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Classiques Garnier

Histoire des sciences et science dans l’histoire Notes sur le lexique scientifique dans les quatre premiers livres du Miroir historial (vers 1330)

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes / Journal of Medieval and Humanistic Studies
    2014 – 1, n° 27
    . varia
  • Auteur : Cavagna (Mattia)
  • Résumé : La traduction, réalisée par Jean de Vignay autour de 1330, du Speculum historiale, célèbre encyclopédie latine, ­n’a presque jamais retenu ­l’attention des spécialistes du lexique scientifique. Cela tient à la fois à son titre, renvoyant à la matière historique, et au fait ­qu’il ­s’agit ­d’un texte en large partie inédit. La présente ­contribution, réalisée en marge à ­l’édition du Miroir historial, ­comprend un premier relevé du vocabulaire scientifique employé par Jean de Vignay ainsi que par le réviseur qui a repris sa traduction autour de 1350, et un travail ­d’identification des sources scientifiques, arabes et occidentales.
  • Pages : 199 à 233
  • Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes - Journal of Medieval and Humanistic Studies
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782812435164
  • ISBN : 978-2-8124-3516-4
  • ISSN : 2273-0893
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-3516-4.p.0199
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 02/03/2015
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
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Histoire des sciences
et science dans lhistoire

Notes sur le lexique scientifique dans les quatre premiers livres du Miroir historial (vers 1330)1

Introduction

Le Speculum naturale, premier volet de la grande encyclopédie compilée par Vincent de Beauvais au milieu du xiiie siècle, est lune des principales sources pour lhistoire des sciences et a attiré, à juste titre, lattention des spécialistes des sciences naturelles, de la médecine, de lastronomie, de la météorologie et de bien dautres disciplines scientifiques au sens large du terme. Malheureusement pour les romanistes, à la différence dautres encyclopédies consacrées à la natura rerum, comme celles de Barthélémy lAnglais (achevée entre 1230 et 1240) et de Thomas de Cantimpré (première rédaction achevée vers 1237-1240) le Speculum naturale (SN) na jamais été traduit en français2.

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Lorsque, autour de lannée 1330, Jean de Vignay porte son attention sur lencyclopédie de Vincent de Beauvais, il traduit seulement le second de ses trois volets, à savoir le Speculum historiale (SH). Pour rappel, le troisième volet est le Speculum doctrinale (SD), consacré aux sciences et aux arts. Le choix du traducteur se comprend facilement : le volet historiale est de loin le plus repandu, la matière est moins technique et plus accessible au public laïc auquel la traduction se destine, et finalement les aspects scientifiques passent au second plan par rapport à la visée politique et morale de son entreprise3. Le SN et le SD restent donc sans traduction et il nest pas surprenant de constater que le Miroir historial (MH) na (presque) jamais attiré lattention des spécialistes du lexique scientifique4.

Pourtant, les quatre premiers livres du MH – dont je viens tout juste dachéver lédition – offrent un terrain denquête tout à fait intéressant à cet égard. La première moitié du livre II, en particulier, constitue un compendium très abrégé du SN (dans sa première rédaction, la version bifaria, notée SNb). Selon le schéma hiérarchisé adopté par plusieurs encyclopédies médiévales, Vincent de Beauvais y passe en revue les différents moments de la Création, ce qui constitue loccasion pour des développements sur la théologie et la nature5. Cela dit, dans les chapitres plus proprement historiques, le compilateur témoigne également de son intérêt pour la science et pour les aspects techniques liés aux différentes circonstances culturelles évoquées. Ainsi, aux livres III et IV, Jean de Vignay est confronté à une série de termes qui nont pas déquivalent en français et quil sefforce de traduire à travers des emprunts, voire des néologismes que les dictionnaires ont relévé dans des textes bien plus tardifs.

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La présente étude lexicologique affiche moins un caractère exhaustif quun but exploratoire puisque la masse de données que le MH met à la disposition du chercheur, même dans une portion limitée à quatre livres, devrait faire lobjet dune monographie. Mon relévé procède par champs lexicaux thématiques en fonction des domaines traités, en lien direct avec lorganisation de la matière. Avant daborder lanalyse lexicologique, je souhaite attirer lattention sur deux aspects préliminaires qui permettent de mieux contextualiser mon corpus de recherche, à savoir en amont, par rapport à la question des sources, et en aval, par rapport à la tradition textuelle et manuscrite du MH, notamment à sa version révisée.

Jeu de miroirs : dun speculum à lautre

Comme je viens de le dire, la première moitié du livre II du SH – comprenant les chapitres 1 à 55 – a été compilée à partir dextraits tirés du SN dans sa première rédaction, la version bifaria (SNb), contenant à la fois la matière naturelle et doctrinale6. Il sagit moins dun résumé que dun compendium, à savoir une compilation dextraits sélectionnés. Vincent de Beauvais utilise le volet naturale de son encyclopédie comme une sorte de florilège dans lequel il puise librement et surtout consciemment en sélectionnant les auctoritates quil juge incontournables.

Les sources du SN et du SD ont été répertoriées par Isabelle Draelants qui a dépouillé tous les livres sur la nature contenus dans les deux volets de lencyclopédie7. Le travail didentification des sources du SH, en

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revanche, est loin davoir abouti même si je lai réalisé, en partie, en marge de mon édition. Pour la première moitié du livre II, en particulier, cette opération se heurte à une difficulté pratique puisque dans le processus de « transfert » du SN au SH les mentions des sources disparaissent. De plus, SNb na été conservé quen partie et seulement à létat manuscrit, ce qui complique la tâche. Et pourtant, lidentification de ces sources « occultes » du SH revêt une importance capitale car, comme jessaierai de le montrer dans cet article, elles doivent être considérées comme des auctoritates selectae : au moment de rédiger sa dernière version de lhistoriale, Vincent de Beauvais ne retient que les textes et les auteurs quil juge incontournables.

Voici un schéma résumant le transfert des données dun miroir à lautre. Dans les deux colonnes de gauche jindique le contenu des différents chapitres, ou groupes de chapitres, du SH (version trifaria)8. La troisième colonne renvoie à la matière du SNb, que jai consulté daprès les deux seuls manuscrits conservés (Bruxelles, KBR 18465 et 9152)9. La colonne de droite renvoie au contenu des SN et SD (version trifaria), daprès lédition Douai de 1624.

Contenu

SH, l. II

SNb

SN/SD

Dieu et la Trinité

1-7

SNb II

SN I

La création du monde : fondements théologiques

8

SNb III, 1

SN I, 19

La création et la nature des anges, la chute des anges rebelles

9-15

SNb III, 58-88

SN, I et II

La matière sans forme, explication des six jours de la création selon la Genèse

16-18

SNb III, 24-31

SN II

Premier jour de la Création : la lumière

19

SNb III

SN II, 32-38

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Deuxième jour : le firmament

20

SNb IV

SN III

Troisième jour : leau

21

SNb V

SN V

Troisième jour : la terre, les herbes

22

SNb VI

SN IX

Troisième jour : les arbres et les fruits

23-24

SNb VII

SN XII

Quatrième jour : le soleil, la lune, les étoiles

25

SNb VIII

SN XV

Cinquième jour : les oiseaux

26

SNb IX

SN XVI

Cinquième jour : les poissons

27

SNb IX

SN XVII

Sixième jour : les mammifères

28

SNb X

SN XVIII

Sixième jour : les serpents

29

SNb X

SN XX

Sixième jour : lhomme, description du corps (anatomie)

30-32

SNb XIII

SN XXVIII, XXIII

Lhomme, description de lâme

33-41

SNb XII

SN, XXIV

Les péchés

42-48

SNb XIV-XV

SN XXX, SD I

Les vertus théologales et cardinales

49-52

-

-

Les sciences données à lhomme comme remède à ses malheurs

53-55

SNb XVIII

SD I, XV, XVI

Quoique succinct, ce schéma permet de situer les extraits qui seront analysés dans les chapitres qui suivent. On notera, tout dabord que le SH suit assez fidèlement lorganisation de la matière du SNb ; il y a pourtant quelques écarts notables. Tout dabord, le deuxième et le troisième groupe de chapitres, concernant les anges et le premier jour de la création, sont intervertis par rapport à lordre du SNb. Cela permet de mieux distinguer, dans le SH, la matière plus proprement spéculative de la dimension créationniste. Ensuite, concernant la création de lhomme, la dimension matérielle, et donc anatomique précède la dimension spirituelle. Dans le SNb, au contraire, le livre XII, sur les vertus de lâme, précède le livre XIII, consacré à la description du corps (cf. ci-dessous par. 4). Finalement, on notera que les trois chapitres, concernant les sciences, ont disparu de la version trifaria du SN pour être accueillis dans le SD (cf. ci-dessous par. 5). Pour les trois chapitres sur les vertu (49-52), en revanche, je nai pas trouvé déquivalent dans les autres specula. Ils proposent un développement sur les articles de la foi et sur les autres vertus théologales et cardinales et semblent inspirés, en partie, des Sentences de Pierre Lombard (III, 23, 31 et 33).

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Au chapitre 56 du livre II, la voix du compilateur met finalement en marche le dispositif chronologique : nunc ad hystoriam per volumina temporum explicandam transeamus. Sensuit le récit de lexile dAdam et Eve qui sont chassés du paradis et le restant du livre de la Genèse (les sources citées sont Jérôme, Augustin, Flavius Josèphe). Mais bientôt, la perspective chronologique sarrête à nouveau car lépisode du déluge universel offre loccasion pour de longs développements géographiques sur les trois parties de la terre (chap. 62) avec une attention tout particulière pour lAsie et les merveilles de lOrient (chap. 63-70) et pour les îles de lOcéan qui entoure le monde (78-83). Sensuit une série de chapitres à caractère ethnographique sur les mœurs étranges des peuples lointains (86-95). Là aussi, on note un jeu de reprises avec le SN, mais cette fois-ci seulement dans la version trifaria (fin du livre XXXI et XXXII, chap. 1-21). Au chapitre 96, la voix du compilateur nous ramène à la narration historique : nunc ad hystoriam redeamus. Sensuit lhistoire des antiques civilisations chiite, égyptienne, assyrienne etc. Les sources principales sont Justin et Eusèbe, Orose, Pierre le Mangeur.

La traduction du MH et sa version révisée

Un dernier point dintérêt propre à cette enquête concerne la tradition textuelle et manuscrite du MH. Vers le milieu du xive siècle, la traduction Jean de Vignay a subi un processus de révision qui porte souvent – mais non exclusivement – sur des termes techniques, rares ou dialectaux. La version révisée contribue ainsi de manière déterminante à enrichir notre perception du lexique vernaculaire dans son développement. Daprès lhypothèse que jai formulée récemment, le réviseur anonyme a travaillé directement sur le manuscrit original issu de la plume de Jean de Vignay, en ajoutant ses corrections et ses gloses sous forme de notes marginales10. Cette révision a laissé des traces, de teneur très différente,

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dans les manuscrits A1-A1 (Leyde, BR, Voss. Gall. Fol.3.A), daté de 1332, et Or1 (Paris, BnF, fr. 312), copié à Paris en 1396.

Le premier manuscrit est identifié par deux sigles puisquil conserve deux couches décriture. La première copie a été effectuée par une série de scribes en 1332 sur base du texte original (le sigle A1 renvoie aux parties du manuscrit conservant cette copie). À la deuxième moitié du xive siècle, un copiste qui reste à identifier a pris la peine de transférer sur ce manuscrit la plupart – mais non la totalité – des révisions effectuées sur le manuscrit original de lauteur. Il a raturé de très nombreuses portions de texte de longueur inégale – parfois un seul caractère parfois une colonne tout entière – et a réécrit le texte dans une graphie très soignée quoique, parfois, très riche en abréviations (le sigle A1 renvoie aux parties du manuscrit conservant le texte corrigé).

Le deuxième manuscrit, Or1, en revanche, a été entièrement copié en 1396 par un seul copiste, Raoulet dOrléans, qui a noté son nom dans le colophon. La collation que jai opérée montre que ce copiste hésite souvent entre la traduction originale de Jean de Vignay et la version révisée : souvent, au lieu de remplacer un mot ou un segment de texte par le segment révisé, il cumule erronément les deux leçons en produisant une sorte de texte hybride11.

Le restant de la tradition manuscrite qui conserve les quatre premiers livres du MH ne présente pas de traces de cette révision. En fait, sept autres témoins du texte forment une même famille, beta, issue du manuscrit J1 (BNF, fr. 316), daté de 1333, qui par ailleurs est le manuscrit de base de notre édition12.

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Vocabulaire théologique et philosophique

Mon relevé lexicologique souvre sur une série de mots employés dans le domaine de la théologie spéculative.

essenciaument, presentement / presenciaument

Le chapitre 7 du livre II, intitulé Qualiter Deus sit in rebus, insiste sur le fait que toutes les créatures reflètent leur Créateur, selon le principe même qui se situe au fondement du mot speculum13. Il est tiré du SNb livre II, 93 (> SN livre XXIX, 19) qui, à son tour, reprend certains passages de Pierre Lombard (Sentences, I, 37.1-4). Voici un passage particulièrement riche à légard de la formation lexicale :

Sciendum est igitur quod Deus incommutabiliter in se existens, presentialiter, essentialiter, potentialiter est in omni natura sine sui diffinitione, et in omni loco sine circumscriptione, et in omni tempore sine sui mutabilitate. Et preterea in sanctis spiritibus et animalibus est excellentius scilicet per gratiam in sanctis spiritibus inhabitans, et in homine Christo excellentissime scilicet non per gratiam adoptionis sed per gratiam unionis. (SH)

« Il est assavoir que Dieu est en lui sanz remuer, essenciaument, presentement et poissanment et en toute nature il est sanz nule diffinicion de lui, en tout temps sanz nulle muableté, en tout lieu sanz nule circonscription. Et avec ce il est es esperiz et es ames tres excellentement, habitant par grace en homme tres excellentement non pas par grace de adopcion, mes par grace de unicion. » (MH)

Cet extrait offre un bon exemple de la technique de traduction propre à Jean de Vignay. Le texte latin souvre sur une série dadverbes que le traducteur ne traite pas de la même manière. Le premier, incommutabiliter « dune façon immuable » est traduit analytiquement par le groupe sanz remuer, alors que les trois autres sont traduits selon le principe de la formation adverbiale sur base des adjectifs. Jean de Vignay traduit les formes adjectivales qui constituent les radicaux et remplace les suffixes adverbiaux latins en –aliter par les suffixes français en –(e)ment.

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Ladverbe essenciaument, forgé sur essencial traduit essentialiter, « par essence ». Il est déjà attesté dans un contexte théologique (Dial. S. Grégoire), mais connaît très peu dautres attestations avant la deuxième moitié du xive siècle (TL IIIb, 1301 s.v. essencïal/essencïalment ; DMF, s.v. essentiellement ; FEW III, 247a s.v. essentia)14.

Ladverbe presentialiter est traduit ici par presentement et plus loin dans le même chapitre par presenciaument. Le premier est formé sur base de ladj. féminin presente, le deuxième sur une forme hypothétique épicène *presencial ou *presenciel. Les deux termes reflètent bien la signification de la source, à savoir « en présence », « en étant présent ». Les dictionnaires attestent la forme presencialment, en ce sens, chez Brunet Latin (Gdf VI, 389a, s.v. presencialment, TL VII-2, 1790, s.v. presencïalment). Parmi les rares attestations du mot au xive siècle, DMF, s.v. présencialement, renvoie à la Légende Dorée traduite par le même Jean de Vignay (révision de Jean Batallier, ms. BNF fr. 241, a.1348). On notera quil faut bien le distinguer de ladverbe qui signifie tout simplement « maintenant », cf. ANDi s.v. presentement2.

circonscription, adopcion, unicion

Trois substantifs méritent également dêtre soulignés, à savoir les emprunts circonscription (< circumscriptione), adopcion (< adoptionis) et surtout unicion (< unionis). Le premier connaît une attestation isolée au xiiie siècle, plus précisément dans la traduction des Homélies de Grégoire le Grand sur Ézéchiel au sens de « ce qui limite létendue dun corps » (Gdf IV, 97a, s.v. circonscription ; TL II, 439, s.v. circonscripcïon). Par la suite, après notre texte, il se retrouve dans la traduction de lEthique dAristote par Nicole Oresme (le sens spécifique de délimitation territoriale est beaucoup plus tardif, cf. TLFi, s.v. circonscription). Le terme adopcion est également attesté dès lancien français dans un contexte religieux pour

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désigner le rapport entre Dieu et les hommes (TLFi, s.v.). Le terme unicion, en revanche, ne connaît quune autre attestation en dehors de notre texte, sous la graphie unition, dans la traduction de la Chirurgia de Bruno da Longoburgo15 (xve siècle) où il prend le sens de « action de réduire une fracture ». FEW (XIV, 48a, s.v. unire) le considère comme un hapax. Le MH fournit la plus ancienne des deux seules attestations de ce mot. Le latin unio, unionis du SH aurait pu être traduit par union, mot attesté à partir de 1220 (Gdf X, 822c) et employé plus loin dans le texte. Cela dit, le terme unitio est également attesté en latin médiéval. DuCangei le définit par le subst. conjunctio et Niermeyer (1051a, s.v.) par « laction de rendre un16 ». Lexemplaire du SH utilisé par Jean de Vignay proposait-il unitio à la place de unio ? Quoi quil en soit, la solution proposée par le traducteur ne semble pas le fruit du hasard. Bien au contraire, le mot unicion est parfaitement approprié dans ce contexte : il sagit en effet dinsister sur la dimension physique de lunion entre Dieu et lhomme, union qui renvoie à lIncarnation du Christ. On notera, finalement, que le terme union se retrouve plus loin, au chap. 16 du livre II, dans un contexte météorologique où il est question de la formation des quatre éléments (cf. ci-dessous, par. 2). Il intervient dans la traduction du couplet concordia et communione rendu par une concorde et une union.

desestable

Au premier chapitre du livre II, consacré aux différentes définitions de Dieu, on trouve le syntagme nominal motus instabilis (source : Augustin, Soliloquia, I, 2-4, par le biais de SNb II, 6) qui a été traduite par mouvement desestable (leçon de J1). La traduction de ladj. instabilis par desestable mérite quon sy attarde pour plusieurs raisons. Tout dabord, les (rares) attestations de ce terme font pencher pour un régionalisme normand ou anglo-normand (ANDi, s.v.)17. Ensuite, le mot a été supprimé par le

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réviseur qui la remplacé par la forme analytique non estable (révision accueillie par A1 et Or1). Le réviseur semble ainsi anticiper la destinée de ce néologisme qui na pas été lexicalisé et qui, au xve siècle, semble déjà avoir été remplacé par son concurrant instable (DEAF, I 314 s.v.).

intellectuel, incorporel

Au chapitre 9, relatant la création des anges, on relève les adjectifs intellectuel et incorporel. Voici un passage reprenant Jean Damascène (De Fide orthodoxa, XVII, 2), par le biais de SNb III, 15 (> SN livre I, 29).

Prima ymago Dei angelus est scilicet substantia intellectualis semper mobilis, arbitrio libera, incorporea. (SH)

« Le premier ymage de Dieu est angre, cest assavoir sustance intellectuel touzjors mouble, de franche volenté, incorporel. » (MH)

Ladj. intellectuel nest attesté, avant notre texte, que chez Brunet Latin (DEAF I, 336 s.v.) et par la suite chez Nicole Oresme et Evrart de Conty (DMF, s.v. ; FEW IV, 737a s.v. intellectualis ; TLFi, s.v.). Ladj. incorporel est un peu plus répandu, mais reste tout de même assez rare avant la deuxième moitié du xive siècle (DEAF I, 184 s.v.).

resourdement

Le chapitre 12, consacré aux hiérachies angéliques, est une reprise de SNb III, 68 (> SN I, 50) où Vincent de Beauvais cite comme source Jean Scot, traducteur de la Hiérarchie céleste de Denys le Pseudo-Aéropagite18. On note tout dabord que Jean de Vignay conserve tels quels trois mots latins calqués sur le grec, à savoir epyfania, yperfania et ypofania. Le premier des trois termes est ensuite expliqué comme suit :

Epifania igitur est superior manifestatio ministeriis incalescentis affectionis, altioris intuitus, iudiciique lib(e)ra19, resultatio distributa. (SH)

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« Epyphania est la souveraine manifestacion des misteres et est regart eschauffant de la plus haute affection et balence de jugement, resourdement distribué. » (MH)

Le substantif resourdement est attesté à partir du xiiie siècle au sens de « résurrection », notamment dans un texte normand, le Bestiaire divin de Guillaume le clerc (Best.Guill, 2155). Les dictionnaires consultés relèvent deux attestations dans lOvide moralisé où le mot prend le même sens (Gdf VII, 106c, s.v. resordement ; TL VIII, 1029, s.v. resordre ; FEW X, 327b, s.v. resurgere). Dans notre texte, le mot traduit le latin resultatio. Il sagit donc dun hapax sémantique qui doit être rapproché de la forme sourdement, attestée pour la première fois dans le MH (livre XIV, chap. 40) au sens de « action de sourdre » (Gdf VII, 526, s.v. sourdement ; TL IX, 882, s.v. sordemant ; FEWXII, 460a s.v. surgere). DMF en atteste une autre occurrence à la toute fin du xve siècle. Le mot se trouve dans un lexique trilingue breton-latin-français, le Catholicon de Jean Lagadeuc (imprimé en 1499), où il participe à la définition du latin scaturigo : sourdement deaue.

atome

Pour conclure ce premier excursus, je noterai que le livre IV propose une série de chapitres sur les philosophes anciens et sur leurs doctrines. La richesse et la densité lexicale dans la traduction de Jean de Vignay mériterait une étude très approfondie. Je me contenterai ici de relever, au chapitre 32, lune des premières attestation en français du terme atome, traduisant le latin athomus qui, à son tour, est un emprunt au grec a-tomos (avec a- initial privatif, littéralement « quon ne peut couper, indivisible »). SH mentionne la physique dÉpicure, fondée sur latomisme de Démocrite, selon laquelle la réalité sensible est composée ex athomis. La première attestation du mot atome remonte à 1270 environ et se trouve dans lIntroductoire dAstronomie (IntrAstrD III 22-24)20. La deuxième occurrence, relevée par FEW (XXV, 672b s.v. atomus) sous la forme athomes, se trouve dans lOvide Moralisé (livre XIV, v. 953)21.

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Mis à part ces deux occurrences, et celle du MH, le terme nest attesté quaprès le milieu du xive siècle, notamment chez les traducteurs Raoul de Presles, Nicole Oresme, Jean Corbechon (Gdf VIII, 230a s.v. ; DMF, s.v. ; TLFi, s.v.).

Météorologie

Le chapitre 16 du livre II, intitulé De materia informi huius mundi sensibilis (De la matiere sanz fourme de ce monde) évoque la création des quatre éléments à partir de la matière primordiale qui, dans la traduction, conserve la forme grecque ylen (hûlen). La source de ce premier passage, reprise par le biais de SNb III, 24 (> SN II, 4), est Isidore de Séville, (Etymologiae, XIII, 3.1).

sengle, descordable

Par la suite, il est question des propriétés individuelles de chacun des éléments. Ici la source retenue est Honorius Augustodunensis (Imago Mundi, I, 3). Avant de passer en revue leurs proprietés individuelles, le texte explique que le quatre éléments ne peuvent pas se mêler :

Quapropter omnia elementa omnibus insunt, sed unumquodque eorum ex eo quod amplius habet accepit vocabulum, hec singula propriis qualitatibus quasi quibusdam brachiis se invicem tenent et discordem sui naturam concordi federe vicissim commiscent. (SH)

« Pour quoi touz les elemenz sont ensemble, mes chascun des elemenz selonc ce que il a plus prent un mot en ses sengles propres qualitez, aussi comme sil sentretenissent as propres braz et leur nature descordable vousissent acorder ensemble par aliance prochaine soi entremellanz. » (MH)

On note que le groupe singula propriis qualitatibus est traduit par en ses sengles propres qualitez. Le subst. latin au neutre pluriel singula devient en français un adjectif féminin accordé à qualitez. Ladj. est attesté au xiiie siècle au sens de « seul, isolé », semantisme qui semble convenir pour notre texte, où il fonctionne en couplet synonymique avec ladj. propre (Gdf VII, 305 s.v. sangle2 ; TL IX, 146, s.v. sangle ; DMF, s.v. sangle2 ;

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FEW XI, 647b, s.v. singulus). La deuxième partie du passage insiste sur la concordia discors : tout en conservant intactes leurs qualités respectives, les quatre éléments peuvent sallier à linstar de deux hommes qui se tiennent bras dessus, bras dessous. On notera surtout ladj. descordable qui se rapporte à la nature des éléments et qui exprime notamment leur impossibilité de fusionner. On pourrait le traduire par « incompatible » ou tout simplement par « discordant », définition qui pourrait correspondre à « nicht im Einklang stehend, im Widersprich stehend » de TL II,1529 qui donne une première attestation de la fin du xiie. Mis à part cette attestation, en ancien français, le terme se rapporte toujours à des êtres animés et prend alors le sens de « querelleur » (Gdf II, 565c, s.v. ; FEW III, 92a, s.v. discordare). Le sens abstrait quil prend dans notre texte est surtout attesté à partir du milieu du xive siècle, notamment chez Nicole Oresme (DMF, s.v.).

fumosité

Au chapitre 20, évoquant le deuxième jour de la Création, le texte explique le phénomène de la pluie, notamment à travers la théorie des exhalaisons telluriques. La source retenue, par le biais de SNb IV, 8, est Augustin, De Genesi ad Litteram, II, 4.8, (probablement daprès Pierre Lombard, II, 14.4) :

Augustinus super Genesim dicit eas posse vaporaliter trahi et levissimis guttis suspendi sicut aer iste nubilosus exhalatione terre aquas vaporabiliter trahit et per subtiles minutias suspendit et postea corpulentius conglobatas pluvialiter refundit. (SH)

« Et Augustin dit sus le Genesy que le ciel les atrait aprés li en vapeurs par tres legieres goutes aussi comme lair anuble par la fumosité de la terre trait a soi les yaues en vapeurs et les amenuise soutilment par pieces pendantes et, aprés que il sont assemblees par aucunes porretures, il les respant en pluies. » (MH)

On notera tout dabord la traduction du groupe aer nubilosus par lair anuble où ladjectif anuble « couvert de nuages », sonne ici comme un archaïsme. En effet, il semble assez bien attesté en ancien français alors quil se fait rare dès le xive siècle (Gdf I, 302c, s.v. anuble, et anublé ; III, 208c, ennuble ; TL III-1, 694, s.v. enuble ; DMF, s.v. ennuble ; FEW VII, 221b, s.v. nubilus). Le substantif exhalatio (exhalatione terre) est traduit par fumosité, un terme emprunté au domaine médical où il désigne les vapeurs nocives qui sengendrent dans les organes vitaux ou bien tout

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simplement les flatulences. Il est notamment attesté, au xiiie siècle, dans le Livre des simples Medecines (LSimpleMedD 22, 413, 453) et ensuite dans la traduction anonyme de la Chirurgia dHenri de Mondeville (84, 125). Au xiiie siècle, il est également attesté dans lIntroductoire dastronomie (IntrAstrD II, 19) et cest à partir de la deuxième moitié du xive siècle quil est surtout employé dans les textes traitant de météorologie, surtout chez Evrart de Conty22 (Gdf IV ; 182a s.v. ; TL III-2, 2355, s.v. ; DMF, s.v. ; FEW III, 854a, s.v. fumus).

impression (de lair)

Au chapitre 53, Vincent de Beauvais mentionne une série douvrages dAristote (cf. ci-dessous, par. 5). Lorsquil mentionne la Météorologie, il se préoccupe den définir le contenu :

in libro Metheororum ubi Aristotiles determinat de impressionibus aeris et de generatione grandinis et nivis. (SH)

« … el livre de Metheores, el quel Aristote determine des impressions de lair et de lengendrement de la pluie et de la noif. » (MH)

Comme la expliqué Danielle Jacquart, lexpression latine impressio aeris, voire même le mot impressio (aeris étant parfois sous-entendu) désigne un phénomène atmosphérique23. Cette expression, explique-t-elle, porte la trace de la tradition arabe qui a joué le rôle dintermédiaire dans le transfert des œuvres dArisote. Pour indiquer les phénomènes atmosphériques, les traducteurs arabes utilisent le mot al-atar, signifiant précisément « trace », « marque » : cela explique lorigine du mot latin impressio, utilisé par le premier traducteur des Météorologiques Gérard de Crémone à la fin du xiie siècle. Le terme se trouve aussi dans le Roman de la Rose (RosemLangl 18935), précisément dans un développement météorologique concernant lalternance des saisons.

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Dans le domaine latin, ce terme a fait lobjet dune discussion de la part dAlbert le Grand qui insiste sur ses implications symboliques : le terme impressio, dit-il dans ses Libri meteororum, suppose une influence céleste et suggère donc une interférence entre les phénomènes naturels et lintervention divine24. Le mot occupe en somme une place tout à fait notable et surtout tout à fait cohérente dans la synthèse de Vincent de Beauvais qui se situe, on le rappelle, dans le contexte de la Création.

Dans sa traduction française, Jean de Vignay utilise le terme Metheores pour le titre de louvrage dAristote et calque, tout naturellement, le latin impressio par impressions. Comme le note Joëlle Ducos, le terme impression, à côté de emprainture, se généralise dans le vocabulaire météorologique français du xive siècle et se retrouve notamment chez Evrart de Conty et Nicole Oresme25. De toute évidence, Jean de Vignay mérite dêtre accueilli parmi les traducteurs qui ont contribué au développement de ce lexique.

Zoologie

Les chapitres 26 à 29 du livre II sont consacrés aux animaux. Conformément à lordre de la création, sont dabord présentés ceux qui habitent le ciel et leau, les oiseaux et les poissons et ensuite les mammifères et les serpents, destinés à peupler la terre avant larrivée de lhomme. Le choix est très sélectif et les passages du SNb retenus (livres IX et X) sont essentiellement tirés de lHistoria naturalis de Pline lAncien26.

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Quant au MH, on est assez surpris de constater que Jean de Vignay ne connaît guère cet auteur et son œuvre. Sa traduction en témoigne à partir dun passage du Libellus apologeticus, le premier livre du SH qui est aussi le prologue général de lencyclopédie. Au chapitre 4, Vincent de Beauvais mentionne plusieurs sources quil a exploitées. La mention Plinium, De historia naturali est traduite en français par Perlin, Des hystoires materiaus. La faute est certainement liée à une mauvaise lecture du texte latin : il est facile dimaginer que Jean de Vignay a cru reconnaître un signe dabréviation dans le P- initial de Plinius, doù la traduction Perlin (traduction qui, hélas, revient aussi au livre II chap. 27). Quant au titre de lœuvre, lerreur tient à la proximité graphique entre naturali et materiali.

Le réviseur a bien repéré cette erreur et a modifié le titre en Plinien, Des hystoires natureles. Le copiste-correcteur du ms. A1 transcrit la correction telle quelle alors que le copiste du ms. Or1 introduit la leçon, également erronée, Plinien, Des hystoires machabees. Au chapitre ii, 27, le nom Perlin a été également corrigé par le réviseur mais la correction nest accueillie que par A1, proposant la leçon Plinin, alors que le copiste de Or1 choisit de conserver Perlin. Ces constats, assez étonnants, semblent suggérer que la connaissance de Pline dans le milieu francophone du xive siècle mérite dêtre reconsidérée avec attention. Ce nest quà partir du chap. ii, 131 que Jean de Vignay corrige sa lecture et décide de conserver le nom de lauteur sous la forme latine Plinius.

Quant au lexique animalier, la première remarque porte sur la table des matières du livre II. Le titre du chapitre 29, De reptilibus attire demblée notre attention car Jean de Vignay propose une traduction tout à fait surprenante, à savoir Des choses prenables a la roiz. De toute évidence, il propose une interprétation pseudo-étymologique du mot reptilis quil rattache au paradigme de rete > roiz à savoir « filet » (Gdf X, 583a s.v. roi2 ; TL VIII, 1395, s.v. roi ; DMF, s.v. retz ; FEW X, 329a, s.v. rete). On peut facilement imaginer une lecture du type *reptibilis où le suffixe –ibilis exprime la possibilité : doù la traduction « les choses quil est possible dattraper au filet ». Une telle bévue na pas échappé au réviseur qui a modifié le titre en De toutes manieres de serpens (leçon de A1 et Or1). Par ailleurs, lerreur ne se reproduit plus dans la suite de la traduction :

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toutes les occurrences du mot reptilis, à partir de la rubrique qui précède le chapitre 29, sont ensuite systématiquement traduites par serpens.

Dans la deuxième moitié du livre, au chapitre 83, on trouve un autre exemple de traduction (pseudo-)étymologique. Consacré à la description de la Sardaigne, ce chapitre est tiré dIsidore de Séville (Etym., XIV, 6.40). Vincent de Beauvais y mentionne une araignée venimeuse appelée solifuga (Du Cange, s.v. solifigum animal), terme bien attesté à partir de Pline lAncien, NH VIII, 43 ; Jules Solin, IV, 3 jusquà Gervais de Tilbury (Otia Imperialia II, 12). Ce dernier reprend le même passage dIsidore sur la Sardaigne. Jean de Vignay décompose le terme en ses deux parties et le traduit par le terme fuisoleil. Il va de soi quil sagit dun hapax. Il est intéressant de noter que dans sa traduction des Otia imperialia, généralement considérée comme plus ancienne de celle du Speculum historiale, Jean de Vignay néglige le nom de lanimal et se contente de le désigner par le substantif beste : le passage solifigum animal morsu homines perimens est rendu en français par une beste que si tost conme ele mort I honme il muert27. Dans cette traduction, il semble adopter une attitude plus « prudente » et moins incline à la formation de néologismes.

Daprès Ludmilla Evdokimova (cf. son article dans ce recueil), les traductions (pseudo)étymologiques sont caractéristiques de la technique adoptée par Jean de Vignay ; elle propose même dy reconnaître une sorte de « marque de fabrique » propre à notre traducteur. Ces deux exemples, parmi bien dautres28, semblent confirmer son observation.

Dans dautres cas, la traduction semble suivre une logique purement phonétique. Au chap. 27, consacré aux poissons, le texte latin propose le couple umbre et aurate désignant les ombres et les daurades, ainsi nommées en raison de leur couleur. Jean de Vignay traduit par ombre, avarte. Le nom avarte reste inconnu ailleurs29, mais il peut sinterpréter comme un emprunt déformé au latin aurata, le traducteur ne (re)connaissant pas lespèce ainsi désignée. Signalons par ailleurs que le terme daurade nétait

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pas encore connu à lépoque, puisquil semble faire son apparition dans le premier tiers du xvsiècle (Gdf IX, 275a, s.v. daurade ; TL II, 2029, s.v. doree ; DMF, s.v. daurade ; FEW XXV, 1034a, s.v. aurum ; TLFi, s.v. daurade). Le réviseur est intervenu sur le mot mais ne semble pas non plus connaître les noms des deux poissons. Le manuscrit A1 propose la leçon dombre ou doree qui a toutes ses chances de refléter fidèlement la révision, alors que, comme cest souvent le cas, le copiste de Or1 cumule erronément la version originale et la version révisée en proposant la leçon dambre ou doree avarte.

Dans le même chapitre 27, on trouve un passage qui mérite dêtre analysé plus en détail en raison de sa complexité. Il est tiré de Pline lAncien (Hist. Nat. IX, 16), par le biais de SNb IX, 83, et propose une répartition des animaux aquatiques sur base de leur type de peau. Dans le texte du ms. A1, je souligne les mots qui ont été notés par le correcteur (A1) :

Alia namque corio et pilis teguntur ut vituli et ypotami, alia corio tantum ut delphini, alia cortice ut testudines, alia salicum duricia ut conche et ostree. (SH)

« Quar les uns sont couvers de cuir et de poil comme loirre, autres de cuir seulement comme delfin, autres descorche comme tortue, autre de dure eschaille comme oistres. » (J1)

« Car les uns sont couvers de cuir et de poil comme loirre et cheval diaue, autres de cuir seulement, comme le daufin, autres descorce comme limace, autres de dure escaille comme oitres. » (A1-A1)

« Car les uns sont couvers de cuir et de poil, comme loirre, autres de cuir seulement, comme dalphin, autres descorce comme chevaus dyaue, autres de dure escaille, comme lymace et comme oistres. » (Or1)

Voici un tableau résumant les différentes répartitions proposées par le texte latin et par les trois témoins de la traduction :

type de peau

SH

J1

A1

Or1

cuir et poil

vitulus

ypotamus

loirre

X

loirre

cheval diaue

loirre

cuir

delphinum

delfin

daufin

dalphin

écorce

testudinis

tortue

limace

chevaus dyaue

écailles

conche

ostree

X

oistres

X

oitres

limace

oistres

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On note tout dabord que le latin vitulus, désignant ici un « veau de mer », donc une sorte de phoque, est traduit par loirre, graphie qui indique la « loutre » (TL V, 611, s.v. loire (lotre) ; DMF, s.v. loire1 ; FEW V, 476b, s.v. lutra). Quant aux autres éléments de la liste, il est intéressant de noter que le réviseur a opéré deux interventions dont lune seulement à raison. Daprès la leçon du ms. J1 on note que Jean de Vignay avait négligé de traduire les mots ypotamus « hippopotame » et conche. Le réviseur a traduit le premier, dans une logique étymologique, par cheval diaue (leçon de A1 et Or1) alors que le deuxième reste sans traduction30. Le terme latin ypotamus, version condensé de hippopotamus est emprunté au gr. ιπποποταμος qui signifie justement « cheval du fleuve ». Le mot français est attesté chez Brunet Latin qui propose à la fois lemprunt ypotame (var. ipotame, apotaine) et la traduction étymologique cheval fluviel (Trésor, I, 135). On note ensuite que le terme testudinis est traduit par tortue (leçon du ms. J1). Bien quil soit attesté à partir de la fin du xiie siècle, ce mot reste relativement rare en français médiéval. Il se retrouve notamment chez Brunet Latin (III, 13). Cf. Gdf X, 781b s.v. ; TL X, 463, s.v. tortüe ; DMF, s.v. ; FEW XIII-1, 125a s.v. tartarucus ; TLFi, s.v. Ici lintervention du réviseur est carrément fautive car il remplace le mot tortue par limace, cest-à-dire « escargot ». En effet, le terme testudo est parfois employé en latin médiéval pour indiquer lescargot31, mais visiblement ce nest pas le cas ici, car nous sommes dans un contexte maritime.

Le terme tortue revient au livre IV, chap. 33 à lintérieur du récit, tout à fait amusant et assez célèbre, de la mort du poète Eschyle. Voici le passage en question, dont la source est Valère Maxime (Factorum et Dictorum Memorabilium, IX, 12.2) :

Un aigle volant sus lui, portant une tortue (corrigé en limace, A1) pour mengier la, si resgarda la teste de celui escrivain resplendissante, car ele estoit toute

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wide de cheveulz (= « chauve »). Et pour ce laigle cuida que ce fust une pierre et lessa la tortue cheoir a fin que la coquille froissast por mengier en la char. Et de cele plaie il morut32. (MH)

Il est intéressant de constater que le réviseur intervient sur la première occurrence du terme quil remplace par limace (leçon du ms. A1). Par la suite, il semble sapercevoir de lerreur daprès le contexte – un escargot qui précipite sur le crâne ne suffit probablement pas pour tuer un homme, même sil est dégarni – si bien que la deuxième occurrence est conservée telle quelle33.

Revenons-en à notre passage du livre II pour analyser la solution proposée par le manuscrit Or1. Ici les deux ajouts, le chevaus dyaue et la limace ont changé de place et sont situés dans des catégories qui ne sont pas les leurs. Comment expliquer une telle perturbation textuelle ? Il est évident quelle a été provoquée par la révision opérée sur le modèle de Or1, à savoir, daprès mon hypothèse, dans les marges du manuscrit original issu de la plume de Jean de Vignay34. Loin de gratter ou de barrer les mots à corriger, le réviseur sest contenté de faire des ajouts dans les marges si bien que le copiste de Or1 hésite souvent sur la façon de les accueillir. Ce passage, parmi bien dautres que jai analysés en détail, se situe au fondement de mon hypothèse.

Vocabulaire anatomique et médical

Les chapitres 31-32 du livre II sont consacrées à la création de lhomme et proposent une description fort condensée du corps humain. En comparant les deux versions du SN on se rend compte que la matière anatomique subit une amplification considérable. Dans le SNb, lanatomie humaine occupe le livre XIII tout entier, intitulé De humano corpore et eius

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generatione et habitatione, alors que le SN (la version trifaria) lui consacre les livres XXVIII, intitulé De formatione humani corporis et eius natura et XXXI, De humana generatione. Même si le livre XIII du SNb na pas été conservé, lanalyse du SN nous donne une idée assez précise sur les sources utilisées, tout en sachant que quelques-unes dentre elles ont pu avoir été ajoutées par la suite. Grâce aux travaux dIsabelle Draelants, nous disposons dun relevé exhaustif des sources concernant la matière anatomique, parmi lesquelles il faut citer notamment Aristote, Vitruve, Augustin, Galien, Hippocrate, Isidore, Avicenne, Isaac Israeli, Rhazes, Constantin lAfricain, Raymond de Peñafort35.

Or, il est très intéressant de noter que, face à une telle multitude de sources classiques et médiévales, Vincent de Beauvais choisit de ne retenir, dans son compendium historiale, quun seul texte, à savoir le traité médical Pantegni de Ibn al-Abbas al-Magusi traduit par Constantin lAfricain, notamment dans sa partie Theorica36. Ce traité dorigine arabe semble désormais constituer pour lui la principale référence en matière médicale.

Le choix de Vincent de Beauvais est dautant plus significatif si on le situe dans le contexte culturel du milieu du xiiie siècle, un milieu qui voit lessor parallèle, et donc en partie concurrentiel, du renouvellement de la philosophie naturaliste, grâce à la redécouverte dAristote, et de la science médicale proprement dite, en particulier le savoir dorigine arabe. En reprenant les travaux de Monique Paulmier Foucart37, Iolanda Ventura a bien mis en exergue la concurrence entre deux systèmes de pensée en prenant comme exemple la division des vertus de lâme dans

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la tradition philosophique dorigine aristotélicienne et dans la nouvelle tradition médicale. À la division traditionelle en vis vegetabilis, sensibilis, animalis semble succéder une division secundum medicos en vis naturalis, vitalis et animalis38. Dans le domaine médical, en somme, le savoir hérité du De animalibus dAristote – texte largement cité dans les parties conservées du SNb – passe désormais au deuxième plan par rapport aux sources plus proprement médicales, notamment par lessor de la médicine arabe. Comme on le verra par la suite, Aristote reste pourtant une référence incontournable dans dautres domaines scientifiques, comme la métérologie.

Les chapitres anatomiques du SH ne font que confirmer cette tendance. Le chapitre 32 du livre II, notamment, intitulé De divisionibus membrorum (tiré de SNb XIII, 4) souvre précisément sur la théorie des trois vertus ou fonctions du corps humain selon al-Magusi et Constantin lAfricain. Le traité Pantegni résume les trois vertus ou actions principales du corps humain en animalis, spiritualis (ou bien vitalis), naturalis. Chacune de ces vertus est « régie » par un organe principal : la vertu animalis par le cerveau, la vertu spiritualis par le cœur, la vertu naturalis par le foie et les membres génitaux.

Quant au MH, ce chapitre est dun intérêt capital pour lhistoire du lexique anatomique et médical en langue française. Dans cette première partie on relève tout dabord les trois adjectifs animel (< animalis), espirituel, naturel traduisant les trois fonctions du corps humains. Ensuite on relève les adjectifs generative, engendrable, nutritive. Ce dernier terme en particulier est attesté pour la première fois dans la traduction de la Chirurgia dHenri de Mondeville (29, 335 etc.)39, à savoir quinze ans à peine avant notre texte (cf. TLFi, s.v. nutritif). Plus loin, au chapitre 46, on trouve le groupe vertu du cors conservative (traduisant vis conservativa qui correspond de fait à la vis nutritiva). Daprès les dictionnaires, ladj. conservatif nest jamais attesté avant la deuxième moitié du xive siècle, quand il apparaît chez Nicole Oresme et Evrart de Conty (Gdf IX, 165b s.v. ; DMF, s.v. FEW II-2, 1066a, s.v. conservare, TLFi, s.v.). Tous

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ces emprunts sont forgés selon une pratique, celle de la suffixation, dont nous avons déjà vu plusieurs exemples et que les chercheurs associent généralement aux traducteurs de la deuxième moitié du xive siècle40.

Dans lexplication de la virtus spiritualis et des membres qui lui sont propres, on trouve un passage très riche du point de vue lexical :

Membra spiritualia facta sunt propter spiracula flatus et caloris naturalis conservantia, ut sunt pectus et ejus panniculi, cor, pulmo, cum canalibus suis, fauces, dyafragma et arterie. (SH)

« Les membres esperituex sont faites pour les souspirs, les soufflemens, et pour garder la chaleur de nature, si comme le piz et son estente, comme le cuer, le pommon et leur charnieres, les denz, les joes. » (J)

« … le piz et ses taies comme le cuer, le pomon et leur chaniaus, les cercles et les artieres, les joies  » (A)

« … le pis ses taies comme le cuer, le poumon et leur chaniaux, les joes et les autres membres, le cercle et les arteres » (Or)

Daprès cet extrait, les membres préposés à virtus spiritualis ont la double fonction dassurer la circulation du souffle (spiracula flatus) et de conserver la chaleur naturelle (caloris naturalis conservantia). Dans la traduction française, Jean de Vignay considère spiracula et flatus sur le même plan syntaxique (en effet la forme flatus pourrait être aussi bien un accusatif pluriel alors que cest un génitif), doù la traduction souspirs et soufflements. Le décalage par rapport au texte latin nest pas trop important tant et si bien que le réviseur conserve cette traduction.

En revanche, dans la liste des membres mentionnés on note bien une intervention du réviseur. Le groupe latin pectus et ejus panniculi est traduit par le piz et son estente (leçon de J1) et révisé en le piz et ses taies (A1Or1). Le terme panniculus désigne une « membrane ». Le traducteur dHenri de Mondeville propose le calque pannicles (Chirurgie, 105, 106 etc.) alors que Jean de Vignay sefforce ici de propose une traduction ad sensum à travers le substantif estente, mettant laccent sur « létendue » ou l« extension » de lorgane en question (TL III, 1380, s.v. estente ; DMF, s.v. étente ; FEW III, 326a, s.v. extendere). Le réviseur insère à sa place le substantif taie, désignant toute membrane, dont celle dun organe. Ce terme est donc tout à fait

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approprié et bien attesté dans le domaine médical (TL X, 355, s.v. toie ; DMF, s.v. taie ; FEW XIII-1, 301b, 302b, s.v. theca)41. Par ailleurs, Jean de Vignay lui-même utilise le terme taie un peu plus loin dans le même chapitre (cf. ci-dessous). La fin de lénumération est plus problématique. Les trois parties que cite le latin, fauces, dyafragma et arterie, correspondent à la gorge, au diaphragme et aux artères. Ici, la leçon de J, les denz, les joës, ne trouve pas dexplication satisfaisante. Si les joues peuvent bien correspondre aux fauces il est difficile de comprendre la mention des dents.

Le réviseur insère ici la séquence les cercles et les artieres et nous offre ainsi lune des premières attestation du terme artiere en français médiéval. Il sagit dun emprunt au latin dun terme dorigine grecque gr. artêria (> lat. arteria). Avant cette attestation, on retrouve ce mot dans quelques textes du xiiie siècle, notamment dans les Faits des Romains (1213), dans le Régime du corps dAldobrandin de Sienne, (avant 1268) et dans un glossaire roman conservé à Bruxelles (cf. Gdf VIII, 193a, s.v. artere ; TL I, 554, s.v. artere ; DMF, s.v. artère ; FEW XXV, 367a, s.v. arteria ; TLFi, s.v. artère).

Le terme cercle, à partir de son acception répandue de ligne, a pu désigner le diaphragme. Cela dit, plus loin dans ce même chapitre, le mot dyafraigme connaît lune des premières attestations (cf. ci-dessous) et les dictionnaires ignorent le sens pris ici par cercle : il sagirait alors dun hapax sémantique. On notera, finalement, que la révision produit une perturbation dans le ms. Or1 qui insère le groupe les cercles et les artieres après avoir copié le début de la phrase suivante, et les autres membres, si bien quil est ensuite obligé de le répéter.

Un peu plus loin, dans le même chapitre, lauteur présente le principal des membra spiritualia, à savoir le cœur42. Le passage choisi insiste sur son rôle de réceptacle de la chaleur naturelle qui vivifie les autres membres. Il présente les organes qui lui sont proches, à savoir les poumons qui ont pour fonction de refroidir le cœur et dexpulser le calor fumosus ainsi que les membranes qui ont pour fonction de le protéger :

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Cordis autem defensiva sunt eius panniculi et diaphragma et panniculi pectoris. (SH)

« Et les membres desfensives du cuer sont la dyafraigme et les taies dentour et celes du piz. » (MH)

Voici le terme taies qui revient, cette fois-ci, dans tous les manuscrits, pour traduire panniculi. Ici Jean de Vignay utilise le groupe les taies dentour où le mot taie désigne, comme on la vu, la membrane. On note surtout le terme diaphragme emprunté au grec par lintermédiaire du latin, qui connaît ici lune de ses premières attestations en langue française. Avant notre texte, il se trouve dans le Commencement de la sapience des signes, traité didactique du juif andalou Abraham ibn Ezra, traduit en 1273 ou 1274 par Hagin le Juif, et dans la traduction de la Chirurgia dHenri de Mondeville (Gdf IX, 377c, s.v. diaphragme ; TL II, 1908, s.v. dïafragme ; DMF, s.v. diaphragme ; TLFi, s.v. diaphragme. FEW (III, 67a, s.v. diaphragma) date le mot du xiiie siècle en renvoyant au Grand Larousse (II, 1313c, s.v. diaphragme) et au Dictionnaire général de la langue française (I, 47 s.v. diaphragme) qui mentionnent bien Henri de Mondeville, et donc lannée 131443. Notre texte semble donc offrir la troisième attestation de ce mot.

Pour les membres nutritifs, régis par le foie, le passage choisi insiste tout particulièrement sur le système dauto-dépuration et sur limportance dévacuer les superfluitates :

Alia quoque tantum superfluitatem sanguinis expellunt et mundificant ut splen, fel, renes. Alia partem cibi superfluam recipiunt et expellunt ut intestina grossa et vesica. Quod enim a stomacho reicitur, ab hiis recipitur et expellitur, vesica recipit superfluitates aquosas a renibus de sanguine depuratas. (SH)

« Et autres membres sont qui purefient le sanc et deboutent les superfluitez hors, si comme les rains, le splein, le fiel. Et autres membres sont qui prennent la superfluité de la viande et metent hors, si comme les grosses entrailles et la vessie, car ce que lestomac boute hors, il le retiennent et mainent outre. La vessie reçoit les superfluitez yaueuses qui depurent du sanc des rains. » (MH)

Plusieurs termes sont à relever, notamment le mot splein qui désigne la « rate », terme attesté dans la traduction du texte dHenri de Mondeville

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et aussi dans Sydrac (Gdf III, 535c, s.v. esplen ; TL IV, 1218, s.v. esplein ; DMF, s.v. esplein ; FEW XII, 200a-b s.v. splen)44. Ensuite le terme fiel < fel désigne par métonymie le contenant du fiel, la bile, donc la vésicule biliaire45. On note enfin le groupe superfluitez yaueuses. Le substantif superfluité est bien attesté dans le vocabulaire médical du xive siècle au sens de « ce qui est en excès » (DFM2012, s.v. superfluité). Ici il est dabord implicitement associé au sang, ensuite à la nourriture (superfluité de la viande) et finalement aux liquides (superfluitez yaueuses). Ladjectif yaueux confirme, une fois encore, que notre texte occupe un rôle crucial, juste après Henri de Mondeville, dans le développement du langage médical et anatomique français. Lancêtre de ladj. « aqueux » est en effet attesté, en ordre chronologique, chez le traducteur dHenri de Mondeville, Jean de Vignay, Evrart de Conty, Brunus de Longoborgo. (Gdf I, 184a, s.v. aigos, cf. aussi VIII, 161, s.v. aqueux ; DMF, s.v. aigueux ; FEW XXV, 75b : aquosus). La même expression superfluitez yaueuses a été relevée dans un traité de chirurgie du xvie siècle, intitulé Guidon en Français, une traduction de la Chirurgia de Guy de Chauliac46.

Le passage sur les parties génitales subit, dans la traduction française, une coupure assez drastique. Comme le souligne N. Bragantini (cf. son article dans ce recueil), Jean de Vignay adopte souvent une attitude prude et tend a supprimer dune façon systématique les arguments quil juge scabreux. Ainsi, les termes vulva, virga, testiculi et vasa spermatis restent sans équivalent dans la traduction. Pourtant, au livre III cette terminologie revient, en partie, dans les chapitres consacrés aux tabous sexuels propres à lancienne culture hébraïque. Nous trouvons notamment lemprunt spermatique qui revient à deux reprises (III, 33 et 35), ainsi que le terme morroïdes (pour hémorroïdes, III, 36). Daprès les dictionnaires, le premier terme nest attesté, avant notre texte, que dans la traduction de la Chirurgie dHenri de Mondeville (110 etc.)47. Le deuxième terme est est attesté, sous la forme emorrides, dans le Secret

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dHippocrate, texte du début du xive siècle48, ainsi que chez le traducteur de Mondeville, sous les formes emorroïdes (571, 1440) et morroïdes (1975). Cf. Gdf IX, 752c, s.v. hemorroides ; TL III-1, 83, s.v. emorroïdes ; DMF, s.v. hémorroïdes ; FEW IV, 373b, s.v. haemorrhois2 ; TLFi, s.v. hémorroïde.

Les sciences et les arts mécaniques

Les trois derniers chapitres (livre II chap. 53-55) qui précèdent la matière historique proprement dite proposent une réflexion sur les sciences et les arts. Le premier des trois porte un titre emblématique, à savoir Des sciences, qui sont donnees a homme en remede (traduisant De divisione scientiarum que et ipse date sunt homini in remedium). Les trois chapitres sont presque entièrement tirés dune seule source, à savoir du Liber exceptionum de Richard de Saint-Victor, un texte qui, comme je lai dit, a également été largement exploité dans le Speculum doctrinale.

Comme à propos de la matière anatomique, Vincent de Beauvais focalise son attention sur une seule source quil considère, de toute évidence, comme la référence fondamentale en la matière. Monique Paulmer Foucart a bien montré la centralité de la pensée victorine, élaborée par Hugues et Richard de Saint-Victor, par rapport à laccès à la connaissance et surtout à lidée que les sciences ont été données à lhomme en tant que remède à ses malheurs49. Daprès les maîtres victorins, la connaissance du monde et donc les arts et les sciences sont considérés comme un moyen de retour à la condition originelle de lhomme, avant le péché. Une telle philosophie se situe au fondement même de lentreprise encyclopédique de Vincent de Beauvais. Cest donc tout naturellement que, pour ces chapitres consacrées aux sciences, il se tourne vers lœuvre de Richard de Saint-Victor.

Lévocation des sciences sinsère dans un discours articulé lié à la Création et au péché originel. Au moment de la Création, Dieu donna à lhomme trois grands biens : il le fit à son image, à sa semblance et immortel. Ces trois biens ont été corrompus au moment du péché originel : il a perdu

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limage de Dieu par ignorance, il a perdu la semblance par convoitise, il a perdu limmortalité par la maladie. Lhomme se sépare ainsi de Dieu et est plongé dans les tenèbres par son ignorance, dans linstabilité par sa convoitise et dans la mort par la maladie corporelle. Pour ôter ces trois malheurs, Dieu lui a donné trois remèdes : la sagesse contre lignorance, la vertu contre la convoitise, la nécessité contre lenfermeté. Chacune de ces trois vertus de lhomme correspond donc à un type de science :

Propter que tria inventa est omnis philosophia vel artis disciplina, scilicet propter sapientiam theorica, propter virtutem practica, propter necessitatem vero mechanica. (SH)

« Et par ces III est trouvee toute philosophie et toute discipline dart, cest assavoir pour la sagesce fu trouvee la theorique, pour la vertu practique et pour neccessité la mathematique (var : lart des mains A1, Or1) » (J1)

Le terme mechanica, désignant ici les « métiers manuels » a été traduit erronément par mathematique. La proximité graphique, toute relative, des deux mots pourrait faire penser à une simple erreur de copiste dans la transmission du texte français. Pourtant, lintervention du réviseur, qui a remplacé le mot par lart des mains (leçon accueillie par A1 et Or1), joue contre cette hypothèse. Ce qui est surprenant de constater, cest que le terme mechanica revient deux fois au chapitre suivant, dans la rubrique et dans le corps du texte, et que dans ces deux cas Jean de Vignay traduit par le calque methanique. À la première occurrence, il sagit dun adjectif : Des ars practiques et methaniques (< De precticis et mechanicis artibus). À la deuxième, il fonctionne comme un substantif : Methanique si a VII especes : ouvrer de laine… (mechanica VII habet species, scilicet lanificium…). Brunet Latin est le premier à utiliser ce terme en tant quadjectif. Il en donne par ailleurs une définition qui correspond au contexte qui nous intéresse : ces autres mestiers ki sont besoignable a la vie de homes, et sont apielés mecaniques (Trésor, I, 4.6). Cf. Gdf V, 209b ; X, 134c, s.v. ; TL V-2, 1328, s.v. ; DMF2012 s.v. mécanique ; FEW VI-1, 567a, s.v. mechanicus ; TLFi, s.v. mécanique). En revanche, notre texte fournit la première occurrence du mot en tant que substantif50.

Ce constat nous permet de formuler une autre observation concernant la traduction de Jean de Vignay. Comme on la vu à propos du terme

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panniculum, devant la première occurrence dun mot technique qui lui est inconnu, il a tendance à improviser voire à se méprendre – ce qui oblige le réviseur à intervenir pour corriger la traduction. Si le terme revient par la suite, le contexte sémantique laide parfois à mieux le comprendre et à le traduire correctement. On est quand même surpris de constater quil na pas pris la peine de revenir à loccurrence qui précède.

Les arts pratiques, elles, sont divisées en trois catégories :

Practica dividitur in ethicam et echonomicam et polithicam. (SH)

« La science pratique est devisee en science ethique, ethonomique et polithique » (MH)

Par la suite, le texte propose des définitions ponctuelles des trois arts. Lethique (< ethica) est définie comme la cure de soi (< sui curam gerens), lethonomique (< echonomica), comme la cure de servise familiaire et la polithique (< polithica) comme la cure de la chose conmune (reipublice curam). On notera surtout le terme ethonomique qui présente également, comme methanique une ambiguïté au niveau grammatical. Dans la première occurrence, présente dans la citation, il pourrait être pris pour un adjectif puisquil se rapporte à science, alors que dans la deuxième, à lintérieur des définitions ponctuelles, il fonctionne tout seul, sur le même plan syntaxique et sémantique que ethique et polithique. Cet emploi substantivé est attesté chez Nicole Oresme (DMF2012, s.v. économique)51. Au xiiie siècle, le mot est attesté sous les formes yconomique chez Brunet Latin (I, 4.4.) et michonomique, chez Henri de Gauchi (traduction du Gouvernement des Princes, de Gilles de Rome ou Egidius Colonna, vers 1287). Gdf IX, 423b, s.v. ; TL III, 14, s.v. economique. À linstar de notre texte, ce dernier reprend également le passage de Richard de Saint-Victor.

Venons-en au chapitre 53 et plus en particulier à la science théorique. Celle-ci est divisée, à son tour en trois disciplines, à savoir la théologie, la science naturelle (désignée ici par le mot physica) et la mathematique : theologicam, physicam, mathematicam. Le deuxième terme a été traduit par Jean de Vignay en philosophie ce qui doit être sans doute considéré comme une erreur, même si, comme je viens de le dire, le terme physica désigne

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la science – ou philosophie – naturelle. En tout cas, cette traduction douteuse a été réitérée deux autres fois, plus loin dans le chapitre. Le réviseur na corrigé que la troisième occurrence, concernant le titre de lœuvre dAristote (cf. ci-dessous).

La partie consacrée à la science naturelle est particulièrement intéressante par rapport à la question des sources car elle témoigne de ce climat de renouvellement du savoir auquel jai déjà fait référence au chapitre précédent. Lénumération des différentes parties de la science naturelle comporte en effet une série de références bibliographiques aux ouvrages dAristote et est tirée de lœuvre dun autre grand savant arabe, à savoir Al-Farabi, De scientiis, chapitre 4. Le même extrait, avec quelques variations, se retrouve également dans le Speculum doctrinale, XV, 252. Les indications des sources proposées sont dautant plus précieuses quelles nous offrent un aperçu assez précis sur létat du corpus aristotelicien au milieu du xiiie siècle53. Lauteur mentionne, dans lordre le Liber physicorum, traduit par Livre de Philosophie (J1), leçon corrigée en livre de Fisique (A1) / Phisique (Or1) ; le Liber de celo et mundo > Livre du ciel et du monde, texte pseudo-aristotelicien dorigine proche à Avicenne ; le Liber de generatione et corruptione > De generacion et corrupcion54 ; le Liber metheororum > Livre des metheores (cf. ci-dessus) ; le Liber de vegetabilibus > Des choses vegetatives, une compilation pseudo-aristotélicienne de philosophie naturelle largement utilisée dans le milieu universitaire à la première moitié du xiiie siècle55 ; le Liber de animalibus > Des bestes, texte que Vincent de Beauvais utilise ailleurs dans son Speculum historiale (livre II, 30)56 ; le Liber de anima > De lame, texte utilisé ailleurs dans le SH (II 36), probablement à travers le commentaire de Averroès ; le Liber de sompno et vigilia > De dormir et de veillier ; De sensu et sensato > De sens et de chose sensitive57 ; De morte et vita > De mort et de vie ; De differentia spiritus anime > De la disference de lesperit et de lâme.

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Le chapitre se clôt sur un paragraphe concernant les quatre arts du quadrivium. On revient à Richard de Saint-Victor (Liber exceptionum, première partie, I, 8) et on retrouve le même extrait dans le SD XVI, 358. La mathématique est tout dabord définie en fonction de son objet détude, à savoir les quantités abstraites et les formes invisibles des objets visibles.

Mathematica quantitatem abstractam considerat et sic tractat de invisibilibus visibilium formis. (SH)

« La science mathematique considere la quantité astraite59 et traite des invisibles formes des choses visibles. » (MH)

Notre texte offre ici la première attestation dun mot, ladj. abstrait, destiné à rentrer en plein droit dans le vocabulaire scientifique de la langue française. Au xiiie siècle, le mot est attesté, en tant que participe passé, au sens de « issu de » (Philippe de Novare, Des IIII tens daage dhome, milieu du xiiie siècle). Placides et Timéo propose la forme abstractis, abstractives, « qui a la propriété dattirer ». Notre texte fournit donc la première attestation du mot astrait au sens moderne, à savoir en tant quantonyme de « concret » : cette acception nest attestée par les dictionnaires, quaprès le milieu du xive siècle, (Gdf VIII, 19a, s.v. abstrait ; DMF2012, s.v. abstrait ; FEW XXIV, 57b s.v. abstrahere). Pour le verbe abstraire, en emploi pronominal, TLFi, s.v. abstrait, relève également une première attestation dans le MH : 1. a) 1327 (1531) pronom. « sarracher à, sisoler de qqc. » (JdV, Mir. hist., 32, 81 (éd. 1531). Ensuite, toujours en emploi pronominal, on le retrouve chez Nicole Oresme, Traité contre les divinations en général (1361-1364) au sens philosophique de « faire abstraction de soi ».

Sen suit la distinction et la définition des quatre arts du quadrivium : larithmétique, la musique, la géométrie, lastronomie. Les deux premières traitent des quantités discrètes ou discontinues, quon appelle « multitude », les deux dernières des quantités continues, quon appelle « grandeur60 ».

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Quantitas autem alia discreta, que multitudo dicitur, alia continua que magnitudo (SH)

« Et quantité si est lune discrecte, qui est dite multitude, et lautre continuee, qui est dite grandesce » (MH)

Cette terminologie mathématique est loin dêtre courante. Ladjectif discret dans son acception mathématique et abstraite, nest jamais attesté par les dictionnaires avant Nicole Oresme (cf. Gdf II, 719a s.v. discré et 719c s.v. discret ; IX 288c s.v. discret ; TL II-2, 1943, s.v. discré ; DMF2012, s.v. discret ; FEW III, 92b : discretus ; TLFi, s.v. discret2). Ladj. continu, en revanche, apparaît, avec ce sens, dans la traduction de la Chirurgia de Mondeville (cf. Gdf IX, 176b s.v. ; TL II-1, 773, s.v. ; DMF2012, s.v. ; FEW II-2 1108b, s.v. continuus ; TLFi, s.v. continu).

Conclusion

Loin dêtre exhaustif, ce relevé analytique focalisé sur les termes philosophiques et scientifiques a permis de formuler plusieurs observations que je souhaiterais résumer autour de trois axes principaux.

1. Tout dabord, la question des sources et des auctoritates selectae. Le processus dabrègement de la matière naturelle que Vincent de Beauvais opère au début de son SH présente un double intérêt, à la fois historico-culturel et linguistique. Dun côté, cette opération permet de se faire une idée précise sur les auteurs et les œuvres quil considère comme incontournable et, de lautre, elle garantit une concentration lexicale extraordinaire, ce qui donne du fil à retordre à notre traducteur. Dans le compendium historiale, certaines disciplines, comme lanatomie et la zoologie, sont presque exclusivement représentées par une auctoritas choisie, à savoir respectivement Al-Magusi, traduit par Constantin lAfricain, et Pline lAncien. De même, lexcursus bibliographique des œuvres dAristote nous offre un témoignage précieux de la réception et de la circulation du corpus aristotélicien dans le milieu proche du compilateur et Richard de Saint-Victor se reconfirme comme le point de repère principal pour la question de laccès au savoir et de lutilité des sciences.

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2. En deuxième lieu, lanalyse lexicale ma permis dapprofondir quelques aspects de la traduction de Jean de Vignay ainsi que de la version révisée. À côté des traductions (pseudo-) étymologiques, comme choses prenables a la rois et fuisoleil, tout à fait caractéristiques de notre auteur, jai noté plusieurs écarts dans la traduction de certains mots. Le terme panniculum, par exemple, est dabord traduit, dune façon approximative, par estente et ensuite, à sa deuxième occurrence, par taie, terme beaucoup plus précis et approprié (cf. par. 4). De même, le subst. mechanica a été dabord mal compris et traduit par mathematique et ensuite par le calque methanique (cf. par. 5). La même considération peut être appliquée au nom de Pline lAncien que Jean de Vignay traduit deux fois par Perlin avant de se rendre compte de lerreur. Ce qui est surprenant, cest que lopération de traduction nest jamais rétroactive et conserve les caractéristiques dun work in progress. Le premier exemple, celui du mot panniculum est particulièrement frappant, car le mot revient à deux reprises dans le même chapitre. Jean de Vignay traduit bien la deuxième occurrence par taie mais, loin de revenir sur la première, il avance comme sil était pressé dachever son travail de traduction. Il revient donc au réviseur de rétablir une traduction correcte en alignant, dans ce cas-ci, la première occurrence sur la deuxième.

Lopération de révision, pourtant, nest pas non plus dépourvue de défauts et il arrive aussi au réviseur de se tromper, comme je lai montré à propos du mot tortue (< testudinis), transformé, à tort, en limace (par. 3).

3. Enfin, ce relevé ma permis de souligner le rôle joué par Jean de Vignay dans la création et la diffusion du lexique spécialisé. La plupart des emprunts sont forgés selon la pratique de la suffixation, que les chercheurs ont souvent considérée comme étant plus tardive. Un certain nombre de termes relevés ne sont attestés, avant le MH, que dans un ou deux textes spécialisés de la fin du xiiisiècle ou du début du xive, parmi lesquels je rappellerai surtout lIntroductoire dAstronomie, le Trésor de Brunet Latin, la traduction de la Chirurgia dHenri de Mondeville : cest le cas des mots atome, continu, diaphragme, intellectuel, methanique, nutritif, presenciaument, spermatique. Dautres termes doivent être considérés, sauf erreur de ma part, comme des premières attestations, au moins dans le sens qui nous intéresse : abstrait, conservatif, discret, unicion.

En conclusion, jespère avoir démontré que Jean de Vignay joue un véritable rôle de précurseur dans le processus denrichissement de la

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langue française et en particulier dans le développement du lexique scientifique français qui connaîtra son grand essor chez les traducteurs de lentourage de Charles V, notamment Jean Corbechon, Nicole Oresme et Evrart de Conty.

Mattia Cavagna

Université catholique de Louvain

1 Les recherches qui ont abouti à la réalisation de cet article ont été financées grâce à la subvention « Actions de recherche concertées (ARC) », communauté française de Belgique et sinscrivent dans le projet « Speculum arabicum ». Objectiver lapport de lIslam dans lhistoire des sciences et des idées : sources et ressources de lencyclopédisme dOrient et dOccident au Moyen Âge, dirigé par G. de Callataÿ, B. Van den Abeele, F. Van Haeperen et moi-même. Je remercie chaleureusement Michèle Goyens et Stephen Dörr pour leurs relectures et leurs conseils qui mont permis daméliorer sensiblement cette étude.

2 Voir B. Ribémont, « De natura rerum » : études sur les encyclopédies médiévales, Orléans, Paradigme, 1995. À propos de Barthélemy lAnglais, voir surtout le recueil Bartholomaeus Anglicus, De Proprietatibus rerum. Texte latin et réception vernaculaire, éd. B. Van den Abeele et H. Meyer, Turnhout, Brepols, 2005. Pour Thomas de Cantimpré, voir B. Van den Abeele, « Diffusion et avatars dune encyclopédie : le Liber de natura rerum de Thomas de Cantimpré », Une lumière venue dailleurs. Héritages et ouvertures dans les encyclopédies dOrient et dOccident au Moyen Âge, éd. G. de Callataÿ et B. Van den Abeele, Turnhout, Brepols, 2008, p. 141-176.

3 Voir J.-M. Mandosio, « Encyclopédies en latin et en langue vulgaire », « Tous vos gens a latin ». Le latin, langue savante, langue mondaine (xive-xviie siècles), éd. E. Bury, Genève, Droz, 2005, p. 113-136, ici p. 123.

4 Il existe pourtant des exceptions notables, notamment F. Möhren, « La datation du vocabulaire des imprimés de textes anciens », Revue de Linguistique romane, 46, 1982, p. 3-28. Pour la notion de lexique scientifique, voir surtout R. Martin, « Le traitement lexicographique des mots scientifiques et techniques », Lexiques scientifiques et techniques. Constitution et approche historique, éd. O. Bertrand, H. Gerner, B. Strumpf, Paris, Éditions de lÉcole Polytechnique, 2007, p. 27-33 (p. 32).

5 Voir M. Paulmier-Foucart, « Ordre encyclopédique et organisation de la matière dans le Speculum maius de Vincent de Beauvais », Lencyclopédisme, éd. A. Beck, Paris, Klincksieck, 1991, p. 201-226.

6 Voir M. Paulmier-Foucart avec la collaboration de M.-C. Duchenne, Vincent de Beauvais et le Grand Miroir du monde, Turnhout, Brepols, 2004, p. 93. Pour le rapport entre les deux versions de lencyclopédie, voir M. Paulmier-Foucart, « Le plan et lévolution du Speculum maius de Vincent de Beauvais : de la version bifaria à la version trifaria », Die Enzyklopädie im Wandel vom Hochmittelalter bis zur frühen Neuzeit, éd. Ch. Meier, Munich, Fink, 2002, p. 245-268.

7 Voir I. Draelants, « La science naturelle et ses sources chez Barthélémy lAnglais et les encyclopédistes contemporains », Bartholomaeus Anglicus, éd. Van den Abeele et Meyer, p. 43-99 (p. 85-88). Il faut aussi signaler la base de données Sourcencyme (Sources des encyclopédies médiévales latines), dirigée par I. Draelants à lAtelier Vincent de Beauvais qui devrait être bientôt disponible en ligne.

8 Pour le SH, jutilise la transcription du ms. 797 de la Bibliothèque municipale de Douai, réalisée par lAtelier Vincent de Beauvais (université de Nancy 2) disponible à ladresse Internet : http://atilf.atilf.fr/bichard/. Toutes les citations du texte latin sont tirées de cette transcription.

9 Les deux manuscrits bruxellois, KBR 18465 et 9152, respectivement du xive et xvsiècle, ne conservent que les livres I à VIII. Pour les livres IX à XIII, je me suis donc contenté de confronter les intitulés des chapitres présents dans la table des matières du ms. 9152, aux fol. 5va-12rb ; pour les livres restants, je me suis basé sur la liste des intitulés conservés dans la table du ms. 18465 au fol. 6ra. Ces intitulés sont également disponibles dans les transcriptions de lAtelier Vincent de Beauvais : http://medievistique.univ-nancy2.fr/contentId%3D7961 (page consultée le 5 juin 2013).

10 Tous les détails de cette révision sont présentées dans M. Cavagna, « Variantes dauteur in absentia ? La version révisée du Miroir historial, encyclopédie du xive siècle », Medioevo romanzo, 28/1, 2014, sous presse.

11 Ce témoin a un intérêt extraordinaire surtout parce quil nous évite de tomber dans le piège de considérer les corrections effectuées sur le ms. A1 comme des corrections auctoriales, voire autographes.

12 Pour une liste des témoins, voir L. Brun et M. Cavagna, « Pour une édition du Miroir historial de Jean de Vignay », Romania, 124, 2006, p. 378-428, ici p. 424-428.

13 À ce propos, voir E. M. Jonsson, « Le sens du titre Speculum au xiie et xiiie siècle et son utilisation par Vincent de Beauvais », Vincent de Beauvais : intentions et réceptions dune œuvre encyclopédique au Moyen Âge, éd. M Paulmier-Foucart, S. Lusignan et A. Nadeau, Saint-Laurent (Québec) – Paris, Bellarmin-Vrin, 1990, p. 11-32.

14 Les outils lexicographiques sont cités à travers les abréviations suivantes : AND= L. W. Stone, W. Rothwell et al., Anglo-norman Dictionary, 2e éd., 2005 sq., 2008-2012, version électronique : http://www.anglo-norman.net ; DEAF = K. Baldinger et al., Dictionnaire étymologique de lancien français, 1972 ; DMF = Dictionnaire du Moyen Français, version 2012 : http://www.atilf.fr/blmf ; FEW = W. von Wartburg, Französisches etymologisches Wörterbuch ; Gdf = Fr. Godefroy, Dictionnaire de lancienne langue française et de tous ses dialectes du ixe au xve siècle ; Littré : E. Littré, Dictionnaire de la langue française, Paris, Hachette, 1882 ; TL = A. Tobler et E. Lommatzsch, Altfranzösisches Wörterbuch ; TLFi = Trésor de la langue française, version électronique : http://www.cnrtl.fr/definition.

15 À propos de cet auteur, voir M. Tabanelli, Un chirurgo italiano del 1200 : Bruno da Longoburgo, Firenze, Olschki, 1970.

16 DuCangei = Glossarium mediae et infimae latinitatis, version électronique : http://ducange.enc.sorbonne.fr/. Niemeyer = Mediae Latinitatis Lexicon Minus, éd. J. F. Niermeyer, Leiden, Brill, 1976.

17 Voir N. Bragantini-Maillard et M. Cavagna, « La langue de Jean de Vignay dans le Miroir historial : perspectives philologiques », Revue de linguistique Romane, 77, 2013, p. 203-235.

18 Malgré maintes recherches je nai pas identifié le passage auquel se réfère Vincent de Beauvais. Daprès E. Frunzeanu (cf. la base Sourcencyme), Vincent de Beauvais cite ici Jean Scot à travers la Chronique dHélinand de Froidmont (livre II, chap. 23). Il nest pas exclu quil le cite

19 SH (le ms. et lédition de Douai) propose la leçon libera qui se retrouve par ailleurs dans dautres textes conservant et commentant cet extrait, par ex. Albert le Grand, Super Dionysium de Celesti hierarchia, dans Albertus Magnus, Opera omnia, 36/1, éd. P. Simon et W. Kübel, Aschendorf, 1993, sent. II, 9.2, p. 192. Visiblement, le texte utilisé par Jean de Vignay portait le substantif libra qui a été traduit par balence.

20 S. Dörr, Der älteste Astronomietraktat in französischer Sprache : LIntroductoire dastronomie. Edition und lexikalische Analyse, Tübingen, Niemeyer, 1998, p. 37 et 102.

21 Ovide Moralisé, poème du commencement du quatorzième siècle, éd. C. De Boer, tome V, Amsterdam, J. Müller, 1938, p. 35.

22 Voir J. Ducos, La météorologie en français au Moyen Âge (xiiie-xve siècles), Paris, Champion, 1998, p. 221-222 ; J. Ducos, « Traduction et lexique scientifique : le cas des Problèmes dAristote traduits par Evrart de Conty », Traduction et adaptation en France à la fin du Moyen Âge et à la Renaissance, éd. Ch. Brucker, Paris, Champion, 1997, p. 237-247 (p. 240).

23 Voir D. Jacquart, « De larabe au latin : linfluence de quelques choix lexicaux (impression, ingenium, intuitio) », Aux origines du lexique philosophique européen. Linfluence de la Latinitas, éd. J. Hamesse, Louvain-la-Neuve, Publications de lInstitut dÉtudes Médiévales, 1997, p. 165-180 (surtout p. 166-171).

24 Voir larticle de D. Jacquart cité n. 23 et aussi J. Ducos, « Passions de lair, impressions ou météores : lélaboration médiévale dun lexique scientifique de la météorologie », « Tous vos gens a latin », éd. Bury, p. 245-256 (p. 248).

25 Voir Ducos, La météorologie en français, p. 216-217.

26 Les sources des livres danimaux du SN ont été étudiées par B. Van den Abeele, « Vincent de Beauvais naturaliste : sources et aménagement dans les livres danimaux du Speculum naturale », Lector et compilator. Vincent de Beauvais, frère prêcheur : un intellectuel et son milieu au xiiie siècle, éd. S. Lusignan et M. Palmier-Foucart, Grâne, Créaphis, 1997, p. 127-151 ; pour la place des animaux dans les encyclopédies, voir B. Van den Abeele, « Bestiaires encyclopédiques moralisés. Quelques succédanés de Thomas de Cantimpré et de Barthélemy lAnglais », Reinardus, 7, 1994, p. 209-228. Voir aussi I. Ventura « Medicina, magia e Dreckapotheke : sulluso delle sostanze animali nella letteratura medica dal XII al XV secolo », Terapie e guarigioni nel Medioevo, éd. A. Paravicini Bagliani, Florence, SISMEL, 2011, p. 303-362.

27 D. Gerner, La traduction des « Otia Imperialia » de Gervais de Tilbury par Jean de Vignay dans le ms. Rotschild no 3085 de la Bibliothèque Nationale de Paris. Édition et étude, université de Strasbourg, 1995, thèse dactyl., tome II, p. 188-189.

28 Au chapitre 71 du livre II, par exemple, le groupe Mediterraneum mare est traduit par la Mer denmi les terres. On notera que Jean de Vignay adopte la même solution dans les Oisivetez des emperieres (Gerner, La traduction des « Otia Imperialia » de Gervais de Tilbury par Jean de Vignay¸tome II, p. 177).

29 Il nest pas répertorié dans le long article de P. Barbier, « Noms des poissons. Notes étymologiques et lexicographiques » publié dans la Revue des langues romanes entre 1908 et 1915.

30 Le mot conche nest attesté en français quà la toute fin du xve siècle au sens de « coquille », « carapace » (TL II, 652, s.v. ; DMF, s.v. ; FEW II-2, 1000b, s.v. concha).

31 Dans un article récent, Philippe Ménard note que le terme testudo est parfois employé en latin médiéval pour indiquer lescargot. Mais visiblement ce nest pas le cas ici, dans ce contexte maritime. Il est intéressant de noter que le mot testudo a également posé problème à Jean de Vignay dans la traduction du récit dOdoric de Pordenone : Jean de Vignay, Les merveilles de la terre dOutremer. Traduction du xive siècle du récit de voyage dOdoric de Pordenone, éd. D. A. Trotter, Exeter, University of Exeter, 1990, p. 41. En réalité, dans ce texte, le mot testudo renvoie à la voûte dun temple en rotonde alors que Jean de Vignay traduit par limaçon. Voir Ph. Ménard, « Jean le Long translateur et interprète dOdoric », Culture, livelli di cultura e ambienti nel Medioevo occidentale, éd. F. Benozzo et al., Bologne, Aracne, 2012, p. 25-48 (p. 33-34).

32 La même anecdote tirée de Valère Maxime est racontée par Simon de Phares dans son Recueil des plus célèbres astrologues (1494-98). DMF, s.v. tortue le mentionne comme la seule occurrence du mot tortue.

33 Il va de soi que cette « prise de conscience » concerne peut-être seulement le copiste-correcteur de A1.

34 Cavagna, « Variantes dauteur in absentia ? ».

35 Voir Draelants, « La science naturelle et ses sources chez Barthélemy lAnglais », p. 85-88 ; voir aussi I. Ventura, « Bartolomeo Anglico e la cultura filosofica e scientifica dei frati nel XIII secolo : aristotelismo e medicina nel De proprietatibus rerum », I Francescani e le scienze, Spoleto, Fondazione Centro Italiano di Studi sullAlto Medioevo, 2012, p. 51-140, ici p. 123-130.

36 À propos de ce texte, voir G. Marasco, « Constantin lAfricain, labbaye du Mont-Cassin et le développement de la médecine en Orient », Culture arabe et culture européenne. Linconnu au turban dans lalbum de famille, Paris, 2006 p. 59-80 et surtout Ch. Burnett et D. Jacquart, Constantine the African and Alī ibn al-Abbās al-Mağūsī : The Pantegni and Related Texts, Leiden-New York, Brill, 1994. Seule la fin du chapitre reprend une deuxième source, à savoir la Glossa super Summam de Casibus de Raymond de Peñafort (noté dans le SN comme libello de anatomia, récemment identifié par E. Frunzeanu, dans la base Sourcencyme).

37 Voir M. Paulmier-Foucart, « Lévolution du traitement des cinq sens dans le Speculum maius de Vincent de Beauvais », Science antique, science médiévale. Autour dAvranches 235, éd. L. Callebat et O. Desbordes, Hildesheim-Munich-Zürich, Olms-Weidmann, 2000, p. 273-295.

38 Voir Ventura, « Bartolomeo Anglico ». À ce propos, voir D. Jacquart, La médecine médiévale dans le cadre parisien, Paris, Fayard, 1998 (surtout p. 354-364 du chapitre Discordances doctrinales).

39 La Chirurgie de maître Henri de Mondeville, éd. A. Bos, Paris, Didot (SATF), 1897-1898, deux tomes. Tous les renvois au texte se réfèrent à cette édition.

40 Voir J. Ducos, « Le lexique de Jean Corbechon : quelques remarques à propos des livres IV et XI », Bartholomaeus Anglicus, éd. Van den Abeele et Meyer, p. 101-115 (p. 106).

41 Le terme est attesté dans un contexte médical souvent à propos des maladies des yeux, voir I. Vedrenne-Fajolles, « Tradition hippocratique et pseudo-hippocratique aux xiiie et xive siècles », Lexiques scientifiques et techniques, éd. Bertrand et al., p. 81-103 (p. 91) ; voir aussi T. Hunt, Old French Medical Texts, Paris, Classiques Garnier, 2011, notamment le glossaire au Compendium médical, p. 105, s.v. taie.

42 Iolanda Ventura a étudié les nombreux chapitres consacrés au cœur dans le SN (version trifaria, livre XXVIII chap. 59-63).

43 Voir Grand Larousse de la langue française, éd. L. Guilbert, R. Lagane, G. Niobey, Paris, Larousse, 1972 ; Dictionnaire général de la langue française du commencement du xviie siècle jusquà nos jours, éd. A. Hatzfeld, A. Darmesteter, A. Thomas, Paris, Delagrave, 1890-1900, 2 vol. [réimpr. 1964].

44 Voir Hunt, Old French Medical Texts, glossaire aux Gloses médicales, p. 225, s.v. esplien.

45 Voir M. Goyens, « Le développement du lexique scientifique français et la traduction des Problèmes dAristote par E. de Conty », Theleme. Revista Complutense de Estudios Franceses, h.s., 2003, p. 189-207 (p. 199).

46 Voir H. Vaganay, « Pour lHistoire du Français Moderne », Romanische Forschungen, 32/1, 1912, p. 1-184 (p. 12) : superfluité aqueuse.

47 À propos du savoir médical concernant les genitalia, voir D. Jacquart et Cl. Thomasset, Sexualité et savoir médical au Moyen Âge, Paris, PUF, 1985.

48 Voir Védrenne-Fajolles, « Tradition hippocratique et pseudo-hippocratique », p. 86.

49 Voir Paulmier-Foucart, Vincent de Beauvais, p. 25

50 À propos des arts mécaniques, voir P. Sternagel, Die artes mechanicae im Mittelalter : Begriffs-und Bedeutungsgeschichte bis zum Ende des 13. Jahrhunderts, Kallmüntz, Lassleben, 1966.

51 Voir M. Lejbowicz, « Langage et économie : les figures du progrès chez Nicole Oresme », Le Moyen Âge et la science. Approche de quelques disciplines et personnalités scientifiques médiévales, éd. B. Ribémont, Paris, Klincksieck, 1992, p. 47-132.

52 Le chapitre a été traduit et commenté par Paulmier Foucart, Vincent de Beauvais, p. 274-276.

53 Voir Ventura, « Bartolomeo Anglico », p. 64 avec une riche orientation bibliographique.

54 Voir I. Draelants, « Le De generatione et corruptione au “siècle dor” des encyclopédies médiévales », Lire Aristote au Moyen Âge et à la Renaissance. Réception du traité Sur la génération et la corruption, éd. J. Ducos et V. Giacomoto-Chiarra, Paris, Champion, 2011, p. 135-173.

55 Voir Ventura, « Bartolomeo Anglico », p. 68.

56 Voir B. Van den Abeele, « Le De animalibus dAristote dans le monde latin : modalités de sa réception médiévale », Frühmittelalterliche Studien, 34, 2000, p. 287-318.

57 Voir G. Galle, « The Dating and Earliest Reception of the Translatio Vetus of Aristotles De sensu », Medioevo, 33, 2008, p. 1-90.

58 Le chapitre a été traduit par Paulmier-Foucart, Vincent de Beauvais, p. 277.

59 Le copiste du ms. J1 note atraite (il sagit sans doute dune faute de plume par attraction sur le verbe subséquent que nous corrigeons sur base des mss. A1 et Or1).

60 Voir P. Kibre, « The quadrivium in the thirteenth century universities, with special reference to Paris », Arts libéraux et Philosophie au Moyen Âge, Montréal-Paris, 1969, p. 175-192.