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Classiques Garnier

Regards croisés sur la musique et la magie Nicole Oresme et Évrart de Conty

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes / Journal of Medieval and Humanistic Studies
    2020 – 1, n° 39
    . varia
  • Auteurs : Delaurenti (Béatrice), Guichard-Tesson (Françoise)
  • Résumé : Nicole Oresme et Évrart de Conty ont écrit sur la musique et la magie dans les années 1370. Évrart s’inspire d’Oresme ; tous deux montrent que la musique agit sur le corps et l’âme en induisant passion et guérison. Toutefois leurs perspectives sont différentes. Oresme veut avant tout dévoiler l’imposture de la magie ; il utilise la musique comme modèle d’analyse. Pour Évrart, au contraire, la musique est la clé de voûte de sa vision du monde, alors que la magie n’est qu’une curiosité.
  • Pages : 237 à 262
  • Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes - Journal of Medieval and Humanistic Studies
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406107422
  • ISBN : 978-2-406-10742-2
  • ISSN : 2273-0893
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-10742-2.p.0237
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 14/07/2020
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
  • Mots-clés : Magie, passions, guérison, pouvoir de la musique, arts magiques
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REGARDS CROISÉS
SUR LA MUSIQUE ET LA MAGIE

Nicole Oresme et Évrart de Conty

Quelle est la place accordée à la musique dans ­linterprétation médiévale de la magie ? Nous proposons de réfléchir à cette question à partir des ­considérations de philosophie naturelle exprimées par deux savants de haut rang, Nicole Oresme et Évrart de Conty. Dans des ouvrages ­composés à quelques années de distance, tous deux ont étudié à la fois la musique et la magie.

Nicole Oresme est un théologien qui ­sintéresse principalement aux sciences. Après des études parisiennes à la faculté des arts puis de théologie, il accède à la maîtrise de théologie en 1355. En 1361, il quitte ­luniversité pour entamer une « seconde carrière1 », ecclésiastique, en Normandie ; il accède en 1377 à ­lévêché de Lisieux. Oresme est ­lauteur ­dune œuvre très riche en mathématiques, astronomie et philosophie naturelle. Dans les années 1370, il appartient au cercle de savants réunis à la cour par Charles v et effectue des traductions ­dAristote en français à la demande du roi. La lutte ­contre les pratiques astrologiques et magiques a aussi été ­lun de ses chevaux de bataille.

Trois textes ­dOresme sont examinés ici. Le premier, De ­configurationibus qualitatum et motuum2, est un traité de géométrie et philosophie naturelle qui ­comprend une longue étude des sons, avec un chapitre sur la musique, ainsi ­quune étude des principes de ­lart magique. Il a été rédigé en latin à Paris entre 1348 et 1356. Le 238second, le Livre de Politiques ­dAristote3, est une traduction ­commentée ­dAristote ­composée à la demande de Charles v dans les années 1370-1372. Oresme traduit et ­commente alternativement, en ­sappuyant sur Aristote pour ­construire son propre discours. Le texte aristotélicien est actualisé et transformé en un « manuel de prudence politique », un miroir aux princes à la visée pratique et didactique4. Le livre VIII ­considère la place de la musique dans la formation des jeunes gens ; quelques allusions à la magie font le lien avec le De ­configurationibus. Le troisième texte est une œuvre de fin de carrière achevée sans doute vers 1377-1380, un volume sans titre ­composé de quatre parties : une Questio ­contra divinatores horoscopios ­contre ­lastrologie5 ; un traité De causis mirabilium6 ; une Tabula problematum donnant les intitulés de 216 questions de philosophie naturelle, parfois avec un petit résumé7 ; enfin la détermination ­complète des questions 1 à 44 de cette liste, rassemblées sous le titre Problemata8. Plusieurs passages des Problemata portent sur la magie9 ; quant au pouvoir de la musique, il fait ­lobjet ­dune brève allusion dans le résumé de la question 44 de la Tabula problematum10.

Le second auteur, Évrart de Conty, est originaire ­dAmiens ; il est sous-diacre du diocèse en 1362 et chanoine à sa mort en 1405. Il est, ­comme Oresme, diplômé de ­luniversité de Paris, mais en médecine ; maître régent à partir de 1353, il fête son jubilé en 1403, deux ans avant 239sa mort11. En parallèle, il exerce une importante activité de praticien, en particulier auprès du roi Charles v.

Trois œuvres sont ­aujourdhui attribuées au médecin Évrart de Conty : le poème des Eschés amoureux (EA), le ­commentaire des Problemes ­dAristote et le Livre des Eschez amoureux moralisés (EAM), ­commentaire du poème. Le ­commentaire des Problemes est la seule œuvre ­dÉvrart qui échappe à ­lanonymat grâce au discret colophon placé à la fin de tous les manuscrits, notamment ­lautographe. Depuis les années 1990, il est acquis ­quil est aussi ­lauteur des EAM12. Quant au poème, son attribution à Évrart de Conty, ­dabord établie par Gianmario Raimondi et documentée dans plusieurs articles, est, depuis quelques années, généralement reconnue13. Aucune de ces œuvres ne peut être datée avec certitude. Le poème, dans la lignée du Roman de la Rose, fut sans doute ­composé entre 1370 et 1378. Le ­commentaire des Problemes, qui se situe à la croisée de la médecine et de la philosophie naturelle, a probablement été rédigé entre 1375 et 1382. Quant aux EAM, ils ont vraisemblablement été écrits après ­lachèvement des Problemes auxquels ils empruntent une abondante matière et devaient être terminés en 140114.

Ces trois textes ont été rédigés dans un souci de vulgarisation et de promotion du français ­comme langue savante qui rejoint certaines préoccupations ­dOresme. La réflexion ­dÉvrart y fait une place importante à la 240musique. Dès le poème des EA, il inclut un développement de 1272 vers sur la musique, dans une partie qui traite de ­léducation des enfants. Dans les EAM, le développement figure dans un traité mythographique, à propos des Muses qui entourent Apollon. Il reprend, en ­lamplifiant, le ­contenu du poème. Les Problemes ont été écrits dans une tout autre perspective : traduire et ­commenter les Problemata attribués à Aristote, dont la partie XIX est ­consacrée à la musique. Évrart traduit et utilise librement ­lExpositio Problematum de Pietro ­dAbano écrite vers 1310. Il se trouve en présence ­dun texte difficile, ­quil ­comprend mal : la partie XIX est une des plus raturées du manuscrit autographe et Évrart ­sy plaint à maintes reprises de ­lobscurité du traducteur et de ­lexpositeur. Pietro a lui-même eu des difficultés à ­comprendre la traduction de Barthélemy de Messine, et aucun ­deux ne maîtrise les principes de la musique antique. Certains passages des Problemes sont longuement utilisés dans les EAM.

Notre objectif est de retracer les ­conceptions de la musique, de la magie et de leurs interactions exprimées par Nicole Oresme et par Évrart de Conty, avec leurs points ­communs et leurs singularités15. Nous étudierons ­dabord leur position sur le pouvoir de la musique : ­limportance ­quils accordent à la forme musicale dans la mise en œuvre ­dun pouvoir des sons, et les deux types ­deffets obtenus : passion et guérison. Nous examinerons ensuite de quelle manière ces ­conceptions sont mobilisées dans ­linterprétation de la magie.

MODES ET MÉTRIQUE, LE POUVOIR DE LA FORME

Chez Nicole Oresme, la musique fait parfois ­lobjet de descriptions empiriques ; il observe ainsi que « les gens gais chantent en travaillant16 », 241ou que « la main du guitariste joue sans presque faire attention17 ». De telles notations témoignent de la place ­quoccupe la pratique musicale dans ­lenvironnement familier de ­lauteur. Mais son intérêt pour la musique va bien au-delà, de même que celui ­dÉvrart. Tous deux ­consacrent des analyses approfondies à la théorie musicale et ­sintéressent en particulier à ­linfluence des harmonies18. Une première série de remarques porte sur le fait que la musique agit par ses caractéristiques formelles : les modes musicaux, les règles de la métrique et celles de la prose sont sources de puissance.

Modes musicaux

Pour Oresme, ­leffet des mélodies sur ­lâme varie selon les modes musicaux. Son interprétation ­sappuie sur le De institutione musica de Boèce et sa présentation des modes de la musique antique19. Il utilise aussi, implicitement, les idées de Guillaume ­dAuvergne : dans le De universo, immense encyclopédie rédigée vers 1230, un demi-chapitre porte sur le pouvoir des harmonies musicales20. À partir de ces deux sources, Oresme souligne les correspondances entre les modes musicaux et leurs effets sur les hommes ou les animaux. Le mode Dorien, ou mode enharmonique, établit une ligne mélodique ­continue, ­cest pourquoi il « entraîne les auditeurs à une vie honnête, à des mœurs graves, à la piété et à la dévotion ». Dans le mode Phrygien, ou mode diatonique, la gamme musicale monte par tons, ce qui pousse à ­laction : ce mode « exaspère les âmes par son impétuosité ou sa rapidité et son frémissement, et incite à des faits guerriers ». Quant au mode Lydien, ou mode chromatique, il procède par demi-tons et « par sa douceur, apporte 242aux âmes faibles des encouragements au badinage21 ». Dans le Livre de Politiques ­dAristote, une dizaine ­dannées plus tard, Oresme mentionne à nouveau les effets des modes, en les nuançant. Le mode Lydien ne ­conduit plus les âmes à ­salanguir, il les purge de leurs passions les plus violentes. Quant au mode Phrygien, ­lexcitation ­quil fait naître en ­lâme ne suscite plus un désir de bataille, mais elle la plonge dans un ravissement proche de ­lextase22. Le résumé de la question 44 placé dans la Tabula problematum ­comprend aussi une allusion sibylline aux modes musicaux. Oresme mentionne les instruments qui donnent du courage, ­comme la trompette, un exemple qui se trouvait déjà dans le De ­configurationibus23.

À la suite ­dOresme, Évrart de Conty souligne ­linfluence des modes musicaux sur ­lâme et sur le corps dans plusieurs problèmes de la partie XIX. Les trois modes sont définis en des termes qui rappellent de très près le De ­configurationibus24. Le problème 48 définit également les modes hypophrygien et hypodorien en des termes identiques aux modes phrygien et dorien. Évrart insiste sur le fait que ces modes poussent à ­laction, et pas seulement aux faits guerriers. Ils sont « operatif », ­cest-à-dire efficaces. Le champ des exemples ­sest élargi : ainsi donne-t-il celui des marins qui sont stimulés, poussés à ramer plus fort, et à lever haut les voiles25.

Plus tard, les EAM opèrent une synthèse de certains éléments qui figurent dans les Problemes26. Évrart donne des précisions géographiques sur ­lorigine des noms27 et définit un quatrième mode, le mode mixolydien – mixtolidiste (mentionné aussi dans le Livre de Politiques) – pour lequel il fait référence à Aristote et ­quon trouve chez Boèce : « cette musique [] suscite la pitié et la ­compassion dans les cœurs des auditeurs ». ­Lexplication donnée par Évrart est proche de celle ­dOresme28. Dans les EAM, ­dautre part, le ­commentaire du deuxième cavalier de ­lacteur, 243Doux Parler, qui a pour emblème la harpe ­dOrphée, est ­loccasion de revenir sur les trois modes musicaux. Évrart rappelle brièvement ­lhistoire ­dOrphée, expert « en ­lart de musique expérimentale », qui émut par sa harpe ­jusquaux dieux des enfers, et il souligne à nouveau les merveilles opérées par la musique et son pouvoir sur ­lâme humaine29. Un peu plus loin, le son doux et mélodieux de la harpe est ­comparé à ­léloquence de ­lamant, efficace si elle est faite en temps et lieu, et « avec mesure30 ».

Musicalité de la poésie et de la prose

­LorsquÉvrart de Conty parle des effets de la musique sur ­lâme, ­lun des aspects originaux de sa réflexion est ­quil associe étroitement la musique et la parole humaine, en particulier dans le domaine de la poésie. Le préambule de la partie XIX des Problemes souligne que cette partie suit avec à propos celle qui traite de paroles et de rhétorique, puisque la musique ne peut se passer de paroles, ­comme on le voit en poésie31. Dans les EAM, Évrart ­sattarde sur la musique instrumentale qui est pour lui la « droite propre et la vraie musique32 ». Et ­cest un véritable art poétique – de ­loriginalité duquel il est très ­conscient –, ­quil présente alors33. Pour Évrart, ­comme pour Eustache Deschamps qui instaure au xive siècle une nouvelle forme de lyrisme34, il y a ­dune part la musique produite par les instruments faits de main humaine et par la voix humaine qui est elle-même un instrument en tant ­quelle produit des sons – ­cest ce que Deschamps appelle la musique artificielle35 ; ­dautre part, il y a celle qui repose sur les paroles et que ­lon trouve dans les mètres et les rimes36. Ainsi, le problème 38 demande 244pourquoi tous trouvent du plaisir « dans les rimes et le chant, et généralement dans toutes les sortes de ­consonances37 ». La musique du vers, explique Évrart, repose sur les proportions musicales qui ­sétablissent à ­lintérieur de chaque vers, et notamment entre ses différentes parties. ­Cest le choix des meilleures proportions qui procure du plaisir.

Les EAM passent en revue les différents types de vers, avec ­lidée que la pause doit ­seffectuer de façon que le nombre des pieds dans chaque partie du vers réponde à une ­consonance musicale. Les critères retenus manquent toutefois ­dune certaine cohérence, puisque la proportion musicale ­sétablit tantôt entre les deux parties du vers, tantôt entre une partie du vers et son ensemble. Ainsi ­lalexandrin peut être divisé de plusieurs manières entre lesquelles ­sétabliront diverses proportions, mais la césure idéale est au milieu du vers parce ­quil y aura un rapport de 6 à 12 entre la partie et le tout, ce qui est la source de son excellence. Le vers idéal demeure ­loctosyllabe, de longueur moyenne, pouvant se prononcer avec modération et calmement (moyenneement et actrempeement) ; il a la mesure « la plus raisonnable » et représente en tout point le juste milieu si cher à Évrart38.

Enfin, dans les deux œuvres, Évrart franchit un pas supplémentaire en étendant ses ­considérations à la prose. Car si la belle parole est agréable à écouter, ­cest ­quelle a aussi cette musicale mesure, que ceci vienne naturellement à celui qui parle ou que ce soit le fruit de la science de rhétorique39. Une excellente synthèse de ses arguments figure dans le ­commentaire de la flûte de Mercure, qui représente justement le plaisir pris par les auditeurs écoutant la belle parole ; il ­nest pas inférieur à celui que procurent les ­consonances musicales et repose sur les mêmes principes : les différentes parties de la phrase entretiennent le même type de proportions40. Ce plaisir est redoublé par celui qui vient du sens, la sentence, ­quil estime même encore plus grand.

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MUSIQUE ET PASSIONS

Chez Nicole Oresme ­comme chez Évrart de Conty, ­lanalyse du pouvoir des harmonies ­sétend bien au-delà de la question de ­leffet des modes et de la métrique. Les deux savants cherchent à décrire ­linfluence de la musique ­dune manière très large, en envisageant ses effets à la fois sur ­lâme et sur le corps. Or, sur ­lune et ­lautre, la musique suscite avant tout des passions.

Gestuelle de ­lauditeur

Les gestes sont les passions du corps. À ce sujet, Oresme indique que le pouvoir de la musique « se diffuse dans le corps ». ­Lauditeur réagit par des gestes, des applaudissements par exemple : « un auditeur capté par la douceur du son et qui ne peut pas chanter les paroles, tout en restant muet, clame avec ses mains41 ». Cette phrase est rapportée au Policraticus de Jean de Salisbury. Le rapprochement a du sens : le Policraticus, ­composé en 1156-1159, ­constitue, entre autres, un traité de théorie politique abordant des questions reprises plus tard par Oresme dans le Livre de Politiques. Il ­comprend un chapitre sur la musique, dans lequel Jean de Salisbury évoque le pouvoir des sons sur ­lâme et la bonne attitude qui sied à celui qui écoute42. Toutefois, il ne parle pas du corps. ­Cest chez Cassiodore43 et Boèce44 que ­lon trouve mention des manifestations corporelles déclenchées par la musique. Guillaume ­dAuvergne aussi fait allusion aux gestes du public : « la force des harmonies sur les âmes est telle ­quelle les ­contraint à bouger leurs corps par des gesticulations qui représentent, autant que cela est possible, les mouvements de leurs passions intérieures », explique-t-il45. Son analyse est certainement ­lune des sources ­dOresme, même si elle ­nest pas citée.

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Pour Évrart également, la musique touche aussi bien le corps que ­lâme. Sans jamais nommer Oresme, il a très directement emprunté au De ­configurationibus, en particulier au chapitre ii, 23, dans ses trois œuvres. ­Sil traduit librement le texte latin et réorganise chaque fois la matière, on y retrouve plusieurs références, notamment à Cassiodore, au Policraticus et à Boèce46. Subjugué par la musique, ­lauditeur traduit par des gestes ce ­quil est incapable ­dexprimer par ses paroles et Évrart illustre le propos par une ­comparaison originale avec les danseurs47. La citation de Boèce ­complète ­lévocation des effets de la musique sur le corps qui ­saccorde à elle. Dans les Problemes, Évrart emploie ­ladverbe proportionnelment qui traduit ­lidée que le corps, dans ses mouvements, se ­conforme aux proportions musicales de la chanson entendue48.

Ravissement de ­lâme

Du côté de ­lâme, la musique provoque un état de ravissement. Le verbe « ravir » est employé par Oresme ­comme par Évrart, en latin (rapiunt) et en français (ravissent), pour nommer le double effet de la musique qui emporte et séduit à la fois. Dans le Livre de Politiques, Aristote traduit par Oresme indique ainsi que « les mélodies que ­lon fait en Olympe [] sont ainsi faites ­quelles ravissent les âmes. Le ravissement est une passion de certains mouvements vers ­lâme ou en ­lâme49 ». Les traducteurs modernes ­dAristote y ont vu une allusion au musicien grec Olympos50. Oresme, lui, ­comprend ce mot ­comme une localisation géographique : au mont Olympe, on aurait joué de la musique pour accompagner ­lentraînement militaire et les sacrifices. Son ­commentaire porte sur le ravissement, qui « survient quand ­lâme est entraînée hors ­delle par une certaine chose, par exemple par la violence à laquelle elle ­nétait pas encline, ou plus rapidement et plus impétueusement que ­dhabitude par ce à quoi elle était encline ». Cet état est provoqué par la surprise et ­lintensité de ­lémotion, de sorte que « les sens externes ­comme ­laudition ou la vue sont suspendus et cessent leur activité, et 247les esprits se rétractent et sont reclus à ­lintérieur ». Le ravissement de ­lâme peut résulter ­dun miracle divin, ­comme le montre la chute et la ­conversion de saint Paul sur le chemin de Damas, et peut aussi être provoqué par ­lart magique51.

Oresme décrit précisément le mécanisme de réclusion de ­lâme dans le De ­configurationibus : ­lâme ­senferme en elle-même, laissant le corps dans un état de mort apparente. Mais pendant ce temps, « la vertu intérieure travaille52 ». La possession, la crise ­dépilepsie, les visions qui accompagnent ­lextase, les aveugles à qui la privation de la vue ­confère une forte imagination, toutes ces situations naissent du ravissement de ­lâme53. Oresme a pu lire de semblables idées chez Guillaume ­dAuvergne à propos du pouvoir des harmonies54, ou chez Pierre de Jean Olivi à propos du somnambulisme55. Lui-même les applique à la magie : « il est possible que certaines choses semblables prennent place dans un homme naturellement apte à cela et terrifié par la fausse persuasion et la stupide crédulité. Et les magiciens font cela56 ». Un praticien habile saura placer son auditoire dans un état de ravissement. Ce motif établit un lien analogique entre la pratique musicale et la pratique magique, toutes deux aptes à provoquer une forte réaction de ­lâme.

Musique et déplaisir

Oresme et Évrart ne mettent pas seulement en exergue les pouvoirs extraordinaires de la musique sur ­lâme, ils en évoquent aussi les limites. Parfois, la musique ne provoque pas de plaisir, observent-ils à propos ­dun passage de la Politique ­dAristote57. Trois cas sont retenus : ­linsensibilité, la férocité, illustrée chez les deux auteurs par ­lexemple ­dHolopherne, et la tristesse excessive, représentée par Joseph qui croit son fils mort. La glose ­dOresme sur ces exemples est rapide, mais Évrart 248intercale des explications supplémentaires : tristesse et délectation sont par nature ­contraires, et ­lune corrompt nécessairement ­lautre58. Il les replace ainsi dans la théorie générale des passions ­quil développe longuement en ­commentant les images peintes sur ­lextérieur du mur du verger de Deduit, parmi lesquelles figure Tristesse. Les passions ­sorganisent en couples antithétiques, dont délectation et tristesse : la première fait « sentir un bien plaisant et ­convenable a nature », tandis que par la seconde on éprouve « un mal ­contraire a nature et désagréable59 ». Évrart parle alors en médecin, en insistant sur les effets physiologiques de ces deux passions, analysées en termes de déplacement de la chaleur ; dans la tristesse, la chaleur se retire des membres extérieurs et ­lhomme devient si détaché (abstrais) ­quil tombe dans un état ­dabsence et perd le sens de la réalité60. Se référant ensuite à Galien, il note que certains peuvent devenir, sous ­leffet de la tristesse, « tout à fait mélancoliques et privés de raison ». Dans ces situations, la musique ­nest pas bénéfique.

MUSIQUE ET GUÉRISON

La musique ne se limite pas à mettre en mouvement ­lâme et le corps. Pour Oresme ­comme pour Évrart, elle représente aussi un remède légitime, capable de soigner à la fois ­lune et ­lautre. Le Tacuinum sanitatis est la référence principale des deux auteurs à ce sujet. Cet ouvrage rédigé en arabe au xie siècle par le médecin chrétien Ibn Bulān, traduit en latin au xiiie siècle, a rencontré un certain succès en Occident61. Il se ­compose de tables synoptiques abordant tous les aspects nécessaires à la ­conservation de la santé. Le canon 31 associe étroitement les effets corporels et psychiques de la musique :

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Les instruments de musique sont des outils pour ­conserver la santé et la restaurer quand elle a été perdue, et cela selon les diverses ­complexions humaines. Cet art servait autrefois à ramener les âmes à des mœurs saines ; ensuite, les médecins ­lont utilisé pour soigner les corps malades. En effet, certaines sonorités agissent sur les malades de la même façon que les médicaments sur les corps malades62.

Oresme ­commente Ibn Butlān dans le De ­configurationibus. Il indique que la musique « soigne de nombreuses maladies, ­comme celle que les médecins appellent amour héroïque, et beaucoup ­dautres, mais surtout celles qui proviennent des accidents de ­lâme63 ». La notion de maladie ­damour, ou « amor heroicus », est introduite en Occident au xie siècle par Constantin ­lAfricain dans le Viatique du voyageur64. À partir du xiiie siècle, les ­commentaires du Viatique forment un corpus important de textes médicaux sur ­lamour-passion, ­considéré ­comme un grave désordre de ­lâme et du corps65. Si les harmonies soignent les corps, la maladie mentale reste pour Oresme le domaine ­dapplication privilégié de la thérapie musicale.

La musicothérapie est également mentionnée dans le Livre de Politiques. Pour Aristote, la musique ­nest pas un art utile, elle est enseignée parce ­quelle procure du plaisir. Oresme nuance cette affirmation : « dans certains cas, la musique est profitable à la santé, ­comme le dit Tacuin et ­dautres auteurs de médecine66 ». Le motif intervient aussi, de manière très fugitive, dans la Tabula problematum : le résumé de la question 44 indique que « certains sons soignent certains fous67 ». Dans les autres textes du même volume, Oresme mentionne à plusieurs reprises la folie : il ­sintéresse aux fous qui prédisent le futur68, parlent sans cesse ou de manière inintelligible69 et possèdent une imagination 250puissante70, parfois sous ­leffet de la mélancolie71. Mais il ne dit rien ­dautre de la guérison de la folie par la musique : la brève indication du résumé de la question 44 semble être une occurrence unique. Elle est inspirée, encore une fois, de Guillaume ­dAuvergne72, et fait écho aux remarques du De ­configurationibus sur ­lamour héroïque : la folie, ­comme le mal ­damour, serait une maladie mentale ­contre laquelle les harmonies sont bénéfiques.

Évrart de Conty se réfère lui aussi au Tacuinum sanitatis. Dans les EAM, le doublet relieve et reconforte oriente vers le pouvoir thérapeutique de la musique73. Ce pouvoir est déjà affirmé dans les Problemes : les sons mélodieux réjouissent les malades parce que leur bonne mesure « régénère grandement et réconforte les sens74 ». Empruntant également à Constantin et à Cassiodore, Évrart souligne ­leffet de retournement total effectué par le son de la harpe ­dOrphée. Comme dans le texte latin, les passions sont opposées deux à deux, une émotion négative faisant place à une émotion positive : à la colère succède la bienveillance, à la tristesse, la joie, à ­lavarice, la générosité, à la peur, le courage ! ­Leffet, toujours bénéfique, de la musique corrige les excès ­puisquelle permet tant de remettre les paresseux au travail que de redonner un sommeil réparateur aux insomniaques. Finalement, Évrart précise ­comme Oresme que la musique guérit surtout des maladies liées aux « accidents de ­lâme », en particulier la mélancolie qui vient de par amours amer75. À ce sujet, la position ­dÉvrart est ­conforme aux sombres pronostics médicaux : ­lamant peut mourir du mal ­damour ­sil ­na aucun espoir de réconfort76.

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DE LA MUSIQUE À LA MAGIE

Les réflexions de Nicole Oresme et ­dÉvrart de Conty sur le pouvoir de la musique suivent, pour ­lessentiel, la même ligne argumentative. Ce positionnement théorique est-il exploité pour ­construire un modèle ­dexplication des pratiques magiques ? Sur ce point, les différences sont plus significatives ; elles ne ­concernent pas le fond du raisonnement, mais les perspectives ­densemble de chaque auteur.

La musique, un modèle

Une partie significative de ­lœuvre ­dOresme porte sur la magie, ­quil ­considère ­comme un art de la tromperie fondé sur la manipulation du public77. Il est moins évident de saisir la place ­quil accorde à la musique dans ce schéma interprétatif. Certes, Oresme ­sintéresse à la musique et à la magie dans les mêmes œuvres, mais dans deux cas sur trois, une thématique prend le pas sur ­lautre. La musique domine dans le Livre de Politiques ­dAristote, où Oresme ne fait ­quune ­comparaison rapide et ponctuelle avec la magie. Inversement, la musique est à peine présente dans ses derniers textes (De causis mirabilium, Tabula problematum et Problemata) ; elle est seulement mentionnée au détour ­dune phrase dans le résumé de la question 44. Ce ­nest finalement que dans son traité universitaire, De ­configurationibus, ­quOresme propose une manière ­darticuler musique et magie.

Dans la deuxième partie du De ­configurationibus, les chapitres 15 à 25 forment un petit traité sur les sons. Oresme examine la nature des sons (chap. 15-22 et 24) et les effets de la musique sur les hommes et les animaux (chap. 23). Vient ensuite un second ensemble cohérent de chapitres centrés non plus sur les sons, mais sur la magie. Deux formes de magie sont étudiées successivement, la nigromancie (chap. 25) et la magie naturelle (chap. 26 à 35). Les derniers chapitres de cette partie portent sur les passions de ­lâme (chap. 36 à 40). La question des interactions entre musique et magie est ainsi inscrite dans la structure même de ­louvrage.

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Le fil ­conducteur du raisonnement est fourni par la doctrine des ­configurations, objet du traité, selon laquelle les propriétés physiques ­dun objet dépendent de la ­configuration interne des qualités de cet objet78. ­Lidée ­dune ­configuration interne propre à chaque objet justifie que des effets particuliers puissent être produits par un objet. Ce ­constat vaut avant tout pour les sons qui fournissent un modèle ­danalyse79 ; par déduction, la doctrine des ­configurations ­sapplique aussi à la magie. Le chapitre 25 sur « ­lapplication de la difformité des sons aux arts magiques » fait la jonction entre ­létude des sons et celle des arts magiques80. Oresme prend appui sur les résultats établis auparavant : ­dun côté, il a énuméré les ­conditions nécessaires pour ­quun son soit parfait (chap. 16 à 20), ce qui lui a permis de montrer ­quil est toujours possible de modifier naturellement ou artificiellement un son pour le rendre plus beau ou plus laid (chap. 21) : le son parfait ­nexiste pas ici-bas. ­Dun autre côté, il a décrit les effets de la musique sur les hommes et sur les animaux (chap. 23) en les expliquant par la ­configuration des sons81. Puisque les sons sont perfectibles, il est possible de les manipuler ; puisque la musique ordinaire a des effets sur les hommes, effets ­connus et utilisés en médecine, les sons modifiés provoqueront des effets encore plus impressionnants. ­Létude des sons mène ainsi à la magie, qui apparaît ­comme un second domaine ­dapplication de leur pouvoir, après la médecine.

Pourtant, en dépit de ce préambule, il est très peu question de sons dans les onze chapitres du De ­configurationibus ­consacrés aux arts magiques. La musique ­nest mentionnée ­quune seule fois, à propos de la nigromancie, dans un raisonnement qui rejette son utilisation. Le fameux exemple du roi Saül guéri de la possession par la cithare de David illustre le pouvoir prétendument attribué à la musique sur les démons. Mais Oresme refuse avec force cette idée : « il doit être certain 253pour tout le monde que les démons ne peuvent être ­contraints par les hommes avec de tels procédés82 ». La musique ­nagit pas sur les démons.

Les chapitres suivants sont centrés sur ­lautre partie de la magie, « celle à laquelle on peut assigner une cause naturelle et dans laquelle le démon, même invoqué, ­nopère en rien83 ». Oresme cherche à montrer que les effets obtenus dépendent de mécanismes naturels cachés à ­lauditoire pour mieux le surprendre. Le magicien, cet imposteur, opère par tous les moyens : il terrorise ses victimes, exploite leur crédulité par des gestes et des manipulations habiles, des jeux ­doptique ou des fumigations, et transforme son apparence physique. Il ­nest pas question de musique. Oresme parle en revanche de la voix, outil ­commun au musicien et au magicien. Alors que rien ­nétait dit de la voix dans le chapitre sur la musique, les chapitres sur la magie lui ­concèdent une place centrale.

Oresme définit ce ­quil appelle les « trois racines de ­lart magique » : la fausse persuasion, la manipulation des objets et le pouvoir des sons et des mots84. Pour la troisième, « le son le plus adapté à ce pouvoir est la voix, et surtout la voix humaine ». Il rappelle ­létymologie du mot « incantation » (incantatio), formé à partir de cantus, le chant. Aussi les formules magiques opèrent-elles « par le pouvoir du chant et par la difformité de la voix85 ». La même remarque est faite dans le Livre de Politiques ­dAristote où Oresme rappelle que « enchanteur provient de chanteur86 ». Dans le De ­configurationibus, ­dautres exemples illustrent ­lutilisation de la voix en magie, notamment le charmeur de serpent de Virgile, qui agit en chantant (cantando)87. Le magicien apparaît ­comme celui qui psalmodie des formules en modulant sa voix, celui qui met en œuvre une puissance vocale à ­létat pur, sans musique ni mélodie.

Le but de cette réflexion sur la voix est ­dexpliquer la virtus verborum sans recourir à la causalité démoniaque. Oresme ­considère que le pouvoir des mots découle du pouvoir des sons, lui-même déduit des effets de la 254musique. ­Lexemple de la musique sert donc de creuset théorique pour ­construire une interprétation du pouvoir des incantations : la doctrine des ­configurations, appliquée aux sons, fait le lien entre musique et magie. Pour autant, la musique ­nest pas en tant que telle ­loutil du magicien : les harmonies musicales ne font pas partie des pratiques magiques, ­contrairement à ­dautres procédés dont Oresme donne des exemples ­concrets. Les magiciens ne sont pas des musiciens.

Que reste-il de cette articulation entre musique et magie dans ses écrits postérieurs ? Peu de choses. Les ­configurations sont évoquées dans le résumé de la question 44, mais ­largument est écarté, avec un certain embarras, dans le développement ­complet de la question88. À ­lépoque des Problemata, la position ­dOresme sur la magie ­sest radicalisée et empreinte de doutes. La doctrine des ­configurations ­na plus la place centrale ­quelle occupait dans le traité De ­configurationibus. Par suite, le parallèle entre musique et magie ­na plus la même nécessité ni la même pertinence, ce qui explique ­quil occupe si peu de place dans les écrits de fin de carrière. La proposition neuve ­quOresme défendait à ses début – faire de la musique un laboratoire pour penser les ressorts du pouvoir magique – aura ­connu le même sort que sa doctrine des ­configurations : elle aura été écartée par son auteur de son vivant.

La musique, une clé

Pour Évrart de Conty, la musique est la « clé de lecture de ­lunivers89 ». Cette position forte le ­conduit à affirmer à propos ­dApollon, dieu de la divination, que les arts « magiques et divinatoires » sont en partie fondés sur ­lefficacité de certains sons et de paroles prononcées selon une certaine mesure90. ­Cest pourquoi on les dit incantatoires. Plus loin, Évrart parle de magie après avoir traité de ­linfluence de la musique sur ­lhomme et sur les animaux91. Sur le sujet, il utilise abondamment le De ­configurationibus, non seulement le chapitre ii, 23 sur la musique92, mais aussi les chapitres 25 à 35 sur la magie. Il y fait, entre autres, 255une ample moisson de citations et ­dexemples, tout en réorganisant la matière en quatre temps : après avoir illustré ­linfluence de la musique sur les esprits, il reprend la distinction entre la nigromance et la magie naturelle. Il ­sattarde ensuite sur le rôle des sons et des paroles. Dans un quatrième temps, il présente divers jugements sur la magie, à travers lesquels se laisse deviner son opinion personnelle, et dénonce certaines pratiques destinées à abuser les magiciens eux-mêmes et les personnes crédules93. Certains paragraphes peuvent emprunter à trois chapitres différents94. Comme Oresme, Évrart estime que les magiciens font fausse route et que leurs croyances ne sont pas ­conformes à la philosophie naturelle et à la raison.

Sur la partie des arts magiques « qui use des esprits », Évrart adopte la position ­dOresme, avec quelques nuances. Il y a ­dabord une différence de vocabulaire : Évrart utilise toujours le terme neutre esperis, traduction de spiritus ; Oresme, lui, emploie surtout demones. Par ailleurs, dans les EAM, Évrart scinde le raisonnement ­dOresme sur la nigromancie en deux parties. ­Dun côté, alors ­quil parle ­dApollon, dieu de la divination, il indique avec les mêmes références ­quOresme que cette forme de magie utilise des voix et des chants, et que certains attribuent aux sons le pouvoir de ­contraindre les démons95. De ­lautre côté, il réfute cet argument, ­comme Oresme, mais place la réfutation cent pages plus loin, dans le quatrième temps de sa présentation de la magie96. Le raisonnement du De ­configurationibus, II, 25 est donc coupé en deux : Évrart se montre ­dabord ouvert à ­lidée ­dun pouvoir de la musique sur les démons, avant de la ­condamner fermement. Cette réorganisation donne à sa position un caractère moins affirmé, plus insaisissable que celle ­dOresme, mais dans le fond elles se rejoignent. Tous deux affirment que les esprits ne peuvent être ­contraints par les hommes et que ­sils agissent, ­cest avec la permission divine.

Dans les Problemes, Évrart se place en retrait par rapport à cette position. ­Lorsquil évoque les esprits à propos des dons divinatoires des 256mélancoliques, il affiche un certain scepticisme ; il traite avec désinvolture et une certaine ironie ­lexplication des théologiens qui « les ramènent aux esprits97 ». Dans les EAM, toutefois, il semble devenu plus prudent98. Entre les théologiens qui voient dans toutes les pratiques magiques ­lintervention des esprits malins et les « philosophes anciens » qui justifient leur efficacité par des causes naturelles trouvées par ­lart et ­lintelligence de ­lhomme, il estime désormais, avec Oresme, que le plus raisonnable est de limiter ­lintervention des esprits aux cas qui échappent à la raison naturelle99.

La magie naturelle, précisément, se fonde selon Évrart sur les vertus secrètes des étoiles, des pierres précieuses, des herbes et des plantes, mais aussi des paroles et des sons musicaux. Il estime ­quil est plus facile de croire aux pouvoirs des pierres et des herbes qui sont « substantielles, permanentes et arrêtées » ­quà ceux des paroles qui sont « accidentelles, successives et éphémères100 », en ­sappuyant à deux reprises sur une citation ­dAlbert le Grand101. Il remarque toutefois que les magiciens croient au pouvoir des paroles, car ils ajoutent volontiers aux pierres et aux herbes ­quils utilisent certaines oraisons garantissant leur efficacité102. Leurs vertus ­conjuguées sont évoquées à propos de ­lhéliotrope dont sont faits les fous de la demoiselle. Pierre verte tachetée de rouge, ­lhéliotrope est doté de pouvoirs merveilleux, ­conférant par exemple aux mélancoliques le don de prédire ­lavenir ; et si on place en dessous la plante du même nom, il pourra rendre invisible celui qui le porte, à ­condition ­davoir été ­consacré par une prière ­convenable. Ainsi ­lassociation pierre – herbe – oraison est la garantie ­dune efficacité maximale. Mais ­lauteur prend immédiatement ses distances : si ces merveilles rapportées par les anciens sont difficiles à croire, ­cest ­quelles ne sont pas à entendre à la lettre. Il préfère en fournir une application amoureuse103.

257

En ce qui ­concerne les incantations, Évrart estime, à la suite ­dOresme, que les paroles ­nagissent pas en vertu de leur signification ­puisquelles opèrent sur les animaux, ­comme le montre ­lexemple bien ­connu du serpent qui se protège des paroles de ­lenchanteur en se bouchant les oreilles. Il est brièvement rappelé à propos du sixième pion de la Demoiselle, Sens, dont ­lemblème est un serpent qui acquiert alors une signification morale et amoureuse : la femme sage doit elle aussi se boucher les oreilles pour ne pas entendre les paroles trompeuses qui visent un amour déraisonnable et sont ­comme des incantations104. En amour, la dame doit savoir résister aux « maléfices des arts magiques » et ­lamant ne doit pas ­ségarer hors du chemin « ­commun et raisonnable » en usant de sorts ou ­dincantations, ou de toute autre voie oblique et malhonnête105. ­Cest en recourant à ­léloquence et au pouvoir de la parole ­quil devra chercher à la ­conquérir. Cette ­condamnation était déjà présente, en des termes fort proches, dans le poème des EA où le dieu ­dAmour oppose la belle éloquence, fondée sur la raison, à ­lart des incantations106.

Évrart manifeste toutefois une certaine ambivalence : selon ­danciennes écritures, on doit croire que les magiciens ont fait jadis et « peuvent encore faire par incantations et par paroles » de grandes merveilles, et il affirme prudemment que les philosophes « parlent diversement des vertus des incantations et des paroles107 ». À ­dautres occasions, il prend soin de rejeter les incantations ­quil ­considère ­comme maléfiques. Quand il donne des exemples de leur efficacité, il multiplie les formules de prudence, et fait toujours la part de leur mauvaise utilisation possible.

Pour expliquer le pouvoir des paroles, Évrart emprunte au chapitre ii, 33 du De ­configurationibus. Il ne cite jamais Oresme, mais se réfère de façon très générale aux « philosophes », parmi lesquels Aristote dont il reprend la définition de la parole, qui est « ­comme un air qui prend forme dans ­lair108 ». Par la suite, ­cest bien à la théorie et au vocabulaire 258des ­configurations que se réfère Évrart, même ­sil ­nen explique jamais les principes : « les paroles dont use cette science agissent principalement par le pouvoir du son, et par une sorte de chant ­quelles produisent ­lorsquon les prononce, à cause de la difformité de leur ­configuration109 ». Cette utilisation des sons et des paroles par le magicien lui semble tout à fait possible : la doctrine de Nicole Oresme, qui faisait le lien entre musique et magie mais que son auteur a laissée de côté à la fin de sa carrière, est ainsi réactivée par Évrart de Conty au cours de la décennie suivante. Il y a pourtant une différence fondamentale entre leurs positions sur les incantations : pour Oresme, ­lincantation est une partie de la magie110, alors que pour Évrart, ­cest une partie de la musique, et les ­conjurations et oraisons auxquelles recourent les magiciens sont ­considérées ­comme des chants111. La magie est musique.

CONCLUSION : PRATIQUES INTELLECTUELLES
ET FRONTIÈRE DES SAVOIRS

Cette traversée dans les écrits que Nicole Oresme et Évrart de Conty ­consacrent à la musique et à la magie met en évidence la proximité des deux auteurs sur la question. Lorsque ­lon ­compare leurs idées point par point, les inflexions sont minimes. ­Limpression qui domine est ­quÉvrart emprunte toute sa matière à Oresme, en la réorganisant mais sans beaucoup la modifier, et surtout sans émettre une opinion aussi claire que son prédécesseur : il a manifestement une dette énorme envers Nicole Oresme.

Une telle proximité intellectuelle amène à ­sinterroger sur la circulation des idées entre ces auteurs. Quelles ont été exactement leurs interactions ? Leur ­connaissance de ­lœuvre de ­lautre ­nest pas équivalente. 259Évrart ne cite le nom ­dOresme ­quune seule fois, dans les Problemes112 ; il y rend hommage au ­commentaire du Livre de Ethiques dont il recommande la lecture, sans ­quon puisse déceler ­demprunt direct. Mais, ­sil ne nomme pas Oresme, nous avons vu ­quil utilise énormément son œuvre – le même type de lien implicite unit Oresme à ­lœuvre de Guillaume ­dAuvergne. Quand Évrart écrit les EAM, il peut ­connaître les trois œuvres ­dOresme que nous avons évoquées. Toutefois, la position radicale ­dOresme dans les Problemata, son probabilisme, sa volonté de ramener les merveilles à des phénomènes ordinaires, sont des inflexions absentes chez Évrart, dont ­linspiration provient essentiellement du De ­configurationibus et du Livre des Politiques. Étant donné le caractère peut-être inachevé des Problemata, il est possible que ­lœuvre ­nait pas été diffusée et donc ­quÉvrart ne ­lait pas eue en main. Oresme, de son côté, ­na certainement pas eu accès aux œuvres ­dÉvrart ­puisquil est mort en 1380, avant la fin de la rédaction des Problemes, alors que les EAM ­nétaient même pas ­commencés. Si Évrart a lu et utilisé les écrits ­dOresme, du moins certains ­dentre eux, ­linverse ­nest pas vrai.

Nous pouvons imaginer ­dautres interactions. Les pratiques intellectuelles scolastiques ont une ­composante orale et collective ; ce sont des pratiques sociales. Dans le cas qui nous occupe, il est difficile de croire que les deux hommes ne se sont pas croisés à la cour de Charles V. Certes, Évrart ­nétait pas un traducteur attitré au même titre ­quOresme, mais il était le médecin du roi pendant les années mêmes où Oresme donnait suite aux ­commandes royales113. De quoi ont-ils parlé ­sils se sont rencontrés ? Peut-on faire ­lhypothèse ­dune discussion savante autour du pouvoir des harmonies musicales ou de ­limposture des magiciens ? ­Lidée est plaisante : Oresme et Évrart pourraient avoir élaboré ensemble, oralement, une matière que chacun se serait ensuite appropriée en la modulant selon ses propres préoccupations. Mais une telle hypothèse, par ailleurs impossible à vérifier, repose sur le postulat que ces auteurs partageaient les mêmes intérêts. Or ­cest justement sur ce point, nous semble-t-il, ­quils se distinguent.

Pour mieux apprécier ce qui sépare Nicole Oresme et Évrart de Conty, il nous faut prendre un peu de recul. Ils ne diffèrent ni dans leurs 260­conceptions spécifiques de la musique ou de la magie, ni même dans leurs choix de vocabulaire ou leurs modalités ­dargumentation ; ils se singularisent par la perspective ­densemble de leurs travaux respectifs et par la manière dont ils situent leur réflexion dans le champ des savoirs.

Chez Nicole Oresme, ce qui domine est un projet philosophique : fournir une explication rationnelle à tous les phénomènes. Cette position est particulièrement affirmée dans le De ­configurationibus, traité universitaire destiné à ses pairs, dans lequel il cherche à ­construire un système ­dinterprétation unique centré sur la notion de ­configuration. ­Larticulation de la magie avec la musique lui permet de soutenir ­lidée audacieuse que le pouvoir des incantations dépend des ­configurations sonores. Sa position est réfléchie, cohérente et argumentée. Il fait appel à ­dautres savoirs, ­quil met au service de la philosophie naturelle : la médecine – citant Ibn Butlān, le mal ­damour et Constantin ­lAfricain ; la musique, par les analyses de Boèce relayées par Guillaume ­dAuvergne ; la science de ­lâme, en accueillant les idées ­dAvicenne sur les facultés de ­lâme ; la magie enfin, car Oresme ­connaît les pratiques des magiciens et les fondements de leur art. Puisant dans ces domaines, son but est ­délaborer une représentation du monde unifiée avec les outils dialectiques de la philosophie. Dans le Livre de Politiques, écrit en français pour un public laïc, ­laccent est différent ; les observations sur le pouvoir de la musique prennent place dans une réflexion sur ­léducation des jeunes gens, le lien avec la magie ­nest plus mis en avant. Dans les Problemata, enfin, Oresme revient à la philosophie naturelle mais avec un ton nouveau, pragmatique et polémique. Ses derniers textes ­nont pas le caractère ­dexpérimentations théoriques ; la doctrine des ­configurations est mise en retrait et Oresme ne se réfère plus au pouvoir des sons pour expliquer les effets des incantations. Dès lors, la question des interactions entre musique et magie ­nest plus mobilisée.

La perspective adoptée par Évrart de Conty est différente : médecin de formation, il se positionne dans ses œuvres à la fois en poète et en ­commentateur, avec le désir de rendre le savoir accessible à un large public. ­Sadressant aux laïcs, il veut éveiller leur intérêt en suscitant leur émerveillement. ­Cest un thème qui revient souvent dans les Problemes114 et on peut penser que la magie était un sujet propre à susciter la curiosité. 261Mais en bon pédagogue, Évrart veut aussi donner à son lecteur la possibilité de former son propre jugement. Si le passage ­consacré à la magie finit par une ­condamnation ferme de cette dernière et une mise en garde ­contre les incantations, il en fournit néanmoins une explication acceptable sous le couvert de la musique.

Pour Évrart de Conty, ­cest la musique qui est importante, sans oublier celle qui se rattache à la poésie et à la prose. Il privilégie ­léloquence fondée sur la raison et la belle parole, dont le pouvoir est rapproché de celui de la musique mais soigneusement distingué des incantations. ­Linsistance est mise sur ­latemprance et la bonne mesure, et ­ladverbe moyennement est fréquemment employé115. ­Latemprance, ­cest ­léquilibre, et tout particulièrement celui de la ­complexion. Pour le médecin ­quest Évrart, il ­sagit de trouver un juste milieu entre les sons, de même que la santé est définie par ­léquilibre des qualités au sein des ­complexions116. Dans les Problemes, il a défini la ­complexion idéale, appelée par les médecins ­complexion « atempree a justice », où les éléments sont mêlés dans la meilleure proportion possible117. Bien que rarement et brièvement rencontrée dans la nature, elle ­constitue le point ­déquilibre et ­lidéal qui permet ­dévaluer les autres. Il en va ainsi pour les ­consonances moyennes. Les mêmes termes servent à exprimer le juste milieu que représente la vertu entre des passions opposées, entre deux extrémités également blâmables ; la ­conduite humaine doit être guidée par la Raison. En matière ­déthique ­comme de médecine, Évrart, en fidèle disciple ­dAristote, est ­lhomme du juste milieu.

Ces différences de positionnement – inventivité théorique et critique radicale des phénomènes ­dun côté, quête ­dun équilibre scientifique et éthique de ­lautre – définissent deux formes ­dengagement intellectuel et ­culturel. On peut douter, dès lors, que les deux auteurs aient élaboré ensemble leurs propositions au gré ­déchanges informels. Ils vivent 262dans la même société, ils ­sadressent aux mêmes gens ; dans le fond, ils disent la même chose. Néanmoins, leur ­conception du savoir oriente différemment leurs discours. Pour Oresme, la musique est un outil, un levier pour ­comprendre le monde ; elle est au service de ­lexplicitation des fondements du pouvoir magique. Pour Évrart, la magie est une simple curiosité, tandis que la musique est à la fois une clé de voûte et un art de vivre.

Béatrice Delaurenti

EHESS, Centre de Recherches Historiques (EHESS / CNRS)

Françoise Guichard-Tesson

KU Leuven

1 Sur la vie et ­lœuvre ­dOresme, voir en dernier lieu ­larticle de M. Lejbowicz, « Nicole Oresme “spectateur engagé” », Nicole Oresme philosophe. Philosophie de la nature, philosophie de la ­connaissance à Paris au xive siècle, éd. J. Celeyrette et C. Grellard, Turnhout, Brepols, 2014, p. 21-61, ici p. 57.

2 Nicole Oresme and the Medieval Geometry of Qualities and Motions. A Treatise on the Uniformity and Difformity of Intensities Known as Tractatus de ­configurationibus qualitatum et motuum, éd. M. Clagett, Madison, University of Wisconsin Press, 1968.

3 « Maistre Nicole Oresme : Le Livre de Politiques ­dAristote, published from the Text of the Avranches Manuscript 223, with a Critical Introduction and Notes », éd. A. D. Menut, Transactions of the American Philosophical Society, 60, 6, 1970, p. 1-392.

4 Voir E. Marmursztejn, « Nicole Oresme et la vulgarisation de la Politique ­dAristote au xive siècle », Thinking Politics in the Vernacular. From the Middle Ages to the Renaissance, éd. G. Briguglia et T. Ricklin, Fribourg, Academic Press Fribourg, 2011, p. 103-127, ici p. 107.

5 « Nicole Oresme : Quaestio ­contra divinatores horoscopios », éd. S. Caroti, Archives ­dHistoire Doctrinale et Littéraire du Moyen Âge, 43, 1976, p. 201-310.

6 Nicole Oresme and the Marvels of Nature. A Study of his De causis mirabilium with a Critical Edition, Translation and Commentary, éd. B. Hansen, Toronto, Pontifical Institute of Mediaeval Studies, 1985. Le titre ­nest pas ­dOresme mais de Bert Hansen.

7 Nicole Oresme and the Marvels, Appendix A : Tabula Problematum, p. 365-393.

8 Édition collective sous la direction ­dAlain Boureau et de Béatrice Delaurenti, Paris, Les Belles Lettres, à paraître. Cette entreprise a ­conduit à renommer ­lœuvre, jusque-là ­connue sous le nom de Quodlibeta, et à en retarder la datation (autour de 1377).

9 Problemata, 1, 2, 37, 38, 43 et 44. Dans le De causis mirabilium, en revanche, Oresme ne parle pas spécifiquement des magiciens.

10 Tabula problematum, 44, l. 138-140.

11 Sur la vie ­dÉvrart de Conty, voir E. Wickersheimer, Dictionnaire biographique des médecins en France au Moyen Âge, Paris, 1936, p. 146, et D. Jacquart, Supplément, Genève, 1979, p. 72 ; Le Livre des Eschez amoureux moralisés, éd. F. Guichard-Tesson et B. Roy, Montréal, CERES, 1993, Introduction, p. liv-lvi. ­Sil semble avoir eu un statut enviable à la Faculté, rien ­natteste ­quil ait été doyen et son nom ne figure pas sur les listes régulièrement tenues à partir de 1395. Voir D. Jacquart, La médecine médiévale dans le cadre parisien, Paris, Fayard, 1998, p. 153.

12 Voir F. Guichard-Tesson, « Évrart de Conty, auteur de la Glose des Échecs amoureux », Le Moyen Français, 8-9, 1981, p. 111-148 ; Dictionnaire des lettres françaises. Le Moyen Âge, Paris, Le Livre de Poche, 1992, p. 435.

13 Elle est ­contestée par G. Heyworth et D. E. ­OSullivan dans la longue introduction à leur édition des 16 000 premiers vers du poème : Les Eschéz ­dAmours. A Critical Edition of the Poem and its Latin Glosses, éd. G. Heyworth et D. E. ­OSullivan, avec F. Coulson, Leyde-Boston, Brill, 2013 ; ­compte-rendu de cette édition par A. Mussou et M.-L. Savoie, « Discussion - Les Eschés amoureux en vers : nouvelle édition publiée, nouveau témoin découvert », Romania, 133, 2015, p. 470-489. A. Mussou y souligne les nombreux problèmes et insuffisances de ­largumentation des éditeurs ; nous partageons pleinement ses critiques.

14 On ­ny trouve en effet aucun écho de la querelle du Roman de la Rose qui ­commence en 1401. À ce sujet, voir P.-Y. Badel, Le Roman de la Rose au xive siècle : étude de la réception de ­lœuvre, Genève, Droz, 1980, p. 290.

15 Pour ­dautres ­comparaisons entre Nicole Oresme et Évrart de Conty, voir F. Guichard-Tesson et M. Goyens, « Évrart de Conty et ses ­contemporains : polyphonie ­dun discours encyclopédique », Traduire au xive siècle. Évrart de Conty et la vie intellectuelle à la cour de Charles V, éd. J. Ducos et M. Goyens, Paris, Honoré Champion, 2015, p. 127-179 ; B. Delaurenti, « Deux approches savantes du rire : Nicole Oresme et Évrart de Conty », Entre le cœur et le diaphragme. (D)écrire les émotions dans la littérature narrative et scientifique du Moyen Âge, éd. C. Baker, M. Cavagna et G. Clesse, Louvain-la Neuve, Publications de ­lInstitut ­détudes médiévales, 2018, p. 101-116.

16 De causis mirabilium, III, l. 790-791, et Problemata, 40.

17 De causis mirabilium, IV, l. 83-84.

18 Pour Oresme, voir la bibliographie indiquée par L. Mauro, « Il piacere della musica in Nicola Oresme », Piacere e dolere. Materiali per una storia delle passioni nel medioevo, éd. C. Casagrande et S. Vecchio, Florence, Sismel-Edizioni del Galluzzo, 2009, p. 101-115, n. 2, ainsi que B. Delaurenti, La puissance des mots : « virtus verborum ». Débats doctrinaux sur les incantations au Moyen Âge, Paris, Cerf, 2007, p. 456-470 ; pour Évrart, voir A. Mussou, « Le médecin et les sons. Musique et magie dans Le Livre des Eschez amoureux moralisés ­dÉvrart de Conty », dans Music and Esotericism, éd. L. Wuidar, Leyde, Brill, 2010, p. 23-43.

19 De ­configurationibus qualitatum, II, 23, p. 328, l. 4-6. Boèce est cité p. 330, l. 35 et 39 : De institutione musica I, 1, éd. G. Friedlein, Lipsiae, 1867, p. 178-187, en particulier p. 180, l. 11-22.

20 Guillaume ­dAuvergne, De universo, II, iii, 21, Opera omnia, I, Orléans-Paris, 1674, repr. Frankfurt a M., 1963, p. 1056b-1057a. Voir Delaurenti, La puissance des mots, p. 217-230.

21 De ­configurationibus qualitatum, II, 23, p. 328-330, l. 6-15.

22 Le livre de Politiques, VIII, 12, 308a, p. 355.

23 Tabula problematum, 44, l. 138-139 ; De ­configurationibus qualitatum, II, 23, p. 328, l. 11-13.

24 Évrart de Conty, Problemes, XIX, 1, fol. 28r. Pour les Problemes, toutes les références renvoient au manuscrit autographe Paris, BnF, fr. 24282.

25 Problemes, XIX, 48, fol. 55v.

26 Voir EAM, p. 192-193.

27 Voir Problemes, XIX, 30, fol. 45r. De telles précisions se trouvent aussi dans les gloses ­dOresme, dans le Livre de Politiques, VIII, 9, 304c, p. 351.

28 EAM, p. 193 ; Le Livre de Politiques, VIII, 9, 304b, p. 350.

29 EAM, p. 727.

30 EAM, p. 730.

31 Problemes, XIX, fol. 26v.

32 EAM, p. 165.

33 EAM, p. 173. Voir M.-R. Jung, « ­Lalexandrin au xve siècle », Orbis mediaevalis. Mélanges de langue et de littérature médiévales offerts à Reto Raduolf Bezzola, Berne, Francke, 1978, p. 203-217.

34 Voir J. Cerquiglini-Toulet, « Le nouveau lyrisme (xive-xve siècles) », Précis de littérature française du Moyen Âge, éd. D. Poirion, Paris, PUF, 1983, p. 275-292.

35 Voir B. Roy, « Eustache Deschamps et Évrart de Conty théoriciens de ­lart poétique », Cy nous dient… Dialogue avec quelques auteurs médiévaux, Orléans, Paradigme, 1999, p. 25-40, ici p. 32-37.

36 Les mètres renvoient plutôt à la poésie latine (ars metrica), tandis que les rimes désignent essentiellement la poésie française ; ­cest évidemment la deuxième qui ­lintéresse. Voir à ce sujet EAM, p. 168.

37 Problemes, XIX, 38, fol. 49r.

38 EAM, p. 169-170.

39 Problemes, XIX, 38, fol. 49v-50r, et EAM, p. 173.

40 EAM, p. 191.

41 De ­configurationibus qualitatum, II, 23, p. 330, l. 32-33.

42 Jean de Salisbury, Policraticus, sive De nugis curialium et vestigiis philosophorum libri VIII, 6, éd. C. Webb, Londres, 1909, p. 40-41.

43 Variae II, Epistula 40, éd. Th. Mommsen, Cassiodori senatoris Variae, Munich, 1961, fac-sim. Berlin, 1894, II, p. 70.

44 De institutione musica, I, 1 p. 187, l. 5-6.

45 De universo, II, iii, 21, p. 1057aA.

46 Voir Guichard-Tesson et Goyens, « Évrart de Conty et ses ­contemporains », p. 130-138. Comme il est ­dusage dans le poème, aucune identification ­nest fournie.

47 EAM, p. 191. La ­comparaison ne figure que dans les EAM.

48 Problemes, XIX, 1, fol. 27v.

49 Le Livre de Politiques, VIII, 8, 303a, p. 349.

50 Aristote, Politique, 1340a9-10, éd. J. Aubonnet, Paris, Les Belles Lettres, 1989, n. 15, p. 135-136.

51 Le Livre de Politiques, VIII, 8, 303a-b, p. 349.

52 De ­configurationibus qualitatum, II, 29, p. 346, l. 19-26. Voir Delaurenti, La puissance des mots, p. 415-421.

53 Ibid., p. 348, l. 34-38.

54 De universo, II, iii, 21, p. 1056bG.

55 Quodlibet I, 7, Venise, 1509, cité par A. Boureau, Satan hérétique. Naissance de la démonologie dans ­lEurope médiévale (1260-1350), Paris, Odile Jacob, 2004, p. 217-218.

56 De ­configurationibus qualitatum, II, 29, p. 348, l. 39-42.

57 Le Livre de Politiques, VIII, 7, 302d, p. 349, et EAM, p. 189, à propos ­dAristote, Politique, VIII, 5, 1340a3-5.

58 EAM, p. 190.

59 EAM, p. 464.

60 EAM, p. 469.

61 Voir H. Elkhadem, Le Taqwīm al-iḥḥa (Tacuini sanitatis) ­dIbn Bulān : un traité médical du xie siècle. Histoire du texte, édition critique, traduction, ­commentaire, Louvain, Peeters, 1990, p. 43-45.

62 Ibn Bulān, Tacuinum Dei, canon xxxia, ms. Vatican, BAV, lat. 2426, fol. 31v, transcr. Clagett, Nicolas Oresme and the Medieval Geometry, p. 478.

63 De ­configurationibus qualitatum, II, 23, p. 330, l. 35-38.

64 Constantin ­lAfricain, Viaticum, I, 20, éd. M.-F. Wack, Lovesickness in the Middle Ages. The Viaticum and its Commentaries, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 1990, p. 186-191 (cité par Oresme en II, 23, p. 330, l. 21-25).

65 Jacquart, La médecine médiévale, p. 435-437 ; Wack, Lovesickness, p. 31-50.

66 Le Livre de Politiques, VIII, 3, 297d, p. 342.

67 Tabula problematum, 44, l. 140.

68 De causis mirabilium, IV, l. 48-50 et l. 1075-1082 ; Problemata, 1 ; Tabula problematum, 154, l. 442.

69 De causis mirabilium, III, l. 785-880 et l. 898-916 ; Problemata, 40.

70 Tabula problematum, 203, l. 769-771.

71 De causis mirabilium, III, l. 574-578.

72 De universo, II, iii, 21, p. 1056bG.

73 EAM, p. 191.

74 Problemes, XIX, 27, fol. 44r.

75 Seuls les EAM reprennent ­lappellation de amor hereos : EAM, p. 191, et de nouveau p. 239 et 544. Évrart se réfère à Avicenne, Liber canonis, III, fen 1, tract. 4, cap. 23, Venise, Dionysius Bertocus, 1490, C4vb.

76 Voir par exemple Bernard de Gordon, Practica seu lilium medicinae, II, 20, Naples, Francesco del Tuppo, 1480.

77 Il existe une abondante bibliographie sur cette question. On en trouvera les principaux titres à la note 3 p. 252 de ­larticle de B. Delaurenti, « Contre la magie démoniaque et les incantations : les questions 43 et 44 des Quodlibeta », Nicole Oresme philosophe, p. 251-297.

78 Voir A. Maier, « La doctrine de Nicolas Oresme sur les ­configurationes intensionum », Revue des sciences philosophiques et théologiques, 32, 1948, p. 52-67, repr. dans Ausgehendes Mittelalter : Gesammelte Aufsätze zur Geistesgeschichte des 14. Jahrhunderts, Rome, 1964, p. 335-352, ici p. 339-340 ; Clagett, Nicole Oresme and the Medieval Geometry, p. 14-49 ; Delaurenti, La puissance des mots, p. 452-455.

79 U. Taschow, « Die Bedeutung der Musik als Modell für Nicole Oresmes Theorie. De ­configurationibus qualitatum et motuum », Early Science and Medicine, IV, 1, 1999, p. 37-90.

80 De ­configurationibus qualitatum, II, 25, p. 354, l. 1-17.

81 De ­configurationibus qualitatum, II, 23, p. 332, l. 45-48.

82 De ­configurationibus qualitatum, II, 25, p. 336, l. 31-32.

83 De ­configurationibus qualitatum, II, 25, p. 336, l. 35-36.

84 ­Létude de la magie dans le De ­configurationibus est organisée autour de ­lexamen de ces trois racines : les chapitres 26-30 portent sur la fausse persuasion, les chapitres 31-32 sur la manipulation ­dobjets et le chapitre 33 sur le pouvoir des mots. Voir Delaurenti, La puissance des mots, p. 114-117.

85 De ­configurationibus qualitatum, II, 33, p. 366, l. 20-22 et l. 14-15.

86 Le Livre de Politiques, VIII, 12, 308a, p. 355.

87 De ­configurationibus qualitatum, II, 33, p. 366, l. 30 ; Virgile, Bucoliques, VIII, v. 71, éd. E. de Saint-Denis, Paris, Les Belles Lettres, 1992 (5e éd.).

88 Voir B. Delaurenti, « Contre la magie démoniaque et les incantations », Nicole Oresme philosophe, p. 268-270.

89 Selon ­lexpression ­dA. Mussou, « Le médecin et les sons », p. 26.

90 EAM, p. 96.

91 Voir Mussou, « Le médecin et les sons », p. 35 ; EAM, p. 197 ; les exemples sont empruntés à Oresme, De ­configurationibus, p. 336.

92 Guichard-Tesson et Goyens, « Évrart de Conty et ses ­contemporains », p. 129-144.

93 EAM, 1) p. 197 ; 2) p. 197-201 ; 3) p. 201-204 ; 4) p. 204-207.

94 Ainsi, il dénonce les illusions et tromperies de la magie (EAM, p. 204-205) en empruntant aux chapitres ii, 26, 29, 30 et 32 qui traitent de la fausse persuasion et de la manipulation ­dobjets.

95 EAM, p. 96 ; De ­configurationibus, II, 25, p. 336, l. 26-28.

96 EAM, p. 198 ; De ­configurationibus, II, 25, p. 336, l. 30-34. Ce passage reprend aussi des éléments du De ­configurationibus, II, 35, p. 374.

97 Problemes, XXX, 1, fol. 182v et à nouveau 183r. À propos de ce passage, voir Jacquart, La médecine médiévale, p. 313-315.

98 Sur les raisons de cette prudence et la ­condamnation de la faculté de théologie, en 1398, à la suite de ­laffaire Jean de Bar, voir Jacquart, La médecine médiévale, p. 317-318. On notera toutefois que si les allusions faites par Évrart à certaines pratiques rappellent celles dont ­saccuse Jean de Bar, elles sont toutes déjà présentes dans le De ­configurationibus. Voir aussi J.-P. Boudet, « La ­condamnation de la magie à Paris en 1398 », Revue Mabillon, n.s., 12 (= 73), 2001, p. 121-157.

99 EAM, p. 198 et 204.

100 EAM, p. 201.

101 EAM, p. 201 et 535.

102 EAM, p. 202.

103 EAM, p. 671-673.

104 EAM, p. 645. Sur les arguments scolastiques relatifs au pouvoir de la signification, notamment chez Oresme, voir B. Delaurenti, « Agir par les mots au Moyen Âge. Communication et action dans les débats sur le pouvoir des incantations », Archives de sciences sociales des religions, 158, avril-juin 2012, p. 53-71.

105 EAM, p. 682.

106 EA, v. 8994-9072, en particulier v. 9017-9020 et 9030-9031.

107 EAM, p. 203.

108 EAM, p. 202 : « la parole humaine est aussi ­come un air figuré ou une chose figuree en ­lair ».

109 Problemes, Paris, BnF, fr. 24281, XI, fol. 205v ; EAM, p. 202.

110 De ­configurationibus qualitatum, II, 33, p. 366, l. 20-21 : Ista pars magice appropriate vocatur incantatio vel incantatoria a cantu.

111 EAM, p. 202-203 : « Et pour ce fu ceste partie de musique qui ainsy use de sons et de paroles appellee incantacion, et aussi sont les ­conjuracions, les oroisons et les paroles dont les magiciens se aident appellees en latin carmina, qui vault autant a dire que chans ou chanssons. »

112 Problemes, XXVII, 1, fol. 153v. Voir Guichard-Tesson et Goyens, « Évrart de Conty et ses ­contemporains », p. 128-129.

113 Voir G. Dumas et L. Laumonier, « Évrart de Conty : témoignages sur un intellectuel discret », Traduire au xive siècle, p. 73-97, ici p. 88-91.

114 F. Guichard-Tesson, « Pietro ­dAbano traduit et recyclé par Évrart de Conty », Between Text and Tradition. Pietro ­dAbano and the Reception of Pseudo-­Aristotles Problemata Physica in the Middle Ages, éd. P. De Leemans et M. J. F. M. Hoenen, Leuven, Leuven University Press, 2016, p. 201-254, ici p. 246-254.

115 Le rapprochement effectué dans les EAM entre le diapason et la couleur verte est particulièrement significatif : y figurent en quelques lignes les mots actrempeement, atrempance, actrempé, amesureement, ainsi que ­lexpression bonne mesure (EAM, p. 151).

116 Voir D. Jacquart, « Médecine et morale : les cinq sens chez Évrard de Conty († 1405) », Micrologus, X, I cinque sensi / The Five Senses, 2002, p. 365-378, ici p. 373, repr. dans D. Jacquart, Recherches médiévales sur la nature humaine : essais sur la réflexion médicale, Florence, Sismel-Edizioni del Galluzzo, 2014, p. 69-84.

117 Problemes, Paris, BnF, fr. 24281, I, 1, fol. 3v.