L’articulation marchand-non marchand Cadre général d’analyse et application à la nouvelle économie numérique
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Entreprise & Société
2017 – 1, n° 1. varia - Auteur : Pérez (Roland)
- Résumé : Cette étude présente une réflexion sur l’articulation marchand/non marchand au niveau des organisations humaines finalisées. Celles-ci concernent tant les organisations à vocation marchand que les organisations non marchandes. L’analyse met l’accent sur les effets directs exprimant l’activité de l’organisation et sur les effets induits, ces derniers pouvant conduire à des organisations duales telles que les marchés bifaces. Elle revisite ensuite certaines questions qui animent le débat social contemporain.
- Pages : 51 à 96
- Revue : Entreprise & Société
- Thème CLIL : 3312 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Économie publique, économie du travail et inégalités
- EAN : 9782406068426
- ISBN : 978-2-406-06842-6
- ISSN : 2554-9626
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-06842-6.p.0051
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 10/03/2017
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français
- Mots-clés : Organisations marchandes/non marchandes, modèle économique, effets directs/induits, externalités/internalités, marchés bifaces, économie numérique, économie collaborative, ubérisation, gouvernance, régulation
L’articulation
marchand-non marchand
Cadre général d’analyse et application
à la nouvelle économie numérique1
Roland Pérez
L’époque que nous vivons est déconcertante à maints égards. Les faits, qu’ils soient technologiques, économiques et sociétaux, se succèdent à un rythme inégalé, laissant les analyses qui les concernent, inadaptées et vite obsolètes. Ce décalage entre la réalité des évènements et leur représentation conceptuelle a pu donner lieu à des observations critiques, parfois ironiques, comme le sous-titre donné à ce récent colloque sur les Business Models de la gratuité : « Marx l’avait rêvé, GAFA l’a fait ». La plupart des analystes – qu’ils soient chercheurs ou professionnels du conseil – tentent de faire face à ce hiatus en renouvelant, autant que faire se peut, leur conceptual framework, recommandant à leurs disciples/lecteurs/clients d’abandonner leurs anciens modes de pensée pour de nouveaux, 52mieux à même, selon eux, pour comprendre/interpréter/agir au sein du « Nouveau Monde » qui est désormais le nôtre… Cette course éperdue à la nouveauté aboutit parfois, par des effets de mode autour de tel ou tel gourou, à une littérature parfois vite écrite, vite lue, vite oubliée…
L’ambition de ce papier est tout autre. Il propose au contraire de s’appuyer sur les acquis les plus significatifs des sciences humaines et sociales pour effectuer cette tâche de comprendre/interpréter/agir au sein de ce nouvel écosystème dans lequel nous sommes entrés. Dans cette perspective, nous présentons une réflexion générale sur les relations marchandes vs non marchandes des organisations humaines finalisées (OHF), celles-ci concernant tant les organisations dites marchandes (OM), c’est à dire les entreprises, que les organisations dites non marchandes (ONM) de divers types (services publics, associations privées).
En préambule, on rappellera quelques traits majeurs des relations entre individus et groupes sociaux en termes d’échanges marchands versus contrainte et dons/contre dons en se référant notamment à la typologie dumézilienne
Dans une première partie, on proposera un cadre d’analyse commun aux diverses OHF (OM et ONM), permettant d’étudier, pour chacune d’entre elles, son système de management, défini comme la mise en œuvre d’un modèle économique sous un régime de gouvernance. L’analyse mettra l’accent, au-delà des effets directs exprimant l’activité première de l’organisation, sur les effets induits, ces derniers pouvant être de type marchand ou non marchand, externes ou internes à l’organisation concernée.
Dans une seconde partie, le cadre conceptuel présenté permettra d’analyser l’éco système lié à l’ère numérique et plus généralement le passage à « l’âge de l’accès » (Rifkin). Cela permettra aussi de poser – parfois de « revisiter » – certaines questions qui animent le débat social contemporain, ainsi autour de l’économie collaborative et de l’ubérisation, voire sur la question civilisationnelle, abordée par plusieurs chercheurs (Mintsberg, Ostrom, Sen.) sur « économie de marché » vs « société de marché ? »
53Préambule
Sur les relations entre les hommes
à propos de l’usage des choses
L’espèce humaine étant sociale par nature, les relations entre les communautés constituées et, au sein de celles-ci, entre les membres qui les composent, ont depuis longtemps été étudiées dans leur diversité tant temporelle que géo-politique et culturelle. Ces études ont concerné tout particulièrement les voies et moyens par lesquels personnes et groupes se procurent les ressources nécessaires à leur subsistance et, au-delà, l’exercice de leurs activités au sein des communautés constituées.
C’est ainsi que plusieurs formes majeures ont fait l’objet de travaux significatifs relevant de l’anthropologie, de « l’histoire longue », de la sociologie et de l’économie :
–les ressources obtenues par la contrainte ont été étudiées, depuis les formes les plus classiques dans des collectivités traditionnelles vivant de collecte et de prédation vis-à-vis de leur environnement, jusqu’aux formes contemporaines distinguant celles qui relèvent de la contrainte légale (impôts et taxes) définie par l’autorité régalienne et, à l’opposé, celles qui sont considérées comme illégales (vol, escroquerie) et combattues comme telles par les dites autorités.
–Le don et son double le contre-don ont fait l’objet de nombreuses analyses portant tant sur les sociétés dites primitives correspondant aux premières formes d’humanisation que sur les sociétés contemporaines elles-mêmes très diverses par leurs modes d’organisation et leurs cultures. L’École française d’anthropologie a apporté à ces analyses des contributions remarquables2.
–Enfin, les conditions d’avènement de l’échange marchand – qu’il soit réduit à de simples opérations bilatérales de troc ou organisé/médiatisé via des marchés organisés et monétisés – ont 54–également fait l’objet de nombreux travaux, notamment ceux, bien connus, de l’École des Annales3.
Il est clair, en effet, que les différentes formes d’obtention d’objets et ressources par telle ou telle personne ou tel ou tel groupe ne peuvent être dissociées du statut social de cette personne ou de ce groupe ; ces formes ne peuvent donc être étudiées en absolu, mais apparaissent contingentes aux sociétés qui les abritent et les produisent.
Dans cette perspective, la grille d’analyse dumézilienne paraît particulièrement appropriée en distinguant trois grandes catégories d’acteurs dans une société organisée (Georges Dumézil, 1968/1971/1973) :
–les acteurs publics, chargés des dimensions régaliennes (ex : maintenir l’ordre, lever l’impôt…) ; ces « bellatores » représentent « la force », la « protection »…,
–les acteurs privés, directement en prise avec les opérations concernées par le monde matériel. Ils peuvent être hétérogènes, voire conflictuels (ex : producteurs vs distributeurs, patronat vs syndicats…) ; ces « laboratores » représentent « le travail productif », « l’échange marchand »…,
–entre ces deux ensembles, une catégorie, a priori moins nombreuse et moins apparente, représente « l’esprit » dans ses différentes dimensions immatérielles (intellectuelles, spirituelles…) et son expression (la parole et l’écrit) : ces « oratores » peuvent influencer/guider les autres fonctions4.
Cette catégorisation trifonctionnelle à la Dumézil, permet ainsi de caractériser, au-delà des groupes sociaux, les modes d’obtention des ressources nécessaires à leur subsistance et à l’accomplissement de leurs missions
55–les « oratores » (fonction no 1), exerçant une activité immatérielle, vivent souvent du don ou de ressources attribuées volontairement par les autres acteurs de la communauté
–les « bellatores » (fonction no 2), assurant la protection (à l’intérieur du groupe social et vis-à-vis de l’extérieur), disposent du monopole du pouvoir de contrainte et des moyens matériels qui lui sont liés
–les « laboratores » (fonction no 3), assurant la production de biens matériels et les échanges marchands, vivent directement de ces activités.
Même si une telle catégorisation a pu être contestée dans ses prétentions hégémoniques, on la retrouve dans maintes sociétés humaines, tant dans l’espace (Europe, Inde, Amérique…) que dans le temps5.
Cette typologie des modes d’acquisition et de circulation des ressources entre échanges marchands versus non marchands (via contraintes et dons/contre dons) est apparue assez robuste pour être reprise, avec d’éventuelles variantes, par de nombreux chercheurs, tant en anthropologie et sociologie (Testart, 2007) qu’en histoire du « temps long » (Braudel, 1967-79 ; Wallerstein, 1974-2010) ou en économie (Perroux, 1960).
C’est dans cette perspective que nous situons le présent cadre général d’analyse (I) et son application au contexte contemporain de la nouvelle ère numérique (II).
I. Cadre général d’analyse
des relations marchandes/non marchandes
dans les organisations humaines finalisées
Notre réflexion porte sur les « organisations humaines finalisées » (OHF) formées d’un nombre plus ou moins élevé de personnes réunies dans une structure de coordination de leurs activités. Ce dernier aspect est essentiel ; il permet ainsi de distinguer une organisation humaine 56finalisée d’un rassemblement contingent de personnes, à un moment et sur un lieu donnés.
Une OHF est définie par un double référentiel :
–l’un en termes de lien social reliant les personnes qui composent l’OHF – ce lien pouvant être très différencié, fondé ici sur le contrat, là sur la contrainte, ailleurs encore sur le don et le contre-don
–l’autre en termes de finalisation, c’est à dire de « missions » assignées à l’OHF, finalités elles-mêmes susceptibles d’être très diverses, tant au niveau des contenus (plus ou moins complexes, plus ou moins homogènes), qu’au niveau des modes d’élaboration et d’explicitation.
Ces deux référentiels – celui du lien et celui des finalités – ne sont évidemment pas sans relation l’un à l’autre, l’existence d’une finalité commune pouvant constituer un lien puissant pour l’OHF concernée. Une OHF ne peut être étudiée isolément et in abstracto, mais son étude doit tenir compte de l’ensemble des relations nouées avec les autres acteurs du champ social – notamment les autres OHF ; relations définissant un « encastrement » multi-dimensionnel (historique, juridique, politique, culturel, cognitif…) spécifique à chaque OHF. Le management des OHF porte sur les différents aspects de leur fonctionnement, y compris ceux relatifs à la nature et à l’évolution du lien social et des finalités qui les fondent au sein d’une société donnée.
On précisera quelques concepts (organisations marchandes/non marchandes, modèle économique, régime de gouvernance, système de management, effets directs et induits), puis on mettra l’accent sur les effets induits et sur l’articulation marchand/non marchand dans la dynamique des organisations.
I.1. Sur quelques concepts
Après un rappel sur les notions d’organisation marchande (OM) et non marchande (ONM), on précisera les termes de modèle économique, de régime de gouvernance et de système de management utilisés dans le présent cadre d’analyse. Enfin, on fera une première présentation des concepts d’effets directs et d’effets induits.
57A. Organisation marchande (ON),
organisation non marchande (ONM)
La répartition des organisations entre OM et ONM est a priori bien établie :
–les premières visent à mettre à disposition des biens et services à travers des opérations dites de marché (achats/ventes contre monnaie ou contre la remise d’une créance/dette). La position d’offreur sur un marché neuf (dit « primaire ») qualifie la catégorie « entreprise » ;
–les secondes obéissent à d’autres finalités : elles n’offrent pas de biens et services en vue d’une transaction sur un marché ; elles peuvent produire des biens et services mais pour l’usage personnel de ses membres (autoconsommation), ou pour être fournis à des tiers, mais sans contrepartie transactionnelle directe (dons).
Cette distinction est en pratique moins tranchée : d’une part, parce que certaines activités peuvent, pour partie, relever de la sphère marchande et, pour partie, de la sphère non marchande ; d’autre part, en raison des effets induits s’ajoutant aux effets directs de l’activité considérée (voir infra).
B. Modèle économique,
régime de gouvernance, management
–B.a. Modèle économique
Toute organisation, qu’elle soit OM ou ONM, doit pouvoir se procurer les ressources nécessaires à l’exercice de son activité, que celle-ci appartienne ou non à la sphère marchande. Nous appellerons « modèle économique » (par extension du concept de « business model »)les voies et moyens par lesquels une organisation se procure ses ressources (matérielles, financières, humaines) et les utilise pour exercer ses activités. Ainsi, toute organisation, même une ONM, dispose d’un modèle économique.
58–B.b. Régime de gouvernance
Toute organisation est insérée dans un système de type politique, qui définit les « règles du jeu », celles-ci incluant les procédures relatives à la désignation des dirigeants de l’organisation, à leur mode de fonctionnement et au contrôle de leurs actions. Nous appellerons « régime de gouvernance » (par extension du concept de « corporate governance ») les voies et moyens par lesquels une organisation définit son système de direction et le mode de contrôle de celui-ci, constituant ce que nous avons pu appeler « le management du management » (Pérez, 2003/2009). Ainsi, toute organisation, quelle soit OM ou ONM, se réfère à un régime de gouvernance.
–B.c. Le management comme mise en œuvre
d’un modèle économique sous un régime de gouvernance
Si toute organisation – OM ou ONM – dispose d’un modèle économique (explicite ou implicite) et se réfère à un régime de gouvernance (également explicite ou implicite), alors se pose la question de l’articulation entre ces deux catégories d’éléments. Nous définirons le management comme la fonction assurant cette articulation ; plus exactement le management d’une organisation assure la mise en œuvre (parfois la conception) du modèle économique auquel se réfère cette organisation, dans le cadre du régime de gouvernance qui la concerne.
Cette définition doit être un minimum commentée. La fonction du management n’est pas une simple médiation entre modèle économique et régime de gouvernance. Ces deux composantes ne sont pas de même statut, ni de même nature :
–le modèle économique est lié au système opérationnel (« operating system »), lui-même exprimant la finalité de l’organisation en termes d’opérations concrètes en lui adjoignant les informations pertinentes (exemples : prix et autres conditions d’accès aux ressources, contraintes d’utilisation, etc.) ;
–le régime de gouvernance est, lui, lié au système politique de l’organisation et aux règles juridiques, spécifiques (statuts) ou générales (lois et règlements), qui en régissent les modes de fonctionnement, notamment au niveau de dirigeants (désignation et contrôle).
59Par là même, le management s’inscrit dans deux « postures » a priori distinctes :
–la première est celle de « l’ingénieur » qui tend à appliquer aux organisations humaines la même démarche que celle qu’il appliquerait à des systèmes techniques (exemples : construction d’un pont, lancement d’un satellite, etc.) ; c’est-à-dire une démarche d’engineering, rationnelle, cartésienne, distancée par rapport à son objet, mettant en œuvre une séquence de type « prévisions–programmation–budgétisation–réalisation–contrôle–évaluation–corrections éventuelles » ;
–la seconde est celle de « l’acteur social », inséré lui-même dans l’organisation qu’il est chargé de gérer/manager, en relation à la fois avec les autres membres de l’organisation, avec les autres organisations et institutions socio-politiques, notamment avec celles dont il dépend via le régime de gouvernance qui le concerne. Les démarches sont cette fois plus subjectives, impliquées, parfois heuristiques, selon des processus dits de « co-construction » (Le Moigne, 1994/1995) ou de « stratégie chemin faisant » (Avenier, 1997).
On comprendra que ces deux postures correspondent à des conceptions distinctes, parfois antagonistes, du management. Nous avons pu parler du « choc des paradigmes » à cet égard (Pérez, 2004).
C. Effets directs et effets induits
Une OHF génère deux types d’effets. Les premiers, que nous appellerons effets directs – ou « primaires » – sont représentatifs de l’activité de l’organisation et sont liés aux finalités qui sont les siennes. Ainsi certaines organisations – les OM ou entreprises – produisent des biens et services marchands divers (produits agricoles, biens manufacturiers, services, etc.) ; d’autres – les ONM – produisent des « biens publics » offerts en principe à tous (sécurité, infrastructures, etc.), des « biens clubs » réservés aux membres qui font partie du dit « club » (exemples : associations sportives, artistiques, culturelles, etc.), voire participent à des « biens communs » – des Common-Pool Resources au sens d’E. Ostrom, 1990 (ex : forêts, prairies, pêcheries, nappes phréatiques, …)
60Les seconds, que nous appellerons effets induits – ou « secondaires6 » – sont ceux qui ne sont pas directement représentatifs de l’activité et des finalités de l’organisation, mais qui, cependant, apparaissent pour plusieurs raisons :
–soit en fonction de la dite activité : ils constituent en quelque sorte une « production jointe » à la production principale – ou un « sous–produit » de celle-ci, pas forcément dans de même nature et pas forcément évaluable ;
–soit en fonction d’autres facteurs, généraux ou contingents, non directement liés à l’activité principale de l’organisation. Ainsi des événements positifs ou négatifs (crises) peuvent se produire au sein de l’organisation, comme dans tout ensemble humain, sans relation immédiate avec l’activité. En particulier, le temps est, en lui-même, un facteur d’évolution des organisations et, plus généralement, des systèmes socio-techniques, en fonction des processus de vieillissement, d’obsolescence ou d’entropie que ces systèmes peuvent connaître.
Si les effets directs peuvent être marchands ou non marchands, il en va de même des effets induits ; mais, alors que les premiers caractérisent, par définition, la nature – OM, ONM ou mixte – des organisations concernées, les seconds ne sont pas spécifiques à une catégorie d’organisation. Une OM, qui produit des biens et services marchands, peut générer des effets induits dont certains seront de type marchand (et donc intégrables à son modèle économique) et d’autres de type non marchand. De même, une ONM, qui « produit » des biens et services non marchands, peut, elle aussi, générer des effets induits dont certains seront marchands et d’autres non.
Comme on le voit, la distinction marchand/non marchand tend à se complexifier dès que l’on va au delà de la constatation des effets directs, pour prendre en compte les effets induits. Ces derniers représentent, pour utiliser une image classique, la « face immergée » du fonctionnement des OHF dont les effets directs représenteraient la « face émergée ».
61I.2. Analyse des effets induits
– externalités/internalités
On distinguera deux grandes catégories : les effets apparaissant entre l’OHF et son environnement (dont les classiques « externalités ») et ceux qui s’expriment au sein même de l’OHF et que nous qualifierons d’effets endogènes ou « internalités »
A. Effets induits externes
Il est possible d’opérer une différenciation entre les effets induits externes marchands et les effets induits externes non marchands. Ils concernent autant les OM que les ONM, mais à des degrés différents.
–A.a. Effets induits externes marchands
Ces effets n’ont pas le même statut selon le type d’organisation.
Pour une OM, ils apparaissent « naturels » et ils s’intègrent volontiers dans son modèle économique. La théorie micro-économique de la firme exprime bien cette intégration : la firme offre sur le marché des biens et services correspondant à ses activités ; pour cela elle est amenée à vendre les sous-produits issus de son activité principale, à acheter divers biens et services, à intervenir sur le marché du travail ; l’ensemble constituant sa fonction de production, elle-même au cœur de son modèle économique. Depuis longtemps, les responsables d’entreprises, comme les économistes industriels et les personnes en charge du développement économique, savent que le poids d’une firme ne se mesure pas seulement sur les marchés sur lesquels elle offre ses produits principaux, mais aussi sur tous ceux sur lesquels elle intervient d’une façon significative.
Pour une ONM, il en va de même, bien que les finalités de l’organisation soient distinctes. Toute ONM a besoin, pour accomplir ses missions, de diverses ressources dont la plupart doivent s’inscrire dans l’univers marchand. Pour les établissements d’une certaine taille, ces achats (équipements, fournitures, etc.), ainsi que les possibilités d’emploi qu’elle offre, peuvent représenter des débouchés importants pour les acteurs économiques susceptibles d’y répondre, notamment dans les lieux où cette ONM est implantée.
62–A.b. Effets induits externes non marchands :
les « externalités »
Nous sommes ici sur un terrain familier, celui dits des « externalités », concept bien connu en analyse économique7. Ce concept classique peut être mis à profit pour exprimer la distinction entre OM et ONM :
–les OM, en principe, ne devraient pas se soucier des externalités, par définition même de ces dernières les situant dans l’univers des relations hors marché. De ce fait, la littérature managériale s’est, jusqu’à une époque récente, peu souciée de ces effets externes. En pratique, il n’en n’est souvent rien, les OM mettant en œuvre, en fonction des situations qui se présentent, des comportements contrastés vis-à-vis des différentes types d’externalités rencontrées, cherchant, ici à marchandiser les externalités positives, là à se prémunir des externalités négatives (cf.infra).
–Les ONM, au contraire, sont très concernées par les externalités qui sont souvent consubstantielles à leur mission, laquelle les amène souvent à produire/gérer des biens « publics », « clubs » ou « communs » générateurs d’externalités positives actuelles ou potentielles ou, en sens contraire, à corriger des externalités négatives actuelles ou potentielles.
B. Effets induits endogènes ; les « internalités »
Les effets induits naissent et se propagent, non seulement à l’extérieur des organisations, mais aussi à l’intérieur de ces organisations. Nous avons appelés « internalités » – par symétrie avec le concept d’externalités – ces effets induits internes (Pérez, 2005)
Ces internalités n’ont pas, jusqu’à présent, retenu l’attention des économistes qui, dans leur quasi-totalité8, sont restés dans une conception micro-63économique classique d’une « firme-point », lieu de calcul d’optimisation à partir d’informations considérées comme des données, ou dans une approche macro-sociale de type marxienne pour laquelle l’organisation n’existe que comme lieu d’expression de rapports de production. Que la firme représente une « boîte noire » ou l’expression d’un conflit de classes, ce qui s’y déroule à l’intérieur ne présente, pour ces courants de pensée, qu’un intérêt mineur, l’important n’étant pas le processus mais le résultat de ce processus en termes de décisions et d’actions. Par là même, les effets induits par ce processus, ou par toute autre cause, n’ont pas été mis au programme de travail de la communauté des économistes.
Pour aller à l’essentiel, nous pouvons classer ces divers effets induits dans trois grands sous-ensembles (non disjoints) : les internalités liées aux pouvoirs, aux savoirs et aux valeurs.
–B.a. Internalités et pouvoirs dans l’organisation
Ce thème est celui qui a le plus retenu l’attention des analystes. Psychosociologues, politologues, conseils en organisation et GRH, etc., ont été nombreux à se pencher sur la structuration de l’organisation et son évolution consécutive aux choix stratégiques arrêtés (exemple : fusion-absorption avec une autre entreprise) et/ou aux crises subies (exemple :plan social). Ainsi, que l’organisation concernée soit une OM ou une ONM, l’activité liée à la réalisation des missions met en jeu les équilibres de pouvoirs dans l’organisation et peut déclencher une crise interne et/ou un nouvel équilibre de pouvoirs. Cette remise en cause peut être le fait d’événements non directement liés à l’activité ; c’est par exemple le cas de la relève d’un dirigeant de l’organisation qui souvent se traduit par une période d’instabilité.
–B.b. Internalités et savoirs dans l’organisation
Ce second thème est un peu plus récent en management mais suscite, depuis quelques années, un véritable engouement ; ce dernier étant justifié dans la mesure où nous sommes entrés dans une « société de la 64connaissance » dans laquelle cette dernière constitue à la fois un trait de civilisation et le principal facteur de compétitivité (voir le processus de Lisbonne). Les spécialistes des sciences de l’information et des sciences cognitives ont permis de mieux comprendre comment se constituaient ces « savoirs organisationnels », comment ils évoluaient, se capitalisant ici, se transmettant là, se dégénérant ailleurs… Là également, de tels effets induits s’observent, en liaison avec l’activité ou indépendamment de celle-ci, tant dans les OM que dans les ONM.
–B.c. Internalités et valeurs dans l’organisation
Dans ce thème sur les « valeurs dans l’organisation » nous regroupons – d’une manière peut-être trop cursive – différents items relevant de considérations éthiques, idéologiques et affectives qui concernent toutes les organisations humaines finalisées. Ces dernières sont, par définition, formées de personnes dont chacune s’inscrit dans un référentiel concernant ces différents aspects éthiques, idéologiques, affectifs, etc. Comment et par quels processus arrive-t-on à définir un « climat organisationnel », une « culture d’entreprise » (ou de telle catégorie d’ONM), un système de valeurs communes, etc. ?
I.3. sur l’articulation marchand/non marchand
dans la dynamique des organisations
Si la distinction marchand/non marchand est claire en ce qui concerne les effets directs, car elle fonde la définition même des OM vs ONM, elle est beaucoup moins évidente en ce qui concerne les effets induits, lesquels peuvent être marchandisés sous certaines conditions. Ce constat amène à concevoir des organisations duales sous divers formes (marchés bifaces, ONF mixtes…)
A. La marchandisation des effets induits
Certains effets induits par l’activité d’une OHF (qu’elle soit OM ou ONM) ont été reconnus comme étant marchands, via les politiques d’investissements ou d’achats des biens et services nécessaires à l’exercice de son activité (cf.supra). En revanche, les autres effets induits – externalités et internalités – sont, a priori, hors du champ marchand ; les OHF concernées les « produisant » ou les subissant via leurs activités principales.
65Ces effets induits non marchands peuvent, cependant, entrer dans un processus de marchandisation si les responsables de l’OHF concernée le souhaitent et/ou si l’environnement sociétal l’exige et sous réserve que soient résolues les étapes préalables d’identification et de valorisation.
a. Reprenons chacun de ces éléments pour ce qui relève des externalités.
– souhaits des responsables de l ’ OHF : ils concernent principalement les externalités positives que la dite OHF procure à son environnement du fait de son activité principale. Les responsables d’une OM, comme d’une ONM, pourront se prévaloir de cet « impact sociétal » (social impact)9 positif pour rehausser leur image et, à l’occasion, demander une subvention ou une participation de la collectivité à une infrastructure (ex : desserte du parc Disneyland Paris par le RER)
– exigences de l ’ environnement sociétal : elles concernent, dans l’autre sens, les externalités négatives générées par l’activité de l’OHF (ex : pollution…). Ces nuisances pouvant entrainer un contentieux, lequel pourra déboucher sur des sanctions (amende, interdiction, …), il conviendra de pouvoir les identifier et les évaluer
– identification et évaluation : ces deux phases techniques, bien connues des professionnels du droit, de l’assurance et de la comptabilité, constituent des préalables à tout processus de marchandisation des externalités. Il faut en effet pouvoir indiquer avec suffisamment de précisions de quelle externalité il s’agit et, en second lieu, obtenir un consensus (ou un arbitrage) sur l’évaluation de son impact sociétal (positif ici, négatif là).
b. Pour ce qui concerne les internalités, ces dernières étant, par définition, endogènes à l’organisation, ne sont pas insérées dans une transaction marchande. Ceci ne veut pas dire qu’elles ne soient pas identifiables, valorisables et par là susceptibles de faire l’objet d’une transaction à une autre étape de la vie de l’organisation, soit vers l’extérieur (marchés normaux), soit vers l’intérieur (quasi-marchés ou marchés internes). Ainsi, une OM sera encline à tirer profit des internalités qui seraient devenues 66marchandisables (i.e. identifiables et valorisables) en les intégrant ainsi dans son modèle économique (ex : un carnet d’adresses, une marque réputée). Cela est particulièrement le cas – comme on le verra – des entreprises concernées par la nouvelle économie numérique
Même des ONM, bien que non orientées vers la marchandisation, sont parfois amenées à de telles opérations, si leur modèle économique les y contraint, par exemple pour compléter leurs ressources habituelles. On peut en voir maints exemples, notamment via des accords de franchises permettant l’utilisation de la « marque » d’une ONM réputée10.
B. Organisations duales – marchés bifaces/
organisations mixtes/Janus
Une situation significative de ces relations de marchandisation combinant effets directs et effets induits peut être représentée par des organisations duales, combinant, au sein d’un même ensemble, deux composantes distinctes, mais reliées entre elles par les effets induits de l’une sur l’autre. On peut en esquisser une typologie selon la nature OM ou ONM de chacune de ces composantes
–B.a. Structure OM-OM ou « marché biface11 »
Les marchés dits « bifaces » s’adressent à deux catégories d’acteurs sous des formes spécifiques, mais complémentaires – l’une appuyant l’autre (ex : support de presse s’adressant d’une part à des lecteurs, d’autre part à des annonceurs ; carte de paiement proposée d’une part aux usagers, d’autre part aux commerçants). Les modèles économiques concernés combinent les caractéristiques des deux « faces » de ces nouveaux marchés, l’une (face A) apportant le niveau de fréquentation (grâce à une politique incitative), l’autre (face B) assurant des revenus substantiels. La politique incitative de la face 67A, peut aller à vendre au prix coûtant, voire à perte, voire même à fournir gratuitement un bien ou un service, afin d’augmenter le « périmètre » des usagers et rendre ainsi la face B plus attractive et, par là, plus rentable.
Dans cette perspective, le recours à la gratuité ne relève pas d’une économie du don, mais constitue une utilisation marchande du non marchand : le bénéficiaire du produit offert à perte ou gratuitement sur la face A apporte ses données et le potentiel client qu’il représente ; lesquels pourront être valorisés sur la face B. Cette situation est parfois résumée par l’adage « si un produit t’est proposé gratuitement, c’est que c’est toi le produit12… ».
–B.b. Structure ONM-OM ou organisation duale mixte
La structure étudiée diffère de la précédente dans la mesure où la face A est clairement celle d’une ONM dans sa dénomination comme dans sa pratique ; ces activités non marchandes peuvent être diverses (éducatives, culturelles, sportives, religieuses, de loisirs…). La face B est celle d’une OM alimentée, comme dans les marchés bifaces, par les effets induits de la face A, avec des situations concrètes qui peuvent être contrastées :
–ici, l’activité non marchande de la face A est largement prédominante et l’activité marchande de la face B secondaire ou d’appoint (ex : clubs sportifs ou artistiques avec une activité principale correspondant à leurs missions et un département annexe consacré à la commercialisation de produits dérivés)
–là, au contraire, la face marchande B a pris une telle importance par rapport à la face non marchande A que l’on peut légitimement se poser la question de savoir s’il s’agit encore d’une organisation de type mixte, ou d’un dispositif classique d’amorçage du marchand par le non marchand, comme cela a été rappelé ci-dessus13.
68–B.c. Structure ONM-ONM ou organisation Janus
Nous évoquerons seulement cette dernière catégorie (car nous sortons du cadre d’analyse de l’articulation marchand-non marchand), mais elle représente la même démarche : une activité non marchande en face A, alimente une autre activité, également non marchande mais différente, en face B. Les dites activités peuvent être très diverses, depuis celles qui naissent naturellement de relations suivies au sein d’une communauté (ex : création d’une chorale ou d’un orchestre amateur au sein d’une école ou d’un club de quartier) à d’autres qui peuvent être plus inquiétantes, car au départ cachées et aux conséquences potentiellement importantes (ex : prosélytisme de type politique, religieux, voire sectaire comme l’histoire – y compris récente – peut en donner maints exemples). Nous appellerons « organisations Janus » ces OHF duales, dont l’une et l’autre faces ne sont pas celles de marchés bifaces, mais relèvent de la même famille d’organisations articulant effets induits et effets directs.
En termes analytiques, on peut en effet appliquer à la plupart de ces organisations duales (notamment les marchés bifaces) le cadre d’analyse présenté précédemment. En effet, ce sont les effets induits des activités pas ou peu lucratives de la face A qui alimentent les activités lucratives de la face B (ainsi, la gratuité d’un média permet une audience importante qui en fait un support publicitaire recherché des annonceurs…). Il est clair – comme on l’a rappelé – que ces effets induits peuvent émaner de toute forme d’OHF, qu’elle soit OM ou ONM.
On peut représenter les modèles économiques de ces organisations duales par un schéma simple :
Face A |
Face B |
|
Type d’OHF |
ONM ou OM |
OM |
Mission |
Activités marchandes ou non marchandes diverses (information, sport, culture, éducation…) |
Activités marchandes |
Effets directs |
Satisfaction des usagers de A |
Commercialisation produit B |
69
Effets induits |
Marché potentiel pour B |
Non spécifiques |
Indicateurs de performance |
Croissance et nombre d’utilisateurs |
Profit (niveau et taux) |
Fig. 1 – Modèles économiques des organisations duales
(marchés bifaces ou OHFmixtes).
Synthèse
Nous disposons ainsi, progressivement, d’un cadre conceptuel élargi pour analyser les relations marchandes/non marchandes dans les organisations humaines finalisées.
Ce cadre d’analyse peut être résumé en plusieurs propositions (cf. Pérez, 2005, 2006, complété) :
Proposition 1 : Les organisations humaines finalisées (OHF) peuvent être définies comme organisations marchandes (OM), organisations non marchandes (ONM) ou mixtes en fonction de leurs finalités et, par là, de leurs activités et de l’expression de celles-ci (effets directs).
Proposition 2 : Toute organisation dispose d’un modèle économique reflétant son mode d’acquisition et d’utilisation des ressources nécessaires à l’accomplissement de ses activités.
Proposition 3 : Toute organisation s’inscrit dans un régime de gouvernance reflétant sa structure de pouvoir et les modalités de fonctionnement et de contrôle de ses dirigeants.
Proposition 4 : Le système de management d’une organisation assure la mise en œuvre (parfois la conception) du modèle économique auquel se réfère cette organisation, dans le cadre du régime de gouvernance qui la concerne.
Proposition 5 : Toute organisation produit, en plus des effets directs exprimant son activité, des effets induits par cette activité ou par toute autre cause (notamment le temps).
Proposition 6 : Les effets induits par une organisation peuvent se manifester à l’extérieur ou à l’intérieur de cette organisation.
70Proposition 7 : Les effets induits externes peuvent être marchands ou non marchands, que l’organisation concernée soit une OM ou une ONM.
Proposition 8 : Les effets induits externes marchands sont intégrés au modèle économique de l’organisation concernée
Proposition 9 : Les effets induits externes non marchands correspondent aux externalités, au sens de la théorie économique.
Proposition 10 : Les effets induits endogènes ou « internalités » affectent l’organisation concernée (qu’elle soit OM ou ONM) en termes de pouvoirs, de savoirs et/ou de valeurs.
Proposition 11 : Les effets induits non marchands – externalités et internalités – peuvent, sous certaines conditions (identification et évaluation), entrer dans un processus de marchandisation
Proposition 12 : Les effets induits pouvant affecter tant le modèle économique que le régime de gouvernance de l’organisation concernée, doivent être pris en compte par le système de management de cette organisation.
Proposition 13 : Les organisations duales, combinent, au sein d’un même ensemble, deux composantes distinctes, mais reliées par les effets induits de l’une sur l’autre
Propositions 14 : Une organisation duale dont les deux composantes sont de nature marchande constitue un marché biface
Propositions 15 : Une organisation duale dont au moins une des composantes est non marchande constitue une OHF duale mixte ou de type Janus
II. Application à la nouvelle
économie numérique
Nous avons tenté de montrer que toute activité d’une OHF – et au-delà toute action d’un acteur – génère en plus du « produit principal » correspondant à ses missions (biens & services marchands, prestations non marchandes…), des « effets induits », se diffusant, soit à l’intérieur de l’OHF (effets endogènes), soit à l’extérieur (effets externes). L’un et l’autre de ces effets – considérés comme « secondaires » et, à ce titre, le plus souvent négligés – peuvent se révéler importants, voire vitaux.
71Du fait même de cette diversité de situations à étudier, le cadre d’analyse proposé nous a conduits à le considérer comme un point de départ pour un programme de travail collectif. Parmi les pistes de réflexion relatives à des « chantiers » à mener, plusieurs constituaient autant de questions ouvertes : comment, dans un ensemble social et un contexte technique donné, définir les équilibres entre activités marchandes et non marchandes ? Comment, pour un secteur d’activité ouvert à la fois aux OM et ONM, définir les « règles du jeu » de leurs relations incluant modèles économiques et régime de gouvernance ? Comment, pour une organisation mixte – pour partie OM, pour partie ONM – définir un modèle économique, un régime de gouvernance et un management appropriés ?
Le champ d’application qui s’est imposé a été celui dit de « l’ère numérique14 ».
Les idées directrices qui seront développées sont les suivantes :
–la Révolution numérique fait entrer l’Économie et la Société dans une nouvelle ère avec un nouvel écosystème, modifiant drastiquement les modèles économiques.
–Cet écosystème numérique offre des opportunités à de nouveaux modes d’organisation et de management fondés sur la coopération et le partage… ; modes qui tendraient à mieux conjuguer efficacité économique et aspirations sociétales ; mais qui peuvent aussi entrainer une destruction, pas forcément créatrice, des modèles économiques et des organisations professionnelles, aboutissant à une hyper-marchandisation de ces modèles et de ces relations (« ubérisation »).
–Entre économie collaborative et hyper-marchandisation l’équilibre sociétal dépendra, d’une part de la gouvernance des entreprises et organisations concernées, notamment des plates-formes numériques, d’autre part d’une coopération souhaitable entre les autorités nationales de régulation.
72II.1. L’écosystème de l’ère numérique
et ses modèles économiques
Cette « troisième Révolution industrielle » dont parle Jérémy Rifkin (2012), représente un véritable tsunami technologique qui fait entrer des sociétés humaines dans une nouvelle période, dite de l’ère numérique. Cette révolution technologique bouleverse les écosystèmes actuels et contribue à l’émergence d’un nouvel écosystème, lequel fait émerger de nouveaux modèles économiques.
A. Les caractéristiques de l’écosystème numérique
Ce nouvel écosystème a fait l’objet de maintes analyses15. Pour aller à l’essentiel, nous nous focaliserons sur trois caractéristiques qui paraissent significatives eu égard au thème étudié : l’information sans limites, la montée de l’immatériel et le décloisonnement généralisé.
–A.a. L’information sans limites
Il s’agit, évidemment, de la caractéristique majeure, la révolution numérique étant portée par les technologies de traitement de l’information. Chaque décennie permet de nouvelles avancées et propose des prestations dont la plupart étaient inconcevables la décennie précédente. Ce « no limit » concerne à la fois :
–les quantités d’informations traitées ou accessibles, lesquelles sont devenues gigantesques (Big Data),
–la rapidité d’accès à ces données, grâce aux moteurs de recherche (ex : Google),
–le coût d’accès à ces données et à leur traitement, tendant vers ce « coût marginal zero » dont parle Rifkin (2014).
–A.b. La montée de l’immatériel
Les nouveaux produits font une part de plus en plus importante à l’immatériel. Ainsi dans le couple traditionnel en informatique 73matériel-logiciel (hardware-software), l’attention était autrefois portée sur le matériel et la firme de référence était IBM, qui construisait les ordinateurs ; elle s’est progressivement déplacée sur les logiciels et la firme dominante est devenue Microsoft, qui était initialement un des sous-traitants d’IBM.
De même, dans la plupart des produits issus des industries dites manufacturières, la partie numérique embedded est de plus en plus importante ; ainsi pour les véhicules de transport (aéronautique, automobile…). Par ailleurs, on consomme de plus en plus de services, que ce soit évidemment de l’information, mais également dans les secteurs de la santé, de la culture, de la sécurité… Au total, l’immatériel, soit incorporé dans le matériel, soit sous la forme de services, constitue une part de plus en plus importante des valeurs ajoutées et des échanges économiques et sociaux (cf. Walliser et Bessieux-Ollier, 2011).
–A.c. Le décloisonnement généralisé
Ce dernier aspect n’est pas le moindre et expriment bien en quoi l’ère numérique correspond bien à une révolution non seulement technologique mais aussi sociétale. Les différentes dimensions de la vie collective et personnelles en sont en effet concernées.
a. Décloisonnement géographique, mondialisation
Si avec Paul Valéry, on sait que « le temps du monde fini commence », il est clair que la révolution numérique accentue cette finitude. Les immenses possibilités offertes par l’information et son traitement aboutissent à ce « rétrécissement de l’espace-temps » qui caractérise le monde actuel. Ce dernier a pu être qualifié de « village mondial », chacun d’entre nous pouvant être informé, en temps réel, de tel ou tel évènement survenu à l’autre bout de la planète, pouvant envoyer des messages ou des documents à des partenaires disséminés à travers le monde, tenir une visioconférence, etc. Cet effacement des frontières au niveau du numérique – malgré les tentatives de maints États autoritaires pour les rétablir – est d’autant plus saisissant que ces frontières – voire des murs – sont plus que jamais présents pour ce qui concerne les mouvements de biens matériels et a fortiori des personnes.
b. Décloisonnement temporel entre les périodes
L’observation précédente sur le rétrécissement de l’espace-temps à l’heure d’internet, des téléphones portables et des chaines d’informations 74en continu, se concrétise, au niveau de chacun, par un décloisonnement des différentes périodes de sa vie quotidienne, notamment entre vie professionnelle et vie privée. Autrefois, il était à peu près possible de délimiter ces différentes périodes (cf. les débats sur le temps de travail, les pauses, les trajets…). À l’ère numérique, ces limites deviennent plus perméables et, sauf à s’astreindre à des protocoles stricts (par exemple sur sa messagerie), le numérique permet des intrusions de plus en plus prégnantes de la sphère professionnelle dans la sphère privée.
c. Décloisonnement entre les statuts des acteurs du numérique
Là également la situation était autrefois relativement claire et définie : dans un écosystème donné, X était un consommateur, Y était producteur, éventuellement Z, comme commerçant permettait de relier X à Y., …Sous l’ère numérique, ces statuts apparemment distincts tendent à s’estomper et ceci, à double titre. D’une part, X peut être demandeur de tel ou tel bien pour sa consommation personnelle, puis le proposer ensuite à d’autres consommateurs en se mettant ainsi en position d’offreur. D’autre part, par leurs opérations successives, les acteurs de l’économie numérique génèrent des effets induits qui sont, comme va le voir, des éléments essentiels des modèles économiques concernés (marchés bifaces ou organisations duales) ; ils se retrouvent ainsi à la fois consommateur de A et producteur de B.
B. Les modèles économiques du numérique
et leurs implications
Le nouvel écosystème numérique bouleverse les écosystèmes traditionnels, lesquels, selon le cas, se protègent, s’adaptent ou disparaissent. On peut observer cette diversité de réactions dans les modèles économiques de ces écosystèmes ; ce qui appellent de nouvelles méthodes de management et d’évaluation…
–B.a. Modèles économiques – marchés bifaces
Au départ, cette nouvelle révolution industrielle semblait se cantonner à des changements technologiques, comme les sociétés humaines les connaissent, depuis plusieurs siècles : après la machine à vapeur et après l’électricité, pourquoi pas l’ordinateur ? Plus que pour les révolutions 75précédentes, le processus de passage de la Science à l’Industrie, via la Technique (Perroux F, 1965), a fait apparaitre, non seulement des nouveaux produits, et de nouvelles technologies pour les produire, mais aussi de nouveaux modes d’utilisation.
Plutôt que le bien lui-même, c ’ est son usage qui devient l ’ objet central des marchés. On observe un transfert progressif – parois rapide – d’un objet matériel vers le service procuré par le dit objet. Ainsi, en informatique et applications, après le couple IBM-Microsoft est venue la période de Google (moteur de recherche), puis de Facebook (réseau social). De même, en téléphonie mobile : avant on vendait des appareils, maintenant on vend le service (à l’unité ou via un abonnement), l’appareil étant fourni gratuitement ou pour un prix symbolique.
Ainsi, les business models de l’ère numérique sont très différents de ceux de l’économie traditionnelle, car « le digital modifie la chaine de valeur » (Tirole J., 2016, p. 497). Nous sommes en effet au sein de ces « marchés bifaces » (cf.supra), voire « multifaces16 ». Cette adéquation de ce concept de marché biface à l’économie numérique tient aux caractéristiques fondamentales de cette dernière, reposant sur les données collectées et les algorithmes qui les traitent :
–le recueil massif de données est indispensable ; elles sont apportées par les utilisateurs de la face A du marché biface, justifiant que les responsables de l’organisation de la collecte favorisent au maximun ces utilisateurs, par le recours à la gratuité (ex : open access) ou par une tarification très modique.
–le rôle de plus en plus prégnant de l’algorithme utilisé renforce la position des acteurs qui l’ont conçu ou en possèdent les droits d’exploitation.
Ces deux caractéristiques se combinent pour faire des plates-formes numériques les interfaces incontournables de ces nouveaux marchés bifaces/multifaces de l’ère numérique.
76–B.b. Méthodes de management et d’évaluation
L’essor du numérique – et plus largement de l’immatériel – tant au niveau des produits eux-mêmes qu’à celui des systèmes de production et des modèles économiques concernés, oblige à en revoir les fondements et, au plan des entreprises, à mettre en œuvre des innovations managériales au niveau des différentes fonctions concernées : l’organisation du système de production et son contrôle, le marketing, la GRH, la finance et les méthodes d’évaluation…
Au plan des modèles managériaux, on est dans une véritable « rupture paradigmatique » au sens de Kuhn (1962) ; chercheurs et praticiens doivent s’épauler pour renouveler la panoplie actuelle des outils de gestion. Tout particulièrement, le contrôle de gestion doit être repensé pour devenir « un pilotage intégrant stratégie, cognition et finance » (Mignon-Teller, 2009).
Au plan financier, les traitements diffèrent selon les types de biens considérés :
–un bien matériel est produit selon un processus donné ; sa reproduction demandera, dans un état donné des technologies, le même processus et aura grosso modo un coût comparable (hors rendements d’échelles et effets d’apprentissage). Ensuite, il sera consommé ou utilisé/usé/amorti via son utilisation répétée ;
–un bien immatériel (brevet, marque, logiciel, base de données, réseau social…) obéit à de toutes autres lois : sa production peut être plus ou moins complexe et coûteuse, sans garantie de résultat. En revanche, sa reproduction, si elle est autorisée (problème des copyrights), est facile et avec un coup marginal proche de zéro. Surtout, un bien immatériel, non seulement ne s’use pas, mais au contraire peut se renforcer du fait de son utilisation.
Évidemment, beaucoup d’entreprises utilisent les deux types de biens. Ainsi, Schlumberger, entreprise de services pétroliers (forages), utilise des équipements (pour forer) et une base de données (issues des forages précédemment effectués) ; les premiers doivent être amortis et renouvelés plus ou moins vite, la seconde au contraire s’enrichit à chaque nouveau forage.
77En termes de méthodes d’évaluation, l’incertitude caractérisant l’ère numérique se traduit par la non applicabilité des modèles classiques d’évaluation (actualisation des flux futurs de revenus) au profit d’autres types de modèles qui apparaissent parfois comme des martingales (ex : pour un réseau : valeur = multiple du carré du nombre d’adhérents) mais qui sont en phase avec la nature « biface » du marché considéré (la face A, a priori non rentable, apportant la « clientèle potentielle » qui pourra être valorisée sur la face B).
Si les modèles économiques sont drastiquement transformés par le numérique, nécessitant de nouveaux modes de management et d’évaluation, on observe, en revanche, un retard d’adaptation des systèmes de gouvernance et des dispositifs de régulation qui leur sont usuellement associés, tant au niveau des acteurs impliqués que des territoires concernés.
II.2 . Les effets contrastés de la révolution numérique
sur la relation entreprise et société
La révolution numérique nous fait-elle franchir une nouvelle étape vers des relations humaines pacifiées ou, au contraire, favorise-t-elle une hyper-marchandisation de ces relations, reflétant une régression en termes sociétaux ? Pour présenter les arguments en faveur de l’une et l’autre thèse, on s’appuiera sur les caractéristiques de la nouvelle ère numérique rappelées ci-dessus, en les traduisant en termes d’opportunités versus risques concernant la relation de l’entreprise à la société.
A. Les opportunités pour une économie collaborative
Ces opportunités sont diverses et tiennent aux caractéristiques du nouvel écosystème numérique rappelées ci-dessus.
–A.a. Au niveau des acteurs : pour une économie
fondée sur la coopération et le partage
Les arguments plaidant pour cette orientation sont nombreux :
–l’accès à l’information sans limite permet à tout acteur de s’informer et de rechercher les meilleures solutions,
78–le « coût marginal zéro » permet de nouveaux modèles économiques, fondés sur une économie du partage,
–les réseaux sociaux permettent de concrétiser cette économie collaborative,
–la montée de l’immatériel (tant incorporée au matériel que en services) met l’accent sur les facteurs humains et sociaux (intelligence, coopération, esprit collectif),
–la primauté donnée à l’usage (même temporaire) des objets, plutôt qu’à leur détention exclusive garantie par les droits de propriété, modifie la relation des humains à ces objets, et par là celle des humains entre eux.
Ces nouvelles situations et configurations ont pu être conceptualisées, mettant en avant le rôle des « communs » au sens des « common-pool resources » étudiés, notamment Elinor Ostrom. Cette dernière s’était tout d’abord focalisée sur les communs liés aux ressources naturelles (eau, forêts, pêcheries…) et avait démontré, qu’entre la marché et l’État, des formes d’organisation collective pouvaient être efficaces (Ostrom E. 1990). Elle avait ensuite élargi ses terrains d’études en étudiant des ressources immatérielles, comme la connaissance (cf. Hess C. et Ostrom E., 2007), aspirant à contribuer à une construction théorique plus générale « We hope…to contribute to the development of an emprically valid general theory of self-organization and self-governance » (interview Elinor Ostrom, 2009). La prise en considération de l’approche en termes de communs a même parfois permis d’inverser l’affirmation de Hardin (1968) sur « la tragédie des communs » en proclamant « la tragédie des anti-communs » (Teller M.A., 1998)17.
–A.b. Au niveau des territoires : pour une mondialisation
fondée sur la solidarité
La réduction drastique des distances géographiques grâce aux technologies de la communication et les potentiels, quasi illimités, de traitement 79de l’information, ont pu laisser espérer une transformation rapide des systèmes de production et, par-là, des espaces économiques concernés. Puisque l’on peut, en temps réel, communiquer entre tel grand centre urbain – à Londres, New-York ou Tokyo – et telle région périphérique dans un pays d’Afrique, d’Amérique Latine ou du sud-est asiatique, il devient a priori possible de concevoir des organisations intégrées, réparties sur des pays et des espaces socio-économiques variés, mais participant à un même projet collectif.
Ces initiatives sont d’autant bienvenues qu’elles sont orientées vers la satisfaction des besoins des catégories sociales les moins favorisées, lesquelles sont souvent les plus nombreuses, constituant cette « base de la pyramide » (« The Bottom of the Pyramid » BoP) décrite par de grandes figures comme M. Yunus (2007) ou C. K. Prahalad (2008).
Par ailleurs, il est apparu possible de recourir à des modèles économiques fondés sur « l’innovation frugale » – la « Jugaad Innovation »– dont le slogan est : « Think Frugal, Be Flexible – Generate Breakthrought Growth » (Radjou N., Ahaja S., Prabhu J., 2013). Cette orientation vise à adopter des modes de production économes en termes de consommations intermédiaires (matières premières, énergie…), n’exigeant pas des investissements trop lourds et des qualifications trop élevées et, enfin, limitant les impacts environnementaux.
Ainsi, l’action collective peut s’exprimer également dans la solidarité entre les territoires et entre les générations ; l’écosystème généré par la révolution numérique permet de l’espérer et, pour certains acteurs, de tenter de le mettre en œuvre. On donnera pour exemples le peer-to-peer prôné par M. Bauwens et ayant donné lieu à des expérimentations en Amérique centrale (Bauwens M, 2015) ; également les expériences relatées par the Commons Strategic Group à travers le monde (Bollier D. & Helfrich S., 2012, 2015).
B. Les risques d’une hyper-marchandisation
et d’une concurrence exacerbée
Ces risques se situent tant au niveau des acteurs économiques dans une société donnée qu’entre les différents territoires d’un monde globalisé.
80–B.a. Au niveau des acteurs :
l’hyper marchandisation de la société
L’écosystème numérique a une double conséquence sur les relations marchandes :
–d’une part, il « casse » les modèles économiques traditionnels, notamment les formes d’organisation assurées par les acteurs des professions concernées, directement ou via les pouvoirs publics concernés (ex : ordres professionnels). Il permet à de nouveaux acteurs d’entrer sur le marché, en concurrence, voire en substitution des acteurs précédents ;
–d’autre part, il permet de « marchandiser », par des particuliers et via des plates-formes numériques, des biens et services qui ne l’étaient pas ou seulement à titre exceptionnel (ex : location temporaire d’un logement ou d’un véhicule).
Il est convenu d’appeler « ubérisation » ce double mouvement de déstructuration des circuits économiques traditionnels et d’entrée sur le marché de nouveaux offreurs, au départ non professionnels. Si la plateforme numérique Uber est la plus connue dans le domaine du transport en « voiture de tourisme avec chauffeur » (VTC) – en concurrence donc avec les taxis professionnels – on sait qu’il existe maintes autres plateformes numériques dans divers autres secteurs d’activité, tels qu’AirBnb pour le logement temporaire, …
Il est possible de proposer une typologie permettant de distinguer différents degrés allant du don à l’hyper-marchandisation, en passant par les différents types d’économie collaborative :
Échelle DECMA
(Don – Économie Collaborative – Marchandisation)
Catégorie : Don
Niveau 1 : économie du don
Catégorie : Économie collaborative
Niveau 2 : économie collaborative non monétaire
Niveau 3 : économie collaborative monétarisée (à des degrés variables)
81Catégorie : Économie marchande
Niveau 4 : économie marchande « grise »
Niveau 5 : économie marchande « standard »
Niveau 6 : hyper-marchandisation (« uberisation »)
Fig. 2 – Adapté de Mignon S, Pérez R., Walliser E. (2016).
Le niveau 1 est celui de l’économie du don et non de l’échange marchand. Proposer à l’enfant de votre voisin de prendre place dans votre voiture, – comme, accueillir chez soi un ami de passage ou donner de la nourriture aux Restos du cœur… – sont des gestes effectués dans un esprit altruiste, sans esprit mercantile et sans support monétaire. Certes, on sait que le « don » appelle très généralement un « contre-don », les deux éléments se complétant dans des rituels socialement codifiés (cf. Mauss, Dumézil…) ; mais ces échanges socialisés et étalés dans le temps ne constituent pas directement un échange marchand singularisé et monétarisé.
Les niveaux 2 et 3 correspondent à ce qui est communément dénommé économie collaborative. Ils représentent cependant des situations dont la diversité va au-delà de la simple nuance :
–les situations de type 2 relèvent d’une forme intermédiaire ; elles se rapprochent de la catégorie précédente dans la mesure elles ne sont pas monétarisées et restent exprimées en termes d’actions réciproques (échanges de transport, de logements, de repas…). Elles ne relèvent cependant plus de l’approche en termes de don/contre-don, dans la mesure où ces échanges, bien que non monétaires, sont clairement identifiés et spécifiés dans leur réalisation.
–Les situations de type 3 se distinguent à la fois des précédentes (types 1 et 2) dans la mesure où elles commencent à être (plus ou moins) monétarisées et aussi des suivants (types 4-5-6) dans la mesure où elles ne prennent pas en compte la valorisation du travail effectué par les acteurs concernés, lesquels ne sont pas rémunérés. La partie monétarisée peut être très différente d’un cas à l’autre, concernant, ici seulement les coûts variables, là l’ensemble des coûts hors travail (y compris l’amortissement des biens durables utilisés).
82Enfin, les niveaux 4, 5 et 6 relèvent de l’économie marchande, avec, là également, des spécificités inhérentes à chaque catégorie étudiée :
–les situations de type 5 sont les plus nettes ; elles appartiennent sans conteste à l’économie marchande. Quels que soient leur statut (auto-entrepreneur, EURL, SARL ou SA…), des personnes qui offrent des produits – biens ou services (ici un transport, là un logement ou un repas…) à des « clients » et qui vivent – plus ou moins aisément – de la vente de ces produits, correspondent à la situation classique d’acteurs d’une économie que nous qualifierons d’économie marchande « standard ».
–Les situations de type 4 sont légèrement infléchies par rapport aux précédents, selon l’importance de ces « indemnités compensatoires » accordés aux acteurs concernés (ici le transporteur occasionnel, là le logeur ou le cuisinier…). Si elles sont élevées, elles correspondent à une rémunération du travail accompli (que celui-ci soit déclaré ou non) ; si elles sont faibles, elles relèvent partiellement (pour la différence par rapport au coût du travail) de l’économie collaborative, voire de l’économie de don. Nous qualifierons les cas de ce type d’économie marchande « grise » pour marquer ces nuances (et parce que maintes situations de ce type relèvent de statuts « non officiels » – notamment vis-à-vis du fisc – à l’inverse de ceux des acteurs de l’économie marchande standard)
–les situations de type 6 sont, au contraire, accentuées par rapport au cas standard. Elles sont totalement marchandisées, au sens que la fonction principale des plates-formes numériques qui se sont créées à l’image d’Uber…, a pour objet, non pas de fabriquer le produit lui-même mais de créer le marché concernant ce produit, sans se soucier a priori, ni de ses conditions de production/utilisation, ni du statut des acteurs concernés et des contraintes institutionnelles (réglementation, fiscalité…), ni a fortiori des conséquences directes ou indirectes (externalités) générées par ces activités d’échanges. Nous appellerons « hyper-marchandisation » cette forme débridée d’économie marchande.
83–B.b. Au niveau des territoires :
une mise en concurrence exacerbée
Le nouvel écosystème numérique a pu offrir des partenariats favorisant le développement. Un certain nombre de réalisations ont pu témoigner de ces opportunités offertes par l’essor des économies dématérialisées ; ici des centre d’appels, là des bureaux d’études, ailleurs des services d’appui externalisés pouvant intervenir via internet… Le télé-travail a pu ainsi constituer une voie particulièrement féconde dans l’évolution des processus de production et d’organisation du travail dans la nouvelle ère numérique.
Cependant, il convient de ne pas trop idéaliser de telles transformations : les structures de pouvoir – notamment au plan financier – restent très concentrées, comme en témoignent le poids des places financières comme la City à Londres ou Wall Street à New-York ou la « nationalité » des grandes FMN, notamment celles de l’ère numérique, tant les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) que les nouvelles « licornes » comme Uber, AirBnb…
Surtout, cette mondialisation accélérée permise par la révolution numérique accentue la mise en concurrence des différents territoires, les acteurs économiques pouvant effectuer leurs emplettes au sein du « village mondial » sur la base du moins disant, sans considération particulière sur les conditions d’obtention de ces avantages comparatifs, notamment en termes d’impacts environnementaux et sociétaux. Cette mise en concurrence des territoires est particulièrement nette en matière fiscale, comme on a pu l’observer à maintes reprises, avec les domiciliations au Luxembourg ou en Irlande18. Les principaux acteurs de la nouvelle ère numérique recourent – comme on le sait – largement à ce type d’optimisation fiscale, facilitée par la nature immatérielle de leurs activités, ce qui leur permet d’échapper aux habituels contrôles des flux de marchandises.
Au-delà des avantages recherchés en termes marchands (dans une logique de coûts comparés à la Ricardo), y compris de ceux résultant 84d’une optimisation fiscale, l’internationalisation des activités a souvent comme objectifs, parfois avoués, le plus souvent implicites, de profiter des faiblesses des systèmes nationaux en matière de protection sociale ou environnementale. Le pouvoir du numérique sert alors à intégrer, dans un même business model, les différentes composantes des activités d’une firme multinationale, sans se soucier des externalités négatives, plus ou moins importantes, générées par ces activités sur les différents territoires concernés.
II.3. Entre économie collaborative
et hyper-marchandisation : gouvernance et régulation
Les effets contrastés de la numérisation sont parfois difficiles à apprécier en termes sociétaux ; ils le sont d’autant moins qu’une même opération (ex : mise à disposition temporaire d’un logement, d’un véhicule, d’un équipement…) peut ici relever d’une économie fondée sur la coopération et le partage, là d’une hyper-marchandisation revendiquée comme telle. Pour permettre d’apprécier, au cas par cas, les situations ainsi créées, nous mettrons l’accent sur le rôle central de la gouvernance des plates-formes numériques et sur la coopération souhaitable entre les autorités de régulation.
A. Le rôle central de la gouvernance
des plates-formes numériques
Qu’est-ce qui différencie le comportement d’un particulier qui, disposant de locaux dont il n’a pas actuellement l’usage, propose, via les réseaux sociaux auxquels il a accès, de les louer dans des conditions à débattre (allant de la quasi-gratuité à un prix plus ou moins élevé) et celui d’une plate-forme numérique comme AirBnb spécialisée dans ce type d’opération ? Il n’y a pas a priori de solution de continuité entre ces deux comportements et on ne peut exclure que le particulier en question, s’il n’arrive pas à réaliser directement son projet, s’adresse à la plateforme dédiée pour le finaliser. L’histoire des différentes plateformes numériques, y compris parmi les plus mondialisées, montre d’ailleurs que, souvent, elles sont nées dans l’économie de la coopération et du partage19.
85Pour tenter de cerner la finalité d’une plate-forme numérique, il semble nécessaire d’analyser son régime de gouvernance ; i.e. se poser un certain nombre de questions de base concernant le statut et le mode d’exercice des responsables de l’organisation concernée (qui nomme qui ? comment sont décidées les missions ? à qui rendre compte et sous quelle forme ? quelles régulations ?…).
On s’aperçoit alors de la grande diversité, voire l’hétérogénéité des situations :
–ici, un collectif, organisé autour d’une association, d’une coopérative ou d’un réseau social, s’efforce d’apporter aux membres de ce collectif et des organisations concernées les avantages rendus possibles par les opportunités qu’offre le nouvel écosystème numérique. La structure mise en place est animée par des salariés ou par des bénévoles ; il n’y a pas d’enrichissement personnel ; les dirigeants rendent compte de leur activité ; … Il est clair que la relation entreprise et son environnement sociétal peut être renforcée dans l’ère numérique, le système de gouvernance en étant le témoin et le garant ;
–là, quelques personnes (parfois une seule), souvent jeunes et accrocs au numérique ont une idée innovante pouvant être mise en œuvre dans le cadre du nouvel écosystème numérique. Ces geek se lancent, rêvant de devenir une « licorne » (i.e. entreprise dont la valorisation dépasse le milliard de dollars en moins d’une année d’existence), étant aidés, dans leur projet, par des investisseurs avisés (business angels). Il est clair que la relation entreprise et société est cette fois inexistante, le système de gouvernance ne s’intéressant qu’à la « shareholder value20 .
Le rôle central des platesformes numériques est maintenant reconnu (Benavent C., 2016, Cingolani P., 2016) et, en conséquence celui du contrôle de leur mode de gouvernance (Benavent C., Lebraty J-F, 2016)
86B. La coopération souhaitable entre les autorités de régulation.
Le nouvel écosystème numérique facilitant le recours à la mondialisation sans autre préoccupation que de profiter, ici de bas salaires et d’une faible protection sociale, là d’une réglementation laxiste en matière environnementale, ailleurs d’une fiscalité accommodante…il apparait souhaitable que les autorités de régulation interviennent. Le monde contemporain étant ce qu’il est, on ne peut attendre, au niveau international, que des comportements spontanément éthiques freinent ces recours systématiques aux partenaires moins disant, aux effets d’aubaine, à l’inversion fiscale…
Dans chaque territoire, des autorités de régulation, quand elles existent, ont la charge de veiller à un respect minimal, via par exemple des codes de déontologie ou une réglementation professionnelle. Ces codes et ces réglementations sont eux-mêmes sous l’égide des autorités régaliennes chargées d’exprimer la position des pouvoirs publics des pays concernés et des instances juridiques susceptibles d’être saisies. C’est ainsi, que l’entreprise emblématique Uber a fait l’objet de nombreux litiges dans différents pays – dont la France (plainte déposée par des taxis professionnels considérant les VTC comme une concurrence déloyale) et les USA (prestataires californiens demandant la requalification des leur statut comme salariés). Les autorités politiques (gouvernements-parlements) ont été, par là même, amenées à intervenir pour mieux codifier la situation des uns et des autres.
L’articulation des différentes composantes des systèmes de régulation (organisations professionnelles, tribunaux, autorités politiques) permet, en effet, d’affiner la situation en mettant, si nécessaire le « curseur » au bon endroit. Par exemple, pour rester sur le cas emblématique d’Uber, des décisions de justice, en France, ont pu permettre de distinguer, entre le co-voiturage, relevant de l’économie du partage et le VTC tel que défini par Uber, relevant d’une activité commerciale ; Uber a ainsi écopé d’une amende pour avoir présenté son activité comme relevant du co-voiturage. Des situations comparables peuvent être observées dans d’autres secteurs : logement, restauration… L’État, à son tour, s’en mêle, notamment via les dispositions fiscales visant à taxer les activités relevant du commercial, avec éventuellement une franchise préservant celles relevant de l’économie collaborative.
87Entre les territoires, seule une coopération entre les diverses autorités de régulation concernées, permettrait d’éviter une concurrence exacerbée et, ainsi, de préserver un minimum de relations pacifiées dans le nouvel univers numérique.
Cette régulation souhaitable/nécessaire amène à prévoir un nouvel échelon dans l’échelle DECMA qui devient DECMAR (Don – Économie Collaborative – Marchandisation – Régulation) ; ce dernier échelon se situant au niveau d’une économie régulée dans une société plurielle.
Les modes de régulation dans l ’ échelle DECMAR (Don – Économie Collaborative – Marchandisation – Régulation) |
|
Niveau 1 : économie du don |
Régulation « légère » |
Niveau 2 : économie collaborative non monétaire |
Régulation. « légère » |
Niveau 3 : économie collaborative monétarisée |
Régulation « moyenne » |
Niveau 4 : économie marchande « grise » |
Régulation « forte » |
Niveau 5 : économie marchande « standard » |
Régulation « classique » |
Niveau 6 : hyper-marchandisation (« uberisation ») |
Situation « conflictuelle » |
Niveau 7 : société plurielle – économie régulée |
« Nouvelle régulation » |
Fig. 3 : Adapté de Pérez R., Mignon S, Walliser E. (2016a).
Aux niveaux 1 et 2, correspondant à une économie du don ou à une économie collaboratrice non monétaire, la régulation peut se permettre d’être « légère », i.e. vérifier que les activités concernées relèvent bien de ces catégories et respectent les réglementations générales (ex : normes de sécurité).
Au niveau 3 d’une économie collaborative qui commence à être monétisée et, a fortiori, au niveau 4 d’une économie marchande dite « grise », la régulation est forcément plus intrusive, les activités visées pouvant – souvent à juste titre – être suspectées de vouloir échapper aux réglementations en vigueur (travail non déclaré).
Si, par définition, le niveau 5 de l’économie marchande dite « standard » est soumis au mode de régulation « classique » (i.e. correspondant au dispositif institutionnel en vigueur dans l’économie considérée), le nouveau contexte d’hyper-marchandisation lié à l’économie numérique, entraine – comme on le voit depuis quelques années – des situations souvent conflictuelles, du fait de l’obsolescence du dispositif de régulation (niveau 6).
88Une « nouvelle régulation » (niveau 7) apparaît ainsi nécessaire/souhaitable pour une société plurielle intégrant l’économie numérique. Économistes, juristes et politistes commencent à apporter analyses et propositions en ce sens21.
Conclusion
Marchand et non-marchand
entre contingence et équilibre
Deux idées-forces, largement répandues, se réfèrent à des concepts de management et de gouvernance appliqués à des organisations humaines finalisées.
La première, plus ancienne et argumentée souvent en termes polémiques, vise les organisations non marchandes et plus particulièrement les services publics décriés comme inefficaces, mal gérés et mal contrôlés ; constat de carence qui appelle, selon les contempteurs de ces structures souvent étatiques, leur privatisation ou, pour le moins, leur mise aux normes des critères de management et de gouvernance des entreprises, critères synonymes de modernité. Tour à tour, les grands monopoles publics dans le domaine des infrastructures d’énergie et de transport, puis les organismes de recherche et de formation, le logement, la santé, la culture, voire la sécurité… sont incités à adopter des modes d’organisation, de fonctionnement et de régulation s’inspirant de ceux des entreprises (cf. le courant du New Public Management22).
La seconde, plus récente et provenant d’autres cercles de l’opinion, vise au contraire les organisations marchandes, c’est-à-dire les entreprises et les institutions qui leurs sont dédiées (y compris les marchés eux-mêmes). La critique qui leur est adressée est fondamentalement différente, voire opposée à la précédente ; ce n’est pas leur efficacité qui est en cause, mais, pourrait-on dire, leur trop grande efficacité : à force 89de vouloir augmenter la rentabilité des capitaux engagés, et, dans cette perspective, de comprimer leurs coûts afin de dégager des marges, les entreprises, notamment les multinationales, n’en finissent pas de se restructurer, de redéployer leurs portefeuilles d’activités, leurs sites de production, leurs réseaux d’achats et de sous-traitance…sans considération particulière tant vis-à-vis des salariés concernés que, dans bien des cas, des autres acteurs économiques et des écosystèmes dans lesquels elles opèrent. Aussi, des appels à la « responsabilité sociale de l’entreprise » (RSE) se sont faits de plus en plus pressants, notamment pour prendre en compte la possibilité pour les générations futures de pouvoir vivre dans un environnement naturel et humain non dégradé ; objectifs diffus rassemblés sous le vocable de « développement durable » (DD).
Ainsi, se mettent en place les éléments d’une pièce dont les décors ont certes évolué, mais dont la thématique n’a pas fondamentalement changé : partisans et adversaires des services publics d’un côté, des entreprises privées de l’autre, s’envoient respectivement des reproches de nature différente, « inefficacité versus injustice ». Tenter de clarifier le débat impose un effort d’analyse.
Dans cette perspective, nous avons proposé un cadre d’analyse commun aux OM et ONM, permettant à la fois de souligner la spécificité de leurs finalités, leurs modes de management respectifs et les systèmes de gouvernance qui leur sont associés. Ce détour analytique a permis de reprendre le débat sur les items initialement rappelés afin de mieux en situer le cadre, les enjeux, et faire ressortir l’importance de l’articulation entre marchand-non marchand dans le cadre du nouvel écosystème issu de la Révolution numérique.
L’observateur qui tente de réfléchir sans a priori ne peut se permettre que des conclusions provisoires, des « propos d’étape » dans une réflexion collective qui se nourrira elle-même des prochaines étapes attendues de cette nouvelle ère numérique et des échanges que les mutations en cours ne manqueront pas de susciter. Nous aimerions cependant mettre en débat les deux propositions suivantes.
90La perception de la relation
marchand-non marchand est contingente
« Vérité en-deçà des Pyrénées, erreur au-delà » dit le diction ; cela est encore plus vrai pour la perception de la relation de l’entreprise à la société, car elle nous parait contingente, à la fois dans le temps et dans l’espace. Autrefois, un armateur de Bordeaux ou Nantes, un planteur de canne à sucre aux Antilles, … pouvaient avoir une perception « normale » de la relation entreprise-société dans la mesure où ils assuraient avec soin leurs missions, respectaient leurs collègues et leurs employés, payaient leurs impôts… sans cependant se poser des questions sur le « commerce triangulaire » i.e. l’économie de traite fondée sur l’esclavage, qui sous-tendait leurs activités.
De nos jours, le jeune étudiant qui dans la Silicon Valley lance une application numérique lui faisant espérer de devenir milliardaire pense être également être normal, même si ladite application va détruire un pan entier de l’économie mondiale ou créer des externalités négatives irrémédiables. Après tout, s’il devient réellement milliardaire, il pourra, à l’instar de ces devanciers de l’épopée numérique – Bill Gates (Microsoft), Zuckenberg (Facebook) – créer à son tour une fondation à laquelle il donnerait l’essentiel de sa fortune, dans la bonne tradition des succes stories américaines (Rockefeller, Carnegie, …) ; la relation « équilibrée » à la société serait ainsi sauvegardée !
Ailleurs, un tel comportement ne serait pas vraiment considéré comme un idéal à imiter, la véritable relation de l’entreprise à la société devant s’exprimer hic et nunc, dans l’entreprise actuelle, avec ses partenaires internes (salariés) et externes (clients & fournisseurs, société civile, environnement…), en cherchant à éviter des externalités négatives, …Cette relation prend alors les habits de la responsabilité sociale de l’entreprise, qui est, comme on le sait, un thème d’actualité (Capron M., Quairel-Lanoisellée F., 2015).
La société numérique
est à la recherche d’un nouvel équilibre
Dans son dernier essai, Henri Mintzberg plaide pour une « société rééquilibrée » dans laquelle les marchés privés, les pouvoirs publics et la société civile assument leurs responsabilités respectives : “A healthy society 91balances a public sector of respected governments, a private sector of responsible businesses, and a plural sector of robust communities” (Mintzberg H ; 2015). H. Mintzberg, comme E. Ostrom et M. J. Sandel, comme avant eux F. Perroux, retrouvent une typologie tridimensionnelle, classique depuis G. Dumézil, sur les formes de relations entre les humains à propos de l’usage des choses – le don, la contrainte et l’échange – et la structuration sociétale qui leur correspond, avec un secteur public assurant les fonctions régaliennes et ayant le monopole de la contrainte légale, un secteur privé animant les relations marchandes et un « tiers secteur » plus orienté vers des activités « autres » (éducation et culture, arts et sports, cultes…), pour la plupart immatérielles et faisant largement appel aux relations de solidarité (dons et contredons).
Le contexte du nouvel écosystème numérique appelle un réexamen de ces différentes formes de relations afin de mettre en relief leurs évolutions respectives et d’étudier les conditions d’un rééquilibrage, encore plus nécessaire que pour les périodes précédentes. À défaut la relation entre marchand et non marchand risque d’être longtemps mal posée et mal résolue.
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1 Le présent article repose initialement sur un exposé de l’auteur, au colloque sur « Les business models de la gratuité », organisé le 9 avril 2015, à la Maison de l’Europe à Paris, par l’ISERAM (ISEG Group), en partenariat avec le CIAPHS (U. Rennes 2) et l’ISMEA. Pour cet exposé introductif et pour sa mise à jour, nous nous sommes appuyés sur des travaux menés ces dernières années, à titre personnel ou en collaboration. Certains de ces travaux ayant été publiés, nous donnons, dans le texte et en bibliographie, les références des dites publications. Nous remercions vivement les collègues et amis qui nous ont incités à rédiger la présente synthèse et nous ont procuré de précieux commentaires sur la première version de ce travail, notamment Faouzi Bensebaa, Pierre-Jean Benghozi, Michelle Bergadaa, Martine Brasseur, Denis Dupré, Romain Laufer, Michel Marchesnay, Yvon Pesqueux, Jean-Claude Thoenig, Henri Zimnovitch… Une mention particulière envers Sophie Mignon et Elisabeth Walliser, co-auteures des travaux sur la nouvelle économie numérique utilisés pour la seconde partie de cet article et qui, à ce titre, doivent être considérées comme co-auteures de cette partie.
2 Cf. Marcel Mauss (1923), Claude Lévi-Strauss (1950), Georges Dumézil (1968/71/73), Maurice Godelier (1996), Alain Testart (2007), …
3 Ainsi Fernand Braudel (1967-79) sur les « instruments de l’échange » annonciateurs du capitalisme contemporain On citera, pour la période récente, les deux ouvrages publiés respectivement par Laurence Fontaine (2014) et par Isabelle Hillenkamp et Jean-Michel Servet (2015).
4 Il convient d’observer que cette fonction a beaucoup évolué dans le temps : sorciers, chamanes, conseil des anciens dans les sociétés dites primitives ; prêtres, religieux de divers types ; scientifiques, notamment depuis l’« Ère des Lumières » ; hommes/femmes de médias (presse, audio-visuel, internet…) actuellement. Les tâches de transmission (savoirs, croyances…), notamment l’éducation des plus jeunes sont assurées par ces différentes composantes (les « anciens », les religieux, les scientifiques…), chacune avec ses particularités, ses codes, ses rivalités…
5 Cf. les « trois Ordres » – Clergé, Noblesse, Tiers-État – composant les États Généraux de la France jusqu’à 1789.
6 Les termes « directs-induits » ont été préférés à « primaires-secondaires » pour ne pas donner à penser que ces derniers sont secondaires au sens de « négligeables », alors qu’ils sont parfois d’une importance majeure.
7 Voir les travaux fondateurs de T. Scitovsky (1953), J. Meade (1954) et R. Coase (1960/1988).
8 On mentionnera cependant les auteurs représentant le courant « schumpétérien » auquel se rattachent les approches d’une vision dynamique de la firme (Penrose, 1959 ; Wernefeld, 1984 ; Teece et al., 1997o. En France, on rappellera les travaux de F. Perroux à l’ISEA (1960…), d’A. Martinet (1984) et H. Savall à l’ISEOR, ceux de Marchesnay (1969, 2002). Plus récemment, le concept d’internalité, en symétrie de celui d’externalité, a été utilisé par J. Tirole (2016), dans un développement sur « les limites morales du marché » (cf. son récent traité sur l’« Économie du bien commun » chap. 2, p. 55-91), en prenant comme exemple le cas du dopage sportif « Le contrôle du dopage se justifie à la fois par une internalité (la santé à long terme du sportif concerné est sacrifiée au désir de reconnaissance, de gloire ou d’argent) et par une externalité (un sportif qui se dope dégrade l’image de son sport et affecte négativement ses confrères) (op. cit., p. 62).
9 Nous traduisons par « impact sociétal » le concept anglo-saxon de social impact, car en France le qualificatif « social » est le plus souvent restreint aux seules relations avec le monde du travail (emploi, salaires…).
10 On peut donner l’exemple de convention de partenariat entre tel ou tel établissement prestigieux (La Sorbonne, le Louvre…) et tel ou tel partenaire, en France ou à l’étranger… Sur un autre plan, pour faire écho à la trilogie dumézilienne évoquée en préambule, on peut prendre l’exemple d’unions entre un descendant d’une grande famille au nom illustre mais désargentée et une héritière de moindre extraction mais bien dotée. Une « marque » a priori non marchande s’il en est (ce nom illustre) peut être ainsi valorisée sur le « marché » matrimonial…
11 Étudiés notamment par J-Ch. Rochet et J. Tirole, 2003 ; M. Armstrong, 2006 ; G. Weyl, 2010.
12 Une autre image de représentation des marchés bifaces avec une face A gratuite et une face B valorisable est celle de la pèche à la ligne : le pêcheur « donne » un appât au poisson (face A) ; ce dernier mord – ou non – à l’hameçon (face B) et sera mangé ou vendu par le pêcheur qui rentabilisera ainsi son investissement initial.
13 L’exemple le plus connu, par la franchise, voire le cynisme, de son auteur, est formulé par P. Le Lay, PDG de TF1 : « Il y a beaucoup de façons de parler de la télévision. Mais dans une perspective business, soyons réaliste : à la base, le métier de TF1, c’est d’aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son produit. Or, pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible ». (extrait tiré du livre Les dirigeants face au changement, par Les Associés d’EIM, 2004).
14 La présente partie résulte d’une coopération, sur les thèmes liés à l’ère numérique, avec Sophie Mignon et Elisabeth Walliser, collègues travaillant respectivement sur la pérennité des organisations et les processus d’innovation (SM), sur l’économie immatérielle et son évaluation (EW). Cf. SM-EW (2014), EW-SM (2014), SM-EW-RP (2015), et plus particulièrement les travaux récents RP-SM-EW (2016 a,b), SM-RP-EW (2016) qui sont repris dans la présent synthèse.
15 Cf. Anderson, 2009 ; Benghozi, 2011 ; Brousseau et Curien, 2007 ; Cingolani, 2016, Colin et Verdier, 2012 ; Rifkin, 2014 ; Escande et Cassini, 2015, Nakhla, 2016, Sagot-Duvauroux, 2015 ; Staune, 2015 ; Tirole, 2016, Weil, 2015…
16 Comme le note J. Tirole, les marchés bifaces peuvent être même multifaces, « par exemple Microsoft Windows doit attirer les utilisateurs, les fabricants d’ordinateurs et les concepteurs d’applications » (op. cit., p. 499).
17 En France, pays de tradition étatique où seul l’État parait être en mesure de faire face aux dérives des marchés, l’approche par les « communs » est plus récente, mais elle devenue présente, notamment avec le développement du numérique – cf. le mouvement VECAMwww.vecam.org, l’ANR PROPICE « Propriété intellectuelle, communs et exclusivité » www.mshparisnord.fr/ANR-PRPICE/ et Coriat B (2015), – le réseau francophone des biens communs echanges@bienscommuns.org, www.remixthecommons.org/
18 Cf. le projet de méga-fusion (150 Mds $) dans le secteur de la pharmacie (Pfizer –Allergan) qui aurait permis au géant américain de domicilier son lieu d’imposition en Irlande (ce qui a amené les autorités US à réagir) ; cf. aussi le redressement fiscal de 13 Mds euros que l’Union européenne souhaite appliquer à Apple pour les impôts que cette firme aurait du payer en Irlande.
19 C’est notamment le cas de l’exemple cité AirBnb, créé en 2008 par deux jeunes américains qui n’ayant pas trouvé d’hôtel libre lors d’un voyage à Paris, avaient, de retour à San Francisco, imaginé proposer, via internet, un hébergement sommaire (matelas pneumatique) – « AirBed and Breakfast » – à des voyageurs en difficulté.
20 Il convient de noter que l’analyse du système de gouvernance ne doit pas se fier seulement aux apparences, lesquelles peuvent être trompeuses, de l’organisation concernée, mais chercher à cerner la réalité de son fonctionnement. On a pu, en effet, rencontrer parfois des situations paradoxales ; ainsi, ces organisations à buts non lucratifs, a priori dédiées à des missions « non profit », qui ont été convaincues de manquements graves à l’éthique, voire à la légalité (cf. les affaires qui ont défrayé la chronique : l’ARC, la FIFA…).
21 Cf. notamment les travaux de l’ARCEP et, au niveau des juristes, ceux de M-A Frison-Roche (2016).
22 Cf. les travaux d’Y. Pesqueux (2002, 2007) et le no thématique d’Y. Chappoz et P-Ch. Pupion (2012).