[Introduction de la quatrième partie]
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Un entrepreneur des lettres au xviie siècle. Donneau de Visé, de Molière au Mercure galant
- Pages : 321 à 322
- Collection : Lire le xviie siècle, n° 69
- Série : Discours critique, n° 2
Aucune entreprise éditoriale du xviie siècle ne mobilisa autant de moyens et ne concentra autant d’enjeux que le Mercure galant. À partir de 1678, un volume de plusieurs centaines de pages parut chaque mois, à un prix abordable, mêlant histoire, nouvelles politiques, récits de fêtes et galanteries, mais aussi gravures, musique, médailles et jeux de société. Donneau publia en outre des produits dérivés tels que des Extraordinaires et des récits de bataille supplémentaires. Les évocations du périodique dans différents ouvrages contemporains – une femme bavarde ou un rouge à lèvres sont qualifiés de « Mercure galant1 » – illustrent son emprise sur l’imaginaire collectif. La virulence et le nombre des critiques – celle de La Bruyère au premier chef – signalent avant tout l’importance de l’entreprise : l’apparition et le développement du Mercure galant transformèrent profondément le paysage médiatique et politique, l’historiographie du règne et le champ littéraire, en diffusant chaque mois une production abondante et diverse. Ouvrage fondamentalement collaboratif, il facilita l’accès au statut d’auteur et permit à ses lecteurs d’interagir par l’entremise du livre, dépassant ainsi les contraintes géographiques et sociologiques du monde réel.
Le traitement du Mercure galant par l’histoire littéraire est un véritable cas d’école. En le reléguant pendant plusieurs siècles au rang de curiosité mondaine – et l’on passe les qualificatifs misogynes – elle marginalisa habilement un ouvrage qui contredisait nombre d’idées reçues sur le xviie siècle. Le périodique fut une pièce maîtresse de la politique louis-quatorzienne et une plateforme culturelle participative de premier plan pour le royaume de France. En parallèle, son contenu fut suffisamment sérieux pour que des études récentes le considèrent comme un prototype de l’Encyclopédie2. En tant qu’entreprise, le Mercure galant révèle la vitalité du livre dans le second xviie siècle, la complexité 322du paysage médiatique, les contraintes auxquelles auteurs et imprimeurs furent confrontés et les solutions innovantes qu’ils imaginèrent.
L’objectif de cette quatrième partie est donc de faire table rase des préjugés critiques à l’égard du périodique et de reprendre ce dossier à zéro. Comprendre le Mercure galant nécessite de mobiliser tous les éléments étudiés jusqu’ici. Sa conception s’appuie en effet sur les techniques de composition par pièces et le modèle selon lequel le livre est d’abord un support. Il bénéficie également du savoir-faire publicitaire de Donneau de Visé, de son habileté de fripier, ainsi que de son expérience du travail en flux tendu. Son contenu reprend enfin celui des précédents ouvrages, des Nouvelles Nouvelles à L’Amour échappé. En cela, le Mercure galant peut être qualifié d’hyperstructure, en ce qu’il accueille, prolonge et étend les possibilités des entreprises précédentes. La combinaison de ces différents éléments et le régime périodique engendrèrent un objet résolument nouveau et complexe, aux enjeux et fonctions multiples.
Il ne s’agit donc pas de mener une étude thématique des contenus publiés dans le Mercure galant, telle que l’a réalisée Monique Vincent. Les pages qui suivent tentent plutôt de comprendre fondamentalement ce qu’est le Mercure galant – de retracer sa genèse, d’étudier les raisons de son invention, et de mesurer les transformations qu’il induit, depuis sa création en 1672 jusqu’à la mise en place d’une première formule stable en 1678. On commencera par se débarrasser de l’idée qu’il s’agit d’un journal ou d’un magazine, ce type de rapprochements occultant en effet la nature complexe et plurielle de l’objet. On étudiera ensuite la genèse de l’entreprise, l’évolution de son régime juridique, son rapport à la concurrence, ainsi que ses succursales, en particulier lyonnaise. On explicitera alors ses deux principales fonctions. Son rôle historiographique, d’abord : le Mercure galant concrétisa les propositions théoriques que formula Pellisson dans les années 1670 et offrit aux individus un nouvel espace pour enregistrer leurs hauts faits. Son rôle de bibliothèque de la galanterie, ensuite, ainsi que son fonctionnement en tant qu’espace social collaboratif : le périodique ouvrit ses pages aux lecteurs et transforma par ce biais les conditions d’accès à l’imprimé, jusqu’à devenir un véritable salon de papier.
1 Montchesnay, « Satire III contre les femmes, imitée de Juvénal », Satires nouvelles du sieur D****, Paris, Osmont, 1698. Bernier, « Les Femmes », dans Réflexions, pensées et bons mots, Paris, Luyne, 1696.
2 Voir B. Selmeci et A. Paschoud, « Le Mercure galant (1672-1710) : un jalon significatif sur la voie de l’encyclopédisme des Lumières », Recherches sur Diderot et sur l’Encyclopédie, no 51, 2016, p. 143-167.
- Thème CLIL : 3439 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Oeuvres classiques -- Moderne (<1799)
- ISBN : 978-2-406-09572-9
- EAN : 9782406095729
- ISSN : 2258-0158
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-09572-9.p.0321
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 29/04/2020
- Langue : Français