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Classiques Garnier

« Je fiz ce qu’il me commanda, contre mon cœur ; et prins madame de Savoye » Le déshonneur d’un chevalier délibéré au cœur de la débâcle bourguignonne

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes / Journal of Medieval and Humanistic Studies
    2020 – 1, n° 39
    . varia
  • Auteur : Lecuppre-Desjardin (Élodie)
  • Résumé : Dans la nuit du 26 eu 27 juin 1476, en pleine débâcle bourguignonne, Yolande de France, duchesse de Savoie est kidnappée avec trois de ses enfants, par le capitaine de la garde de Charles le Téméraire, Olivier de la Marche. Ce rapt politique n’est certes pas une première dans le duché de Savoie, mais il constitue une macule dans la carrière du preux chevalier bourguignon. Cet article fait le point sur cet épisode et interroge la signification politique et culturelle d’un tel geste à la fin du XVe siècle.
  • Pages : 133 à 149
  • Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes - Journal of Medieval and Humanistic Studies
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406107422
  • ISBN : 978-2-406-10742-2
  • ISSN : 2273-0893
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-10742-2.p.0133
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 14/07/2020
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
  • Mots-clés : Bourgogne, Savoie, rapt, Yolande de France, Olivier de la Marche, XVe siècle
133

« JE FIz CE ­QUIL ME COMMANDA, CONTRE
MON CŒUR ; ET PRINS MADAME DE SAVOYE »

Le déshonneur ­dun chevalier délibéré
au cœur de la débâcle bourguignonne

Et pour obéir à mon prince, je fiz ce ­quil me ­commanda, ­contre mon cœur et prins madame de Savoye et ses enffans, au plus près de la porte de Genesve. Mais le duc de Savoye me fut desrobé, car il estoit bien deux heures en la nuyct, et ce par le moyen ­daucungs de nostre ­compaignie, qui estoient subjects du duc de Savoye ; et certes, ils ne firent que leur debvoir ; et ce que ­jen fiz, je le fiz pour saulver ma vie ; car le duc mon maistre estoit tel, ­quil vouloit que ­lon feist ce ­quil ­commandoit, sur peine de perdre la teste. Ainsi je me mis en chemin, et apportoie madame de Savoye derriere moy et la suivirent ses deux filles, et deux ou trois autres de ses damoiselles ; et prinsmes le chemin de la montaigne pour tirer à Saint Claude1.

­Cest en ces termes somme toute assez laconiques ­quOlivier de la Marche signale au lecteur de ses Mémoires que ­cest en serviteur fidèle ­quil a obéi aux ordres de son maître Charles le Téméraire, et ­quen ­conséquence il ­sempara de la duchesse de Savoie et de ses enfants dans la nuit du 27 au 28 juin 14762. Alerté par le duc de Bourgogne de la nécessité de kidnapper la famille ducale savoyarde, après les défaites successives de Grandson et de Morat, Olivier de la Marche sortit de Genève avec ses hommes et mit en place son embuscade aux portes de la ville pour arrêter le ­convoi et profiter de ­lobscurité afin de mettre son plan à exécution. Le croisement des différentes sources savoyardes 134et bourguignonnes permet de ­comprendre que cet enlèvement ne se fit pas sans résistance et que la suite de la duchesse riposta, au point que Geoffroy seigneur de Riverol, et Louis Vilette parvinrent à extirper des griffes bourguignonnes les deux fils de Yolande : ­lhéritier Philibert et le petit Jacques-Louis. Apprenant la nouvelle, ­lévêque de Genève et oncle de la progéniture en péril sortit pour prendre en chasse les Bourguignons qui parvinrent néanmoins à ­senfuir avec un demi-butin, ­composé de Yolande et de trois de ses enfants : Charles, Marie et Louise.

­LHistoire généalogique de Savoie rédigée par Guichenon, et reprise par ­dautres à la suite, ne manque pas de signaler la bravoure du ­conseiller et chambellan du duc de Bourgogne qui « fit si grande diligence et se defendit si bien, ­quon ne luy pût oster sa proye3 ». La scène rassemble en effet tous les éléments ­dune aventure romanesque dont la cour de Bourgogne est si friande. Des aventures de la Fille du Comte du Ponthieu à celles de La belle Hélène de Constantinople, les motifs fictionnels où des jeunes filles « efforciées », « ravies », ou tout simplement en danger, permettant aux héros chevaleresques de faire la démonstration de leur bravoure et de leur parfaite éducation, ne manquent pas4. Ici : la montagne, la nuit, un chevalier prenant en croupe une princesse savoyarde apeurée, des enfants ­quon imagine sans peine effrayés et cachés dans les herbes ­jusquà ­larrivée des hommes de ­lévêque qui grâce à des torches et des flambeaux retrouvèrent les deux garçonnets, bref, des cavaliers bourguignons qui surgissent hors de la nuit et courent vers ­laventure au galop. Tout cela ­constitue autant ­déléments clefs pour ­construire un récit de ce genre, nourrir les imaginaires et entamer un nouveau chapitre des plus célèbres mises en prose bourguignonnes. Sauf ­quOlivier de la Marche ­na pas le beau rôle dans cette histoire. Il est le kidnappeur, celui qui ne vient pas secourir une femme et ses enfants ­dun quelconque danger, mais celui qui, sous la ­contrainte ­dun prince, se fait à son tour menace pour une princesse.

Le rapt échappe dans ce cas aux motifs de la littérature courtoise, il ne répond à aucun désir sexuel, à aucune stratégie matrimoniale, il se révèle simplement politique. Et pourtant, il ressortit toujours de la 135transgression et fait ployer le preux Chevalier délibéré ­quest Olivier de la Marche sous le poids ­dune ­culpabilité à peine masquée.

­Lenlèvement de la duchesse de Savoie et de ses enfants illustre parfaitement les changements de rythme dans le jeu politique ­complexe de ces années 1470 et la difficulté pour certains des protagonistes de cette histoire à assumer cette évolution des ­comportements et des pratiques. La distribution des rôles ­na en ­loccurrence rien de classique, et une analyse fondée sur le croisement des sources bourguignonnes, françaises, savoyardes et italiennes permet de voir dans ce rapt politique le témoignage ­dun passage brutal de ­lidéal chevaleresque vers la « raison ­dÉtat ». Cette étude, après avoir présenté les protagonistes de cette affaire, aura pour vocation ­danalyser la signification de ce rapt au regard de la ­culture politique de cette fin du xve siècle5.

UNE FEMME FORTE À LA TÊTE ­DUNE MAISON EN PÉRIL

Yolande de Savoie en 1476 est une régente qui a déjà éprouvé des situations politiques délicates6. Fille de Charles vii, sœur de Louis xi, elle épousa en 1452 Amédée ix, dont elle eut dix enfants. Quatre sont déjà morts à la date qui nous occupe et Philibert, Charles, Jacques-Louis, Anne, Marie et Louise ­constituent sa progéniture. Avant même la mort de son époux en 1472, Yolande, surtout à partir de 1469 et des premières crises ­dépilepsie de celui-ci, assurait la direction des affaires, faisant face à des intrigues menées par les frères du duc, Jacques, ­comte de Romont, Philippe, ­comte de Bresse et Louis, ­comte de Genève7. À cette date, Charles le Téméraire avait pris le parti des frères ­dAmédée ix et 136Louis xi celui de sa sœur. Parvenue à un statu quo, grâce à ­lentremise des ambassadeurs de Fribourg et de Berne, qui laisse Yolande dans sa position de régente et ouvre le ­conseil aux ­comtes frustrés, la crise refait surface au moment de la mort ­dAmédée ix. Yolande, au décès de son mari, était non seulement la tutrice de Philibert, mais elle avait également obtenu la régence de ses états depuis le 11 avril 14728. La jeunesse de ­lhéritier de Savoie, qui était alors âgé de 7 ans, avait déchaîné les prétentions politiques des autres membres de la famille large, à savoir les oncles du petit Philibert, mais également celle des voisins encombrants ­quétaient le frère de Yolande, Louis xi roi de France, et le duc de Bourgogne, Charles le Téméraire9.

Les oncles firent alors courir la rumeur selon laquelle Yolande souhaitait faire tomber la Savoie entre les mains du roi de France. Assurément, la duchesse occupait une position délicate et ménageait par des correspondances secrètes les appétits des deux souverains, sans perdre de vue ­lintérêt de ses enfants. Il lui fallait alors trouver des appuis suffisamment sûrs pour repousser les prétentions de princes dont les alliances faisaient des états de Savoie le terrain de jeu ­dambitions plus importantes : extension du royaume de France, création ­dun État bourguignon et avancée des Sforza en Piémont10.

Dans cette ­configuration, les années 1469-1476, furent particulièrement troublées et Yolande ne cessa de fuir avec ses enfants pour échapper aux menaces réelles que faisaient planer les frères ­dAmédée ix sur ­lhéritier. Ainsi, la citadelle de Montmélian, au sud de Chambéry, lui servit de refuge temporaire à plusieurs reprises. Deux épisodes difficiles à distinguer, tant ils se ressemblent, illustrent les bégaiements de ­lhistoire et soulignent au passage que le Téméraire, dont la décision fut 137tant critiquée ­comme on le verra, ­nétait pas un précurseur en matière de tentatives de kidnapping.

En 1471, une véritable guerre civile éclate entre la duchesse et ses beaux-frères. Jaloux des prérogatives de Yolande et de la ­confiance ­quelle avait accordée à certains seigneurs secondaires, ils firent lever des troupes et prirent la direction de Chambéry. Au mois de juillet 1471, le ­comte Philippe de Bresse avec une armée ­composée de Savoyards, mais aussi de Bourguignons, de Français et ­dAllemands, traversa Chambéry et mit le siège devant Montmélian. Le duc et la duchesse de Savoie y étaient réfugiés et le ­comte de Genève réussit à leur arracher un texte stipulant la mise à ­lécart des favoris de la duchesse. Mais, profitant de ces négociations, les ­comtes de Romont et de Bresse ­semparèrent du couple ducal et le ramenèrent de force à Chambéry, où la cour fut purgée de tous ceux qui avaient reçu les faveurs de la duchesse. Yolande parvint à ­séchapper et à trouver un abri pour elle et ses enfants dans le château ­dApremont, où elle fut encerclée, mais ­doù elle parvint à alerter son puissant frère, le roi de France, qui lui dépêcha le secours du gouverneur du Dauphiné, le ­comte de Comminges, Jean de Lescun. Les troupes de ce dernier parvinrent à la délivrer, avec ­laide du ­comte de Genève, et ­lemmenèrent à la Bussière puis à Grenoble où elle résida un mois. Des pourparlers, au cours desquels le roi de France avait la haute main, réussirent à ramener la paix dans le pays et à ­consolider provisoirement la position de Yolande, par le traité du 5 septembre 1471 qui reconnaissait au roi de France une position ­darbitre en cas de litige au ­conseil.

Les mêmes tensions se répétèrent en 1472 et les actions se durcirent. Inquiet de voir le duché échapper à leur autorité, les ­comtes de Bresse et de Romont ­sassocièrent et, selon ­lhistoire généalogique de Guichenon, ils prirent « résolution de se saisir de la personne du jeune duc, que la duchesse Yolande avoit amené à Chambéry, esperant par ce moyen ­davoir la ­conduite ­dEstat11 ». Alertée sans aucun doute par quelques fidèles, Yolande ­senfuit de nouveau au château de Montmélian. ­Cest alors que, toujours selon Guichenon :

Les princes irrités ­davoir manqué leur coup, assemblèrent des troupes, levèrent le masque, appelèrent le Comte de Genève leur frère et assiégèrent 138Montmaillan : la Duchesse espouvantée et se defiant des Savoisiens, capitula avec les princes et ­consentit que la décision de la question de la Régence, fut remise aux Estats Generaux de Savoye [] Sur la foy de cette capitulation, le Duc et la Duchesse ouvrirent les portes : les Princes ­contre la parole donnée se saisirent de la personne du jeune Duc, le menèrent à Chambery12.

La duchesse trahie, ­séchappa et ­sen alla en Dauphiné ­doù elle appela au secours Louis xi, le duc de Bourgogne, le duc de Milan et le marquis de Montferrat. Tous lui promirent leur secours et, craignant de ne pouvoir leur résister, les oncles de Philibert ­sinclinèrent, laissant Yolande gouverner. Chacun choisit cependant son camp : le ­comte de Genève se retira à Annecy, le ­comte de Romont rejoignit le duc de Bourgogne et le ­comte de Bresse choisit la France. Yolande, quant à elle, estima la pression du roi de France trop forte. Lui qui, en évoquant les liens du sang pour protéger son neveu, souhaitait mettre la main sur le duché, fut éconduit au profit de Charles le Téméraire, qui, en échange du soutien de Yolande, devait promettre son héritière Marie à Philibert…

Inutile ­daller plus avant dans cette histoire intriquée et qui ne cesse de se ­complexifier au fur et à mesure des accords, alliances, ruptures ­dalliances entre France, Savoie, Bourgogne, Confédérés et la Milan des Sforza.

Retenons simplement que le rapt perpétré par les Bourguignons ­nétait pas la première agression qui toucha la duchesse de Savoie et que ces menaces planant sur la régente et son héritier ­nétaient que les actes paroxystiques de tensions politiques que Yolande tentait essentiellement de calmer par ­lart ­dune diplomatie secrète.

Le rapt ­dOlivier de la Marche ­conduisit cette fois-ci la duchesse et ses enfants ­jusquau château de Rouvre dans le duché de Bourgogne. Les ­comptes de la duchesse pour cette période, édités en partie et aléatoirement par Léon Ménabréa, sont très instructifs13. Ils montrent clairement que Yolande, non seulement disposait ­dune certaine liberté pendant ce long séjour hors de ses terres, mais ne cessait de ­communiquer14. Les dépenses ­consignées par Anthoine de la Forest, son écuyer, ­concernent des achats 139de ­confort : des selles achetées à Saint-Claude pour les haquenées des demoiselles Marie et Louise le 29 juin 147615 ; un étui de barbier pour ­lesbattement du petit Charles à Sône, le 25 juillet de la même année, des draps pour le parement de ­lautel de la chapelle de Rouvre, etc.16 Mais ­largent est également distribué très largement à tous les serviteurs qui ­lentourent, ceux de sa suite ­comme ceux de Bourgogne qui gardent et entretiennent le château, dessinant en creux une véritable stratégie de séduction. Janyne la chambrière reçoit de ­largent, de même que le frère cordelier qui ­laide à dire ses heures pour ­quil se fasse faire un habit. Un certain Pierre le Chappuys est récompensé le 6 septembre pour avoir amélioré son métier à broder, etc. Et ­lorsquelle quitte le château, elle offre à Châtillon, le héraut de Bourgogne de quoi se faire faire un blason de ses armes, à Johannes Clert, le ­contrôleur de la dépense de Rouvre, de quoi se racheter une arbalète, pour remplacer celle qui lui a été prise par son sauveur, le gouverneur de Champagne17. Mais le poste de dépense le plus important témoigne ­dune activité diplomatique en ­continu. À Saint-Claude, le 30 juin, elle paie un homme du pays pour aller retrouver le Téméraire et ­lentretenir de « chouses secrètes ». Sur le chemin qui la mène vers la Bourgogne, à Rochefort, le 14 juillet, elle dépêche son maître queux Pierre Treinca, vers Chambéry et Montmelian « pour besogner certaynes choses secrètes ». Le 28 juillet, ­cest vers son frère Louis xi, ­quelle dépêche Pignerol son héraut. Le 2 août, elle récompense un chevaucheur du duc de Bourgogne qui lui apporte des nouvelles de Charles le Téméraire. Cent florins sont ­confiés à Claude ­dArmays, châtelain ­dOrbe, pour ­quil les donne à Henri de Vers, chambrier de Charles le Téméraire afin de plaider la cause de la duchesse de Savoie18. Et les ­comptes font état ­dautres mentions de 140plusieurs messagers envoyés en France, en Savoie, en Piémont, à Nice, etc., pour afferes secretes.

Cette activité diplomatique ­continue prouve que Yolande fut une actrice essentielle de sa libération. Elle témoigne également ­dune certaine habitude et toutes ces années délicates sont en effet animées par des tractations souterraines incessantes menées à ­linitiative de la duchesse de Savoie qui ­sinsère parfaitement dans un jeu diplomatique ­complexe et dangereux. En effet, Yolande louvoie, engage Philibert à Marie de Bourgogne, puis se rétracte et arrange un mariage avec Bianca Maria Sforza. Après Grandson, alors ­quelle a fourni une aide militaire importante à Charles le Téméraire, elle entame des démarches secrètes pour se rapprocher de Louis xi. Mais tout ­comme Louis xi joue avec le feu et ­continue à manipuler les Liégeois lors de ­lentrevue de Péronne, Yolande se porte au chevet du duc de Bourgogne à Nozeroy après la défaite de Morat, tandis que le duc apprend ses négociations secrètes avec Louis xi, ce qui le mit dans une grande colère et le ­conduisit sans doute à durcir son action. Comme le dit Commynes, « ce qui fit faire cest exploict audict duc fut de paour ­quelle ne se retirast devers le roy son frere, disant que pour secourir la maison de Savoye luy estoit advenu tout ce mal19 ». Dans ce climat de méfiance généralisée, ­cest à Olivier de la Marche, capitaine de la garde, fidèle ­dentre les fidèles que ­lon ­confie la sale besogne.

OLIVIER DE LA MARCHE :
OBÉISSANCE ET REMORDS

« Tant a souffert » est une devise qui expose pleinement la dimension moraliste ­dun homme bien étudié par Catherine Emerson et Susie Speakman Sutch20. Olivier de la Marche a 51 ans ­lorsquil enlève Yolande 141de Savoie21. Entré à la cour de Philippe le Bon à ­ladolescence, il a fait ses premières armes dans la guerre de Luxembourg en 1443 et a suivi un cursus honorum qui a fait de lui le maître ­dhôtel de la Maison de Bourgogne en 1461 et le chambellan, capitaine des armées de Charles le Téméraire en 1473. Adoubé chevalier à la bataille de Monthléry en 1465, Olivier de la Marche est un guerrier qui manie aussi bien la plume que ­lépée. À la cour, il organise les ­festivités ducales, rédige des Mémoires et quelques poèmes, sur les champs de bataille, il ne ménage pas sa peine, au point que lorsque Charles le Téméraire décide de ­lenvoyer le 25 mai 1476 auprès de Galéas Marie Sforza pour évoquer une nouvelle stratégie, celui-ci supplie le duc de le laisser participer à la funeste bataille de Morat et de retarder son départ : en vain. Olivier de la Marche élude ­complètement cet épisode de ses Mémoires et ­cest grâce aux rapports des ambassadeurs milanais, Panigarola en ­loccurrence, que ­lon sait ­quOlivier a supplié à genoux Charles de ne pas ­léloigner du ­combat, craignant de passer pour un couard, lui qui ­navait jamais reculé devant ­lennemi aux côtés de ses chers ducs de Bourgogne22. Mais, encore une fois, Olivier obéit, se range derrière les avis de Charles et exécute des ordres qui vont à ­lencontre de ses valeurs et de son honneur.

Les injonctions du duc de Bourgogne, rapportées dans les dépêches milanaises, font ­dOlivier de la Marche un homme de grande expérience et ­dune fidélité à toute épreuve à qui, seul, on peut ­confier une mission aussi délicate, à savoir relancer ­lalliance milanaise ­contre la France. Il faut en effet de la subtilité et de la maîtrise pour sentir les opinions de Galéas Marie Sforza et un médecin lombard du nom de Matheo ­confie à Panigarola ­quil a entendu le duc dire à Olivier ­dêtre très attentif à la qualité de la réponse du duc de Milan et de ne pas ­sattarder plus de quinze jours, en cas de réponse évasive23. Le 20 juin 1476, Olivier de la 142Marche se met en route, il doit passer à Orbe, puis ­sarrêter à Gex afin de récupérer des lettres de la duchesse de Savoie, et prendre la route de Milan. Le 23 juin, il est à Genève et ­cest là que la nouvelle de la défaite de Morat lui parvient, il revient vers Gex où Charles le Téméraire ­sentretient avec la duchesse de Savoie après ce nouveau revers, regagne Genève et reçoit un nouvel ordre du Téméraire qui ­constitue une macule dans la carrière de ce preux chevalier, à savoir enlever la duchesse de Savoie et son héritier. Charles a en effet échoué dans ses négociations pour ­saccaparer la tutelle du petit Philibert et, tout ­comme les oncles du jeune prince avant lui, la violence lui apparaît ­comme un dernier recours.

Olivier obéit, mais le récit de cet événement dans ses Mémoires dit la honte et ­lembarras. « Et pour obéir à mon prince, je fiz ce ­quil me ­commanda, ­contre mon cœur », un peu plus loin « et ce que ­jen filz, je le fiz pour sauver ma vie24 ». ­Dailleurs, sa crainte ­nest pas feinte, et ­lorsquil arrive à Saint-Claude pour rejoindre le duc avec Yolande, mais sans Philibert, il ne cache pas la colère de Charles et avoue avoir craint pour sa vie :

Et devez savoir que le duc fit très mauvais ­chiere à toute la ­compaignie, et principallement à moy ; et fus la en dangier de ma vie, pour ce que je ­navoye point emmené le duc de Savoye25.

Il y a sans aucun doute une part ­dexagération dans ce témoignage, même si ­lon sait par ailleurs que Charles ­nest plus dans un état normal et que de sombres colères envahissent son esprit. Mais au-delà de cette figure rhétorique, il faut bien imaginer ­lamertume ­dun courtisan qui, depuis son arrivée dans la Maison de Bourgogne, ­na cessé de servir fidèlement ses princes et même le plus tempétueux ­dentre eux, prince dont il fut le capitaine de la garde créée en 1473 et dont il aura la triste mission ­daller reconnaître le corps après la débâcle de Nancy26.

Olivier de la Marche est un serviteur fidèle, mais il est également un chevalier porté par un idéal qui semble difficilement ­conciliable 143avec une violence moins ­conventionnelle frôlant la cruauté. Il faut reconnaître ­lefficacité de ­laction ­dOlivier de la Marche. Ce dernier ­connaît les lieux. À ­lhiver 1450-1451, il ­confie dans ses mémoires avoir profité du mariage du Dauphin avec Charlotte de Savoie pour aller assister à ces ­festivités ­quil aime tant « de gaieté de cœur et sans charge ­dautruy27 ». Puis, il assura ­dautres missions à ­loccasion desquelles il renforça sa ­connaissance de la famille de Savoie. Le geste de ­lenlèvement ­nest donc pas naturel et entame les relations cordiales ­quil a pu entretenir avec la duchesse.

Le récit, ­comme ­la montré Catherine Emerson, fait ­dailleurs planer une certaine ambigüité. ­Dune part, Olivier se défausse de la perte de Philibert qui a réussi à ­séchapper, en disant :

­Jestoye bien assueuré du second fils, et le faisoye porter par ung gentilhomme, et cuydoie bien estre assuré du duc de Savoye, mais il ­mavoit esté desrobé, ­comme ­jay dit.

Cette phrase, en forme de plaidoyer, permet à Olivier de déclarer, ­quil était de bonne foi ­lorsquil pensait emmener dans la montagne toute la famille. Mais ­dautre part, ­lorsquil évoque la ­contre-offensive des hommes de la cour de la duchesse, il a cette phrase :

Mais le duc de Savoye me fut desrobé, car il estoit bien deux heures en la nuyct, et ce par le moyen ­daucungs de nostre ­compagnie, qui estoient subgects du duc de Savoie ; et certes ilz ne firent que leur debvoir28.

­Sagit-il là pour Olivier une façon de dire que lui ­comme les autres ne sont que les serviteurs de desseins politiques qui les dépassent, ce qui serait une façon de minimiser le geste ? Ou peut-on imaginer ­quil aurait « laissé faire », trahissant son prince, mais assurant son salut et soulageant une partie de sa ­conscience ? Les motivations sont tout aussi obscures que la nuit qui enveloppa cet événement. Olivier de la Marche est-il un chevalier ému par le funeste destin ­dune princesse et de sa 144progéniture ou un simple exécutant du duc de Bourgogne, dont le cuir se serait tanné au gré des batailles et des marches militaires ?

Pour avancer quelques idées, il faut prendre en ­compte ­dautres épisodes de la carrière de ce courtisan ­dexception. ­Dun côté, ­comme capitaine ­dune sorte ­dunité spéciale au service du duc, on le retrouve à la manœuvre ­lorsquil ­sagit de traquer les déserteurs ou de donner la chasse à ­lennemi29. De ­lautre, il sait aussi faire preuve ­dune certaine retenue ­comme ­latteste le siège de Montbéliard en 1474. Au printemps de cette année, alors que Henri de Montbéliard, ­comte de Wurtemberg, ­sétait abouché avec Louis xi pour entraver les avancées du Téméraire à ­lest, celui-ci est capturé par les Bourguignons non loin de Thionville. Olivier de la Marche et Claude de Neufchâtel, seigneur de Fay, emmènent leur prisonnier devant les murs de la ville et somment le bailli Marc de Stein de leur ouvrir les portes pour reprendre la place30. La sommation resta sans réponse et Olivier de la Marche clôt ­lépisode en quelques lignes dans ses Mémoires :

Henry ne pouvoit fournir à sa promesse, car la coustume de Montbéliard est telle, que plus tost verroient les souldoyers coupper la teste à leur seigneur, que de rendre une telle place [] Et ainsy nous en revinsmes sans rien faire31.

En réalité, la sommation fut accompagnée ­dune mise en scène assez spectaculaire de la violence militaire. Les éphémérides du ­comté de Montbéliard, à la date du 11 mai 1474, expliquent ­quOlivier de la Marche et Claude de Neufchâtel avaient ­conduit le ­comte enchaîné sous les murs de la ville, en annonçant ­quil serait mis à mort si la place ne leur était pas rendue. Nulle réponse ­nayant été faite,

[] on déploya un tapis de velours ; le jeune prince fut ­contraint de se mettre à genoux, le bourreau leva son épée nue, et la sommation fut répétée.

145

– ­Cest ­contre tout droit et toute loyauté, fit crier le gouverneur, que monseigneur est entre vos mains : vous pouvez bien le tuer, mais non pas avec lui la maison de Wirtemberg. Mon devoir est envers tous ceux de cette noble maison ; ils vengeront celui que vous voulez mettre à mort.

­Lépée du bourreau ne trancha pas la tête ­dHenri, et Olivier de la Marche ne parvint pas à mettre sa menace à exécution32. Il est possible de voir dans cette mise en scène une sorte de surenchère sadique, calculée pour faire de ­lintimidation un principe ­daction, sans mener ­jusquà une décision fatale, ce qui ferait ­dOlivier de la Marche et de ses acolytes des officiers militaires pour lesquels la fin justifierait tous les moyens. Mais on peut également percevoir dans cette séquence de ­lhistoire particulièrement agitée un certain type de violence qui ­nest pas encore totalement assumé. Si les princes deviennent cruels, les chevaliers qui les servent ne parviennent pas toujours à leur emboîter le pas.

LE RAPT POLITIQUE, SYMPTÔME ­DUN DURCISSEMENT
DES AMBITIONS PRINCIÈRES ?

Olivier de la Marche ­nest sans doute pas le seul à avoir des remords et à accepter difficilement ce durcissement des pratiques politiques. Mais si la sincérité de cet homme animé par un devoir moral qui transparaît dans chacun de ses écrits, faisant de lui un pédagogue moralisateur, est hors de doute, les avis recueillis chez les Italiens, ­comme chez les Français, sont sans doute davantage de ­lordre de la posture33. Ainsi, ­lambassadeur milanais Antoine ­dAppiano ­sindigne de cet événement et le qualifie ­dinique et ­dinouï dans le monde :

146

Questa arrestatione della Illma Madama cusi villanamente facta, de la quale tuttol mondo dice che giamay non se oldito dire la piu iniqua, ne la piu vilanan cosa doppo chel mondo e creato34.

­Laffaire est si scandaleuse que le duc de Bourgogne est devenu un ennemi mortel (mortale inimico). Personne ne pourra tolérer une telle injure et un tel outrage (injuria et oltragio), ­dautant que la duchesse de Savoie avait témoigné une réelle affection et un sincère dévouement au duc de Bourgogne35. Les états de Savoie, naturellement, affirment ­quils feront tout pour ­sopposer à ­lennemi bourguignon, le duc de Milan ne peut tolérer ­laffront infligé à sa belle-sœur et le roi de France promet de venger sa sœur et de la tirer, une fois de plus, de ce mauvais pas. Sur place, la nouvelle de ­lenlèvement suscite des représailles immédiates et sanglantes à Genève où, à ­linstigation de ­lévêque Jean-Louis de Savoie, le peuple ­sacharne sur les gens ­darmes italiens à la solde du duc de Bourgogne qui séjournaient dans la ville. Les dépêches évoquent près de deux cents soldats tués et noyés dans le Rhône36. Dans la Amtliche Berner Chronik ­composée par Diebold Schilling pour la ville de Berne, une des aquarelles dédiées aux guerres de Bourgogne a pris soin de représenter le rapt de Yolande de Savoie venant renforcer la désastreuse réputation des Bourguignons au ­comportement ­unritterlich37. En revanche, les chroniqueurs ne ­sépanchent pas. Chez Jean Molinet, la prise de la Dame de Savoie est un non-événement, dont les tenants et les aboutissants par ailleurs sont mal ­connus. La mention est écrite sans émotion, ni ­commentaire superflu :

Le duc de Bourgoigne ­sen alla à Saint-Claude et donna ­commandement au seigneur de la Marche, capitaine de la garde, de prendre madame de Savoye ­comme prisonnière, et laquelle il trouva à Rochefort, où il feit son debvoir38.

147

Commynes, quant à lui, trouve dans cet épisode ­loccasion de souligner la déliquescence de ­lautorité du Téméraire et, en ­contraste, la toute-puissance du roi de France, son nouveau maître. Ainsi, la fuite du château de Rouvre est facilitée par une ambiance de fin de règne où les serviteurs du prince ­nont plus la fermeté ­dantan :

Au plus tost que ladicte duchesse se trouva à Rouvre, ­comme ­jay dict, acompaignee de toutes ses femmes et largement de serviteurs, et ­quelle veit ledit duc bien empeché a rassembler gens, et que ceulx qui la gardoient ­navoient pas la craincte de leur maistre ­quilz avoient acoustumé ­davoir, elle se delibéra ­denvoier devers le Roy, son frère, pour tracter appoinctement et pour luy supplier ­quil la retirast39.

Le geste ­dOlivier de la Marche est surtout un cas de ­conscience personnel. À ­léchelle de la diplomatie européenne, il témoigne simplement de nouvelles pratiques qui bientôt feront de la violence illégitime ­lun des outils politiques entre les mains de princes pouvant abuser de leur pouvoir pour le bien ­commun de leurs sujets.

Yolande, quant à elle, ­na ­dailleurs pas hésité à jouer un jeu dangereux, à donner sa parole, à la reprendre, à flatter le Téméraire, tout en gardant des ­contacts avec son frère et en se rapprochant des Sforza. Son duché est à la merci des ambition limitrophes, il est fragilisé ­dabord par un prince débile, son mari Amédée ix, puis par un héritier qui a la faiblesse ­dêtre un enfant, son fils Philibert. Il lui faut maintenir coûte que coûte son indépendance et, pour cela, tout est permis. Faut-il voir dans cette diplomatie secrète un atavisme ? Peut-être, mais à ce jeu-là, Louis xi est le plus fort qui, sardonique, accueille sa sœur, après avoir œuvré pour sa libération ­dun « Madame de la Bourgongne, vous soiez la tres bien venue ». Ce à quoi, « elle respondit bien saigement ­quelle estoit bonne françoyse et preste ­dobeir au Roy en ce ­quil luy plairoit luy ­commander40 ».

Pendant le temps de sa captivité, les rouages de la diplomatie française ­sétaient actionnés extrêmement rapidement, ­comme si Louis xi était déjà au courant de la manœuvre. Tandis que Philibert était à ­labri à Genève, Louis xi avait dépêché Louis de Bourbon pour ­convoquer les états de Savoie et partager les domaines entre ­lautorité du ­comte 148de Genève et celle de Philippe de Bresse41. Quant à Yolande, après sa libération par Charles ­dAmboise, elle devait retourner dans ses terres, sous protection du roi de France et y mourir deux ans plus tard, laissant de nouveau la zizanie ­sinstaller autour de Philibert, âgé de 14 ans. Sous prétexte ­dune partie de chasse, Grolée de Lhuis, créature de Louis xi, mit la main sur ­lhéritier et ­lemmena en Dauphiné, faisant du rapt un outil pour faire aboutir une décision politique lorsque la diplomatie, du roi de France cette fois-ci, manquait ­defficacité.

CONCLUSION

Il y aurait sans aucun doute beaucoup à faire et à dire sur ce rapt du point de vue savoyard, tant il ­sinscrit dans une série de violences manifestées à ­lencontre de la famille ducale. Mais la perspective développée ici est bourguignonne et ce rapt apparaît assurément ­comme un vilain geste, non assumé par celui qui fut, à cette occasion, la main noire du duc de Bourgogne. Assurément, ­comme ­la montré Rosalind Brown-Grant, ­lhéritage courtois a déjà été bien remis en cause dans les mises en prose du xve siècle. La femme ­ny est plus un but ultime pour le chevalier, mais un moyen ­daccéder au pouvoir. En cela, le geste du Téméraire ­sadapterait davantage à la littérature romanesque du xve siècle que les réticences de son chambellan qui demeurent fortes42. En effet, lorsque Jean ­dAuffay, en 1478, rédige son Mémoire pour défendre les droits de Marie de Bourgogne ­contre les prétentions du roi de France, le juriste écrit : « Item, mais quoy ­quil fait, ­jay ouy dire et testiffier à Messire Olivier de la Marche, en la presence des gens du roy que madite Dame ne fut pas prisonnière43 ».

Certes, on a vu que la captivité de Yolande à Rouvre était pour le moins toute relative, mais cette incise ­continue à prouver ­lembarras ­dOlivier de la Marche.
Les violences faites aux princes ne sont pas rares en Savoie et Yolande 149avait dû ­saccommoder de ces menaces ­constantes qui la ­conduisaient à des déplacements tout aussi réguliers. Dans la Bourgogne des vieux serviteurs du prince, le rapt appartient encore au registre de ­lamour licite ou illicite. Au ­contraire, avec Charles le Téméraire, prince de « nouvelle dure mode », les pressions se font plus fortes. En 1476, à quelques mois du chaos final et face à une force militaire amoindrie, le rapt permet ­dafficher un potentiel de puissance, une capacité de violence voilée par les nécessités de la raison ­dÉtat ­comme ­la parfaitement analysé Commynes.

Élodie Lecuppre-Desjardin

Université de Lille-IRHiS

Membre senior de ­lIUF

1 Mémoires ­dOlivier de la Marche, éd. H. Beaune & J. ­DArbaumont, Paris, Renouard, 1884-1888, 4 vol., t. III, chap. viii, p. 235.

2 Dans la marge ­dune copie des franchises de Genève reprise dans les Recherches Historiques sur le département de ­lAin par M. De la Teyssonnière, t. V, 1844, p. 29, on peut lire : « Anno MoCCCCoLXXVI et die jovis XXVII junii, de nocte hora decima, Veniendo de Gaio, subtus Sacconetum Magnum, illustrissima duchissa Sabaudie, soror cristianissimi regis Francie, fuit capta per dominum Oliverium de Marchia, Jacobum Saliot et…. Capitaneus domini Burgundie, unacum domino principe pedemontii et duabus domicellis Sabaudie. »

3 Histoire généalogique de la royale maison de Savoye par Samuel Guichenon, Lyon, 1640, p. 567.

4 Voir par exemple ­létude de R. Brown-Grant, « Le rapt et le rapport texte/image dans les manuscrits du remaniement bourguignon de La fille du ­comte du Ponthieu », Rapts. Réalités et imaginaires du Moyen Âge aux Lumières, éd. G. Vickermann-Ribémont & M. White-Le Goff, Paris, Classiques Garnier, 2014, p. 49-69.

5 Je tiens à remercier Daniela Cereia, Thalia Brero, Jonathan Dumont et Bertrand Schnerb pour leurs suggestions et les discussions que nous avons eues autour de cet article.

6 Les biographies de Yolande de Savoie sont anciennes ou lacunaires. On pourra cependant lire avec profit E. Colombo, Iolanda, duchessa di Savoia (1465-1475), Miscellanea di Storia Italiana, XXXI, 1894, p. 1-306 et M.C. Daviso di Charvensod, La duchesse Iolanda (1434-1478), Turin, G.B. Paravia, 1935.

7 Sur le délicat exercice de la régence féminine en terre savoyarde, voir L. Gaffuri, « Lo Statum reginale tra distinzione ed eccezione : il caso sabaudo (xv secolo) », Marquer la prééminence sociale, éd. J.-P. Genet & I. Minéo, Paris, Éditions de la Sorbonne, 2014, p. 129-156.

8 Pressée par les menaces que faisaient planer les oncles du petit Philibert, Yolande se hâta de faire enterrer son mari décédé le 30 mars 1472 à Verceil pour faire acclamer Philibert le 1er avril, et organisa des funérailles plus dignes de la figure ducale un an plus tard dans la cathédrale Saint-Eusèbe de Verceil le 1er avril 1473. Pour le détail de ce cérémonial, voir T. Brero & E. Pibiri, « Le corps du prince au sein des rituels funéraires de la maison de Savoie (xive-xvie siècle) », Le Corps du prince, Micrologus, XXII, 2014, p. 393-427.

9 Sur les prétentions politiques des oncles paternels, voir G. Lecuppre, « ­Loncle usurpateur à la fin du Moyen Âge », La parenté déchirée : les luttes intrafamiliales au Moyen Âge, éd. M. Aurell, Turnhout, Brepols, 2010, p. 147-156.

10 Sur cette période agitée, voir F. Gabotto, Lo Stato sabaudo da Amedeo viii ad Emmanuelle Filiberto, Turin, L. Roux, 1893, 3 vol., vol. 2 et plus récemment A. Barbero, Il ducato di Savoia, amministrazione e corte di uno stato franco-italiano, Rome-Bari, Quadrante Laterza, 2002.

11 Guichenon, p. 564.

12 Ibid.

13 L. Ménabréa, Chroniques de Yolande de France, duchesse de Savoie, sœur de Louis xi, Chambéry, Imprimerie de Puthod fils, 1859, [Extraits des ­comptes des Trésoriers généraux de Savoie, Comptes ­dAlexandre Richardon, 1er octobre 1475-1er octobre 1476, p. 139 sq.]

14 Le 25 août, elle rémunère un charretier de Dijon qui ­lemmène avec ses enfants à Cîteaux pour ses dévotions, prouvant par là même la grande liberté de déplacement de la duchesse qui ­nest en rien ­confinée. Ménabréa, Chroniques de Yolande de France, p. 147.

15 Ibid., p. 146.

16 Ibid., p. 147.

17 Ibid., p. 148 : « Item mais livre a Rovre le II jour du moys doctobre que madame partist pour aller en France a Chasteillon heyraut de Bourgoigne et pourtyer du chasteau de Rovre que madame luy a donne pour faire un blason de ses harmes VI ff. ». – Ibid., p. 148-149 : « Item mais livre ledit jour a Johannes Clert du ­contreroleur de la dispance de Rovre pour monseigneur de Bourgoigne durant le temps que madame demouroit au Rovre aux despens de monseigneur de Bourgoigne pour ungne arbalete que luy fut prince le dit jour pour les archiers du gouverneur de Champaigne que estoient venus accompaigne ma dite dame livre a luy pour cause que madame ne vouloit que riens se prins III ff. »

18 Ibid., p. 147 : « Item mais livre a Rovre pour le ­commandement exprès de madame le X jour du moys daost a Glaude ­dArmays, chastelain ­dOrba pour bailler a Henri de Vers ung des principaulx chambrier de monseigneur de Bourgoigne pour que il aye pour recommande les afferes de madame envers monseigneur de Bourgoigne son seigneur c flor. »

19 Mémoires de Philippe de Commynes, éd. J. Blanchard, Paris, Lettres gothiques, 2001, livre V, chap. iv, p. 347-348.

20 C. Emerson, Olivier de La Marche and the Rhetoric of Fifteenth-Century Historiography, Woodbridge, Boydell Press, 2004 ; S. Speakman-Sutch, « La réception du Chevalier Délibéré ­dOlivier de la Marche aux xve et xvie siècles », Le Moyen Français, 57-58, 2006, p. 335-350.

21 On trouvera ­lessentiel sur la carrière ­dOlivier de la Marche au service des ducs de Bourgogne, dans H. Stein, Olivier de La Marche, historien, poète et diplomate bourguignon, Bruxelles, Hayez/Paris, Picard, 1888.

22 F. de Gingins La Sarra, Dépêches des ambassadeurs milanais sur les campagnes de Charles le Hardi, duc de Bourgogne, de 1474 à 1477, Paris-Genève, Joël Cherbuliez libraire, 1858, 2 vol., t. II, p. 283 : « Ha facto gran difficulta a partire, e heri sera se inzenocchio nanzi a pto S. suplicando li soprasedesse fino facto la bataglia, ala quale essendo vicina e lui cavaliere trovatose a tante bataglie saria dicto e stimato partisse per paura e vilta, e sariali carico di honore, et per questo tardaria volontieri fino facta la bataglia. » (Panigarola au duc de Milan-Morat, 20 juin 1476)

23 Gingins La Sarra, Dépêches, t. II, p. 197 : « Mro Matheo mi a dicto che laltra sera pto diceva ad monsr di la Marchia stesse ­con la S. V. 12 o 15 di al piu se vedeva effecto di la riquesta fara. Si minus si levasse e venisse via, se vedesse essere menato in longo et per parole dilatata la materia » (Panigarola – Lausanne, le 28 mai 1476)

24 Mémoires ­dOlivier de la Marche, t. III, p. 235.

25 Ibid., p. 236.

26 Sur la fonction de capitaine de la garde incarnée par Olivier de la Marche, voir F. Viltart & B. Schnerb, « Olivier de la Marche et la garde du duc Charles de Bourgogne (1473-1477) », Publications du Centre Européen ­dÉtudes Bourguignonnes, no 43, 2003, p. 125-136.

27 Mémoires ­dOlivier de la Marche t. I, chap. xxi.

28 Le jeune Philibert aurait été ­confié à la garde du capitaine Ludovic Tagliant, issu ­dune famille noble de la ville ­dIvrée, seigneur de Saint-Hilaire en Bourgogne, mais sujet de la Maison de Savoie. Ce dernier aurait relâché son prisonnier pour le ­confier aux sires de la Forêt et de Menthon qui ramenèrent le jeune prince à Genève. Voir F. Gingins La Sarra, Épisodes de la guerre de Bourgogne (1474-1476), Lausanne, Libraire de Georges Bridel, 1850, p. 242.

29 Voir par exemple les suites de la prise de Pont-à-Mousson à ­lautomne 1476 durant lesquelles « Olivier de la Marche et ceux de sa route [] chargèrent sur eulx [les ennemis en déroute] tant rudement ­quilz les deffirent et ramenèrent vivres et prisonniers à ­lost du duc Charles ». Jean Molinet, Chroniques, éd. O. Jodogne, Académie royale de Belgique, 3 vol., Bruxelles, 1935-1937, t. I, p. 153, cité dans F. Viltart & B. Schnerb, « Olivier de la Marche », p. 134.

30 Sur Claude De Neufchâtel et son rôle pendant les guerres de Bourgogne, voir ­lintroduction de Werner Paravicini dans le « Recueil du Fay ». Die Briefsammlung des Claude de Neufchâtel zur Geschichte Karls des Kühnen, 1474-1477 (1505), éd. P. Ehm-Schnocks & H. Von Seggern, Ostfildern, Jan Thorbecke Verlag, 2003.

31 Mémoires ­dOlivier de la Marche, t. III, chap. v, p. 208.

32 Ch. Duvernoy, Éphémérides du ­comté de Montbéliard, Besançon, Imprimerie de Charles Deis, 1832, p. 171. Henri de Montbéliard fut gardé prisonnier à Boulogne-sur-Mer, ­jusquà la mort du Téméraire, date à laquelle il fut libéré, sain de corps mais non ­desprit – ­lépisode ­layant passablement bouleversé.

33 Sur les règles éthiques ­dOlivier de la Marche, voir J. Devaux, « Olivier de la Marche, moraliste et pédagogue », Publications du Centre Européen ­dÉtudes Bourguignonnes, no 43, 2003, p. 29-43.

34 Gingins la Sarra, Dépêches, t. II, p. 326.

35 Ibid., « Et ali giorni passati hanno visto lamore, fede et carita, che prefata Madama et tutta questa Savoya portava a prefato Duca, et Lui reciproce monstrava de portare a prefata Madama ; ali Sri suoi filioli et a questo Stato, et poy gli ha facto questo ingano ».

36 Voir les détails et les sources de cet épisode dans F. Gingins La Sarraz, Épisodes des guerres de Bourgogne, p. 243-244.

37 Diebold Schilling, Amtliche Berner Chronik (1478-1483), vol. 3 (Burgerbibliothek, Berne, Mdd.h.h.I.3, p. 801). On pourra accéder à cette image grâce au site e-codices (https://www.e-codices.unifr.ch/fr/bbb/Mss-hh-I0003/801/0/Sequence-49). Je remercie Morgane Bon qui travaille actuellement sur ce document à Lille sous la direction de Bertrand Schnerb, pour les échanges ­dinformations que nous avons eus à ce sujet.

38 Jean Molinet, Chroniques, t. I, p. 276.

39 Mémoires de Philippe de Commynes, livre V, chap. iv, p. 348.

40 Mémoires de Philippe de Commynes, livre V, chap. iv, p. 349.

41 Je remercie vivement Daniela Cereia pour ­mavoir ­confié son travail inédit de doctorat : Percorso politico di un cadetto : Filippo di Bresse, poi duca di Savoia, 2008.

42 Sur ce sujet, voir les réflexions de R. Brown-Grant, French Romance of the Later Middle Ages. Gender, Morality and Desire, Oxford, Oxford University Press, 2008.

43 Mémoire de Jean ­dAuffay (1477-1478), ADN, B1612, fol. 12v.