Avis au lecteur
- Publication type: Book chapter
- Book: Traitté des passions de l’ame
- Pages: 59 to 60
- Collection: Seventeenth-Century Library, n° 19
- Series: Littérature, libertinage et spiritualité, n° 3
[xxiii] Au Lecteur.
Ce traicté, mon cher Lecteur, fait le XXXI. liure de mes Diuersitez, duquel i’eusse souffert la distraction*& destachement d’auec les autres Volumes, si ie l’eusse estimé necessaire. Ie n’ay rencontré* aucun Autheur de ceux qui escriuent és langues vulgaires*, qui aye manié ce suject. Quand aux Classiques (car ceste matiere appartient à la Philosophie Morale, & à la Theologie Scholastique en communauté)1 on recognoistra le peu de seruice que i’en ay tiré, si on remarque de combien le biais que ie prends, est esloigné de leur procedé2. Les Predicateurs pourront
trouuer icy vn Aduent tout formé3, comme pareillement vn autre sur les Beatitudes au V. Tome des Diuersitez. Les Philosophes & Theologiens y trouueront de leur gibier ; mais ce me semble plus tendrement manié que dans leurs escholes. Les Iurisconsultes y ren[xxiv]contreront les bransles de leurs actions forenses* : les Medecins y apperceuront les principes de leur Pathologie, les Poëtes & Orateurs y descouuriront les ressorts de leur art, les personnes pieuses & Spirituelles des applications* conformes à leur vie, les mondains y auront vn miroir de leurs desreiglemens, & vn niueau pour les redresser, & vn chacun y pourra voir les principaux mouuemens qui l’agitent. S’il y a rien qui vaille, il est tout à Dieu de qui tout bien deriue, & à la gloire duquel doiuent viser toutes nos actions & intentions. Les deffauts qui s’y trouueront innombrables, comme homme, Lecteur, donnez les à l’humanité4, comme Chrestien à la Charité, en laquelle ie vous supplie de prier le bon Iesus que sa misericordieuse grace me donne de faire ce que sa bonté m’a donné de dire, de peur que preschant le bien aux autres, & ne le pratiquant* pas, ie ne sois reprouué. Au demeurant, mon cher Lecteur, la ciuilité vous oblige d’assister de votre faueur celuy qui ne respire que vostre seruice. Adieu, de Belley ce XV. Ianuier. M. DCXIV. [ ]
1 « Je voudrais évoquer aujourd’hui le remarquable essor de la théologie au xiie siècle. Ce développement provenait des monastères et des écoles situées dans les villes, dont certaines deviendront les premières Universités. Ces deux foyers donnèrent naissance à deux manières différentes de faire de la théologie. La théologie monastique, suscitée par le désir amoureux de Dieu, se développe dans la prière à partir d’une lecture de la Sainte Écriture où l’attention aux mots et aux textes est guidée par la recherche incessante du visage du Christ. La théologie scolastique, elle, se développe par le procédé de la quaestio, c’est-à-dire d’une question à partir de laquelle élèves et professeurs, dans un débat contradictoire, élaborent la réponse la plus synthétique possible. Le recours à la logique au service de la théologie aboutira à l’élaboration d’un langage très technique et le recueil de ces débats donnera naissance aux fameuses Sommes théologiques. Ces deux chemins théologiques sont nécessaires et se complètent. La théologie scolastique nous rappelle qu’il existe entre la foi et la raison une amitié naturelle, mutuellement bienfaisante. La théologie monastique nous indique que la connaissance de Dieu ne grandit que si la vérité est aimée, faisant de la science théologique, une sagesse du cœur. » Benoît XVI, Cathéchèse aux pèlerins de langue française, 28 octobre 2009. Pour Camus, c’est bien la même « jointure » de l’affect et de la raison qu’il recherche. Il est révélateur de voir cet « évêque humaniste » (Descrains) associer éthique (Philosophie morale) et Antiquité (le mot Philosophe chez Camus réfère toujours chez lui aux penseurs de l’Antiquité classique). On a ainsi de part et d’autre de la Rédemption, raison, philosophie et paganisme d’un côté (voici l’humaniste) et amour, foi et christianisme (voici l’évêque) de l’autre. Mais si l’Église a toujours effectivement maintenu qu’amour et raison sont indissociables et font la définition du christianisme (les modes et proportions faisant l’objet du débat), la logique a remplacé chez Benoît XVI la raison et la sagesse antiques. La raison serait chez lui interne à la foi, technique. Alors que chez Camus (comme on le verra par l’abondance des références classiques), conformément aux espoirs de l’humanisme chrétien, la raison antique – qui est aussi, fortement chez Camus, une sagesse – doit être préservée et relevée, comme tout l’humain, par la rédemption et la grâce.
2 Façon de faire, de composer un texte.
3 Les prédicateurs y trouveront des sujets de sermons pour les quatre dimanches précédant Noël qui constituent la période dans laquelle les chrétiens se préparent à fêter la venue du Christ. Dans la turbulente année 1610, Camus a prêché l’Avent à Belley.
4 Comme le montre l’emploi du terme civilité, couplé à assister, trois lignes plus loin, l’humanité n’est pas la solidarité que se doivent les hommes les uns aux autres dans une cité (ce qui est proprement la civilité), mais la nature humaine avec toutes ses faiblesses. Les défauts de l’ouvrage, comme il l’a dit plusieurs fois déjà dans ces pages, sont dus aux défauts de Camus. En retour, la dévotion civile, chère à François de Sales et Camus, n’est pas une dévotion marquée de politesse, soucieuse de ne pas choquer son voisin, mais la dévotion qui se pratique dans les villes, dans le monde, par opposition aux lieux de culte et aux monastères. Les villes, bien sûr, sont le lieu de la civilisation, le processus de mise en place de la politesse, opposée à la rudesse (rugosité) des mœurs agrestes.
- CLIL theme: 3439 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Oeuvres classiques -- Moderne (<1799)
- ISBN: 978-2-8124-2992-7
- EAN: 9782812429927
- ISSN: 2258-0158
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-8124-2992-7.p.0059
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 11-01-2014
- Language: French