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Classiques Garnier

Conclusion

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Conclusion

Au xviie siècle, le recueil collectif est une forme éditoriale déjà ancienne. Mais cest par lacte inaugural de Raphaël du Petit Val, imité ensuite par ses successeurs parisiens dans les premières années du règne de Henri IV quil prend la forme qui sera la sienne jusquà laube du xviiie siècle. La compilation poétique imprimée devient à ce moment précis de lhistoire littéraire le réceptacle des productions contemporaines et donc le support privilégié de leur diffusion. Construit dans une perspective synchronique, il est le miroir de la production et de la consommation poétique de son temps. À la fin du siècle, un sens de la relativité du goût1 se développant chez daucuns, certains recueils vont se tourner vers des approches diachroniques, dabord limitées au seul xviie siècle, puis en élargissant la perspective pour remonter jusquà François Villon.

Quil enregistre les productions les plus récentes ou quil publie une somme des productions anciennes et contemporaines, le recueil collectif au xviie siècle se présente la plupart du temps comme une œuvre concertée, ne serait-ce qua minima. Même si des principes dordre et dorganisation globale font très souvent défaut, lappareil liminaire nous invite bien à considérer ces florilèges non comme des improvisations de fortune, mais comme laboutissement dun projet éditorial précis. Quoique nées dans une optique purement mercantile, favorisée aussi par le régime du privilège de librairie, ces compilations sont plus que de simples spéculations dimprimeur-libraire à court de nouveautés. Pour le dire encore autrement, les compilateurs, souvent les libraires eux-mêmes, participent à leur manière à la création littéraire.

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Ancêtre du périodique littéraire, le recueil collectif, dans sa variété, nous invite à retracer les changements et les évolutions poétiques de son temps. Recueil collectif général au cours du premier xviie siècle, il réunit presque toutes les inspirations poétiques : de la poésie sérieuse, dinspiration religieuse ou encomiastique, mais aussi de la poésie amoureuse, tantôt idéalisante, marquée par le néo-pétrarquisme, tantôt plus réaliste, voire satirique. Publications présentées comme une succession de micro-recueils dauteur, les Delices de la poësie françoise par exemple sont censé promouvoir la langue et la poésie de l« école malherbienne ». Ils sont ainsi investis dune portée politique notable. Au milieu du siècle au contraire, le recueil collectif de poésies peut aussi se lire comme un document. Le livre imprimé accueille les productions dune certaine forme de sociabilité et diffuse un imaginaire de la création poétique précis. Il ne sagit plus de consacrer des auteurs, comme cest le cas chez Toussaint du Bray – lhonnête homme, après tout, « ne se pique de rien2 ». Au contraire, le recueil collectif enregistre lesprit qui règne notamment dans les lieux de sociabilité galante de la capitale. Il donne ainsi une pérennité à des compositions damateurs, nées des petites circonstances dans le monde, par exemple la querelle autour des « sonnets rivaux » de Voiture et de Benserade ou la mort dun animal domestique comme le perroquet de madame du Plessis-Bellière.

Le lien avec la production contemporaine se lit aussi dans les genres et formes poétiques regroupés dans les recueils. Les compositions longues au début du xviie siècle où domine lalexandrin seront supplantées au milieu du siècle par des pièces plus brèves en vers mêlés, et par le prosimètre, forme mondaine par excellence3 : le recueil collectif poétique devient recueil collectif mixte. La variété formelle saccroît encore dans les années qui suivent. Au plus tard avec la fondation du Mercure galant, les compositions en prose et celles en vers sy trouvent à égalité et on bascule vers le recueil collectif composite. Si la variété continue dêtre un des plus grands atouts du recueil collectif, la diversité thématique du début du siècle cède la place à la diversité formelle. La succession des recueils collectifs, par leurs différences et leurs points communs, dessine ainsi une évolution de la création poétique au xviie siècle. Elle 201nous offre, partant, un nouveau regard sur lhistoire littéraire du siècle classique, une histoire de la poésie à lire au fil des compilations.

Ces recueils poétiques sont parfaitement en mesure de concurrencer le recueil poétique dauteur, voire de le remplacer. Comme la montré Christophe Bourgeois, les poètes religieux fameux de nos jours (Chassignet, Lazare de Selve, La Ceppède, …) jouissaient seulement dun intérêt médiocre à leur époque qui leur a préféré les poètes du Louvre : Desportes, Malherbe, Du Perron, Bertaut4 – ces poètes qui justement tiennent le premier rang dans les compilations du début du xviie siècle. Autrement dit, le florilège poétique est peut-être bien plus à même de répondre aux goûts dun public large que ne sauraient le faire des monographies. On peut donc penser que ce nest pas par la publication de recueils sous nom dauteur, mais bien par des recueils collectifs que les poètes du xviie siècle accèdent à la notoriété, éventuellement suivie, ultérieurement, dune consécration par la parution de leurs « œuvres ».

1 Pensons à la Digression sur les Anciens et les Modernes (1688) de Fontenelle, voir La Querelle des Anciens et des Modernes, A.-M. Lecoq (dir.), Paris, Gallimard, 2002, p. 294-313. Voir également E. Mortgat, Clio au Parnasse, op. cit., particulièrement « Un laboratoire du relativisme historique », p. 320-323.

2 F. de La Rochefoucauld, Maximes et Réflexions diverses (1665), éd. J. Lafond, Paris, Gallimard, 1976, maxime 203.

3 Voir D. Denis, Le Parnasse galant, op. cit., p. 159-160.

4 Voir C. Bourgeois, Théologies poétiques, op. cit., p. 723-727.