Avant-propos
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Cahiers Jean Giraudoux
2018, n° 46. II - Giraudoux dans la guerre : la Seconde Guerre mondiale - Auteurs : Brémond (Mireille), Patierno (Alvio)
- Pages : 13 à 15
- Revue : Cahiers Jean Giraudoux
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- EAN : 9782406087618
- ISBN : 978-2-406-08761-8
- ISSN : 2552-1004
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-08761-8.p.0013
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 03/12/2018
- Périodicité : Annuelle
- Langue : Français
AVANT-PROPOS
Consacrer un numéro entier à Giraudoux et la Seconde Guerre mondiale relève peut-être de la gageure lorsque l’on connaît la campagne de délation « anti-Giraudoux », la « giraldophobie » de ces dernières années, pour reprendre le titre d’un article du récent Dictionnaire Jean Giraudoux1. Mais peut-être justement, les excès de cette détestation, associés à de nombreuses contre-vérités qui circulent ici et là, rendaient-ils nécessaire un cahier entier sur le sujet.
La biographie peut être éclairante : autant par ses dispositions personnelles que par son métier de diplomate (même une fois retraité), ou encore par la censure mise en place pendant l’Occupation, il était difficile à Giraudoux de s’exprimer librement sur ce qu’il pensait.
Mais il n’est pas question d’instruire un procès, ou de produire des plaidoyers. La recherche est un espace à part, un peu comme les espaces privilégiés qui apparaissent dans l’œuvre de Giraudoux, tels la tente d’Holopherne dans Judith, espace où les a priori n’ont pas droit de cité. Espace où l’œuvre est interrogée et visitée. Espace où l’on prend de la hauteur. Les auteurs qui ont participé à ce Cahier ont obéi à ces règles élémentaires de l’honnêteté intellectuelle du chercheur.
Nous avons organisé ce numéro en deux parties : l’une, appelée « Histoire et documents », l’autre « La guerre dans l’œuvre ». La première partie, encadrée en amont par une chronologie succincte des grands événements historiques en regard de sa vie professionnelle, privée et littéraire ; et en aval par une revue de presse à la mort de Giraudoux, explore le vécu de l’auteur pendant cette période à partir de documents divers (quelques pages de manuscrits à propos du Commissariat, lettres, livres antinazis retrouvés dans sa maison natale, témoignage d’un ami proche) dont certains inédits (lettres de son fils ou à sa maîtresse). Elle s’ouvre sur une mise au point chronologique de ses deux derniers voyages 14d’inspection diplomatique aux États-Unis, et se clôt par une mise au point à propos des accusations, dues, on veut le croire, plus à l’ignorance qu’à la malveillance.
La seconde partie explore le thème de la guerre dans l’œuvre, ce qui explique certains allers retours entre la Première Guerre mondiale et la Seconde : les deux premières études réfléchissent sur les rapports de la guerre et de la poésie d’une part, de la guerre dans le théâtre de l’autre. La troisième, et cela était indispensable, nous montre la représentation de la paix dans un roman (Combat avec l’ange). Il était tout aussi indispensable de présenter deux des grandes pièces de Giraudoux, écrites dans les années 30 (La guerre de Troie n’aura pas lieu, 1935 ; Électre, 1937), à une époque où déjà les bruits de bottes résonnaient en Europe et pouvaient faire craindre le pire. Ces pièces font entendre la voix d’un Giraudoux qui réfléchit sur la guerre et sa légitimité.
Le présent Cahier s’ajoute à celui de 2017 qui était entièrement dédié à la Première Guerre, et forme un tout avec lui. Cet ensemble d’études montre que d’une guerre à l’autre, Giraudoux n’a pas cessé d’écrire, de penser la guerre. Il l’a rendue omniprésente, sous de multiples aspects et dans tous les genres qu’il a pratiqués.
Le fervent patriote de la Première Guerre a laissé la place à un homme éprouvé par son expérience des champs de bataille : marqué dans sa chair (il a été blessé deux fois) et dans sa sensibilité (il a été très affecté par la mort de ses camarades de régiment ou de ses amis). La leçon tirée ne serait-elle pas ce que dit Hector dans La guerre de Troie… : « La guerre me semble la recette la plus sordide et la plus hypocrite pour égaliser les humains » (II, 5). Car, comme l’observait Jean Vilar « […] L’œuvre est nourrie, soutenue du début jusqu’à la fin par une très forte humeur assez inattendue, tout au moins venant d’un homme bien connu pour sa courtoisie et sa modération. Et cette humeur, cette sourde et tenace colère est celle de l’ancien combattant […] de l’Aisne, des Dardanelles, l’humeur du sergent d’infanterie Jean Giraudoux2 ».
Mais comment penser, à moins d’aveuglement, que Giraudoux, qui a si souvent chanté son pays, ses douceurs, sa civilisation, ait pu ne serait-ce qu’une seconde, accepter même de mauvais cœur de collaborer avec une Allemagne qui l’envahissait et la détruisait ? Comment penser une 15seconde même, que Giraudoux, qui a caressé la France et ses provinces au moins autant que la guerre, sinon plus, ait pu être seulement effleuré par les idées nazies ? Il y a, à penser cela, une incohérence de la pensée, comme une faille logique, et les auteurs de ce Cahier, comme tous les chercheurs qui ont travaillé au Dictionnaire, ont eu à cœur de combler cette faille, et d’informer, de faire connaître des documents dispersés et mal connus, de rassembler les données éparses.
Mireille Brémond
Aix-Marseille Univ. LID2MS Aix-en Provence, France
Alvio Patierno
Università degli studi Suor Orsola Benincasa Napoli