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Classiques Garnier

Le Français à Londres

  • Publication type: Book chapter
  • Book: Théâtre. Tome I
  • Pages: 381 to 422
  • Collection: French Theatre Library, n° 67
  • CLIL theme: 3622 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Théâtre
  • EAN: 9782406099055
  • ISBN: 978-2-406-09905-5
  • ISSN: 2261-575X
  • DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-09905-5.p.0381
  • Publisher: Classiques Garnier
  • Online publication: 11-09-2020
  • Language: French
381

LE FRANÇAIS À LONDRES

382

ACTEURS[n. p.]

le marquis de polinville, Français.

le baron de polinville, Français.

éliante, veuve anglaise.

milord craff, père dÉliante.

milord houzey, fils de Milord Craff.

jacques rosbif, négociant anglais.

finette, servante française.

La scène est à Londres, dans un hôtel garni 1 .

383

LE FRANÇAIS[n. p.]
À LONDRES,
COMÉDIE

Scène première

le baron de polinville, le marquis de polinville.

le marquis

Ce nétait pas la peine de me faire quitter Paris, le centre du beau monde et de la politesse2 ; et je me serais bien passé de voir une ville aussi triste et aussi mal élevée que Londres.

le baron

Je texcuse, Marquis ; tu en parlerais autrement si tu avais eu le temps de la mieux connaître.

le marquis[4]

Non, Baron, je connais assez mon Londres, quoique je ny sois que depuis trois semaines. Tiens, ce que les Anglais ont de mieux, cest quils parlent français, encore ils lestropient.

le baron

Et nous lestropions nous-mêmes pour la plupart, et si3 nous ne parlons que notre langue ; leur conversation est pleine de bon sens.

le marquis

Leur conversationa ! Ils nen ont point du tout. Ils sont une heure sans parler, et nont autre chose à vous dire que How die dob, comment vous portez-vous4 ? Cela fait un entretien bien amusant.

384

le baron

Les Anglais ne sont pas brillants, mais ils sont profonds.

le marquis

Veux-tu que je te dise ? Au lieu de passer les trois quarts de leur vie dans un café à politiquer5, et à lire des chiffons de gazettes6, ils feraient mieux de voir bonne compagnie chez eux, dapprendre à mieux recevoir les honnêtes gens qui leur rendent visite, et à sentir un peu mieux ce que vaut un joli homme7.

le baron

Sais-tu bien, Marquis, puisque tu mobliges à te parler sérieusement, quil ne faut que trois ou quatre têtes folles comme la tienne, pour achever de nous décrier dans un pays où notre réputation de sagesse nest pas trop bien établie ? Et que tu as déjà donné deux ou trois scènes qui tont fait connaître de toute la ville ?

le marquis[5]

Tant mieux, les gens de mérite ne perdent rien à être connus.

le baron

Oui, mais le malheur est que tu nes pas ici connu en beau, on ty tourne par tout en ridicule ; on dit que tu es un gentilhomme français 385si zélé pour la politesse de ton pays, que tu es venu exprès à Londres pour ly enseigner publiquement, et pour apprendre à vivre8 à toute lAngleterre.

le marquis

Elle en aurait grand besoin, et jen serais très capable.

le baron

Mais sais-tu, mon petit parent, que lamour aveugle que tu as pour les manières françaises, te fait extravaguer ? Quau lieu de vouloir assujettir à ta façon de vivre une nation chez qui tu es, cest à toi à te conformer à la sienne, et que, sans la sage police9 qui règne dans Londres, tu te serais déjà fait vingt affaires pour une10 ?

le marquis

Mais sais-tu, mon grand cousin, que trois ans de séjour que tu as fait à Londres, tont furieusement gâté le goût, et tu y as même pris un peu de cet air étranger quont tous les habitants de cette ville ?

le baron

Les habitants de cette ville ont lair étranger ! Que diable veux-tu dire par-là ?

le marquis

Je veux dire quils nont pas lair quil faut avoir, [6] cet air libre, ouvert, empressé, prévenant, gracieux, lair par excellence ; en un mot, lair que nous avons nous autres Français.

386

le baron

Il est vrai, messieurs les Anglais ont tort davoir lair anglais chez eux, ils devraient avoir à Londres lair que nous avons à Paris.

le marquis

Ne crois pas rire, comme il ny a quun bon goût, il ny a aussi quun bon air, et cest sans contredit le nôtre.

le baron

Cest ce quils te disputeront.

le marquis

Et moi je leur soutiens quun homme qui na pas lair que nous avons en France, est un homme qui fait tout de mauvaise grâce, qui ne sait ni marcher, ni sasseoir, ni se lever, ni tousser, ni cracher, ni éternuer, ni se moucher ; quil est par conséquent un homme sans manières : quun homme sans manières nest pas présentable nulle part, et que cest un homme à jeter par les fenêtres, quun homme sans manières.

le baron

Oh ! Monsieur le Marquis des manières, si vous trouviez à les troquer contre un peu de bon sens, je vous conseillerais de vous défaire dune partie de ces manières.

le marquis

Cest pourtant à ces manières dont tu me fais tant la guerre, que jai lobligation dune conquête, mais dune conquête brillante.

le baronc[7]

Voilà encore la maladie de nos Français qui voyagent. Ils sont si prévenus de leur prétendu mérite auprès des femmes, quils croient que rien ne résiste au brillant de leurs airs, aux charmes de leur personne, et quils nont quà se montrer pour charmer toutes les belles dune contrée. Un regard jeté par hasard sur eux, une politesse faite sans dessein, leur est un sûr garant dune victoire parfaite11. Ils sérigent en petits conquérants des cœurs, et de lair dont ils quittent la France, 387ils semblent moins partir pour un voyage, qualler en bonne fortune. Mais, Marquis…

le marquis

Mais, Baron éternel12 ce nest pas sur un regard équivoque, sur une simple civilité que je suis assuré quon maime ; cest parce que lon me la dit à moi-même, parlant à ma personne.

le baron

Eh ! Peut-on savoir quel est ce rare objet ?

le marquis

Cest une jeune veuve de Canterbury13, fille dun milord, belle, riche, qui est à Londres pour affaires. Le hasard ma procuré sa connaissance, je suis venud exprès loger dans cet hôtel garni, où elle demeure depuis huit jours quelle a changé de quartier.

le baron

On la nomme ?

le marquis

Éliante.

le baron

Éliante ! Je la connais, je lai vue plusieurs fois chez Clorinde, une de ses amies : cest une dame du premier mérite.

le marquis[8]

Mais tu men parles dun ton à me faire croire quelle ne test pas indifférente.

le baron

Il est vrai, je ne le cache point, cest de toutes les femmes que jai vues, celle dont je rechercherais la possession avec le plus dardeur ; et je tavouerai franchement, que sil dépendait de moi, il nest rien que je ne fisse pour te supplanter.

388

le marquis éclatant de rire.

Toi, me supplanter ? Moi ?

le baron

Oui, toi-même ; jaurais cette audace.

le marquis

Je voudrais voir cela. Mais dis-moi, mon très cher cousin, sait-elle les sentiments que tu as pour elle ?

le baron

Je crois quelle les ignore.

le marquis

Tu me fais pitié, mon pauvre garçon ; et si tu veux, je me charge de les lui apprendre pour toi.

le baron

Tu es trop obligeant je prendrai bien cette peine-là moi-même, et je nattends que loccasion…

le marquis

Oh ! Parbleu, je veux te la procurer ; et, sans aller plus loin, voici Éliante elle-même qui vient fort à propos pour cela.

Scène 2 [ 9 ]

le baron, le marquis, éliante.

le marquis, à Éliante.

Madame, vous voulez bien que je vous présente ce gentilhomme français ; il est mon parent et mon rival tout ensemble ; il vous a vue chez Clorinde ; vous avez fait sa conquête sans le savoir, il cherche loccasion de vous le déclarer, elle soffre, je la lui procure.

éliante

En vérité, Marquis…

389

le marquis

Sous un air timide et discret, cest un garçon dangereux, je vous en avertis. Il veut me supplanter, Madame, il veut me supplanter.

éliante

Brisons-là, cest pousser trop loin la plaisanterie.

le baron

Madame, la plaisanterie ne tombe que sur moi, je la mérite ; le Marquis en badinant na dit que la vérité. Pardonnez un transport dont je nai pas été le maître ; je nai pu mempêcher de lui avouer que je navais jamais rien vu de si adorable que vous, et de lui témoigner une surprise mêlée de dépit sur ce quil vient de me dire, quil avait le bonheur dêtre aimé de vous.

éliante, au Marquis.

Quoi, Monsieur ! Vous êtes capable…

le marquis[10]

Eh ! Madame, quel mal y a-t-il à cela ? Vous êtes femme de condition14, je suis homme de qualité15 ; vous êtes riche, jai du bien ; vous êtes veuve, je suis garçon16 ; vous avez dix-neuf ans, jen ai vingt-quatre ; vous êtes belle, je suis aimable, nous sommes faits lun pour lautre ; nous nous aimons tous deux, à quoi bon le cacher ?

éliante

Mais je ne vous aime pas, Monsieur ; et quand cela serait, je veux quon ait de la discrétion ; jaime le mystère.

390

le marquis

Le mystère ! Madame. Ah ! fi, le mauvais ragoût17.

éliante

Oui, en France, où lon naime que par air, où lon naspire à être aimé que pour avoir la vanité de le dire, où lamour nest quun simple badinage, quune tromperie continuelle, et où celui qui trompe le mieux passe toujours pour le plus habile. Mais ce nest pas ici de même ; nous sommes de meilleure foi, nous naimons uniquement que pour avoir le plaisir daimer, nous nous en faisons une affaire sérieuse ; et la tendresse parmi nous est un commerce de sentiments, et non pas un trafic de paroles.

le marquis

Mais il faut toujours avoir quelquun à qui lon puisse conter ses amours ; dans le roman le plus exact18, il ny a point de héros qui nait son confident. Jai pris le Baron pour le mien, il est garçon discret, et je suis dans la règle.

le baron[11]

Jaurai de la discrétion par rapport à madame ; car pour toi, rien ne moblige à garder le secret. Cest un aveu que tu mas fait par vanité, et non pas une confidence.

éliante, au Marquis.

Je vous trouve admirable…

le marquis

Baron, prends congé de madame ; tu nas pas lesprit de tapercevoir que tu lennuies ; tu lui dis des choses désagréables ; tu la gênes ; tu es ici de trop.

391

éliante

Si quelquun est ici de trop, ce nest pas monsieur.

le marquis

Ah ! Je vois pour le coup que vous êtes piquée. Pour vous punir, je vous laisse avec lui ; quil vous entretienne, Madame, quil vous entretienne, je ny perdrai rien, vous men goûterez mieux tantôt.

Il sort.

Scène 3

le baron, eliante.

éliante

Voilà ce quon appelle un Français ?

le baron

Daignez, Madame, ne pas les confondre tous avec lui, et soyez persuadée quil en est…

éliante[12]

Je le sais, Monsieur ; je ne suis pas assez injuste ni assez déraisonnable, pour ne pas sentir la différence quil y a entre vous et lui, et pour ne pas vous accorder toute lestime que vous méritez.

le baron

Oui, vous mestimez, Madame, et vous aimez le Marquis.

éliante, agitée.

Moi, jaime le Marquis ! Qui vous la dit, Monsieur ?

le baron

Votre émotion, lair même dont vous vous en défendez.

éliante

Non, je le méprise trop pour laimer.

392

le baron

Je my connais, Madame ; un pareil mépris nest quun amour déguisé. Vous laimez dautant plus que vous êtes fâchée de laimer.

éliante

Eh ! Que diriez-vous si jen épousais un autre ?

le baron

Un autree ! Que je serais heureux, si ce choix pouvait me regarder ! Vous ne sauriez vous venger plus noblement du Marquis, ni faire en même temps le bonheur dun homme dont vous soyez plus tendrement aimée.

éliante

Monsieur le Baron…

le baron

Sans me faire valoir, je possède un bien assez considérable, je sors dune maison assez illustre, et jai pour vous des sentiments distingués…

éliante[13]

Monsieur, la chose est assez sérieuse pour mériter une mûre réflexion ; je vous demande du temps pour y penser.

le baron

Adieu, Madame, je vous laisse ; lamour vous parle pour le Marquis. Vous laimez toujours, cest le seul défaut que je vous connaisse, et je crains bien que vous ne vous en corrigiez pas si tôt.

Il sen va.

Scène 4

éliante, seule.

Oh ! Je men corrigerai, je men corrigerai. Je suis femme, et jai pu me laisser éblouir par les grâces et par le faux brillant dun mérite superficiel ; mais je suis Anglaise en même temps, par conséquent capable de me servir de toute ma raison. Si le Marquis continue…

393

Scène 5

éliante, finette

finette

Madame, voilà une lettre quon a oublié de vous remettre hier au soir.

éliante[14]

Voyons. Cest mon père qui mécrit ; je reconnais lécriture.

Elle lit.

Je pars en même temps que ma lettre, et je serai demain à Londres sans faute. On ma écrit que votre frère hantait19 mauvaise compagnie, et quil venait de faire tout nouvellement connaissance avec un certain marquis français qui achève de le gâter. Comme je ne puis être à Londres que trois jours, et que je dois de là partir pour la Jamaïque20, jai résolu de lemmener et de vous marier avant mon départ avec Jacques Rosbif ; cest un riche négociant, fort honnête homme, et qui nest pas moins raisonnable pour être un peu singulier. Votre extrême jeunesse ne vous permet pas de rester veuve21 ; et je compte que vous naurez pas de peine à vous conformer aux volontés dun père qui ne cherche que votre avantage, et qui vous aime tendrement.

Milord Craff .

finette

Monsieur votre père arrive aujourdhui pour vous marier avec Jacques Rosbif. Miséricorde ! Cest bien lAnglais le plus disgracieux, le plus taciturne, le plus bizarre, le plus impoli que je connaisse.

394

éliante

Ah ! Finette, quelle nouvelle ! Mon cœur est agité de divers mouvements que je ne puis accorder. Jaime le Marquis, et je dois peu lestimer. Jestime le Baron, et je voudrais laimer. Je hais Rosbif, et il faut que je lépouse, puisque mon père le veut.

finette

Mais, Madame, nêtes-vous pas veuve, et par conséquent maîtresse de vous-même ?

éliante[15]

Ma grande jeunesse, la tendresse que mon père ma toujours témoignée, le bien22 même que je dois en attendre, ne me permettent pas de me soustraire à son obéissance.

finette

Quoi ! Vous pourrez, Madame, vous résoudre à épouser encore un homme de votre nation, après ce que vous avez souffert avec votre premier mari ? Avez-vous si tôt oublié la triste vie que vous avez menée pendant deux ans que vous avez vécu ensemble ? Toujours sombre, toujours brusque, il ne vous a jamais dit une douceur ; se levant le matin de mauvaise humeur pour rentrer le soir ivre, vous laissant seule toute la journée, ou réduite à la passer tristement avec dautres femmes aussi malheureuses que vous, à faire des nœuds23, à tourner votre rouet pour tout amusement, et à jouer de léventail pour toute conversation. Mort de ma vie ! Je ne permettrai pas que vous fassiez un pareil mariage, ou vous me donnerez mon congé tout à lheure.

éliante

Que veux-tu que je fasse ?

finette

Que vous ayez le courage de vous rendre heureuse, et que vous épousiez un homme de mon pays, un Français. Considérez, Madame, que cest la meilleure pâte de maris quil y ait au monde ; quils doivent 395servir de modèle aux autres nations, et quun Français a cent fois plus de politesse et de complaisance pour sa femme, quun Anglais nen a pour sa maîtresse. Une belle dame, comme vous, serait adorée de son mari en France ; il ne croi[16]rait pas pouvoir faire un meilleur usage de son bien, que de lemployer à se ruiner pour vous ; il naurait pas de plus grand plaisir que de vous voir brillante et parée, attirer tous les regards, assujettir tous les cœurs : le premier appartement, le meilleur carrosse et les plus beaux laquais seraient pour madame. Vous verriez sans cesse une foule dadorateurs empressés à vous plaire, ingénieux à vous amuser, étudier vos goûts, prévenir vos désirs, sépuiser en fêtes galantes, vous promener de plaisirs en plaisirs, sans que votre époux osât y trouver à redire, de peur dêtre sifflé24 de tous les honnêtes gens.

éliante

Mais, Finette, comment faut-il my prendre pour déterminer mon père ?

finette

Il faut lui parler avec la noble fermeté qui convient à une veuve, sans sortir du respect que doit une fille à son père ; il faut lui représenter que les maris de ce pays-ci ne sont pas faits pour rendre une femme heureuse, que vous en avez déjà fait lexpérience, et quil soffre un parti plus avantageux et plus conforme à votre inclination : un marquis français, jeune, riche, bien fait.

éliante

Mon père ny consentira jamais ; il est déjà prévenu contre lui, comme tu las vu par sa lettre ; car cest assurément de lui dont on lui aura parlé.

finette

Milord Craff votre père est un homme sensé, il ne sera pas difficile de lui faire entendre raison.

éliante[17]

Moi-même jai lieu de nêtre pas contente du Marquis ; son indiscrétion et son étourderie…

396

finette

Bon ! Bon ! Il faut lui passer quelque chose en faveur de la jeunesse et des grâces. Mais voici Milord Houzey votre frère, cest du fruit nouveau25 !

Scène 6

milord houzey, éliante, finette.

milord houzey

Eh ! Bonjour, ma petite sœur.

éliante

Bonjour, mon frère ; tu te rends bien rare depuis quelque temps ?f

milord houzey

Que veux-tu ? Tu as changé de quartier, et je ne sais que daujourdhui ta nouvelle demeure ; dailleurs, depuis que je ne tai vue, jai été entraîné par une chaîne de plaisirs, et jai fait connaissance avec un jeune seigneur français, quon appelle le Marquis de Polinville. Cest bien le garçon le plus aimable, le plus gracieux !… Tiens, moi qui brille, sans vanité, parmi tout ce quil y a de beaux26 à Londres, je ne suis quun maussade auprès de lui, et je ne compte savoir vivre, que du jour que je le connais. Ah ! Quil ma appris de choses en cinq ou six conversations, et que [18] je me suis façonné avec lui en quatre jours de temps ! Cela nest pas concevable, et tu dois me trouver bien changé !

éliante

Cela est vrai, je te trouve beaucoup plus ridicule quà lordinaire.

finette

Allez, ne la croyez pas, je ne vous ai jamais vu si gentil.

397

milord houzey

Jétais sot, timide, embarrassé, quand je me trouvais avec des dames ; je ne savais que leur dire : mais à présent, ce nest plus cela. Si tu me voyais dans un cercle de femmes, tu serais étonnée, ma petite sœur. Je suis sémillant, je badine, je folâtre, je papillonne, je voltige de lune à lautre, je les amuse toutes. Je parais poli, respectueux en public ; mais je suis hardi, entreprenant tête à tête. Rien ne plaît plus au beau sexe quune noble assurance.

éliante

Tu te gâtes, mon frère, et tu deviens libertin.

finette

Une petite pointe de libertinage ne messied pas à un jeune homme, et rien ne le polit plus que le commerce des femmes.

milord houzey

Finette a raison, cest elle qui ma donné la première leçon de politesse : je ne loublierai pas. Elle est modeste, mes louanges la font rougir27. Ma foi, vive les femmes ! Elles sont lâme de tous les plaisirs. Par exemple, à table, rien nest plus charmant quune jolie femme en pointe de vin28, qui chante un air à boire, ou [19] qui sattendrit le verre à la main. Nous autres Anglais, nous nentendons pas nos intérêts quand nous vous bannissons de nos parties. Nous ne buvons que pour boire, et nous portons la tristesse jusquau sein de la joie. Il nest que les Français pour faire agréablement la débauche29. Jai fait avant-hier avec le Marquis, le plus délicieux souper au Lion rouge30, le tout accommodé par un cuisinier 398français, et servi à petits plats, mais délicats ; nous étions en femmes. Tiens, ma petite sœur, je nai jamais eu tant de plaisir en ma vie. Que desprit ! Que denjouement ! Que de volupté ! Que nous fîmes… Que nous dîmes de jolies choses ! Je ty souhaitai plus dune fois, tant je suis bon frère31.

éliante

Le marquis français est un fort bon maître. Il vous instruit bien, à ce que je vois.

milord houzey

Je veux te le faire connaître. Il ne sera pas malaisé, car je viens dapprendre quil loge dans ce même hôtel. Je lui ai déjà parlé de toi, sans te nommer pourtant32. Il me vient une idée. Je lui dois donner à souper ce soir au Lion rouge. Tout est déjà commandé pour cela. Il faut que tu sois des nôtres, et Finette aussi33.

finette, faisant la révérence.

Vous me faites trop dhonneur, Monsieur.

éliante

Je le veux bien, mais à condition que mon père, qui arrive aujourdhui, sera aussi de la partie.

milord houzey

Mon père arrive aujourdhui ?

éliante[20]

Oui, aujourdhui même ; et vos fredaines, dont il est informé, sont en partie cause de son voyage.

399

milord houzey

Il vient bien mal à propos. Que ces pères sont incommodes ! Voilà notre partie dérangée. Adieu, ma sœur, je vais contremander le souper, et déprier nos gens.

Scène 7

éliante, finette.

finette

Votre frère se forme, Madame.

éliante

Il se gâte plutôt, et le voilà enrôlé dans la coterie de nos beaux dAngleterre ; engeance ici dautant plus insupportable, quelle a tous les vices de vos petits maîtres de France, sans en avoir les grâces34. Mais quelquun vient. Ah ! Cest le vilain Rosbif. Depuis quon en veut faire mon mari, je le trouve encore plus désagréable.

finette

Cela est naturel35. Allez rentrez, Madame. Laissez-moi le soin de recevoir sa visite pour vous. Je vais le congédier à la française.

Éliante rentre.

Scène 8 [ 21 ]

jacques rosbif, finette.

rosbif, à Finette, qui lui fait plusieurs révérences.

Finissez avec toutes vos révérences qui ne mènent à rien.

400

finette

Vous êtes naturellement si civil et si honnête à légard des autres, quon ne se lasse pas de lêtre envers vous.

rosbif

Verbiage encore inutile. Venons au fait. Où est Éliante ?

finette

Elle nest pas visible.

rosbif

Elle doit lêtre pour son prétendu.

finette, éclatant de rire.

Vous, son prétendu ? Ah, ah, ah !

rosbif

Oui, moi-même ; quest-ce quil y a là de si plaisant ?

finette

Je vous demande pardon, Monsieur, mais votre figure est si extraordinaire, que je ne puis mempêcher den rire.

rosbif

Vous êtes une impudente avec toute votre politesse.

finette[22]

Mais, Monsieur…

rosbif

Je mappelle Jacques Rosbif, et non pas Monsieur. Je vous ai dit cent fois, ma mie, que ce nom-là maffligeait les oreilles. Il y a tant de faquins qui le portent…

finette

Eh bien, Jacques Rosbif, puisque Jacques Rosbif y a, regardez-vous dans votre miroir, et rendez-vous justice. Il vous dira que vous nêtes ni assez bien mis, pour être présenté à la fille dun Milord, ni assez aimable pour être son mari. Je veux vous faire voir un jeune marquis de chez moi, 401qui loge dans cet hôtel. Cest là ce qui sappelle un joli homme ! Et si ce nest encore rien en comparaison de nos jeunes seigneurs de la Cour.

rosbif

Je gage que cest cet original de marquis de Polinville. Je ne serai pas fâché de le voir. On men a fait un portrait si ridicule…

finette

Parlez avec plus de respect dun Français et surtout dun Français homme de qualité.

rosbif

Quest-ce quelle vient me chanter avec son homme de qualité ? Je me moque, moi, dune noblesse imaginaire, les vrais gentilshommes ce sont les honnêtes gens, il ny a que le vice de roturier.

finette

Cest là le discours dun marchand qui voudrait trancher du philosophe. Mais je vois entrer monsieur le marquis lui-même. Vous allez trouver à qui parler.

Scène 9 [ 23 ]

le marquis, rosbif, finette.

finette, au Marquis.

Monsieur le Marquis, voilà un homme que je vous donne à décrasser36. Il en a grand besoin, je vous le recommande : son nom est Jacques Rosbif, ne loubliez pas.

Elle sort.

402

Scène 10

le marquis, rosbif.

le marquis, à part.

Elle a raison, cet homme na pas lair avantageux37. Nimporte ; faisons-lui politesse, ne nous démentons point. (À Rosbif.) Monsieur, peut-on vous demander qui est-ce qui me procure de votre part, lhonneur dune attention si particulière.

rosbif

La curiosité38.

le marquis

Mais encore, ne puis-je savoir à quoi je vous suis bon ?

rosbif

À me dire au vrai, si vous êtes le Marquis de Polinville.

le marquis[24]

Oui, cest moi-même.

rosbif

Cela étant, je men vais masseoir, pour vous voir plus à mon aise.

Il se met dans un fauteuil.

le marquis

Vous êtes sans façon, Monsieur, à ce quil me paraît39.

rosbif, dun ton flegmatique.

Allons, courage, donnez-vous des airs, ayez des façons, dites-nous de jolies choses. Je vous regarde, je vous écoute.

403

le marquis

Comment, Jacques Rosbif, mon ami, vous raillez, je pense ; vous tirez sur moi. Tant mieux, morbleu, tant mieux. Jaime les gens qui montrent de lesprit, et même à mes dépens. Je vois que vous êtes venu ici pour faire assaut desprit avec moi. Touchez-là, cest me prier dune partie de plaisir. Mais prenez garde à vous, je suis un rude joueur, je vous en avertis ; jen ai désarçonné de plus ferme que vous. Quand ma cervelle est une fois échauffée, vous diriez dun40 feu dartifice. Ce ne sont que fusées, ce ne sont que pétards, bz, pif, paf, pauf, un coup nattend pas lautre. Eh quoi ! Vous avez déjà peur : vous avez perdu la parole. Allons, du cœur, défendez-vous, ripostez-moi donc ? Je naime pas la gloire aisée, vous débutez par un coup de feu, et vous en demeurez là. Vous ne répondez rien. Là, avouez du moins votre défaite. Hem, plaît-il ? Jenrage, pas le mot ; holà, hey, Jacques Rosbif, vous dormez, réveillez-vous ; oh, parbleu, voilà un animal bien taciturne, je crois [25] quil le fait exprès pour mimpatienter, mais je nen serai pas la dupe. Je vais suivre son exemple, et faire une conversation à langlaise41.

Il va sasseoir vis-à-vis Rosbif, le regarde longtemps sans rien dire ;
ensuite il interrompt son silence de trois ou quatre houdyedo42
quil lui adresse en le saluant.

Si quelquun savisait découter aux portes, il serait bien attrapé. Cest donc là, Monsieur, tout ce que vous avez à me dire ? En vérité, il faut avouer que votre conversation est bien agréable, et quil y a beaucoup à profiter avec vous. Où prenez-vous toutes les belles choses que vous dites ? Il vous échappe des traits, mais des traits dignes dêtre imprimés. À votre place, jaurais toujours à mes côtés un homme qui écrirait toutes mes réparties. Cela ferait un beau livre au moinsg.

rosbif, se levant brusquement.

Il nennuierait pas le public. Il vaut mieux se taire que de dire des fadaises et se retirer que den écouter. Adieu, je vous ai donné le temps de déployer toute votre impertinence, et jai voulu voir si vous étiez aussi 404ridicule quon me lavait dit. Il faut vous rendre justice, vous passez votre renommée. Vous avez tort de vous laisser voir pour rien. Vous êtes un fort joli bouffon, et vous valez bien trois shillings43.

Il sort.

Scène 11

le marquis, seul.

Japprendrais à parler à ce brutal-là44, sil portait une épée45.

Scène 12 [ 26 ]

le marquis, éliante, finette

finette

Eh bien, Monsieur, avez-vous dégourdi notre homme ?

le marquis

Va te promener, tu viens de me mettre aux prises avec le plus grand cheval de carrosse, lanimal le plus sot…

éliante

Donnez, sil vous plaît, dautres épithètes à un homme qui doit être mon époux.

le marquis

Lui, votre époux, Madame ? Ah ! Si je lavais su, il serait sorti avec deux oreilles de moins46. Mais vous voulez badiner, et ce personnage-là…

405

éliante

Je ne badine point du tout. Mon père vient exprès pour ce mariage.

le marquis

Et vous y consentirez ?

éliante

Je ny aurais peut-être pas consenti, si vous aviez été plus raisonnable ; mais votre indiscrétion, et vos airs éventés…

finette

Oh ! Ne querellons point, nous nen avons pas le [27] temps. Ne songeons quà nous bien entendre tous trois pour donner lexclusion à Jacques Rosbif. Commencez, Madame, par tout oublier.

éliante

Soit. Je suis bonne, je veux bien lui pardonner encore cette fois-ci. Mais ce sera la dernière, et à condition quil sera plus discret et plus retenu à lavenir. Mon père arrive incessamment, ainsi, Monsieur, modérez cette vivacité française quand vous le verrez. Surtout point dairs, et fort peu de manières.

le marquis, avec affectation.

Je vous proteste, je vous jure, Madame, que je serai désormais le plus simple, le plus uni de tous les hommes.

éliante

Fort bien. En me disant que vous serez le plus simple, le plus uni de tous les hommes, vous êtes tout le contraire. Vous donnez des coups de tête, vous gesticulez, vous parlez dun ton et dun air…

finette

Eh ! Madame, voulez-vous que monsieur le Marquis ait lair dun Caton à son âge47 ?

406

le marquis

Non, elle veut que jaie lair de monsieur Jacques Rosbif son prétendu.

éliante

Monsieur, je veux que vous ayez lair raisonnable, et que vous preniez monsieur le Baron pour modèle.

le marquis

Moi, je ne copie personne, Madame, je me pique dêtre original.

éliante[28]

On le voit bien. Mais souvenez-vous toujours que je ne vous pardonne quà condition que vous changerez dair et de conduite, et surtout que vous ne ferez plus de souper au Lion rouge. Adieu, je vous laisse. Finette et moi, nous allons au-devant de mon père.

Elle sort avec Finette.

Scène 13

le marquis, seul.

Elle me parle du Lion rouge ! Qui diantre a pu linformer du souper que jy ai fait ? Je suis encore prié pour ce soir. Mais voici le petit Milord Houzey ; cest justement notre Amphytrion48, je vais me dégager.

Scène 14

le marquis, milord houzey.

milord houzey

Monsieur le Marquis, jai un vrai chagrin de ne pouvoir pas vous donner à souper ce soir ; mon père arrive aujourdhui, et je viens vous prier de remettre la partie à une autre fois.

407

le marquis

Je suis charmé du contretemps, mon cher Milord, car aussi-bien je naurais pas pu être des vôtres.

milord houzey[29]

Moi, jen suis au désespoir. Je compte pour perdus tous les moments que je nai pas le bonheur dêtre avec vous. Vos conversations sont autant de leçons pour moi ; plus je vous vois, et plus je sens la supériorité que vous avez sur nous.

le marquis, à part.

Ce jeune homme est assez poli pour un Anglais.

milord houzey

Enseignez-moi de grâce comment vous faites pour être si aimable. Cest un je ne sais quoi qui nous manque, que je ne puis exprimer.

le marquis

Et quil ne vous sera pas difficile dattraper. Vos discours, vos façons vous distinguent déjà de vos compatriotes. Vous savez vivre, vous sentez votre bien, et vous avez lair français.

milord houzey

Jai lair français ! Ah ! Monsieur, vous ne pouvez me dire rien dont je sois plus flatté. Cest de tous les airs celui que jambitionne le plus.

le marquis

Vous avez du goût, Milord, vous irez loin. Vous avez de la figure, vous avez des grâces. Ce serait un meurtre de les enfouir, il faut les développer, Monsieur, il faut les développer. La nature commence un joli homme, mais cest lart qui lachève.

milord houzey

Et en quoi consiste précisément cet art ?

le marquis

En des riens qui échappent, et quil faut saisir ; en des bagatelles qui font les agréments. Un coup de tête, [30] un air dépaule, un geste, 408un souris, un regard, une expression, une inflexion de voix, la façon de sasseoir, de se lever, de tenir son chapeau, de prendre du tabac, de se moucher, de cracher. Par exemple, permettez-moi de vous dire que vous mettez votre chapeau en garçon marchand. Regardez-moi. Cest ainsi quon le porte à la cour de France. Oui, comme cela.

milord houzey

Je ne loublierai pas ; jai les airs, les manières, les façons.

le marquis

Doucement, Monsieur, allons bride en main49. Ne confondons point, sil vous plaît, les uns avec les autres. Les airs sont distingués des manières, et les manières des façons. On a des manières, on fait des façons, on se donne des airs. Un homme du monde, par exemple, a des manières (écoutez ceci, cest la quintessence du savoir-vivre) un homme du monde a des manières par égard, par attention pour les autres, pour leur marquer la considération quil a pour eux, lenvie quil a de leur plaire et de sattirer leur bienveillance. Est-il dans un cercle ? Il est toujours attentif à ne rien faire, à ne rien dire que dobligeant : il prête poliment loreille à lun, répond gracieusement à lautre, applaudit celui-ci dun sourire, fait agréablement la guerre à celui-là ; dit une douceur à la mère, et regarde tendrement la fille. Vous fait-il un plaisir ? La façon dont il le fait, est cent fois au-dessus du plaisir même. Par exemple, sil sait que vous avez besoin dune somme dargent, il vous la glisse doucement dans la poche, sans que vous y preniez garde. De toutes les manières, cette dernière est la plus belle, mais [31] par malheur, cest la moins usitée. Vous refuse-t-il quelque chose, ce qui est plus ordinaire, il assaisonne ce refus de paroles si douces, et de tant de politesse, que vous croyez lui avoir encore obligation. Allez-vous voir sa femme ? Il séchappe adroitement, il vous laisse le champ libre ; et voilà ce quon appelle un homme qui sait vivre, un homme qui a des manières !

milord houzey

Et un homme bon à connaître. Monsieur le Marquis, et les façons ?

409

le marquis

Un provincial fait des façons par une politesse mal entendue, par une ignorance des usages, et faute de connaître la cour et la ville. Complimenteur éternel, il vous assommera de sa civilité maussade. Il vous estropiera, pour vous témoigner combien il vous estime, et sera aux coups de poing avec vous, pour vous obliger à prendre le haut du pavé50, ou vous jettera tout au travers dune porte, pour vous faire passer le premier. On nomme cela être poliment brutal, ou brutalement poli. Ainsi souvenez-vous des façons pour nen jamais faire.

milord houzey

Je ny manquerai pas.

Scène 15

milord craff, le marquis, milord houzey.

milord craff, dans le fond du théâtre.

Je cherche partout mon fils, mais le voilà appa[32]remment avec ce marquis français : asseyons-nous un peu pour écouter leur conversation.

milord houzey

Et les airs ?

le marquis

Un joli homme se donne des airs (redoublez dattention, je vous prie, car ceci est profondh), un joli homme se donne des airs par complaisance pour lui-même, pour apprendre aux autres le cas quil fait de sa personne, pour les avertir quil a du mérite, quil en est tout pénétré, quon y fasse attention. Est-il à la promenade ? Il marche fièrement, la tête haute, les deux mains dans la ceinture, comme pour dire à ceux qui sont autour de lui, rangez-vous, Messieurs, regardez-moi passer : nai-je pas bon 410air ? Suis-je pas fait au tour51 ? Et vous, Mesdames les friponnes, qui me parcourez des yeux en souriant, vous voudriez me posséder, vous voudriez me posséder. Voit-il passer quelquun de sa connaissance ? Il affecte une politesse de seigneur, il lui fait une inclination de tête, comme sil lui disait : Allez, bonjour, Monsieur, je me souviens de vous, je vous protège. Entre-t-il quelque part ? Il se précipite dans un fauteuil, une jambe sur lautre, tape du pied, marmotte52 un petit air, joue dune main avec son jabot53, et se caresse le menton de lautre ; il sen conte à lui-même, et semble se parler ainsi : en vérité je suis un fripon bien aimable, et voilà un visage qui donne sûrement de la tablature54 à la dame du logis. Va-t-il voir une bourgeoise ? Eh ! Bonjour ma petite Fanchonnette ; comment te portes-tu ? Te voilà jolie comme un petit ange. Ça, vite, quon vienne sasseoir près de moi, quon me baise, quon [33] me caresse, quon ôte ce gant, que je voie ce bras, que je le mange, que je le croque ; tu détournes la tête, tu recules, tu rougis. Eh ! Fi donc, ma pauvre enfant, tu ne sais pas vivre. Est-ce quon refuse à un homme comme moi ? Est-ce quon se fait prier ? Est-ce quon a de la pudeur dans le monde ?

milord houzey

Voilà une instruction dont je ferai mon profit.

le marquis

Tout ce que je vous dis là, paraît fat à bien des gens ; mais cela est nécessaire : il faut safficher soi-même, il faut se donner pour ce quon vaut : il faut avoir le courage de dire tout haut quon a de lesprit, du cœur, de la naissance, de la figure. Le monde ne vous estime quautant que vous vous prisez vous-même ; et de toutes les mauvaises qualités quun homme peut avoir, je nen connais pas de pire que la modestie : elle étouffe le vrai mérite, elle lenterre tout vivant. Cest leffronterie, morbleu, cest leffronterie qui le met au jour, qui le fait briller !

411

milord houzey

À présent que je sais ce que cest que les airs, ah que je vais men donner, que je vais men donner !

milord craff, dans le fond du théâtrei.

Mon fils est dans de très belles dispositions, et voilà un fort bel entretien.

milord houzey

Puisque nous sommes sur ce chapitre, je voudrais vous prier de mapprendre quelles sont les qualités qui entrent nécessairement dans la composition dun joli homme.

le marquis[34]

Il faut être né dabord avec un grand fonds de confiance et de bonne opinion de soi-même ; un heureux penchant à la raillerie et à la médisance, avec un goût dominant pour le plaisir, et même pour le libertinage ; un amour extrême pour le changement et pour la coquetterie.

milord houzey

Oh ! Grâce au Ciel, je suis fourni de tout cela.

le marquis

Mais par dessus tout cela il faut avoir reçu de la nature les grâces en partage, sans quoi les autres qualités deviennent inutiles ; de la liberté, du goût, de lenjouement, du badinage, de la légèreté dans tout ce que vous faites ; choquez plutôt les bienséances que de manquer dagrément. Lagrément est avant tout, il fait tout passer ; et sil fallait opter, jaimerais cent fois mieux faire une impertinence avec grâce, quune politesse avec platitude ; des traits, de la vivacité, du joli, du brillant dans ce que vous dites. Ne vous embarrassez pas du bon sens, pourvu que vous fassiez voir de lesprit ; on ne fait briller lun quaux dépens de lautre.

milord craff, dans le fond du théâtre.

Quelle impertinence !

milord houzey

Il me paraît, Monsieur le Marquis, que vous oubliez deux qualités importantes.

412

le marquis

Lesquelles ?

milord houzey

Le don de mentir aisément, et le talent de jurer avec énergie.

le marquis[35]

Vous avez raison, rien norne mieux un discours quun mensonge dit à propos, ou quun serment55 fait en temps et lieu.

milord houzey

Cest encore ce que je possède assez bien, surtout je jure fort joliment, et personne ne prononce mieux que moi un ventrebleu, un le diable memporte, un la peste métouffe.

milord craff, dans le fond du théâtre.

Ah ! Le petit fripon !

le marquis

Eh, fi donc, Monsieur, ce sont des serments usés, qui traînent partout ; il faut des serments plus distingués, des serments tout neufs. Je vous ferai présent la première fois56 dun recueil dimprécations et de serments nouvellement inventés par un capitaine de dragons57, revus par un officier de marine, et augmentés par un abbé gascon qui avait perdu son argent au trictrac58. Cest un fort bon livre, et qui vous instruira.

milord craff, se levant brusquement.

Cest trop de patience, je ny puis plus tenir.

413

milord houzey

Ah ! Japerçois mon père. Je ne le croyais pas si près.

milord craff, dun air ironique.

Vous voulez bien, Monsieur le Marquis, que je vous remercie des bonnes et solides instructions que vous donnez-làj à mon fils. (À Milord Houzey, dun ton sec.) Pour vous, Monsieur, je suis bien aise de voir comme vous employez votre temps.

milord houzey, dun air embarrassé.[36]

Monsieur le Marquis… a la bonté… de me former le goût.

le marquis, regardant Milord Craff.

Oui, oui, Monsieur, je lui apprends des choses, dont vous ne feriez pas mal de profiter vous-même.

milord craff, à Milord Houzey.

Allez retirez-vous. Je vous donnerai tantôt dautres leçons.

Milord Houzey sen va.

Scène 16

le marquis, milord craff.

le marquis

Oh ! Parbleu, je vous défie de lui donner dans toute votre vie, autant desprit que je viens de lui en donner en un quart dheure de temps.

milord craff

Avant que de vous répondre, je vous prie de me dire ce que cest que lesprit, et en quoi vous le faites consister ?

le marquis

Lesprit est à légard de lâme ce que les manières sont à légard du corps. Il en fait la gentillesse et lagrément, et je le fais consister à dire de jolies choses sur des riens, à donner un tour brillant à la moindre bagatelle, un air de nouveauté aux choses les plus communes.

414

milord craff

Si cest là avoir de lesprit, nous nen avons pas ici, [37] nous nous piquons même de nen pas avoir ; mais si vous entendez par lesprit le bon sens…

le marquis

Non, Monsieur, je ne suis pas si sot de confondre lesprit avec le bon sens. Le bon sens nest autre chose que ce sens commun qui court les rues, et qui est de tous les pays. Mais lesprit ne vient quen France. Cest, pour ainsi dire, son terroir ; et nous en fournissons tous les autres peuples de lEurope. Lesprit ne fait que voltiger sur les matières, il nen prend que la fleur. Cest lui qui fait un homme aimable, vif, léger, enjoué, amusant, les délices des sociétés, un beau parleur, un railleur agréable ; et pour tout dire, un Français. Le bon sens au contraire sappesantit sur les matières en croyant les approfondir, il traite tout méthodiquement, ennuyeusement. Cest lui qui fait un homme lourd, pédant, mélancolique, taciturne, ennuyeux, le fléau des compagnies, un moraliseur, un rêve-creux, en un mot un…

milord craff

Un Anglais, nest-ce pas ?

le marquis

Par politesse, je ne voulais pas trancher le mot : mais vous avez mis le doigt dessus.

milord craff

Cest-à-dire, selon votre langage, quun Anglais est un homme de bon sens qui na pas desprit ?

le marquis

Fort bien.

milord craff

Et quun Français est un homme desprit qui na pas le sens commun ?

le marquis

À merveille.

415

milord craff[38]

Toute la nation française vous doit un remerciement pour une si belle définition. Mais puisque vous renoncez au bon sens, savez-vous bien, Monsieur, que je suis en droit de vous refuser lesprit ?

le marquis

Allez, Monsieur, vous vous moquez des gens. Pouvez-vous me refuser ce que je possède, et que vous navez pas ?

milord craff

Je prétends vous prouver que lesprit ne peut exister sans le bon sens.

le marquis

Exister, exister ! Voilà un mot qui sent furieusement59 lécole60.

milord craff

Quoique je sois homme de condition, je nai pas honte de parler comme un savant ; et je vous soutiens que lesprit nest autre chose que le bon sens orné ; quainsi…

le marquis

Ah ! Vous mallez pousser un argument.

milord craff

Je ferai plus, je vous démontrerai…

le marquis

Non, Monsieur, on ne me démontre rien ; on ne me persuade pas même.

milord craff

Quelque opiniâtre que vous soyez, je vous convaincrai61 par la force de mon raisonnement…

416

le marquis[39]

Vous avez là un diamant qui me paraît beau, et merveilleusement bien monté.

milord craff

Ne voilà-t-il pas mon homme desprit, quun rien distrait, quune niaiserie occupe, tandis quon agite une question sérieuse.

le marquis

Eh ! Monsieur, ne voyez-vous pas que cest une manière adroite dont je me sers pour vous avertir poliment de finir une dissertation qui me fatigue ?

milord craff

Cest une chose étonnante que le bon sens vous soit à charge, et quil ny ait que la bagatelle…

le marquis, chante.

Sans l amour et sans ses charmes,

Tout languit dans l univers 62 .

milord craff

Pour un garçon qui fait métier de politesse, cest bien en manquer ; et je suis bien bon de vouloir faire entendre raison à un Calotin63 !

le marquis

Halte-là, Monsieur. Quand on nous attaque par un trait, par un bon mot, nous tâchons dy répondre par un autre ; mais, quand on va jusquà linsulte, quon nous dit grossièrement des injures, voici notre réplique.

Il tire lépée.

417

Scène 17 [ 40 ]

le marquis, milord craff, le baron.

le baron, saisissant lépée du Marquis.

Arrête, Marquis ; apprends quà Londres il est défendu de tirer lépée.

le marquis

Comment ! Morbleu, on mennuiera, et je ne pourrai pas le témoigner ? Ensuite on moutragera, et il ne me sera pas permis den tirer vengeance ? Ah ! Jen aurai raison, fût-ce de toute la ville.

milord craff

Jai besoin de tout mon flegme pour contenir ma juste colère.

le baron, au Marquis.

Modère ce transport ; tu nes pas ici en France.

le marquis

Je sors ; car si je demeurais plus longtemps, je ne serais pas mon maître. Adieu, Monsieur de lAngleterre, si vous avez du cœur, nous nous verrons hors la ville64.

Il sort.

Scène 18 65 [ 41 ]

le baron, milord craff.

le baron

Je vous fais réparation66 pour lui, Monsieur. Je vous prie dexcuser létourderie dun jeune homme qui sort de son pays pour la première fois, et qui croit que toutes les mœurs doivent être françaises.

milord craff

En vérité, Monsieur, vous métonnez.

418

le baron

Doù vient ?

milord craff

Vous êtes Français, et vous êtes raisonnable ?

le baron

Eh ! Monsieur, pouvez-vous donner dans un préjugé si peu digne dun galant homme, tel que vous me paraissez être, et décider de toute une nation sur un étourdi comme celui que vous venez de voir ? Croyez-moi, Monsieur, il est en France des gens raisonnables autant quailleurs : et sil se trouve parmi nous des impertinents, nous les regardons du même œil que vous, et nous sommes les premiers à connaître et à jouer leur ridicule. Dailleurs, cest un malheur que nous partageons avec les autres peuples. Chaque nation a ses travers, chaque pays a ses originaux. Sortez donc, Monsieur, dune erreur qui vous fait tort à vous-même, et rendez-vous à la raison dont vous faites tant de cas.

milord craff

Oui, Monsieur, je my rends. Je sens combien cet[42]te raison est puissante sur les esprits, quand elle est accompagnée de politesse et dagrément. Je vous demande votre amitié avec votre estime ; vous venez demporter toute la mienne.

le baron

Ah ! Monsieur, mon amitié vous est tout acquise. Souffrez que je vous embrasse et que je vous témoigne la joie que je ressens davoir conquis le cœur dun Anglais, et dun Anglais de votre mérite. La victoire est trop flatteuse pour ne pas en faire gloire.

milord craff

Adieu, Monsieur, je sors tout pénétré de ce que vous mavez dit.

Il sort.

419

Scène 19

le baron, seul.

Cest ainsi que les hommes se préviennent les uns contre les autres sans se connaître ; quelques raisonnables quils soient, ils ne sont pas à labri des préjugés de léducation.

Scène 20

le baron, finette.

finette

Ah ! Monsieur, savez-vous à qui vous venez de parler là ?

le baron[43]

À un très galant homme, cest tout ce que jen sais.

finette

Cest au père de ma maîtresse.

le baron

Au père dÉliante ? Laventure est heureuse pour moi.

finette

Elle ne lest guères pour monsieur le Marquis. Il vient, sans le connaître, davoir du bruit avec lui ; il ma dit la chose tout en colère, ensuite il est sorti sans vouloir mécouter. Il faut justement que cela lui arrive dans le temps que ma maîtresse et moi nous avions fait revenir Milord Craff de la mauvaise idée quon lui avait donnée de lui, et quil était prêt de laccepter pour gendre.

Scène 21

le baron, éliante, finette.

le baron, à Éliante.

Eh bien, Madamek, êtes-vous déterminée ?

420

éliante

Oui, à suivre en tout les volontés de mon père. Ainsi, Monsieur, si vous voulez mobtenir, cest à lui quil faut sadresser.

le baron

Madame, jy vole.

Scène 22 [ 44 ]

éliante, finette.

finette

Que faites-vous, Madame ?

éliante

Ce que je dois faire, après ce que je viens dapprendre du Marquis : si je lui pardonnais, je serais indigne de lamitié de mon père. Ce dernier trait vient de mouvrir les yeux, et me donne pour le Marquis tout le mépris quil mérite.

Scène 23

milord craff, le baron, rosbif, éliante, finette.

milord craff, au Baron et à Rosbif.

Messieurs, je ne puis vous répondre quen présence de ma fille. Mais la voici.

Scène dernière [ 45 ]

milord craff, le baron, le marquis,
milord houzey, rosbif, éliante, finette

milord houzey, tenant le Marquis par la main.

À Milord Craff.

Mon père, voilà monsieur le Marquis qui est au désespoir de ce qui sest passé. Il est naturellement si poli…

421

milord craff

Taisez-vous, petit coquin ; vous avez vous-même besoin de quelquun qui me parle pour vous.

le marquisl

Monsieur, je navais pas lhonneur de vous connaître.

milord craff

Il suffit, Monsieur, jexcuse votre jeunesse. Je ne veux pas même gêner ma fille. Je me contenterai de lui représenter…

éliante

Non, mon père, décidez vous-même. Lépoux que vous me donnerez sera toujours sûr de me plaire.

le marquis, parle bas à Éliante.

Vous risquez de me perdre ; vous vous en repentirez, Madame.

milord craff, à Éliante.

Comme je nai que trois jours à demeurer ici, et quil faut absolument vous marier avant mon départ, [46] je vais tâcher de faire un choix digne de vous et de moi. Monsieur le Marquis, vous êtes un fort joli cavalier.

le marquis

Je le sais bien, Monsieurm.

milord craff

Mais vous faites trop peu de cas de la raison, et cest la chose dont on a plus de besoin dans un état aussi sérieux que celui du mariage.

À Milord67 Rosbifn.

Pour vous, Monsieur, vous avez un fond de raison admirable, mais vous négligez trop la politesse, et elle est nécessaire pour rendre un mariage heureux, puisquelle consiste en ces égards mutuels qui contribuent le plus au contentement de deux époux. Vous ne trouverez donc pas mauvais, Messieurs, que je vous préfère monsieur le Baron, qui réunit lun et lautre. Il a tout ce quil faut pour faire le bonheur de ma fille.

422

le baron, à Milord Craff.

Cest vous, Monsieur, qui faites le mien ; mais il ne peut être parfait, si le cœur de madame nest daccord avec vos bontés.

éliante

Nen doutez point, Monsieur, puisque mon père me donne pour époux lhomme du monde que jestime le plus.

le marquis

Adieu, Madame, vous êtes plus punie que moi. Vous maimez, et je pars.

Il sen va.

milord houzey

Nous partons. Je vais faire mon cours de politesse en France.

Il sort68.

rosbif, à Milord Craff.[46]

Adieu, je vous pardonne de mavoir refusé. Ce Français-là mérite dêtre Anglais ; vous ne pouviez pas mieux choisir.

Il se retire.

le baron, à Milord Craff.

Vous venez, Monsieur, de me convaincre que rien nest au-dessus dun Anglais poli.

milord craff

Et vous mavez fait connaître, Monsieur, que rien napproche dun Français raisonnable.

FIN69.

1 « Garni, ie. part. pass. On dit, chambre garnie, pour dire une maison meublée dustensiles nécessaires et toute prête à louer aux passants ou aux hôtes qui y arrivent. Les étrangers, les provinciaux sont obligés de loger en chambre garnie. » (DU, 1701, tome II.) « Hôtel, sest dit depuis quelque temps des maisons garnies, et des célèbres hôtelleries ou auberges. » (DU, 1701, tome II.)

2 La réplique rappelle celle de Magdelon dans Les Précieuses ridicules : « Il faudrait être lantipode de la raison pour ne pas confesser que Paris est le grand bureau des merveilles, le centre du bon goût, du bel esprit et de la galanterie » (scène 9, dans Molière Œuvres complètes, éd. de Robert Jouanny, Paris, Classiques Garnier, 2014, p. 204).

3 Dans le sens de « néanmoins ».

4 « il leur arrive quelquefois de se taire assez longtemps ; alors ils ont coutume de rompre ce long silence par des how dye do ? Comment vous portez-vous ? » (Muralt, Lettres sur les Anglais et les Français, publiées avec une notice sur lauteur par E. Ritter, Berne et Paris, Steiger et cie – Librairie Le Soudier, 1897, p. 68-69)

5 « Politiquer » est un néologisme inventé par Boissy. Voir aussi : « Tu es aussi sot quun homme qui sest enivré de bière pendant toute la nuit et qui na fait autre chose le matin que de prendre du café, parler de politique et lire les gazettes » (Muralt, op. cit., p. 29).

6 « Chiffons » sert ici à désigner le peu de valeur que le marquis de Polinville accorde à ces petites feuilles dinformation, mais rappelle aussi plaisamment leur origine, puisque le papier, au xviiie siècle, est fait à partir de chiffons macérés et blanchis. Il est significatif quun Français, petit-maître il est vrai, tienne en si piètre estime les ancêtres de la presse dinformation, essentielle à lexercice de la démocratie. Significativement, le baron de Polinville, qui est à Londres depuis plus longtemps, ne manifeste pas le même mépris, en Français qui pense.

7 « Joli homme », « homme de bel air », « homme à la mode » sont autant dalternatives pour désigner les petits-maîtres parmi lesquels le marquis de Polinville se compte. Voir aussi, pour éclairer cette réplique, les propos de Muralt : « À tous égards, les Français semblent être faits pour la société ; ils aiment les hommes, et par là déjà ils méritent den être aimés. Mais dordinaire ils ne sont pas contents des sentiments damitié quils inspirent ; ils veulent être applaudis et admirés, et de nous autres étrangers particulièrement. Ils nous regardent presque comme faits pour cela, et comme les admirant davance et il faut avouer quen cela ils ne se trompent pas entièrement, et que la plupart des étrangers sont faits comme ils les supposent. Ce quils veulent surtout que nous admirions en eux, cest lesprit, la vivacité, la politesse, les manières. » (op. cit., p. 106)

8 « Vivre, se dit aussi en parlant de lart de se conduire dans le monde. [] On dit aussi quon apprendra à vivre à quelquun, pour dire quon le châtiera de quelque action imprudente quil aura faite. » (DU, 1701, tome III.)

9 Le terme ne désigne pas ici linstitution chargée de maintenir lordre (très critiquée chez Muralt), mais les lois, les ordonnances contre les duels prises par les rois.

10 Lexpression nest pas attestée par les dictionnaires, mais se comprend : le marquis se serait attiré de nombreuses provocations en duel pour chaque offense. À noter que Barbou, 1727 et Néaulme, 1733 livrent ici une seule phrase, entrecoupée seulement de virgules, et sans signe dinterrogation à la fin. Cette ponctuation minimale est également employée dans les répliques suivantes. La transcription du texte semble ainsi conçue à lintention des acteurs, dont le travail consiste précisément à le découper en unités de sens.

11 Derrière ladaptation « nationaliste », qui fait tout le charme de la pièce de Boissy, on reconnaît là le topos du jeune homme infatué qui se croit irrésistible.

12 « Éternel, se dit aussi des choses [] qui durent plus quil ne faut. » (DU, 1701, tome II.)

13 Ville du Sud-Est de lAngleterre, célèbre pour sa cathédrale.

14 « Condition, signifie aussi la qualité, la naissance, létat où on est né : auquel sens il na point du pluriel. » (DU, 1701, tome I.)

15 « Qualité, se dit aussi pour marquer le rang, la naissance, la condition des personnes. Quand on dit absolument, un homme de qualité, cest un homme qui tient un rang distingué, soit par sa noblesse, soit par ses emplois, ou ses dignités. » (DU, 1701, tome III.)

16 « Garçon. s. m. Enfant mâle à qui ce nom demeure jusquà ce quil soit marié. » (DU, 1701, tome II.)

17 « Ragoût. s. masc. Sauce, assaisonnement pour donner de lappétit à ceux qui lont perdu, ou pour le réveiller, ou pour le chatouiller. [] Ragoût se dit aussi des choses qui renouvellent dautres désirs que ceux de lappétit. [] Le mystère est un des plus agréables ragoûts de lamour. H. S. de M. » (DU, 1701, tome III.) En qualifiant le mystère de « mauvais ragoût », le marquis de Polinville sinscrit en faux contre cette maxime, universellement reçue à lépoque. Il fait ainsi preuve de mauvais esprit.

18 « Exact, se dit aussi des choses qui se font avec soin, avec exactitude. » (DU, 1701, tome II.) Il faut donc comprendre que même dans le roman qui suit le plus scrupuleusement les règles du genre, le héros principal a le droit de soulager son cœur auprès dun confident.

19 « Hanter, v. act. [] Fréquenter, être souvent en la compagnie de quelquun, soit quon lui fasse des visites, soit quon reçoive les siennes. []Hanter, se dit aussi des lieux où lon va ordinairement. » (DU, 1701, tome II.)

20 Cette indication donne une idée des occupations et de lorigine de la fortune de Milord Craff, probablement propriétaire de plantations de canne à sucre (celles-ci font la réputation de la Jamaïque au xviiie siècle). Il est également possible que Milord Craff y aille pour superviser la réception dun lot desclaves destinés à travailler sur ces plantations.

21 Éliante a dix-neuf ans, elle na donc pas encore atteint la majorité légale. Par ailleurs, comme indiqué à la note 4 du Babillard, la liberté des femmes est fort encadrée et limitée, même quand elles sont majeures, et veuves.

22 Cest-à-dire, lhéritage.

23 Occupation à la mode parmi les femmes dans les années 1730, de multiples fois mentionnée dans les romans comme preuve de désœuvrement et de frivolité.

24 Cest-à-dire, ridiculisé. La complaisance des maris français pour leurs femmes est un topos de la comédie de mœurs, une « preuve » de la décadence des mœurs dans la France moderne.

25 « Fruit. [] On dit proverbialement, quand on reçoit la visite dune personne quil y avait longtemps quon navait vue, Ha, cest un fruit nouveau de vous voir. » (DU, 1701, tome II.)

26 Constituant à peu près léquivalent des petits-maîtres français, les « beaux » anglais partagent avec eux le soin excessif pour leur mise, et la volonté de se mettre en valeur dans la société.

27 La rougeur de Finette suggère un sous-entendu grivois quant à la « leçon de politesse » quelle a pu donner à ce jeune homme.

28 « Pointe, se dit aussi de ce qui commence à paraître. » (DU, 1701, tome III.) Une jeune femme en pointe de vin signifie donc une jeune femme un peu éméchée.

29 « Les jeunes hommes de qualité ont des rendez-vous entre eux, ou tout se passe à peu près de même, sans gaieté, et sans beaucoup de conversation, ou du moins sans rien de fort poli ni de fort suivi. » (Muralt, op. cit., p. 39)

30 Il existe à Londres un établissement appelé Le Lion rouge (The Red lion), dans Parliament street, sur lemplacement où une « public house » est attestée dans des documents du xve siècle. Toutefois, il nest pas certain que lendroit portait ce nom au xviiie siècle, ni que Boissy ait eu en tête ce cabaret particulier en écrivant sa pièce. Lappellation peut rappeler aussi le lion rampant qui figure sur la bannière royale dÉcosse, et par conséquent sur les drapeaux du roi dAngleterre que Boissy a pu voir.

31 Autre preuve de corruption du jeune homme, qui nhésiterait pas à mêler sa sœur avec les femmes de mauvaise vie avec lesquelles il a dû faire la fête au cabaret.

32 Cette précision est essentielle pour la crédibilité du duel entre le Marquis et Milord Craff : le Marquis affirme quil naurait pas tiré lépée sil savait que celui à qui il avait à faire était aussi le père dÉliante.

33 Linvitation de la soubrette est une preuve de libertinage ; le jeune Houzey mélange les rangs et les conditions.

34 « On y voit entre autres ceux que les Anglais appellent des Beaux, espèce de copie des marquis français, mais moins incommodes, en ce quils ne cherchent pas tant à se faire écouter quà se faire regarder. Il y a de lapparence quils ne prospéreront pas dans ce pays de bon sens, où une contenance et des manières extravagantes, une façon dhabit nouvelle et recherchée, nattirent lattention que de peu de gens, et lestime de personne, et où un homme tout extérieur et visiblement occupé de soi-même, court risque de passer pour un fou, plutôt que pour un joli homme. » (Muralt, op. cit., p. 39)

35 Allusion au stéréotype qui veut quune femme déteste son mari après le mariage, quelque éprise quelle ait été de lui auparavant.

36 Si « polir » signifie corriger le naturel de quelquun pour le rendre plsu agréable, « décrasser » ici est à peu près léquivalent de « civiliser », opération antérieure au « polissage ».

37 « Avantageux en paroles, est celui qui parle insolemment, qui emporte tout à force de crier, ou qui dit des choses fâcheuses à celui qui le contredit. » (DU, 1701, tome I.) En soulignant lair peu avantageux de Rosbif, le Marquis fait ressortir sa gaucherie et sa réserve.

38 Les réponses de Rosbif sont laconiques, comme il sied à un Anglais.

39 Sans façon, car Rosbif nattend pas dêtre invité à sasseoir pour prendre une chaise.

40 La syntaxe de Boissy est ici un peu particulière, ou bien il manque une partie du texte : on attend plutôt « vous diriez quil sagit dun feu dartifice ».

41 Il faut imaginer cette tirade interrompue par des moments de silence, quand le Marquis attend une réaction de la part de son rival.

42 Nouvelle transcription « phonétique » de « how do you do ? ». Le Marquis essaie dengager la conversation avec les quelques bribes danglais quil connaît.

43 Rosbif conseille au Marquis de Polinville de se faire payer comme les saltimbanques. Selon le DU, un shilling vaut 13 ou 14 sols français. La somme reste dérisoire, renforçant le caractère cinglant du propos.

44 « Brutal se dit aussi dun homme qui ne sait pas vivre, qui ne ménage personne, qui rompt en visière aux gens, et qui brusque tout le monde. » (DU, 1701, tome I)

45 En tant que négociant, Jacques Rosbif ne porte pas dépée, donc le Marquis de Polinville ne peut pas le provoquer en duel pour lui faire payer linsolence de ses propos.

46 On coupe les oreilles aux condamnés de droit commun, afin de les faire reconnaître ; à défaut de pouvoir se battre avec Rosbif, le Marquis veut donc le flétrir dune marque infâmante.

47 Caton lancien (234-149 av. J.-C.), homme politique et écrivain romain, est le parangon du moraliste sévère, du censeur des plaisirs, au xviiie siècle.

48 « Personne chez laquelle ou aux frais de laquelle on dîne. » (Trésor de la langue française informatisé, consulté le 27 mai 2018, [http:// stella.atilf.fr/])

49 « On dit aussi, quil faut aller bride en main en quelque affaire, pour dire quil faut agir lentement et après une mûre délibération. » (DU, 1701, tome I.)

50 « On appelle le haut du pavé, le pavé qui est du côté des maisons. Prendre le haut du pavé, cest marcher proche des maisons. On cède le haut du pavé aux personnes à qui on veut faire civilité, comme on leur cède la main droite dailleurs. » (DU, 1701, tome III.) Cet usage se comprend si on se rappelle quun égout à ciel ouvert occupe dhabitude le milieu de la rue dans les villes de lAncien Régime.

51 Généralement, lexpression signifie « être bien fait », comme daprès un modèle.

52 « Marmotter, v. act. Mot bas qui signifie, parler entre ses dents, remuer les lèvres sans se faire entendre. » (DU, 1701, tome II.)

53 « Jabot, se dit aussi chez les marchands dune pièce de dentelle quon met par ornement à la fente dune chemise dhomme. » (DU, 1701, tome II.)

54 « On dit proverbialement, Je lui ai bien donné de la tablature, pour dire, Je lui ai suscité une affaire fort difficile, et dont il aura bien de la peine à se démêler. » (DU, 1701, tome III.)

55 On appelle ainsi les jurons au xviiie siècle, car Dieu est habituellement pris à témoin (comme dans « que la peste métouffe », à la réplique suivante). De même, dautres jurons font référence à la divinité de façon déformée (voir dans la réplique suivante « ventrebleu », « parbleu » ailleurs dans le texte) ou sous-entendue (« par le sang »).

56 Pour « la prochaine fois que je vous vois, dès que possible ».

57 « Dragon, en termes de guerre, est une sorte de cavalier sans bottes, qui marche à cheval, et qui combat à pied. » (DU, 1701, tome I.) Il sagit dun corps darmée à la réputation de grossièreté et de cruauté bien établie, quon avait employé notamment pour procéder à la conversion forcée des calvinistes. On imagine dès lors lénormité des jurons quun capitaine de dragons peut proférer.

58 Jeu de société très répandu au xviiie siècle, qui se joue avec des dés sur un tablier semblable à celui du backgammon.

59 Lutilisation dadverbes hyperboliques est un trait du langage précieux, et « furieusement » a été plus particulièrement épinglé par Molière dans Les Précieuses ridicules : « Cathos : Il est vrai, mon oncle, quune oreille un peu délicate pâtit furieusement à entendre prononcer ces mots-là [] » (scène iv, op. cit., p. 199).

60 « École se dit aussi par opposition à la science du monde, des manières dexpliquer les sciences dans les collèges. Cest parler en termes décole, cela sent lécole, de manière pédantesque et scolastique. » (DU, 1701, tome II.)

61 Corrigé daprès Néaulme, 1758, le texte de base porte « que vous soyez, je vous convaincrez ».

62 Le Marquis fredonne un air de la tragédie lyrique Ajax, de Toussaint Bertin de la Doué sur un livret de Menesson, représentée pour la première fois le 20 avril 1716. Les deux vers en question figurent à lacte IV, scène 6.

63 Membre du régiment de la Calotte, société festive et carnavalesque, qui délivre en se moquant des brevets de « calotinage » aux personnes ayant commis une bêtise ou une folie notoire. En loccurrence, Milord Craff accuse le Marquis dêtre incapable de penser sérieusement, comme les Calotins qui ne songent quà se divertir.

64 Autrement dit, le Marquis provoque Milord Craff en duel ; pour échapper à la police et aux dénonciations, ceux-ci étaient organisés hors de la ville.

65 La scène nest pas numérotée dans le texte de base ; corrigé daprès Néaulme 1758.

66 Pour « je vous demande pardon ».

67 Le négociant Rosbif ne peut pas être un Milord ; Boissy semble employer le mot comme équivalent de « Monsieur ». La variante donnée en note de fin est plus correcte, de ce point de vue.

68 Milord Craff renonce-t-il au projet damener son fils avec lui à la Jamaïque, contrairement à ce quil lavait écrit à Éliante ? Boissy oublie ce projet punitif et éducatif, ou bien cherche-t-il à montrer ici un père dépassé par le libertinage de son fils ?

69 Lédition de base porte, après le mot de fin, la mention : « Lapprobation et le privilège sont aux Œuvres du même auteur. »