L'exote exact Préface
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Voyages en exotismes. Ailleurs, histoire et littérature (xixe-xxe siècles)
- Auteur : Dugas (Guy)
- Pages : 7 à 8
- Collection : Perspectives comparatistes, n° 36
- Série : Littérature et mondialisation, n° 3
Chapitre d’ouvrage : 1/46 Suivant
L’exote exact
Préface
Qu’il soit littéraire ou, plus largement parlant, artistique, l’exotisme, « genre provocant » et difficile à cerner parce que tout autant défini par le regard que par l’objet regardé, a aujourd’hui mauvaise presse. Cette théorie, qui n’en serait pas une, ce mot lui-même, « assez prostitué déjà » du temps de Segalen (Stèles), sont à présent assez consensuellement rejetés : les historiens les soupçonnent de graves approximations, voire de coupables complicités ; les littéraires contemporains détestent leurs supposées mièvreries agrémentées ici de « Loti et lotus » et là du fameux « triptyque du palmier, de la mouquère et du chameau » (Louis Bertrand) ; les anthropologues leur reprochent un jeu illusoire et essentialiste avec l’autre et l’ailleurs… Sans parler de nos nouveaux maîtres à tous, à la fois historiens, ethnologues et littéraires issus des « Cultural studies » qui, des quatre coins du monde1, font désormais de l’exotisme l’une des dix plaies, souvent l’une des causes, du colonialisme.
Convenons une fois pour toutes de la complexité de l’histoire des Empires, de sa résistance à toute rupture, à tout manichéisme. Aux concepts très alambiqués, restés pourtant si ambigus, d’identité métisse ou rhizomatique, d’hybridité, d’inter ou de trans-culturalité, Alain Quella-Villéger a toujours opposé cet attachant « regard nomade » qu’il promène sur les cinq continents, sur leur histoire comme sur leurs cultures : nomadisme géographique, de l’île de Pâques à Zanzibar ; historique, des empires coloniaux aux grands conflits mondiaux ; littéraire, de Pierre Loti, son auteur fétiche, à l’explorateur René Caillié et des Augiéras aux Tinayre. Son regard de poète et d’écrivain n’apparaîtra pas ici, puisqu’il est d’usage dans le monde universitaire de ne pas mélanger les genres.
8Qu’il se montre historien scrupuleux ou ethnologue précis, littéraire amoureux du mot rare ou anthropologue soucieux du divers, c’est toujours un œil neuf et jouissif, comme surpris et nourri d’une grande sensibilité, cependant toujours juste et exact de ton, que l’auteur pose sur le monde. C’est cette démarche transdisciplinaire et libre de toute théorie, dégagée de toute grille de lecture préétablie, rétive à tout enfermement et qui travaille tout autant sur des faits que sur des imaginaires, imagologie comprise, qui, à mes yeux, caractérise Alain Quella-Villéger : docteur ès-lettres en Histoire contemporaine, agrégé d’Histoire-géographie, il s’est toujours situé en marge de toutes les disciplines consacrées, à un carrefour d’approches, d’influences et d’écritures.
Avec lui, j’ai connu durant plus de quinze ans la belle aventure des Carnets de l’exotisme, qui publièrent les signatures de Julien Gracq comme de Leïla Sebbar, d’Edmonde Charles-Roux comme de Michel Tournier ou Marcelino Truong, revue aujourd’hui saluée des romanciers (François Bon, Daniel Rondeau…) comme des historiens, du moins ceux, de plus en plus nombreux, pour qui « la période coloniale n’est plus une parenthèse de l’Histoire […], mais un élément parmi d’autres d’une identité complexe que la notion de nomadisme cerne mieux que celle, si ambigüe, de métissage2 ».
Comment les jeunes universitaires d’aujourd’hui – si férus de « post » – post-modernité autant que post-culturalisme et post-colonialisme – jugeront-ils ces Voyages en exotismes ? Dans quel rayon de nos bibliothèques cet ouvrage prendra-t-il place ? Qu’importe à ce parfait honnête homme, voyageur au regard nomade ; il ne s’en soucie guère, le voilà reparti vers l’ailleurs, vers l’Autre proche ou lointain, laissant son lecteur confiant emboîter son pas d’exote exact.
Guy Dugas
Professeur de Littérature Comparée
Université Paul Valéry-Montpellier 3
1 Me revient cette entrée du Dictionnaire des idées reçues de Flaubert : « Dites les quatre coins de la terre puisqu’elle est ronde ». Dans ce dictionnaire moqueur, figurent des entrées assassines sur l’école et l’université, une autre, plus valorisante sur les ruines, mais aucune sur l’exotisme… On n’en attendait pas davantage de l’auteur de Salammbô.
2 Olivier Barlet, « Le Retour permanent de l’Afrique au cœur des ténèbres », in La Fracture coloniale. La Société française au prisme de l’héritage colonial, sous la dir. de Pascal Blanchard, Nicolas Bancel et Sandrine Lemaire, Paris, La Découverte, coll. Cahiers Libres, 2005, p. 228.
- Thème CLIL : 4028 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes de littérature comparée
- ISBN : 978-2-8124-4767-9
- EAN : 9782812447679
- ISSN : 2261-5709
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-4767-9.p.0007
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 17/02/2017
- Langue : Français