[Introduction de la deuxième partie]
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Un entrepreneur des lettres au xviie siècle. Donneau de Visé, de Molière au Mercure galant
- Pages : 157 à 158
- Collection : Lire le xviie siècle, n° 69
- Série : Discours critique, n° 2
À bien observer les ouvrages de Donneau de Visé, on en vient à réinterroger un réflexe des études littéraires : considérer a priori que le livre (au sens codicologique du terme) est l’œuvre. Or l’unité signifiante, ce n’est pas l’ouvrage intitulé Nouvelles Nouvelles, Nouvelles galantes, comiques et tragiques ou L’Amour échappé, mais chacun des éléments autonomes qui le composent (nouvelles, pièces galantes, « arguments de chaque scène », poèmes encomiastiques, etc.). Cet état de fait n’est pas une exception. La même remarque peut en réalité être formulée pour l’immense majorité de la littérature du second xviie siècle. Dans bien des cas en effet, les pièces qui composaient un livre existaient et circulaient indépendamment de celui-ci, réalisaient des actions ou participaient d’une vogue qui leur étaient propres1. L’analyse littéraire ne peut dès lors présupposer une liaison de sens forte entre les parties d’un ouvrage (par exemple, supposer que différentes parties se répondent), puisque chacune était conçue plus ou moins indépendamment de l’ensemble, au sein duquel elle occupait une place facultative, le livre n’étant bien souvent qu’un support matériel et non le signe d’une œuvre.
La sacralisation de l’Œuvre ainsi que l’opposition entre « baroque » et « classicisme » – catégories dont la pertinence est problématique – ont occulté la fonction fondamentalement médiatique du livre et son adaptabilité dans le second xviie siècle. Ces dernières relèvent pourtant de l’évidence pour les historiens du livre ainsi que pour les spécialistes des siècles précédents, du Moyen Âge au xvie siècle2. Michel Jeanneret a proposé le terme de « modularité » pour qualifier la mobilité 158et l’indépendance des pièces qui composent un livre. La définition qu’il en donne décrit parfaitement l’objet de cette seconde partie :
Le livre du xvie siècle se présente rarement comme une construction organique, une architecture homogène dont chacune des parties occupe une place nécessaire dans l’ensemble. Il prend souvent l’allure d’une collection de morceaux variés, plus ou moins indépendants, dont le principe de sélection et/ou de classement n’apparaît pas clairement. Ce genre de livre n’est pas conçu comme une structure close et définitive, mais comme la réunion, provisoire et contingente, de pièces détachables et disponibles à d’autres usages3.
Comme le démontre Delphine Denis, ce raisonnement s’applique également à la production du second xviie siècle4. Quelles sont alors les conséquences de cette observation sur l’élaboration des ouvrages et sur l’analyse que l’on peut en faire ? C’est ce que cette deuxième partie étudie, en retraçant l’élaboration d’un ouvrage de la pièce isolée à l’intitulation du livre.
1 Roger Chartier : « un même codex pouvait, et c’était même la règle, contenir différents livres au sens d’œuvre » (en ligne : http://www.laviedesidees.fr/Le-livre-son-passe-son-avenir.html).
2 Pour le xvie siècle, on citera principalement Anne Réach-Ngô, L’Écriture éditoriale à la Renaissance, Genève, Droz, 2013 ; François Rouget, Ronsard et le livre, 2 vol., Genève, Droz, 2010-2012 ; Trung Tran, « Le texte illustré au xvie siècle, stratégie éditoriale ou création littéraire ? », dans B. Ouvry-Vial et A. Réach-Ngô (dir.), L’Acte éditorial à la Renaissance et aujourd’hui, Paris, Classiques Garnier, 2010, p. 59-87 ; D. Denis a transposé le concept de modularité dans Le Parnasse galant, op. cit., p. 179-188. Pour les historiens du livre, on citera R. Chartier, L’Œuvre, l’Atelier et la Scène, op. cit. ; « Préface. Textes, formes, interprétations », dans D. F. McKenzie, La Bibliographie et la sociologie des textes, M. Amfreville (trad.), Paris, Cercle de la Librairie, 1991.
3 M. Jeanneret, « Le récit modulaire et la crise de l’interprétation » dans Le Défi des signes, Orléans, Paradigme, 1994, p. 57-58. Réflexion plus générale sur la modularité dans Perpetuum Mobile, Paris, Macula, 1997, chapitre « Modules et mélanges », p. 232-236.
4 « Pour pouvoir […] établir une relation dépourvue d’ambiguïtés entre l’auteur et le discours produit, et faire ainsi émerger la notion d’œuvre, encore faudrait-il que l’on pût superposer intégralement l’unité textuelle et l’objet matériel, codicologique du livre », Le Parnasse galant, op. cit., p. 178.
- Thème CLIL : 3439 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Oeuvres classiques -- Moderne (<1799)
- ISBN : 978-2-406-09572-9
- EAN : 9782406095729
- ISSN : 2258-0158
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-09572-9.p.0157
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 29/04/2020
- Langue : Français