaucune nouvelle région incluse dans la fusion ne présente de système de transport gratuit :

Nouvelle région

Région concernée < 2016

Région concernée > 2016

Alsace – Champagne-Ardenne – Lorraine

Lorraine

Lorraine

Languedoc-Roussillon

– Midi-Pyrénées

Midi-Pyrénées

Midi-Pyrénées

Nord-Pas de Calais

– Picardie

Picardie

Picardie

Centre – Val de Loire

Val de Loire

Val de Loire

Aquitaine – Limousin

– Poitou-Charentes

Aquitaine

Aquitaine

Fig. 5 – Régions regroupées concernées au 1er janvier 2016.

Il est également intéressant de noter quaucunes des régions concernées par la gratuité nont fusionnées entre elles. De ce fait, 146lanalyse statistique est maintenant différente et « artificiellement » plus imposante : dix régions sur treize sont maintenant concernées par le schéma. Seules trois régions françaises métropolitaines échappent à ce processus : Haute-Normandie – Basse Normandie, Corse, Bourgogne – Franche-Comté.

La fusion aura néanmoins une incidence, impossible à calculer dès à présent, de par la compétence importante de la région sur la gestion des services non urbains de transport, réguliers ou à la demande (article L.3111-1 du code des transports) : le fait de fusionner va til promouvoir de façon plus large les transports gratuits sur le nouveau territoire crée par le regroupement administratif, ou au contraire limiter ceux-ci par une refonte des politiques budgétaires et des décisions des nouveaux élus ? Les nouvelles politiques publiques mises en place prochainement, décideront de ce choix.

B. Les données démographiques

Les écarts et les divergences sont ici aussi importants. Nous avons construit un tableau comparatif, chiffrant, par importance démographique (par tranche de 10.000 habitants), le nombre de Communes et le nombre de regroupements administratifs de type EPCI concernés par la gratuité des transports publics.

Population

Communes

Epci

< 10.000

2

1

10.000 – 20.000

15

11

20.000 – 30.000

3

4

30.000 – 40.000

1

2

40.000 – 50.000

4

1

50.000 – 70.000

0

0

70.000 – 80.000

0

4

80.000 – 90.000

0

1

>100.000

1

2

Fig. 6 – Répartition démographique.

147

Lanalyse de ce tableau nous permet de constater, une prédominance des villes moyennes et des EPCI, entre 10.000 et 20.000 habitants. Cette donnée peut potentiellement sexpliquer par plusieurs spécificités liées à cette taille : la population est suffisamment importante pour que des réseaux de transports publics soient nécessaires, et les ressources financières liées à limposition sont suffisantes pour générer la mise en place de la gratuité.

À linverse, les Communes ou EPCI de taille inférieures nont ni la nécessité ni les ressources suffisantes pour créer des transports gratuits. On remarque également quaucun schéma dorganisation administratif compris entre 50.000 et 70.000 habitants ne dispose de services de transports gratuits. Il sagit peut-être là dun facteur de « taille critique » : la mise en place de ces services serait éventuellement perçue ici comme trop complexe et/ou trop onéreuse à mettre en place.

Enfin, seule une Commune et sept EPCI dont la population dépasse les 70.000 habitants ont choisi la gratuité pour les transports publics. Le financement est évidement plus aisé pour ce type de Communes qui peuvent sappuyer sur une base fiscale plus importante. Néanmoins, limportance géographique ne peut être un critère suffisant pour expliquer ce choix : il existe ainsi par exemple en 2015 et en France, 41 Communes de plus de 100.000 habitants, et pourtant seule la Commune de Boulogne-Billancourt a fait ce choix.

Ainsi, lanalyse des données démographiques, tout comme celles géographiques, ne sont pas suffisantes pour expliquer les raisons de la décision de gratuité.

C. Les données institutionnelles

En ce qui concerne la forme administrative dorganisation des communes et des regroupements intercommunaux, on constate deux faits importants.

Dune part, on retrouve le même manque dhomogénéité constaté par ailleurs : dans le détail, les transports publics gratuits concernent 17 Communes, 7 Communautés dAgglomération et 2 Communautés de Communes. Il existe donc une forme administrative spécifique privilégiant la mise en place de ces transports gratuits, la Commune, qui peut sexpliquer par une décision personnelle et volontaire de lélu en place.

148

Dautre part, le constat quantitatif général est édifiant. Même si toutes les communes de France ne possèdent évidement pas de système de transport public, que celui-ci soit payant ou gratuit, toutes nen ayant pas le besoin, il nen reste pas moins que, statistiquement, la part de ce choix de la gratuité est très minoritaire, quelque soit la forme dorganisation administrative existante, notamment au sein des Communautés de Communes et des Communautés dAgglomération.

Forme adminisatrtive

Total France

Total gratuit

Communes

36.658

17

Communautés de communes

2.365

2

Communautés dagglomérations

226

7

Fig. 7 – Répartition institutionnelle.

Ici aussi, donc, la forme administrative existante nexplique pas de façon probante, lexistence des services de transports gratuits.

D. Les données politiques

On pourrait sattendre à ce quune politique, fondée dune part sur lintervention de la puissance publique dans un secteur marchand et, qui plus est, sur un concept de gratuité, soit le fait de partis politiques non libéraux, plutôt placés « à gauche » de léchiquier politique français. Or, les données répertoriées ci-après tendent à démontrer une répartition plus homogène entre les partis de droite et de gauche. Paradoxalement même, on constate une légère prédominance des partis politiques de droite, que ce soit lors de la prise de décision de la mise en place des services de transports gratuits, ou pour la continuité de la gestion de ceux-ci en 2015. Ces partis, réputés économiquement et politiquement libéraux, seraient pourtant théoriquement opposés à la mainmise de la puissance publique dans les décisions économiques, et plus attachés à la sphère de léconomie marchande quau concept de « gratuité ». Nous sommes donc bien là face à une contradiction entre idéologie théorique et pratique socio-économique.

149

Partis politiques

Tendance

Pol(1)

Pol(2)

+/-

CDS

(Centre des démocrates sociaux)

Centre droit

2

0

-2

CNIP (Centre national

des indépendants et paysans)

Centre droit

1

0

-1

DVD (Divers droite)

Droite

2

4

+2

DVG (Divers gauche)

Gauche

1

1

Id

PC (Parti Communiste)

Gauche

1

0

-1

PS (Parti socialiste)

Gauche

9

8

-1

UDI (Union des démocrates

et indépendants)

Centre droit

2

4

+2

LR (Les Républicains)

Droite

8

8

Id

SE (Sans étiquette)

Indépendant

0

1

+1

Fig. 8 – Répartition par partis politiques.

Partis politiques

Pol (1)

Pol (2)

Évolution

Total partis de droite

15

16

+1

Total partis de gauche

11

9

-2

Total independants

0

1

+1

Fig. 9 – Répartition par courants politiques.

Plusieurs enseignements peuvent être retirés de lanalyse de ces tableaux : On constate, dune part, une relative stabilité entre courants politiques au pouvoir actuellement et au moment de la décision de gratuité. Seuls trois cas différent : à Crépy-en-Valois, le pouvoir passe des Républicains à un candidat déclaré sans étiquette. Pour les deux autres cas, le changement de majorité politique concerne les partis de gauche : à Bar-le-Duc, le glissement sopère du PS vers lUDI, tandis quà Aubagne le pouvoir passe du PC aux Républicains. Néanmoins, dans la majorité des cas (23 municipalités sur 26), lappartenance politique est la même dans les deux cas de figure :

150

Partis politiques

Recurrences

Pol (1) droite Pol (2) droite

14

Pol (1) droite Pol (2) gauche

0

Pol (1) droite Pol (2) se

1

Pol (1) gauche Pol (2) gauche

9

Pol (1) gauche Pol (2) droite

2

Fig. 10 – Convergences et divergences politiques.

Il y a malgré tout, dans les trois cas divergents, continuité du service de transport gratuit proposé. Cette pérennisation de la décision originelle transcende donc les appartenances politiques et idéologiques, et tend à démontrer limportance constatée de ces services par tous les partis en présence. La décision de mise en place et de continuité du service nest donc en aucun cas dépendante de lappartenance à un courant politique clairement identifié.

Ainsi, les quatre degrés danalyse statistiques présentés ici, quils soient géographiques, démographiques, institutionnels ou politiques sont certes instructifs pour notre étude, mais non représentatifs à eux seuls de la décision originelle et du maintient des politiques de transports publics en France.

Conclusion

Ladoption par un service public délocalisé dun Business Model de gratuité pour les services de transport public est, nous lavons vu, un choix minoritaire au sein des structures administratives françaises. Ce choix est de plus indépendant des typologies de structures existantes, quels que soient les critères danalyse mis en œuvre. Nous sommes donc face à un choix politique et social volontaire et non-conformiste, dont il faut analyser les modalités de mise en action, les déterminants et les finalités, pour en dégager un bilan qualitatif précis, non-exhaustif et dégagé de tout apriori idéologiquement marqué.

151

Pour cela, chaque structure administrative devrait subir une enquête de terrain sappuyant sur une analyse qualitative reposant sur le questionnement méthodologique suivant :

Raisons initiales (économiques, sociales, politiques) du choix de la gratuité

Coûts (infrastructures, ressources humaines)

Modes de financement du service public gratuit

Étude économique et sociale (aspects positifs et négatifs)

Étude environnementale (impact écologique)

Analyse des externalités (incidences sur la circulation urbaine et périurbaine)

Étude des incivilités et des dégradations

Enquête de terrain auprès des usagers, des professionnels et des élus sur lexistant (validité du système, attentes et améliorations attendues, analyse des critiques)

Prospectives dévolution du concept

Pour cette enquête de terrain, nous pourrions ainsi nous appuyer sur lanalyse du cas de la CAM (Communauté dAgglomération du Muretain) car elle a valeur dexemplarité au niveau national : la politique de transports gratuits actuellement mis en œuvre par la municipalité de Muret et la Communauté dAgglomération du Muretain, dirigée par Monsieur André Mandement, est tout à fait représentative pour notre étude : la ville de Muret, siège de la CAM, présente une forte importance démographique (25.370 habitants au premier janvier 2015, en hausse de 28,3 % depuis 1999), territoriale (5.800 hectares de superficie), et politique, puisquelle est initiatrice et maître dœuvre des principales politiques publiques locales. La CAM regroupe, elle, 16 communes et 90.727 habitants au 1er janvier 2014 (94.000 en 2016). Cela en fait la deuxième communauté démographique de la Haute-Garonne, cette dernière étant elle-même le premier département économique et démographique de la région Midi-Pyrénées. Sur ce territoire ont été mis en place, à la fois des lignes à horaires fixes, et un service de navette à la demande, tous entièrement gratuits. La couverture géographique, 735.596 kilomètres parcourus, et démographique, 38.000 voyageurs par mois (janvier 2016), soit 456.000 déplacements par an, montrent limportance du système existant.

152

Cette étude qualitative sur la CAM, liant les aspects sociaux, écologiques, économiques et politiques de notre sujet danalyse, doit ainsi nous éclairer sur un questionnement prospectif quant à la nécessité et à la validité dune possible généralisation de ce système de gratuité des transports publics aux autres Communes et EPCI françaises.

Face à une crise économique endémique qui stabilise au mieux les pouvoirs dachat des citoyens, et aux nécessaires évolutions environnementales vers une baisse des émissions polluantes, la gratuité des transports publics serait telle ainsi une réponse locale innovante, créatrice dun nouveau paradigme dégagé des contingences liées à un système économique exclusivement marchand, tourné vers la seule notion de profit ?

153

Références

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1 Nous regroupons ici pour ces deux termes, tous les acteurs ayant en commun de revendiquer une réorganisation de la mondialisation sous un aspect économiquement non capitaliste.

2 POP (1) correspond à la population municipale, et POP (2) à la population concernée par le regroupement administratif.

3 C : Commune CA : Communauté dAgglomération CC : Communauté de Communes.