Looking at Music and Magic Nicole Oresme and Évrart de Conty
- Publication type: Journal article
- Journal: Cahiers de recherches médiévales et humanistes / Journal of Medieval and Humanistic Studies
2020 – 1, n° 39. varia - Authors: Delaurenti (Béatrice), Guichard-Tesson (Françoise)
- Abstract: Nicole Oresme and Évrart de Conty wrote about music and magic in the 1370s. Évrart was inspired by Oresme; both showed that music influences both body and soul, inducing passion and healing. However, their perspectives differed. Oresme chiefly aimed to shed light on the imposture that magic represented; he used music as a model for analysis. For Évrart, music was the keystone of his world vision, whereas magic represented nothing but a curiosity.
- Pages: 237 to 262
- Journal: Journal of Medieval and Humanistic Studies
- CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- EAN: 9782406107422
- ISBN: 978-2-406-10742-2
- ISSN: 2273-0893
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-10742-2.p.0237
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 07-14-2020
- Periodicity: Biannual
- Language: French
- Keyword: Magic, passions, healing, power of music, magical arts
REGARDS CROISÉS
SUR LA MUSIQUE ET LA MAGIE
Nicole Oresme et Évrart de Conty
Quelle est la place accordée à la musique dans l’interprétation médiévale de la magie ? Nous proposons de réfléchir à cette question à partir des considérations de philosophie naturelle exprimées par deux savants de haut rang, Nicole Oresme et Évrart de Conty. Dans des ouvrages composés à quelques années de distance, tous deux ont étudié à la fois la musique et la magie.
Nicole Oresme est un théologien qui s’intéresse principalement aux sciences. Après des études parisiennes à la faculté des arts puis de théologie, il accède à la maîtrise de théologie en 1355. En 1361, il quitte l’université pour entamer une « seconde carrière1 », ecclésiastique, en Normandie ; il accède en 1377 à l’évêché de Lisieux. Oresme est l’auteur d’une œuvre très riche en mathématiques, astronomie et philosophie naturelle. Dans les années 1370, il appartient au cercle de savants réunis à la cour par Charles v et effectue des traductions d’Aristote en français à la demande du roi. La lutte contre les pratiques astrologiques et magiques a aussi été l’un de ses chevaux de bataille.
Trois textes d’Oresme sont examinés ici. Le premier, De configurationibus qualitatum et motuum2, est un traité de géométrie et philosophie naturelle qui comprend une longue étude des sons, avec un chapitre sur la musique, ainsi qu’une étude des principes de l’art magique. Il a été rédigé en latin à Paris entre 1348 et 1356. Le 238second, le Livre de Politiques d’Aristote3, est une traduction commentée d’Aristote composée à la demande de Charles v dans les années 1370-1372. Oresme traduit et commente alternativement, en s’appuyant sur Aristote pour construire son propre discours. Le texte aristotélicien est actualisé et transformé en un « manuel de prudence politique », un miroir aux princes à la visée pratique et didactique4. Le livre VIII considère la place de la musique dans la formation des jeunes gens ; quelques allusions à la magie font le lien avec le De configurationibus. Le troisième texte est une œuvre de fin de carrière achevée sans doute vers 1377-1380, un volume sans titre composé de quatre parties : une Questio contra divinatores horoscopios contre l’astrologie5 ; un traité De causis mirabilium6 ; une Tabula problematum donnant les intitulés de 216 questions de philosophie naturelle, parfois avec un petit résumé7 ; enfin la détermination complète des questions 1 à 44 de cette liste, rassemblées sous le titre Problemata8. Plusieurs passages des Problemata portent sur la magie9 ; quant au pouvoir de la musique, il fait l’objet d’une brève allusion dans le résumé de la question 44 de la Tabula problematum10.
Le second auteur, Évrart de Conty, est originaire d’Amiens ; il est sous-diacre du diocèse en 1362 et chanoine à sa mort en 1405. Il est, comme Oresme, diplômé de l’université de Paris, mais en médecine ; maître régent à partir de 1353, il fête son jubilé en 1403, deux ans avant 239sa mort11. En parallèle, il exerce une importante activité de praticien, en particulier auprès du roi Charles v.
Trois œuvres sont aujourd’hui attribuées au médecin Évrart de Conty : le poème des Eschés amoureux (EA), le commentaire des Problemes d’Aristote et le Livre des Eschez amoureux moralisés (EAM), commentaire du poème. Le commentaire des Problemes est la seule œuvre d’Évrart qui échappe à l’anonymat grâce au discret colophon placé à la fin de tous les manuscrits, notamment l’autographe. Depuis les années 1990, il est acquis qu’il est aussi l’auteur des EAM12. Quant au poème, son attribution à Évrart de Conty, d’abord établie par Gianmario Raimondi et documentée dans plusieurs articles, est, depuis quelques années, généralement reconnue13. Aucune de ces œuvres ne peut être datée avec certitude. Le poème, dans la lignée du Roman de la Rose, fut sans doute composé entre 1370 et 1378. Le commentaire des Problemes, qui se situe à la croisée de la médecine et de la philosophie naturelle, a probablement été rédigé entre 1375 et 1382. Quant aux EAM, ils ont vraisemblablement été écrits après l’achèvement des Problemes auxquels ils empruntent une abondante matière et devaient être terminés en 140114.
Ces trois textes ont été rédigés dans un souci de vulgarisation et de promotion du français comme langue savante qui rejoint certaines préoccupations d’Oresme. La réflexion d’Évrart y fait une place importante à la 240musique. Dès le poème des EA, il inclut un développement de 1272 vers sur la musique, dans une partie qui traite de l’éducation des enfants. Dans les EAM, le développement figure dans un traité mythographique, à propos des Muses qui entourent Apollon. Il reprend, en l’amplifiant, le contenu du poème. Les Problemes ont été écrits dans une tout autre perspective : traduire et commenter les Problemata attribués à Aristote, dont la partie XIX est consacrée à la musique. Évrart traduit et utilise librement l’Expositio Problematum de Pietro d’Abano écrite vers 1310. Il se trouve en présence d’un texte difficile, qu’il comprend mal : la partie XIX est une des plus raturées du manuscrit autographe et Évrart s’y plaint à maintes reprises de l’obscurité du traducteur et de l’expositeur. Pietro a lui-même eu des difficultés à comprendre la traduction de Barthélemy de Messine, et aucun d’eux ne maîtrise les principes de la musique antique. Certains passages des Problemes sont longuement utilisés dans les EAM.
Notre objectif est de retracer les conceptions de la musique, de la magie et de leurs interactions exprimées par Nicole Oresme et par Évrart de Conty, avec leurs points communs et leurs singularités15. Nous étudierons d’abord leur position sur le pouvoir de la musique : l’importance qu’ils accordent à la forme musicale dans la mise en œuvre d’un pouvoir des sons, et les deux types d’effets obtenus : passion et guérison. Nous examinerons ensuite de quelle manière ces conceptions sont mobilisées dans l’interprétation de la magie.
MODES ET MÉTRIQUE, LE POUVOIR DE LA FORME
Chez Nicole Oresme, la musique fait parfois l’objet de descriptions empiriques ; il observe ainsi que « les gens gais chantent en travaillant16 », 241ou que « la main du guitariste joue sans presque faire attention17 ». De telles notations témoignent de la place qu’occupe la pratique musicale dans l’environnement familier de l’auteur. Mais son intérêt pour la musique va bien au-delà, de même que celui d’Évrart. Tous deux consacrent des analyses approfondies à la théorie musicale et s’intéressent en particulier à l’influence des harmonies18. Une première série de remarques porte sur le fait que la musique agit par ses caractéristiques formelles : les modes musicaux, les règles de la métrique et celles de la prose sont sources de puissance.
Modes musicaux
Pour Oresme, l’effet des mélodies sur l’âme varie selon les modes musicaux. Son interprétation s’appuie sur le De institutione musica de Boèce et sa présentation des modes de la musique antique19. Il utilise aussi, implicitement, les idées de Guillaume d’Auvergne : dans le De universo, immense encyclopédie rédigée vers 1230, un demi-chapitre porte sur le pouvoir des harmonies musicales20. À partir de ces deux sources, Oresme souligne les correspondances entre les modes musicaux et leurs effets sur les hommes ou les animaux. Le mode Dorien, ou mode enharmonique, établit une ligne mélodique continue, c’est pourquoi il « entraîne les auditeurs à une vie honnête, à des mœurs graves, à la piété et à la dévotion ». Dans le mode Phrygien, ou mode diatonique, la gamme musicale monte par tons, ce qui pousse à l’action : ce mode « exaspère les âmes par son impétuosité ou sa rapidité et son frémissement, et incite à des faits guerriers ». Quant au mode Lydien, ou mode chromatique, il procède par demi-tons et « par sa douceur, apporte 242aux âmes faibles des encouragements au badinage21 ». Dans le Livre de Politiques d’Aristote, une dizaine d’années plus tard, Oresme mentionne à nouveau les effets des modes, en les nuançant. Le mode Lydien ne conduit plus les âmes à s’alanguir, il les purge de leurs passions les plus violentes. Quant au mode Phrygien, l’excitation qu’il fait naître en l’âme ne suscite plus un désir de bataille, mais elle la plonge dans un ravissement proche de l’extase22. Le résumé de la question 44 placé dans la Tabula problematum comprend aussi une allusion sibylline aux modes musicaux. Oresme mentionne les instruments qui donnent du courage, comme la trompette, un exemple qui se trouvait déjà dans le De configurationibus23.
À la suite d’Oresme, Évrart de Conty souligne l’influence des modes musicaux sur l’âme et sur le corps dans plusieurs problèmes de la partie XIX. Les trois modes sont définis en des termes qui rappellent de très près le De configurationibus24. Le problème 48 définit également les modes hypophrygien et hypodorien en des termes identiques aux modes phrygien et dorien. Évrart insiste sur le fait que ces modes poussent à l’action, et pas seulement aux faits guerriers. Ils sont « operatif », c’est-à-dire efficaces. Le champ des exemples s’est élargi : ainsi donne-t-il celui des marins qui sont stimulés, poussés à ramer plus fort, et à lever haut les voiles25.
Plus tard, les EAM opèrent une synthèse de certains éléments qui figurent dans les Problemes26. Évrart donne des précisions géographiques sur l’origine des noms27 et définit un quatrième mode, le mode mixolydien – mixtolidiste (mentionné aussi dans le Livre de Politiques) – pour lequel il fait référence à Aristote et qu’on trouve chez Boèce : « cette musique […] suscite la pitié et la compassion dans les cœurs des auditeurs ». L’explication donnée par Évrart est proche de celle d’Oresme28. Dans les EAM, d’autre part, le commentaire du deuxième cavalier de l’acteur, 243Doux Parler, qui a pour emblème la harpe d’Orphée, est l’occasion de revenir sur les trois modes musicaux. Évrart rappelle brièvement l’histoire d’Orphée, expert « en l’art de musique expérimentale », qui émut par sa harpe jusqu’aux dieux des enfers, et il souligne à nouveau les merveilles opérées par la musique et son pouvoir sur l’âme humaine29. Un peu plus loin, le son doux et mélodieux de la harpe est comparé à l’éloquence de l’amant, efficace si elle est faite en temps et lieu, et « avec mesure30 ».
Musicalité de la poésie et de la prose
Lorsqu’Évrart de Conty parle des effets de la musique sur l’âme, l’un des aspects originaux de sa réflexion est qu’il associe étroitement la musique et la parole humaine, en particulier dans le domaine de la poésie. Le préambule de la partie XIX des Problemes souligne que cette partie suit avec à propos celle qui traite de paroles et de rhétorique, puisque la musique ne peut se passer de paroles, comme on le voit en poésie31. Dans les EAM, Évrart s’attarde sur la musique instrumentale qui est pour lui la « droite propre et la vraie musique32 ». Et c’est un véritable art poétique – de l’originalité duquel il est très conscient –, qu’il présente alors33. Pour Évrart, comme pour Eustache Deschamps qui instaure au xive siècle une nouvelle forme de lyrisme34, il y a d’une part la musique produite par les instruments faits de main humaine et par la voix humaine qui est elle-même un instrument en tant qu’elle produit des sons – c’est ce que Deschamps appelle la musique artificielle35 ; d’autre part, il y a celle qui repose sur les paroles et que l’on trouve dans les mètres et les rimes36. Ainsi, le problème 38 demande 244pourquoi tous trouvent du plaisir « dans les rimes et le chant, et généralement dans toutes les sortes de consonances37 ». La musique du vers, explique Évrart, repose sur les proportions musicales qui s’établissent à l’intérieur de chaque vers, et notamment entre ses différentes parties. C’est le choix des meilleures proportions qui procure du plaisir.
Les EAM passent en revue les différents types de vers, avec l’idée que la pause doit s’effectuer de façon que le nombre des pieds dans chaque partie du vers réponde à une consonance musicale. Les critères retenus manquent toutefois d’une certaine cohérence, puisque la proportion musicale s’établit tantôt entre les deux parties du vers, tantôt entre une partie du vers et son ensemble. Ainsi l’alexandrin peut être divisé de plusieurs manières entre lesquelles s’établiront diverses proportions, mais la césure idéale est au milieu du vers parce qu’il y aura un rapport de 6 à 12 entre la partie et le tout, ce qui est la source de son excellence. Le vers idéal demeure l’octosyllabe, de longueur moyenne, pouvant se prononcer avec modération et calmement (moyenneement et actrempeement) ; il a la mesure « la plus raisonnable » et représente en tout point le juste milieu si cher à Évrart38.
Enfin, dans les deux œuvres, Évrart franchit un pas supplémentaire en étendant ses considérations à la prose. Car si la belle parole est agréable à écouter, c’est qu’elle a aussi cette musicale mesure, que ceci vienne naturellement à celui qui parle ou que ce soit le fruit de la science de rhétorique39. Une excellente synthèse de ses arguments figure dans le commentaire de la flûte de Mercure, qui représente justement le plaisir pris par les auditeurs écoutant la belle parole ; il n’est pas inférieur à celui que procurent les consonances musicales et repose sur les mêmes principes : les différentes parties de la phrase entretiennent le même type de proportions40. Ce plaisir est redoublé par celui qui vient du sens, la sentence, qu’il estime même encore plus grand.
245MUSIQUE ET PASSIONS
Chez Nicole Oresme comme chez Évrart de Conty, l’analyse du pouvoir des harmonies s’étend bien au-delà de la question de l’effet des modes et de la métrique. Les deux savants cherchent à décrire l’influence de la musique d’une manière très large, en envisageant ses effets à la fois sur l’âme et sur le corps. Or, sur l’une et l’autre, la musique suscite avant tout des passions.
Gestuelle de l’auditeur
Les gestes sont les passions du corps. À ce sujet, Oresme indique que le pouvoir de la musique « se diffuse dans le corps ». L’auditeur réagit par des gestes, des applaudissements par exemple : « un auditeur capté par la douceur du son et qui ne peut pas chanter les paroles, tout en restant muet, clame avec ses mains41 ». Cette phrase est rapportée au Policraticus de Jean de Salisbury. Le rapprochement a du sens : le Policraticus, composé en 1156-1159, constitue, entre autres, un traité de théorie politique abordant des questions reprises plus tard par Oresme dans le Livre de Politiques. Il comprend un chapitre sur la musique, dans lequel Jean de Salisbury évoque le pouvoir des sons sur l’âme et la bonne attitude qui sied à celui qui écoute42. Toutefois, il ne parle pas du corps. C’est chez Cassiodore43 et Boèce44 que l’on trouve mention des manifestations corporelles déclenchées par la musique. Guillaume d’Auvergne aussi fait allusion aux gestes du public : « la force des harmonies sur les âmes est telle qu’elle les contraint à bouger leurs corps par des gesticulations qui représentent, autant que cela est possible, les mouvements de leurs passions intérieures », explique-t-il45. Son analyse est certainement l’une des sources d’Oresme, même si elle n’est pas citée.
246Pour Évrart également, la musique touche aussi bien le corps que l’âme. Sans jamais nommer Oresme, il a très directement emprunté au De configurationibus, en particulier au chapitre ii, 23, dans ses trois œuvres. S’il traduit librement le texte latin et réorganise chaque fois la matière, on y retrouve plusieurs références, notamment à Cassiodore, au Policraticus et à Boèce46. Subjugué par la musique, l’auditeur traduit par des gestes ce qu’il est incapable d’exprimer par ses paroles et Évrart illustre le propos par une comparaison originale avec les danseurs47. La citation de Boèce complète l’évocation des effets de la musique sur le corps qui s’accorde à elle. Dans les Problemes, Évrart emploie l’adverbe proportionnelment qui traduit l’idée que le corps, dans ses mouvements, se conforme aux proportions musicales de la chanson entendue48.
Ravissement de l’âme
Du côté de l’âme, la musique provoque un état de ravissement. Le verbe « ravir » est employé par Oresme comme par Évrart, en latin (rapiunt) et en français (ravissent), pour nommer le double effet de la musique qui emporte et séduit à la fois. Dans le Livre de Politiques, Aristote traduit par Oresme indique ainsi que « les mélodies que l’on fait en Olympe […] sont ainsi faites qu’elles ravissent les âmes. Le ravissement est une passion de certains mouvements vers l’âme ou en l’âme49 ». Les traducteurs modernes d’Aristote y ont vu une allusion au musicien grec Olympos50. Oresme, lui, comprend ce mot comme une localisation géographique : au mont Olympe, on aurait joué de la musique pour accompagner l’entraînement militaire et les sacrifices. Son commentaire porte sur le ravissement, qui « survient quand l’âme est entraînée hors d’elle par une certaine chose, par exemple par la violence à laquelle elle n’était pas encline, ou plus rapidement et plus impétueusement que d’habitude par ce à quoi elle était encline ». Cet état est provoqué par la surprise et l’intensité de l’émotion, de sorte que « les sens externes comme l’audition ou la vue sont suspendus et cessent leur activité, et 247les esprits se rétractent et sont reclus à l’intérieur ». Le ravissement de l’âme peut résulter d’un miracle divin, comme le montre la chute et la conversion de saint Paul sur le chemin de Damas, et peut aussi être provoqué par l’art magique51.
Oresme décrit précisément le mécanisme de réclusion de l’âme dans le De configurationibus : l’âme s’enferme en elle-même, laissant le corps dans un état de mort apparente. Mais pendant ce temps, « la vertu intérieure travaille52 ». La possession, la crise d’épilepsie, les visions qui accompagnent l’extase, les aveugles à qui la privation de la vue confère une forte imagination, toutes ces situations naissent du ravissement de l’âme53. Oresme a pu lire de semblables idées chez Guillaume d’Auvergne à propos du pouvoir des harmonies54, ou chez Pierre de Jean Olivi à propos du somnambulisme55. Lui-même les applique à la magie : « il est possible que certaines choses semblables prennent place dans un homme naturellement apte à cela et terrifié par la fausse persuasion et la stupide crédulité. Et les magiciens font cela56 ». Un praticien habile saura placer son auditoire dans un état de ravissement. Ce motif établit un lien analogique entre la pratique musicale et la pratique magique, toutes deux aptes à provoquer une forte réaction de l’âme.
Musique et déplaisir
Oresme et Évrart ne mettent pas seulement en exergue les pouvoirs extraordinaires de la musique sur l’âme, ils en évoquent aussi les limites. Parfois, la musique ne provoque pas de plaisir, observent-ils à propos d’un passage de la Politique d’Aristote57. Trois cas sont retenus : l’insensibilité, la férocité, illustrée chez les deux auteurs par l’exemple d’Holopherne, et la tristesse excessive, représentée par Joseph qui croit son fils mort. La glose d’Oresme sur ces exemples est rapide, mais Évrart 248intercale des explications supplémentaires : tristesse et délectation sont par nature contraires, et l’une corrompt nécessairement l’autre58. Il les replace ainsi dans la théorie générale des passions qu’il développe longuement en commentant les images peintes sur l’extérieur du mur du verger de Deduit, parmi lesquelles figure Tristesse. Les passions s’organisent en couples antithétiques, dont délectation et tristesse : la première fait « sentir un bien plaisant et convenable a nature », tandis que par la seconde on éprouve « un mal contraire a nature et désagréable59 ». Évrart parle alors en médecin, en insistant sur les effets physiologiques de ces deux passions, analysées en termes de déplacement de la chaleur ; dans la tristesse, la chaleur se retire des membres extérieurs et l’homme devient si détaché (abstrais) qu’il tombe dans un état d’absence et perd le sens de la réalité60. Se référant ensuite à Galien, il note que certains peuvent devenir, sous l’effet de la tristesse, « tout à fait mélancoliques et privés de raison ». Dans ces situations, la musique n’est pas bénéfique.
MUSIQUE ET GUÉRISON
La musique ne se limite pas à mettre en mouvement l’âme et le corps. Pour Oresme comme pour Évrart, elle représente aussi un remède légitime, capable de soigner à la fois l’une et l’autre. Le Tacuinum sanitatis est la référence principale des deux auteurs à ce sujet. Cet ouvrage rédigé en arabe au xie siècle par le médecin chrétien Ibn Buṭlān, traduit en latin au xiiie siècle, a rencontré un certain succès en Occident61. Il se compose de tables synoptiques abordant tous les aspects nécessaires à la conservation de la santé. Le canon 31 associe étroitement les effets corporels et psychiques de la musique :
249Les instruments de musique sont des outils pour conserver la santé et la restaurer quand elle a été perdue, et cela selon les diverses complexions humaines. Cet art servait autrefois à ramener les âmes à des mœurs saines ; ensuite, les médecins l’ont utilisé pour soigner les corps malades. En effet, certaines sonorités agissent sur les malades de la même façon que les médicaments sur les corps malades62.
Oresme commente Ibn Butlān dans le De configurationibus. Il indique que la musique « soigne de nombreuses maladies, comme celle que les médecins appellent amour héroïque, et beaucoup d’autres, mais surtout celles qui proviennent des accidents de l’âme63 ». La notion de maladie d’amour, ou « amor heroicus », est introduite en Occident au xie siècle par Constantin l’Africain dans le Viatique du voyageur64. À partir du xiiie siècle, les commentaires du Viatique forment un corpus important de textes médicaux sur l’amour-passion, considéré comme un grave désordre de l’âme et du corps65. Si les harmonies soignent les corps, la maladie mentale reste pour Oresme le domaine d’application privilégié de la thérapie musicale.
La musicothérapie est également mentionnée dans le Livre de Politiques. Pour Aristote, la musique n’est pas un art utile, elle est enseignée parce qu’elle procure du plaisir. Oresme nuance cette affirmation : « dans certains cas, la musique est profitable à la santé, comme le dit Tacuin et d’autres auteurs de médecine66 ». Le motif intervient aussi, de manière très fugitive, dans la Tabula problematum : le résumé de la question 44 indique que « certains sons soignent certains fous67 ». Dans les autres textes du même volume, Oresme mentionne à plusieurs reprises la folie : il s’intéresse aux fous qui prédisent le futur68, parlent sans cesse ou de manière inintelligible69 et possèdent une imagination 250puissante70, parfois sous l’effet de la mélancolie71. Mais il ne dit rien d’autre de la guérison de la folie par la musique : la brève indication du résumé de la question 44 semble être une occurrence unique. Elle est inspirée, encore une fois, de Guillaume d’Auvergne72, et fait écho aux remarques du De configurationibus sur l’amour héroïque : la folie, comme le mal d’amour, serait une maladie mentale contre laquelle les harmonies sont bénéfiques.
Évrart de Conty se réfère lui aussi au Tacuinum sanitatis. Dans les EAM, le doublet relieve et reconforte oriente vers le pouvoir thérapeutique de la musique73. Ce pouvoir est déjà affirmé dans les Problemes : les sons mélodieux réjouissent les malades parce que leur bonne mesure « régénère grandement et réconforte les sens74 ». Empruntant également à Constantin et à Cassiodore, Évrart souligne l’effet de retournement total effectué par le son de la harpe d’Orphée. Comme dans le texte latin, les passions sont opposées deux à deux, une émotion négative faisant place à une émotion positive : à la colère succède la bienveillance, à la tristesse, la joie, à l’avarice, la générosité, à la peur, le courage ! L’effet, toujours bénéfique, de la musique corrige les excès puisqu’elle permet tant de remettre les paresseux au travail que de redonner un sommeil réparateur aux insomniaques. Finalement, Évrart précise comme Oresme que la musique guérit surtout des maladies liées aux « accidents de l’âme », en particulier la mélancolie qui vient de par amours amer75. À ce sujet, la position d’Évrart est conforme aux sombres pronostics médicaux : l’amant peut mourir du mal d’amour s’il n’a aucun espoir de réconfort76.
251DE LA MUSIQUE À LA MAGIE
Les réflexions de Nicole Oresme et d’Évrart de Conty sur le pouvoir de la musique suivent, pour l’essentiel, la même ligne argumentative. Ce positionnement théorique est-il exploité pour construire un modèle d’explication des pratiques magiques ? Sur ce point, les différences sont plus significatives ; elles ne concernent pas le fond du raisonnement, mais les perspectives d’ensemble de chaque auteur.
La musique, un modèle
Une partie significative de l’œuvre d’Oresme porte sur la magie, qu’il considère comme un art de la tromperie fondé sur la manipulation du public77. Il est moins évident de saisir la place qu’il accorde à la musique dans ce schéma interprétatif. Certes, Oresme s’intéresse à la musique et à la magie dans les mêmes œuvres, mais dans deux cas sur trois, une thématique prend le pas sur l’autre. La musique domine dans le Livre de Politiques d’Aristote, où Oresme ne fait qu’une comparaison rapide et ponctuelle avec la magie. Inversement, la musique est à peine présente dans ses derniers textes (De causis mirabilium, Tabula problematum et Problemata) ; elle est seulement mentionnée au détour d’une phrase dans le résumé de la question 44. Ce n’est finalement que dans son traité universitaire, De configurationibus, qu’Oresme propose une manière d’articuler musique et magie.
Dans la deuxième partie du De configurationibus, les chapitres 15 à 25 forment un petit traité sur les sons. Oresme examine la nature des sons (chap. 15-22 et 24) et les effets de la musique sur les hommes et les animaux (chap. 23). Vient ensuite un second ensemble cohérent de chapitres centrés non plus sur les sons, mais sur la magie. Deux formes de magie sont étudiées successivement, la nigromancie (chap. 25) et la magie naturelle (chap. 26 à 35). Les derniers chapitres de cette partie portent sur les passions de l’âme (chap. 36 à 40). La question des interactions entre musique et magie est ainsi inscrite dans la structure même de l’ouvrage.
252Le fil conducteur du raisonnement est fourni par la doctrine des configurations, objet du traité, selon laquelle les propriétés physiques d’un objet dépendent de la configuration interne des qualités de cet objet78. L’idée d’une configuration interne propre à chaque objet justifie que des effets particuliers puissent être produits par un objet. Ce constat vaut avant tout pour les sons qui fournissent un modèle d’analyse79 ; par déduction, la doctrine des configurations s’applique aussi à la magie. Le chapitre 25 sur « l’application de la difformité des sons aux arts magiques » fait la jonction entre l’étude des sons et celle des arts magiques80. Oresme prend appui sur les résultats établis auparavant : d’un côté, il a énuméré les conditions nécessaires pour qu’un son soit parfait (chap. 16 à 20), ce qui lui a permis de montrer qu’il est toujours possible de modifier naturellement ou artificiellement un son pour le rendre plus beau ou plus laid (chap. 21) : le son parfait n’existe pas ici-bas. D’un autre côté, il a décrit les effets de la musique sur les hommes et sur les animaux (chap. 23) en les expliquant par la configuration des sons81. Puisque les sons sont perfectibles, il est possible de les manipuler ; puisque la musique ordinaire a des effets sur les hommes, effets connus et utilisés en médecine, les sons modifiés provoqueront des effets encore plus impressionnants. L’étude des sons mène ainsi à la magie, qui apparaît comme un second domaine d’application de leur pouvoir, après la médecine.
Pourtant, en dépit de ce préambule, il est très peu question de sons dans les onze chapitres du De configurationibus consacrés aux arts magiques. La musique n’est mentionnée qu’une seule fois, à propos de la nigromancie, dans un raisonnement qui rejette son utilisation. Le fameux exemple du roi Saül guéri de la possession par la cithare de David illustre le pouvoir prétendument attribué à la musique sur les démons. Mais Oresme refuse avec force cette idée : « il doit être certain 253pour tout le monde que les démons ne peuvent être contraints par les hommes avec de tels procédés82 ». La musique n’agit pas sur les démons.
Les chapitres suivants sont centrés sur l’autre partie de la magie, « celle à laquelle on peut assigner une cause naturelle et dans laquelle le démon, même invoqué, n’opère en rien83 ». Oresme cherche à montrer que les effets obtenus dépendent de mécanismes naturels cachés à l’auditoire pour mieux le surprendre. Le magicien, cet imposteur, opère par tous les moyens : il terrorise ses victimes, exploite leur crédulité par des gestes et des manipulations habiles, des jeux d’optique ou des fumigations, et transforme son apparence physique. Il n’est pas question de musique. Oresme parle en revanche de la voix, outil commun au musicien et au magicien. Alors que rien n’était dit de la voix dans le chapitre sur la musique, les chapitres sur la magie lui concèdent une place centrale.
Oresme définit ce qu’il appelle les « trois racines de l’art magique » : la fausse persuasion, la manipulation des objets et le pouvoir des sons et des mots84. Pour la troisième, « le son le plus adapté à ce pouvoir est la voix, et surtout la voix humaine ». Il rappelle l’étymologie du mot « incantation » (incantatio), formé à partir de cantus, le chant. Aussi les formules magiques opèrent-elles « par le pouvoir du chant et par la difformité de la voix85 ». La même remarque est faite dans le Livre de Politiques d’Aristote où Oresme rappelle que « enchanteur provient de chanteur86 ». Dans le De configurationibus, d’autres exemples illustrent l’utilisation de la voix en magie, notamment le charmeur de serpent de Virgile, qui agit en chantant (cantando)87. Le magicien apparaît comme celui qui psalmodie des formules en modulant sa voix, celui qui met en œuvre une puissance vocale à l’état pur, sans musique ni mélodie.
Le but de cette réflexion sur la voix est d’expliquer la virtus verborum sans recourir à la causalité démoniaque. Oresme considère que le pouvoir des mots découle du pouvoir des sons, lui-même déduit des effets de la 254musique. L’exemple de la musique sert donc de creuset théorique pour construire une interprétation du pouvoir des incantations : la doctrine des configurations, appliquée aux sons, fait le lien entre musique et magie. Pour autant, la musique n’est pas en tant que telle l’outil du magicien : les harmonies musicales ne font pas partie des pratiques magiques, contrairement à d’autres procédés dont Oresme donne des exemples concrets. Les magiciens ne sont pas des musiciens.
Que reste-il de cette articulation entre musique et magie dans ses écrits postérieurs ? Peu de choses. Les configurations sont évoquées dans le résumé de la question 44, mais l’argument est écarté, avec un certain embarras, dans le développement complet de la question88. À l’époque des Problemata, la position d’Oresme sur la magie s’est radicalisée et empreinte de doutes. La doctrine des configurations n’a plus la place centrale qu’elle occupait dans le traité De configurationibus. Par suite, le parallèle entre musique et magie n’a plus la même nécessité ni la même pertinence, ce qui explique qu’il occupe si peu de place dans les écrits de fin de carrière. La proposition neuve qu’Oresme défendait à ses début – faire de la musique un laboratoire pour penser les ressorts du pouvoir magique – aura connu le même sort que sa doctrine des configurations : elle aura été écartée par son auteur de son vivant.
La musique, une clé
Pour Évrart de Conty, la musique est la « clé de lecture de l’univers89 ». Cette position forte le conduit à affirmer à propos d’Apollon, dieu de la divination, que les arts « magiques et divinatoires » sont en partie fondés sur l’efficacité de certains sons et de paroles prononcées selon une certaine mesure90. C’est pourquoi on les dit incantatoires. Plus loin, Évrart parle de magie après avoir traité de l’influence de la musique sur l’homme et sur les animaux91. Sur le sujet, il utilise abondamment le De configurationibus, non seulement le chapitre ii, 23 sur la musique92, mais aussi les chapitres 25 à 35 sur la magie. Il y fait, entre autres, 255une ample moisson de citations et d’exemples, tout en réorganisant la matière en quatre temps : après avoir illustré l’influence de la musique sur les esprits, il reprend la distinction entre la nigromance et la magie naturelle. Il s’attarde ensuite sur le rôle des sons et des paroles. Dans un quatrième temps, il présente divers jugements sur la magie, à travers lesquels se laisse deviner son opinion personnelle, et dénonce certaines pratiques destinées à abuser les magiciens eux-mêmes et les personnes crédules93. Certains paragraphes peuvent emprunter à trois chapitres différents94. Comme Oresme, Évrart estime que les magiciens font fausse route et que leurs croyances ne sont pas conformes à la philosophie naturelle et à la raison.
Sur la partie des arts magiques « qui use des esprits », Évrart adopte la position d’Oresme, avec quelques nuances. Il y a d’abord une différence de vocabulaire : Évrart utilise toujours le terme neutre esperis, traduction de spiritus ; Oresme, lui, emploie surtout demones. Par ailleurs, dans les EAM, Évrart scinde le raisonnement d’Oresme sur la nigromancie en deux parties. D’un côté, alors qu’il parle d’Apollon, dieu de la divination, il indique avec les mêmes références qu’Oresme que cette forme de magie utilise des voix et des chants, et que certains attribuent aux sons le pouvoir de contraindre les démons95. De l’autre côté, il réfute cet argument, comme Oresme, mais place la réfutation cent pages plus loin, dans le quatrième temps de sa présentation de la magie96. Le raisonnement du De configurationibus, II, 25 est donc coupé en deux : Évrart se montre d’abord ouvert à l’idée d’un pouvoir de la musique sur les démons, avant de la condamner fermement. Cette réorganisation donne à sa position un caractère moins affirmé, plus insaisissable que celle d’Oresme, mais dans le fond elles se rejoignent. Tous deux affirment que les esprits ne peuvent être contraints par les hommes et que s’ils agissent, c’est avec la permission divine.
Dans les Problemes, Évrart se place en retrait par rapport à cette position. Lorsqu’il évoque les esprits à propos des dons divinatoires des 256mélancoliques, il affiche un certain scepticisme ; il traite avec désinvolture et une certaine ironie l’explication des théologiens qui « les ramènent aux esprits97 ». Dans les EAM, toutefois, il semble devenu plus prudent98. Entre les théologiens qui voient dans toutes les pratiques magiques l’intervention des esprits malins et les « philosophes anciens » qui justifient leur efficacité par des causes naturelles trouvées par l’art et l’intelligence de l’homme, il estime désormais, avec Oresme, que le plus raisonnable est de limiter l’intervention des esprits aux cas qui échappent à la raison naturelle99.
La magie naturelle, précisément, se fonde selon Évrart sur les vertus secrètes des étoiles, des pierres précieuses, des herbes et des plantes, mais aussi des paroles et des sons musicaux. Il estime qu’il est plus facile de croire aux pouvoirs des pierres et des herbes qui sont « substantielles, permanentes et arrêtées » qu’à ceux des paroles qui sont « accidentelles, successives et éphémères100 », en s’appuyant à deux reprises sur une citation d’Albert le Grand101. Il remarque toutefois que les magiciens croient au pouvoir des paroles, car ils ajoutent volontiers aux pierres et aux herbes qu’ils utilisent certaines oraisons garantissant leur efficacité102. Leurs vertus conjuguées sont évoquées à propos de l’héliotrope dont sont faits les fous de la demoiselle. Pierre verte tachetée de rouge, l’héliotrope est doté de pouvoirs merveilleux, conférant par exemple aux mélancoliques le don de prédire l’avenir ; et si on place en dessous la plante du même nom, il pourra rendre invisible celui qui le porte, à condition d’avoir été consacré par une prière convenable. Ainsi l’association pierre – herbe – oraison est la garantie d’une efficacité maximale. Mais l’auteur prend immédiatement ses distances : si ces merveilles rapportées par les anciens sont difficiles à croire, c’est qu’elles ne sont pas à entendre à la lettre. Il préfère en fournir une application amoureuse103.
257En ce qui concerne les incantations, Évrart estime, à la suite d’Oresme, que les paroles n’agissent pas en vertu de leur signification puisqu’elles opèrent sur les animaux, comme le montre l’exemple bien connu du serpent qui se protège des paroles de l’enchanteur en se bouchant les oreilles. Il est brièvement rappelé à propos du sixième pion de la Demoiselle, Sens, dont l’emblème est un serpent qui acquiert alors une signification morale et amoureuse : la femme sage doit elle aussi se boucher les oreilles pour ne pas entendre les paroles trompeuses qui visent un amour déraisonnable et sont comme des incantations104. En amour, la dame doit savoir résister aux « maléfices des arts magiques » et l’amant ne doit pas s’égarer hors du chemin « commun et raisonnable » en usant de sorts ou d’incantations, ou de toute autre voie oblique et malhonnête105. C’est en recourant à l’éloquence et au pouvoir de la parole qu’il devra chercher à la conquérir. Cette condamnation était déjà présente, en des termes fort proches, dans le poème des EA où le dieu d’Amour oppose la belle éloquence, fondée sur la raison, à l’art des incantations106.
Évrart manifeste toutefois une certaine ambivalence : selon d’anciennes écritures, on doit croire que les magiciens ont fait jadis et « peuvent encore faire par incantations et par paroles » de grandes merveilles, et il affirme prudemment que les philosophes « parlent diversement des vertus des incantations et des paroles107 ». À d’autres occasions, il prend soin de rejeter les incantations qu’il considère comme maléfiques. Quand il donne des exemples de leur efficacité, il multiplie les formules de prudence, et fait toujours la part de leur mauvaise utilisation possible.
Pour expliquer le pouvoir des paroles, Évrart emprunte au chapitre ii, 33 du De configurationibus. Il ne cite jamais Oresme, mais se réfère de façon très générale aux « philosophes », parmi lesquels Aristote dont il reprend la définition de la parole, qui est « comme un air qui prend forme dans l’air108 ». Par la suite, c’est bien à la théorie et au vocabulaire 258des configurations que se réfère Évrart, même s’il n’en explique jamais les principes : « les paroles dont use cette science agissent principalement par le pouvoir du son, et par une sorte de chant qu’elles produisent lorsqu’on les prononce, à cause de la difformité de leur configuration109 ». Cette utilisation des sons et des paroles par le magicien lui semble tout à fait possible : la doctrine de Nicole Oresme, qui faisait le lien entre musique et magie mais que son auteur a laissée de côté à la fin de sa carrière, est ainsi réactivée par Évrart de Conty au cours de la décennie suivante. Il y a pourtant une différence fondamentale entre leurs positions sur les incantations : pour Oresme, l’incantation est une partie de la magie110, alors que pour Évrart, c’est une partie de la musique, et les conjurations et oraisons auxquelles recourent les magiciens sont considérées comme des chants111. La magie est musique.
CONCLUSION : PRATIQUES INTELLECTUELLES
ET FRONTIÈRE DES SAVOIRS
Cette traversée dans les écrits que Nicole Oresme et Évrart de Conty consacrent à la musique et à la magie met en évidence la proximité des deux auteurs sur la question. Lorsque l’on compare leurs idées point par point, les inflexions sont minimes. L’impression qui domine est qu’Évrart emprunte toute sa matière à Oresme, en la réorganisant mais sans beaucoup la modifier, et surtout sans émettre une opinion aussi claire que son prédécesseur : il a manifestement une dette énorme envers Nicole Oresme.
Une telle proximité intellectuelle amène à s’interroger sur la circulation des idées entre ces auteurs. Quelles ont été exactement leurs interactions ? Leur connaissance de l’œuvre de l’autre n’est pas équivalente. 259Évrart ne cite le nom d’Oresme qu’une seule fois, dans les Problemes112 ; il y rend hommage au commentaire du Livre de Ethiques dont il recommande la lecture, sans qu’on puisse déceler d’emprunt direct. Mais, s’il ne nomme pas Oresme, nous avons vu qu’il utilise énormément son œuvre – le même type de lien implicite unit Oresme à l’œuvre de Guillaume d’Auvergne. Quand Évrart écrit les EAM, il peut connaître les trois œuvres d’Oresme que nous avons évoquées. Toutefois, la position radicale d’Oresme dans les Problemata, son probabilisme, sa volonté de ramener les merveilles à des phénomènes ordinaires, sont des inflexions absentes chez Évrart, dont l’inspiration provient essentiellement du De configurationibus et du Livre des Politiques. Étant donné le caractère peut-être inachevé des Problemata, il est possible que l’œuvre n’ait pas été diffusée et donc qu’Évrart ne l’ait pas eue en main. Oresme, de son côté, n’a certainement pas eu accès aux œuvres d’Évrart puisqu’il est mort en 1380, avant la fin de la rédaction des Problemes, alors que les EAM n’étaient même pas commencés. Si Évrart a lu et utilisé les écrits d’Oresme, du moins certains d’entre eux, l’inverse n’est pas vrai.
Nous pouvons imaginer d’autres interactions. Les pratiques intellectuelles scolastiques ont une composante orale et collective ; ce sont des pratiques sociales. Dans le cas qui nous occupe, il est difficile de croire que les deux hommes ne se sont pas croisés à la cour de Charles V. Certes, Évrart n’était pas un traducteur attitré au même titre qu’Oresme, mais il était le médecin du roi pendant les années mêmes où Oresme donnait suite aux commandes royales113. De quoi ont-ils parlé s’ils se sont rencontrés ? Peut-on faire l’hypothèse d’une discussion savante autour du pouvoir des harmonies musicales ou de l’imposture des magiciens ? L’idée est plaisante : Oresme et Évrart pourraient avoir élaboré ensemble, oralement, une matière que chacun se serait ensuite appropriée en la modulant selon ses propres préoccupations. Mais une telle hypothèse, par ailleurs impossible à vérifier, repose sur le postulat que ces auteurs partageaient les mêmes intérêts. Or c’est justement sur ce point, nous semble-t-il, qu’ils se distinguent.
Pour mieux apprécier ce qui sépare Nicole Oresme et Évrart de Conty, il nous faut prendre un peu de recul. Ils ne diffèrent ni dans leurs 260conceptions spécifiques de la musique ou de la magie, ni même dans leurs choix de vocabulaire ou leurs modalités d’argumentation ; ils se singularisent par la perspective d’ensemble de leurs travaux respectifs et par la manière dont ils situent leur réflexion dans le champ des savoirs.
Chez Nicole Oresme, ce qui domine est un projet philosophique : fournir une explication rationnelle à tous les phénomènes. Cette position est particulièrement affirmée dans le De configurationibus, traité universitaire destiné à ses pairs, dans lequel il cherche à construire un système d’interprétation unique centré sur la notion de configuration. L’articulation de la magie avec la musique lui permet de soutenir l’idée audacieuse que le pouvoir des incantations dépend des configurations sonores. Sa position est réfléchie, cohérente et argumentée. Il fait appel à d’autres savoirs, qu’il met au service de la philosophie naturelle : la médecine – citant Ibn Butlān, le mal d’amour et Constantin l’Africain ; la musique, par les analyses de Boèce relayées par Guillaume d’Auvergne ; la science de l’âme, en accueillant les idées d’Avicenne sur les facultés de l’âme ; la magie enfin, car Oresme connaît les pratiques des magiciens et les fondements de leur art. Puisant dans ces domaines, son but est d’élaborer une représentation du monde unifiée avec les outils dialectiques de la philosophie. Dans le Livre de Politiques, écrit en français pour un public laïc, l’accent est différent ; les observations sur le pouvoir de la musique prennent place dans une réflexion sur l’éducation des jeunes gens, le lien avec la magie n’est plus mis en avant. Dans les Problemata, enfin, Oresme revient à la philosophie naturelle mais avec un ton nouveau, pragmatique et polémique. Ses derniers textes n’ont pas le caractère d’expérimentations théoriques ; la doctrine des configurations est mise en retrait et Oresme ne se réfère plus au pouvoir des sons pour expliquer les effets des incantations. Dès lors, la question des interactions entre musique et magie n’est plus mobilisée.
La perspective adoptée par Évrart de Conty est différente : médecin de formation, il se positionne dans ses œuvres à la fois en poète et en commentateur, avec le désir de rendre le savoir accessible à un large public. S’adressant aux laïcs, il veut éveiller leur intérêt en suscitant leur émerveillement. C’est un thème qui revient souvent dans les Problemes114 et on peut penser que la magie était un sujet propre à susciter la curiosité. 261Mais en bon pédagogue, Évrart veut aussi donner à son lecteur la possibilité de former son propre jugement. Si le passage consacré à la magie finit par une condamnation ferme de cette dernière et une mise en garde contre les incantations, il en fournit néanmoins une explication acceptable sous le couvert de la musique.
Pour Évrart de Conty, c’est la musique qui est importante, sans oublier celle qui se rattache à la poésie et à la prose. Il privilégie l’éloquence fondée sur la raison et la belle parole, dont le pouvoir est rapproché de celui de la musique mais soigneusement distingué des incantations. L’insistance est mise sur l’atemprance et la bonne mesure, et l’adverbe moyennement est fréquemment employé115. L’atemprance, c’est l’équilibre, et tout particulièrement celui de la complexion. Pour le médecin qu’est Évrart, il s’agit de trouver un juste milieu entre les sons, de même que la santé est définie par l’équilibre des qualités au sein des complexions116. Dans les Problemes, il a défini la complexion idéale, appelée par les médecins complexion « atempree a justice », où les éléments sont mêlés dans la meilleure proportion possible117. Bien que rarement et brièvement rencontrée dans la nature, elle constitue le point d’équilibre et l’idéal qui permet d’évaluer les autres. Il en va ainsi pour les consonances moyennes. Les mêmes termes servent à exprimer le juste milieu que représente la vertu entre des passions opposées, entre deux extrémités également blâmables ; la conduite humaine doit être guidée par la Raison. En matière d’éthique comme de médecine, Évrart, en fidèle disciple d’Aristote, est l’homme du juste milieu.
Ces différences de positionnement – inventivité théorique et critique radicale des phénomènes d’un côté, quête d’un équilibre scientifique et éthique de l’autre – définissent deux formes d’engagement intellectuel et culturel. On peut douter, dès lors, que les deux auteurs aient élaboré ensemble leurs propositions au gré d’échanges informels. Ils vivent 262dans la même société, ils s’adressent aux mêmes gens ; dans le fond, ils disent la même chose. Néanmoins, leur conception du savoir oriente différemment leurs discours. Pour Oresme, la musique est un outil, un levier pour comprendre le monde ; elle est au service de l’explicitation des fondements du pouvoir magique. Pour Évrart, la magie est une simple curiosité, tandis que la musique est à la fois une clé de voûte et un art de vivre.
Béatrice Delaurenti
EHESS, Centre de Recherches Historiques (EHESS / CNRS)
Françoise Guichard-Tesson
KU Leuven
1 Sur la vie et l’œuvre d’Oresme, voir en dernier lieu l’article de M. Lejbowicz, « Nicole Oresme “spectateur engagé” », Nicole Oresme philosophe. Philosophie de la nature, philosophie de la connaissance à Paris au xive siècle, éd. J. Celeyrette et C. Grellard, Turnhout, Brepols, 2014, p. 21-61, ici p. 57.
2 Nicole Oresme and the Medieval Geometry of Qualities and Motions. A Treatise on the Uniformity and Difformity of Intensities Known as Tractatus de configurationibus qualitatum et motuum, éd. M. Clagett, Madison, University of Wisconsin Press, 1968.
3 « Maistre Nicole Oresme : Le Livre de Politiques d’Aristote, published from the Text of the Avranches Manuscript 223, with a Critical Introduction and Notes », éd. A. D. Menut, Transactions of the American Philosophical Society, 60, 6, 1970, p. 1-392.
4 Voir E. Marmursztejn, « Nicole Oresme et la vulgarisation de la Politique d’Aristote au xive siècle », Thinking Politics in the Vernacular. From the Middle Ages to the Renaissance, éd. G. Briguglia et T. Ricklin, Fribourg, Academic Press Fribourg, 2011, p. 103-127, ici p. 107.
5 « Nicole Oresme : Quaestio contra divinatores horoscopios », éd. S. Caroti, Archives d’Histoire Doctrinale et Littéraire du Moyen Âge, 43, 1976, p. 201-310.
6 Nicole Oresme and the Marvels of Nature. A Study of his De causis mirabilium with a Critical Edition, Translation and Commentary, éd. B. Hansen, Toronto, Pontifical Institute of Mediaeval Studies, 1985. Le titre n’est pas d’Oresme mais de Bert Hansen.
7 Nicole Oresme and the Marvels, Appendix A : Tabula Problematum, p. 365-393.
8 Édition collective sous la direction d’Alain Boureau et de Béatrice Delaurenti, Paris, Les Belles Lettres, à paraître. Cette entreprise a conduit à renommer l’œuvre, jusque-là connue sous le nom de Quodlibeta, et à en retarder la datation (autour de 1377).
9 Problemata, 1, 2, 37, 38, 43 et 44. Dans le De causis mirabilium, en revanche, Oresme ne parle pas spécifiquement des magiciens.
10 Tabula problematum, 44, l. 138-140.
11 Sur la vie d’Évrart de Conty, voir E. Wickersheimer, Dictionnaire biographique des médecins en France au Moyen Âge, Paris, 1936, p. 146, et D. Jacquart, Supplément, Genève, 1979, p. 72 ; Le Livre des Eschez amoureux moralisés, éd. F. Guichard-Tesson et B. Roy, Montréal, CERES, 1993, Introduction, p. liv-lvi. S’il semble avoir eu un statut enviable à la Faculté, rien n’atteste qu’il ait été doyen et son nom ne figure pas sur les listes régulièrement tenues à partir de 1395. Voir D. Jacquart, La médecine médiévale dans le cadre parisien, Paris, Fayard, 1998, p. 153.
12 Voir F. Guichard-Tesson, « Évrart de Conty, auteur de la Glose des Échecs amoureux », Le Moyen Français, 8-9, 1981, p. 111-148 ; Dictionnaire des lettres françaises. Le Moyen Âge, Paris, Le Livre de Poche, 1992, p. 435.
13 Elle est contestée par G. Heyworth et D. E. O’Sullivan dans la longue introduction à leur édition des 16 000 premiers vers du poème : Les Eschéz d’Amours. A Critical Edition of the Poem and its Latin Glosses, éd. G. Heyworth et D. E. O’Sullivan, avec F. Coulson, Leyde-Boston, Brill, 2013 ; compte-rendu de cette édition par A. Mussou et M.-L. Savoie, « Discussion - Les Eschés amoureux en vers : nouvelle édition publiée, nouveau témoin découvert », Romania, 133, 2015, p. 470-489. A. Mussou y souligne les nombreux problèmes et insuffisances de l’argumentation des éditeurs ; nous partageons pleinement ses critiques.
14 On n’y trouve en effet aucun écho de la querelle du Roman de la Rose qui commence en 1401. À ce sujet, voir P.-Y. Badel, Le Roman de la Rose au xive siècle : étude de la réception de l’œuvre, Genève, Droz, 1980, p. 290.
15 Pour d’autres comparaisons entre Nicole Oresme et Évrart de Conty, voir F. Guichard-Tesson et M. Goyens, « Évrart de Conty et ses contemporains : polyphonie d’un discours encyclopédique », Traduire au xive siècle. Évrart de Conty et la vie intellectuelle à la cour de Charles V, éd. J. Ducos et M. Goyens, Paris, Honoré Champion, 2015, p. 127-179 ; B. Delaurenti, « Deux approches savantes du rire : Nicole Oresme et Évrart de Conty », Entre le cœur et le diaphragme. (D)écrire les émotions dans la littérature narrative et scientifique du Moyen Âge, éd. C. Baker, M. Cavagna et G. Clesse, Louvain-la Neuve, Publications de l’Institut d’études médiévales, 2018, p. 101-116.
16 De causis mirabilium, III, l. 790-791, et Problemata, 40.
17 De causis mirabilium, IV, l. 83-84.
18 Pour Oresme, voir la bibliographie indiquée par L. Mauro, « Il piacere della musica in Nicola Oresme », Piacere e dolere. Materiali per una storia delle passioni nel medioevo, éd. C. Casagrande et S. Vecchio, Florence, Sismel-Edizioni del Galluzzo, 2009, p. 101-115, n. 2, ainsi que B. Delaurenti, La puissance des mots : « virtus verborum ». Débats doctrinaux sur les incantations au Moyen Âge, Paris, Cerf, 2007, p. 456-470 ; pour Évrart, voir A. Mussou, « Le médecin et les sons. Musique et magie dans Le Livre des Eschez amoureux moralisés d’Évrart de Conty », dans Music and Esotericism, éd. L. Wuidar, Leyde, Brill, 2010, p. 23-43.
19 De configurationibus qualitatum, II, 23, p. 328, l. 4-6. Boèce est cité p. 330, l. 35 et 39 : De institutione musica I, 1, éd. G. Friedlein, Lipsiae, 1867, p. 178-187, en particulier p. 180, l. 11-22.
20 Guillaume d’Auvergne, De universo, II, iii, 21, Opera omnia, I, Orléans-Paris, 1674, repr. Frankfurt a M., 1963, p. 1056b-1057a. Voir Delaurenti, La puissance des mots, p. 217-230.
21 De configurationibus qualitatum, II, 23, p. 328-330, l. 6-15.
22 Le livre de Politiques, VIII, 12, 308a, p. 355.
23 Tabula problematum, 44, l. 138-139 ; De configurationibus qualitatum, II, 23, p. 328, l. 11-13.
24 Évrart de Conty, Problemes, XIX, 1, fol. 28r. Pour les Problemes, toutes les références renvoient au manuscrit autographe Paris, BnF, fr. 24282.
25 Problemes, XIX, 48, fol. 55v.
26 Voir EAM, p. 192-193.
27 Voir Problemes, XIX, 30, fol. 45r. De telles précisions se trouvent aussi dans les gloses d’Oresme, dans le Livre de Politiques, VIII, 9, 304c, p. 351.
28 EAM, p. 193 ; Le Livre de Politiques, VIII, 9, 304b, p. 350.
29 EAM, p. 727.
30 EAM, p. 730.
31 Problemes, XIX, fol. 26v.
32 EAM, p. 165.
33 EAM, p. 173. Voir M.-R. Jung, « L’alexandrin au xve siècle », Orbis mediaevalis. Mélanges de langue et de littérature médiévales offerts à Reto Raduolf Bezzola, Berne, Francke, 1978, p. 203-217.
34 Voir J. Cerquiglini-Toulet, « Le nouveau lyrisme (xive-xve siècles) », Précis de littérature française du Moyen Âge, éd. D. Poirion, Paris, PUF, 1983, p. 275-292.
35 Voir B. Roy, « Eustache Deschamps et Évrart de Conty théoriciens de l’art poétique », Cy nous dient… Dialogue avec quelques auteurs médiévaux, Orléans, Paradigme, 1999, p. 25-40, ici p. 32-37.
36 Les mètres renvoient plutôt à la poésie latine (ars metrica), tandis que les rimes désignent essentiellement la poésie française ; c’est évidemment la deuxième qui l’intéresse. Voir à ce sujet EAM, p. 168.
37 Problemes, XIX, 38, fol. 49r.
38 EAM, p. 169-170.
39 Problemes, XIX, 38, fol. 49v-50r, et EAM, p. 173.
40 EAM, p. 191.
41 De configurationibus qualitatum, II, 23, p. 330, l. 32-33.
42 Jean de Salisbury, Policraticus, sive De nugis curialium et vestigiis philosophorum libri VIII, 6, éd. C. Webb, Londres, 1909, p. 40-41.
43 Variae II, Epistula 40, éd. Th. Mommsen, Cassiodori senatoris Variae, Munich, 1961, fac-sim. Berlin, 1894, II, p. 70.
44 De institutione musica, I, 1 p. 187, l. 5-6.
45 De universo, II, iii, 21, p. 1057aA.
46 Voir Guichard-Tesson et Goyens, « Évrart de Conty et ses contemporains », p. 130-138. Comme il est d’usage dans le poème, aucune identification n’est fournie.
47 EAM, p. 191. La comparaison ne figure que dans les EAM.
48 Problemes, XIX, 1, fol. 27v.
49 Le Livre de Politiques, VIII, 8, 303a, p. 349.
50 Aristote, Politique, 1340a9-10, éd. J. Aubonnet, Paris, Les Belles Lettres, 1989, n. 15, p. 135-136.
51 Le Livre de Politiques, VIII, 8, 303a-b, p. 349.
52 De configurationibus qualitatum, II, 29, p. 346, l. 19-26. Voir Delaurenti, La puissance des mots, p. 415-421.
53 Ibid., p. 348, l. 34-38.
54 De universo, II, iii, 21, p. 1056bG.
55 Quodlibet I, 7, Venise, 1509, cité par A. Boureau, Satan hérétique. Naissance de la démonologie dans l’Europe médiévale (1260-1350), Paris, Odile Jacob, 2004, p. 217-218.
56 De configurationibus qualitatum, II, 29, p. 348, l. 39-42.
57 Le Livre de Politiques, VIII, 7, 302d, p. 349, et EAM, p. 189, à propos d’Aristote, Politique, VIII, 5, 1340a3-5.
58 EAM, p. 190.
59 EAM, p. 464.
60 EAM, p. 469.
61 Voir H. Elkhadem, Le Taqwīm al-Ṣiḥḥa (Tacuini sanitatis) d’Ibn Buṭlān : un traité médical du xie siècle. Histoire du texte, édition critique, traduction, commentaire, Louvain, Peeters, 1990, p. 43-45.
62 Ibn Buṭlān, Tacuinum Dei, canon xxxia, ms. Vatican, BAV, lat. 2426, fol. 31v, transcr. Clagett, Nicolas Oresme and the Medieval Geometry, p. 478.
63 De configurationibus qualitatum, II, 23, p. 330, l. 35-38.
64 Constantin l’Africain, Viaticum, I, 20, éd. M.-F. Wack, Lovesickness in the Middle Ages. The Viaticum and its Commentaries, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 1990, p. 186-191 (cité par Oresme en II, 23, p. 330, l. 21-25).
65 Jacquart, La médecine médiévale, p. 435-437 ; Wack, Lovesickness, p. 31-50.
66 Le Livre de Politiques, VIII, 3, 297d, p. 342.
67 Tabula problematum, 44, l. 140.
68 De causis mirabilium, IV, l. 48-50 et l. 1075-1082 ; Problemata, 1 ; Tabula problematum, 154, l. 442.
69 De causis mirabilium, III, l. 785-880 et l. 898-916 ; Problemata, 40.
70 Tabula problematum, 203, l. 769-771.
71 De causis mirabilium, III, l. 574-578.
72 De universo, II, iii, 21, p. 1056bG.
73 EAM, p. 191.
74 Problemes, XIX, 27, fol. 44r.
75 Seuls les EAM reprennent l’appellation de amor hereos : EAM, p. 191, et de nouveau p. 239 et 544. Évrart se réfère à Avicenne, Liber canonis, III, fen 1, tract. 4, cap. 23, Venise, Dionysius Bertocus, 1490, C4vb.
76 Voir par exemple Bernard de Gordon, Practica seu lilium medicinae, II, 20, Naples, Francesco del Tuppo, 1480.
77 Il existe une abondante bibliographie sur cette question. On en trouvera les principaux titres à la note 3 p. 252 de l’article de B. Delaurenti, « Contre la magie démoniaque et les incantations : les questions 43 et 44 des Quodlibeta », Nicole Oresme philosophe, p. 251-297.
78 Voir A. Maier, « La doctrine de Nicolas Oresme sur les configurationes intensionum », Revue des sciences philosophiques et théologiques, 32, 1948, p. 52-67, repr. dans Ausgehendes Mittelalter : Gesammelte Aufsätze zur Geistesgeschichte des 14. Jahrhunderts, Rome, 1964, p. 335-352, ici p. 339-340 ; Clagett, Nicole Oresme and the Medieval Geometry, p. 14-49 ; Delaurenti, La puissance des mots, p. 452-455.
79 U. Taschow, « Die Bedeutung der Musik als Modell für Nicole Oresmes Theorie. De configurationibus qualitatum et motuum », Early Science and Medicine, IV, 1, 1999, p. 37-90.
80 De configurationibus qualitatum, II, 25, p. 354, l. 1-17.
81 De configurationibus qualitatum, II, 23, p. 332, l. 45-48.
82 De configurationibus qualitatum, II, 25, p. 336, l. 31-32.
83 De configurationibus qualitatum, II, 25, p. 336, l. 35-36.
84 L’étude de la magie dans le De configurationibus est organisée autour de l’examen de ces trois racines : les chapitres 26-30 portent sur la fausse persuasion, les chapitres 31-32 sur la manipulation d’objets et le chapitre 33 sur le pouvoir des mots. Voir Delaurenti, La puissance des mots, p. 114-117.
85 De configurationibus qualitatum, II, 33, p. 366, l. 20-22 et l. 14-15.
86 Le Livre de Politiques, VIII, 12, 308a, p. 355.
87 De configurationibus qualitatum, II, 33, p. 366, l. 30 ; Virgile, Bucoliques, VIII, v. 71, éd. E. de Saint-Denis, Paris, Les Belles Lettres, 1992 (5e éd.).
88 Voir B. Delaurenti, « Contre la magie démoniaque et les incantations », Nicole Oresme philosophe, p. 268-270.
89 Selon l’expression d’A. Mussou, « Le médecin et les sons », p. 26.
90 EAM, p. 96.
91 Voir Mussou, « Le médecin et les sons », p. 35 ; EAM, p. 197 ; les exemples sont empruntés à Oresme, De configurationibus, p. 336.
92 Guichard-Tesson et Goyens, « Évrart de Conty et ses contemporains », p. 129-144.
93 EAM, 1) p. 197 ; 2) p. 197-201 ; 3) p. 201-204 ; 4) p. 204-207.
94 Ainsi, il dénonce les illusions et tromperies de la magie (EAM, p. 204-205) en empruntant aux chapitres ii, 26, 29, 30 et 32 qui traitent de la fausse persuasion et de la manipulation d’objets.
95 EAM, p. 96 ; De configurationibus, II, 25, p. 336, l. 26-28.
96 EAM, p. 198 ; De configurationibus, II, 25, p. 336, l. 30-34. Ce passage reprend aussi des éléments du De configurationibus, II, 35, p. 374.
97 Problemes, XXX, 1, fol. 182v et à nouveau 183r. À propos de ce passage, voir Jacquart, La médecine médiévale, p. 313-315.
98 Sur les raisons de cette prudence et la condamnation de la faculté de théologie, en 1398, à la suite de l’affaire Jean de Bar, voir Jacquart, La médecine médiévale, p. 317-318. On notera toutefois que si les allusions faites par Évrart à certaines pratiques rappellent celles dont s’accuse Jean de Bar, elles sont toutes déjà présentes dans le De configurationibus. Voir aussi J.-P. Boudet, « La condamnation de la magie à Paris en 1398 », Revue Mabillon, n.s., 12 (= 73), 2001, p. 121-157.
99 EAM, p. 198 et 204.
100 EAM, p. 201.
101 EAM, p. 201 et 535.
102 EAM, p. 202.
103 EAM, p. 671-673.
104 EAM, p. 645. Sur les arguments scolastiques relatifs au pouvoir de la signification, notamment chez Oresme, voir B. Delaurenti, « Agir par les mots au Moyen Âge. Communication et action dans les débats sur le pouvoir des incantations », Archives de sciences sociales des religions, 158, avril-juin 2012, p. 53-71.
105 EAM, p. 682.
106 EA, v. 8994-9072, en particulier v. 9017-9020 et 9030-9031.
107 EAM, p. 203.
108 EAM, p. 202 : « la parole humaine est aussi come un air figuré ou une chose figuree en l’air ».
109 Problemes, Paris, BnF, fr. 24281, XI, fol. 205v ; EAM, p. 202.
110 De configurationibus qualitatum, II, 33, p. 366, l. 20-21 : Ista pars magice appropriate vocatur incantatio vel incantatoria a cantu.
111 EAM, p. 202-203 : « Et pour ce fu ceste partie de musique qui ainsy use de sons et de paroles appellee incantacion, et aussi sont les conjuracions, les oroisons et les paroles dont les magiciens se aident appellees en latin carmina, qui vault autant a dire que chans ou chanssons. »
112 Problemes, XXVII, 1, fol. 153v. Voir Guichard-Tesson et Goyens, « Évrart de Conty et ses contemporains », p. 128-129.
113 Voir G. Dumas et L. Laumonier, « Évrart de Conty : témoignages sur un intellectuel discret », Traduire au xive siècle, p. 73-97, ici p. 88-91.
114 F. Guichard-Tesson, « Pietro d’Abano traduit et recyclé par Évrart de Conty », Between Text and Tradition. Pietro d’Abano and the Reception of Pseudo-Aristotle’s Problemata Physica in the Middle Ages, éd. P. De Leemans et M. J. F. M. Hoenen, Leuven, Leuven University Press, 2016, p. 201-254, ici p. 246-254.
115 Le rapprochement effectué dans les EAM entre le diapason et la couleur verte est particulièrement significatif : y figurent en quelques lignes les mots actrempeement, atrempance, actrempé, amesureement, ainsi que l’expression bonne mesure (EAM, p. 151).
116 Voir D. Jacquart, « Médecine et morale : les cinq sens chez Évrard de Conty († 1405) », Micrologus, X, I cinque sensi / The Five Senses, 2002, p. 365-378, ici p. 373, repr. dans D. Jacquart, Recherches médiévales sur la nature humaine : essais sur la réflexion médicale, Florence, Sismel-Edizioni del Galluzzo, 2014, p. 69-84.
117 Problemes, Paris, BnF, fr. 24281, I, 1, fol. 3v.