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Classiques Garnier

Introduction

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Introduction

Les recueils collectifs de poésies du xviie siècle lancent un défi au lecteur. « Ramas de diverses poesies1 », ils peuvent donner limpression davoir été « faits au hazard, sans aucun plan, & sans aucun ordre2 ». Comment, en effet, lire ces compilations dans lesquelles des pièces diverses de multiples auteurs voisinent et ne semblent, du moins de prime abord, obéir à aucune organisation globale concertée ?

Le désordre, du moins apparent, de la plupart de ces compilations a souvent amené la critique à minorer leur importance. Or, comme lont noté Mathilde Bombart et Guillaume Peureux, il faut « appréhender ces ouvrages comme étant inscrits dans des processus de consécration3 », du moins en leur temps. Ce processus de consécration sobserve à plusieurs niveaux et il concerne non seulement les auteurs et les pièces, mais aussi les formes dexpression, les courants littéraires et les modes de sociabilité dans leur ensemble. Lanalyse, tant de la présentation des recueils que de la mise en page des textes, permet didentifier certains mécanismes dorganisation et de canonisation à lœuvre dans les compilations. Ceux-ci, plus ou moins mis en avant dune publication à lautre, offrent la possibilité desquisser des parcours de lecture et des stratégies de publication probables.

Dans cette optique, la postérité immédiate des recueils est un indicateur important. Quel est le rôle qui revient aux compilations dans la construction dun canon poétique, non seulement contemporain, mais aussi à moyen terme ? Les auteurs de lépoque se sont-ils servis des recueils pour assurer leur propre publicité ?

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Certaines hommes et femmes de lettres jouissent, au milieu du xviie siècle, dune influence telle que leur avis sur des poètes ou des textes a valeur de prescription. Mais tandis que les pièces poétiques sont louvrage de divers auteurs individuels, le recueil dans son ensemble est le fait dun professionnel du livre. Celui-ci joue un rôle clé dans la composition des ouvrages et, par conséquent, dans ses lectures potentielles. Aussi, un examen des dispositifs de programmation de lecture permet-il de comprendre les mécanismes, tant à lintérieur des ouvrages quà lextérieur, qui indiquent non seulement ce quil faut lire, mais comment il faut lire, car la mise en livre du texte constitue bien un parti pris pour la lecture qui va en être faite4.

Tous ces dispositifs envisagent le lecteur comme un consommateur passif. Or, dans la société mondaine notamment, une séparation stricte entre auteur et lecteur na pas de pertinence. De plus, limitation de textes présentés comme modèles est le principe même de lapprentissage de la rhétorique et de lécriture dans les collèges5. Au-delà des programmations de lecture explicites, il sagira alors denvisager le recueil collectif aussi comme un art poétique en acte. La compilation poétique a-t-elle en fin de compte transformé ses lecteurs en auteurs ?

1 Nouveau Recueil des plus beaux vers (T. du Bray, 1609), « Aux Lecteurs », p. 5-6.

2 Recueil des plus belles pieces des poëtes françois, I (C. Barbin, 1692), « Préface », n. p.

3 M. Bombart, G. Peureux, « Politiques des recueils collectifs dans le premier xviie siècle. Émergence et diffusion dune norme linguistique et sociale », Le Recueil littéraire, op. cit., p. 241.

4 Cest ce qua montré H.-J. Martin dans Naissance du livre français moderne. Mise en page et mise en texte du livre français (xive-xviie siècles), Paris, Éditions du Cercle de la Librairie, 2000.

5 VoirA. Chervel, Histoire de lenseignement du français du xviie au xxe siècle, Paris, Retz, 2008, en particulier chap. 9, « Les techniques de la reformulation ».