De quoi la « démocratie sociale » est-elle le nom ? Luttes idéologiques dans les relations professionnelles
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Socio-économie du travail
2018 – 2, n° 4. La démocratie au travail : usages et catégories / Democracy at work: uses and categories - Auteur : Yon (Karel)
- Pages : 27 à 54
- Revue : Socio-économie du travail
De quoi la « démocratie sociale »
est-elle le nom ?
Luttes idéologiques dans les relations professionnelles
Karel Yon
CERAPS,
Université de Lille / CNRS
La diffusion de la notion de « démocratie sociale » dans le vocabulaire des relations professionnelles doit beaucoup au mandat de Nicolas Sarkozy. Si l’expression n’est pas nouvelle, elle a en effet connu sa consécration juridique avec la loi du 20 août 2008 « portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail », que le président de la République avait à l’époque célébrée comme une réalisation majeure de son mandat1. Par la suite, François Hollande a emboîté le pas de son prédécesseur en se positionnant comme le champion de la démocratie sociale2. L’expression est devenue un lieu commun des relations professionnelles, ses occurrences se multipliant dans la bouche des responsables syndicaux, patronaux et politiques autant que des journalistes. Les initiatives se multiplient autour de cet objet. En février 2016, un colloque organisé à Sciences Po Paris réunissait hauts-fonctionnaires, syndicalistes, universitaires, journalistes, représentants d’entreprises et d’institutions diverses pour disserter sur « La démocratie sociale dans la France de 2017 », en présence du président du Sénat, Gérard Larcher. Quelques mois plus tôt, l’ancien dirigeant de la CFDT Jacky Bontems signait avec Aude de Castet, directrice de la communication de l’Institut de l’entreprise, un think tank proche du 28Medef, et Michel Noblecourt, éditorialiste au Monde, un ouvrage intitulé Le Moteur du changement : la démocratie sociale !, préfacé par le président de la République en personne3. En avril 2015, c’est l’université de Bourgogne qui accueillait des universitaires et des praticiens des relations professionnelles pour un colloque consacré aux « Innovations et défis de la démocratie sociale ». Dans la foulée, la revue théorique du Parti socialiste leur ouvrait ses colonnes pour qu’ils s’expriment sur le sujet4. La démocratie sociale est à la mode. Chacun entend la rénover, la restaurer, la refonder ou lui donner plus de poids. Si cette formule suscite spontanément l’adhésion, il n’est cependant pas sûr que tous s’accordent sur sa signification, comme l’a illustré la mobilisation de 2016 contre la réforme du Code du travail. Alors que tous les syndicats proclamaient leur attachement à la démocratie sociale, ils se sont profondément divisés face au projet que Madame El Khomri présentait pourtant comme une « nouvelle étape dans la refondation de la démocratie sociale5 ».
Les efforts de définition produits par les chercheurs révèlent un même flou autour de la notion. Selon les auteurs, la « démocratie sociale » s’inscrit dans des univers sémantiques différents. Pour Bernard Friot (1998), elle désigne l’architecture spécifique de la Sécurité sociale instituée en France à la Libération, fondée sur le salaire et gérée par des représentants élus des salariés. Par extension, elle désigne parfois le système français de protection sociale, quand on veut souligner le rôle central qu’y jouent les organisations professionnelles de salariés et d’employeurs6. Alain Chatriot (2002) l’utilise pour désigner la troisième chambre de notre système parlementaire, composée de représentants de la société civile et des organisations socioprofessionnelles. S’inscrivant dans le sillage des réflexions de T. H. Marshall (1950) sur les trois âges de la citoyenneté, Robert Castel (2013) relie la démocratie sociale à l’idée de citoyenneté sociale, comme l’ensemble des droits sociaux permettant de faire reculer l’insécurité sociale et d’intégrer les plus modestes à la communauté politique. Mais il l’utilise 29aussi au sens d’une participation de la société civile au régime politique à travers des instances de « délibérations sociales » telles que le Comité économique, social et environnemental. Partant de l’idée que le « fait social » de la démocratie sociale pose fondamentalement la question du « lien entre l’entreprise et le pouvoir », Guy Groux la présente comme un dépassement des visions antagoniques du « pouvoir ouvrier » et du pouvoir des actionnaires : « face à ces approches très univoques et qui, opposées entre elles, symbolisaient à leur manière une sorte d’irruption de la “lutte de classes” dans le champ des idées, la démocratie sociale s’est définie dans son expérience historique […] en des termes radicalement différents [… comme] la production de règles communes au sens où l’entendaient dès la fin du xixe siècle les époux Webb » (Groux, 2003, p. 52-53). Sa démonstration rapproche la démocratie sociale du « pluralisme industriel » au sens anglo-saxon. L’inflation récente des références académiques à la démocratie sociale renvoie souvent à cette acception, centrée sur la négociation collective (Amadieu et Boissard, 2001 ; Barreau, 2003 ; Bévort et Jobert, 2008 ; Rouilleault, 2010 ; Rey, 2014). Martine Le Friant (2001) fait la synthèse des points de vue précédents en dégageant deux grandes significations imbriquées, la seconde précisant la première : l’État social d’un côté, la démocratie industrielle de l’autre. Elle relève en outre que le « social » dont il est question est autant descriptif que normatif : il désigne une visée de progrès, « une certaine organisation des rapports sociaux, plutôt perçus comme protecteurs des intérêts de catégories de personnes qui sont en situation de dominés dans notre société » (ibid., p. 56). Or, poursuit-elle, « on constate aujourd’hui une modification du sens de cette démocratie sociale qui devrait, aux yeux du patronat, servir à soumettre la gestion du conflit social aux exigences de la logique capitaliste désormais mondialisée » (ibid., p. 63). D’autres auteurs soulignent un basculement de sens de la démocratie sociale, en lien avec l’agenda de « refondation sociale » du Medef (Damamme et Jobert, 2000).
On pourrait déduire de cette situation que la « démocratie sociale » n’est rien d’autre qu’une formule creuse, un de ces « lieux communs produits dans les lieux neutres » (Bourdieu et Boltanski, 1976, p. 4) qui n’est utile aux professionnels du dialogue social que pour s’adresser aux élites politiques ou médiatiques dans un langage qu’elles reconnaissent. La démocratie sociale serait un succédané contemporain de ces poncifs que Bourdieu et Boltanski listaient avec humour dans leur texte de 1976, 30exprimant « l’élitisme technocratique de la Ve République, qui oppose le vieux monde de la lutte des classes aux forces vives de la modernité technique et libérale, guidée par la science (notamment économique) et apte à résorber tous les conflits » (Skornicki et Tournadre, 2015, p. 80). Parallèlement, l’hétérogénéité de ses usages académiques renverrait aux « communautés épistémiques » dans lesquelles sont insérés les chercheurs, communautés que forme chaque sous-champ disciplinaire autour de son objet d’étude spécifique. Je propose dans cet article d’aller au-delà de ce constat du « lieu commun ». Suivant la piste esquissée par les auteurs qui pointent une inflexion du sens de la notion, mon hypothèse est qu’il est possible de rendre compte des usages de la « démocratie sociale » selon des lignes de force qui font de cette formule un enjeu de luttes idéologiques.
Je commencerai par définir le sens et l’intérêt d’une analyse idéologique des relations professionnelles. Je rendrai compte ensuite de la polarité qui structure les usages contemporains de la « démocratie sociale » de la part des organisations syndicales de salariés et d’employeurs. Je terminerai en me concentrant sur le rôle de l’État, à la fois acteur à part entière dans ces luttes idéologiques et instance suprême de véridiction.
i. Pour une analyse idéologique du langage
des relations professionnelles
Ce que j’appelle analyse idéologique puise à deux sources d’inspiration. Elle s’inscrit d’une part dans un réinvestissement récent de l’histoire des idées par la science politique (Gaboriaux et Skornicki, 2017 ; Matonti, 2012 ; Pudal, 2006 ; Skornicki et Tournadre, 2015). Si les appellations varient – nouvelle histoire des idées, histoire sociale des idées politiques – il s’agit, dans le sillage des réflexions de Bourdieu (2001) sur le pouvoir symbolique, de « considérer les idées ou les doctrines politiques non plus comme de simples discours sur le monde ou les finalités de l’action humaine, mais comme des actes de langage à part entière, comme des actions inscrites dans des stratégies et destinées à infléchir le cours des choses ou des événements » (Belorgey et al., 2011, p. 7). Cette approche se retrouve notamment dans la façon dont François Dupuis-Déri (2013) a 31fait l’histoire politique du mot « démocratie ». Au croisement de l’histoire sociale des idées et de la rhétorique, il a montré que le mot démocratie pouvait être considéré comme une véritable « arme politique », tout à la fois mobilisée pour son « efficacité présumée dans le débat politique » et transformée par les luttes politiques qui « déstabilisent et troublent le sens des mots » (Ibid., p. 11, p. 346). Tour à tour marque d’infamie et principe suprême de légitimation, la démocratie a fait l’objet d’un retournement, sinon d’un détournement de son sens descriptif et normatif en France comme aux États-Unis. Initialement stigmatisée par les élites politiques comme le règne des pauvres et de l’irrationalité, elle a été réappropriée par ces mêmes élites au cours du xixe siècle pour s’attribuer, à l’ère du suffrage universel, le prestige de ceux qui parlent au nom du peuple. Depuis lors, « démocratie » s’est imposée comme le terme positif par excellence, au point qu’il soit désormais extrêmement rare de trouver des prises de position explicitement antidémocratiques.
D’autre part, je m’appuie sur la redécouverte de l’idéologie par les socio-historiens et sociologues des mouvements sociaux anglo-saxons, qui utilisent cette notion dans le sens d’une analyse « dialogique » et relationnelle (Steinberg, 1999 ; Krinsky, 2007). À l’encontre d’une conception homogénéisante et figée de l’idéologie, ils conçoivent les idéologies – au pluriel – comme des « chaînes de signification produites en contexte plutôt que des systèmes de croyances clos et cohérents7 » et mettent l’accent sur les processus de domination et de résistance, d’hégémonie et de contre-hégémonie. Cette approche fait écho à la notion de « lutte dans le discours » forgée par Stuart Hall :
La « lutte dans le discours » se définit […] comme un processus d’articulation et de désarticulation discursive. Ses résultats, en dernière instance, dépendent uniquement de la force relative des « forces en lutte », de l’équilibre entre elles à tout moment stratégique, et de la conduite effective de la « politique de la signification ». Il y a de nombreux exemples historiques dans lesquels la conduite d’une lutte sociale dépend précisément, à un certain moment, de la désarticulation effective de certains termes clefs – par exemple, la « démocratie », l’« État de droit », les « droits civils », la « nation », le « peuple », l’« Humanité » – de leurs couplages antérieurs, et de leur extrapolation dans de nouvelles significations qui représentent l’émergence de nouveaux sujets politiques. (Hall, 2007, p. 109)
32Dans la lignée d’Althusser8, Hall a posé les bases d’une analyse à la fois idéologique et matérialiste du langage. Idéologique, c’est-à-dire que le langage est appréhendé comme l’espace d’une lutte interprétative dans laquelle se façonnent les perceptions, les connaissances et les préférences des acteurs, les idéologies étant comprises comme « des systèmes de signification à travers lesquels nous représentons le monde, pour nous-mêmes et pour les autres » (Hall, 2012, p. 147). Et matérialiste, car ces luttes engagent toujours deux niveaux d’articulation : non seulement celui des articulations discursives, au sens de la linguistique structurale – les termes d’un discours prennent sens dans un ensemble organisé d’éléments, dans une structure de signification –, mais aussi l’articulation de ces discours à des forces sociales, groupes, institutions, moyens de production et de diffusion culturelle, qui déterminent la capacité de ces énoncés à s’ancrer, circuler et résonner socialement.
Faire de la « démocratie sociale » un enjeu de luttes idéologiques permet de rendre compte de la diversité des significations dont la formule est investie, tout en se libérant du relativisme qui la réduirait à une expression attrape-tout et sans consistance. L’analyse idéologique évite en outre le biais inverse du normativisme qui consiste à vouloir imposer une définition unique de la démocratie sociale, contre les interprétations erronées qu’en proposent d’autres, chercheurs en sciences sociales, journalistes ou praticiens des relations professionnelles. En cela, mon travail ne vise pas à dévoiler un « sens caché » de la démocratie sociale9, mais plutôt à restituer l’espace des luttes pour sa définition. Il n’y a pas à mes yeux de « vraie » définition de la démocratie sociale, mais des usages concurrents qui gagnent ou perdent en réalité au fil des processus d’articulation, de désarticulation ou de réarticulation discursives qui se jouent sur le double terrain des luttes sociales et des controverses intellectuelles10. L’analyse idéologique est donc aussi une 33analyse historique, sinon généalogique, au sens que lui donne Michel Foucault de recherche de la provenance plutôt que de l’origine, et à l’opposé d’une certaine histoire supposant le « déploiement métahistorique des significations idéales et des indéfinies téléologies » (Foucault, 1971). Cette mise en perspective attentive à l’hétérogénéité des significations et à la contingence des retournements de sens écarte d’emblée les discours normatifs qui inscrivent notre présent dans une sorte de poussée irrésistible de la démocratie et voient dans l’institutionnalisation de la « démocratie sociale » une manifestation de « la diffusion de l’esprit démocratique progressivement étendu à l’ensemble des sphères d’activité » (Le Goff, 2002, p. 543).
Étudier la « démocratie sociale » comme un enjeu de luttes idéologiques invite enfin à s’intéresser aux multiples « champs de production symboliques » (Bourdieu, 2001) où se fabriquent les idéologies. Car si toutes les pratiques sont idéologiques, dans la mesure où elles investissent du sens et en produisent, certaines le sont spécifiquement en tant qu’elles ont pour finalité de produire des discours et, par là-même, du sens : activités scientifiques, artistiques, médiatiques, politiques… C’est pourquoi il est nécessaire de ne pas s’arrêter à l’étude du discours des acteurs directs des relations professionnelles, mais d’aller voir aussi du côté des champs politique, médiatique ou intellectuel. Ce faisant, on rappelle en outre que les chercheurs ne sont pas de simples commentateurs extérieurs aux phénomènes sociopolitiques qu’ils observent, mais des intervenants actifs qui contribuent par leurs travaux à en façonner les représentations légitimes. C’est ce souci de faire la distinction entre les mots et les choses que résume le titre de cet article. Une telle approche n’est pas la plus répandue dans le champ académique des relations professionnelles11. Elle est pourtant cruciale, dans la mesure où l’usage de certains mots plutôt que d’autres, tout comme leur inscription dans certaines chaînes discursives, ont pour effet de concourir à légitimer certaines définitions de la réalité et à en disqualifier d’autres.
34II. Inflation et inflexions récentes
des références à la démocratie sociale
dans le champ des relations professionnelles
Si l’analyse idéologique telle que décrite avant définit une position épistémologique, elle ne précise pas encore une démarche d’enquête. Sur ce plan, la riche tradition française d’analyse lexicométrique du discours syndical constitue un point d’appui essentiel (Bergounioux et al., 1982 ; Hetzel et al., 1998), car « le choix d’une entrée thématique, par un mot, contribue à voir comment une lexie peut recouvrir des sens différents dans le temps et à restituer une part des stratégies discursives des acteurs. La démarche sert dès lors, pour le lexicologue mais aussi pour le politiste, à entrer dans l’univers conceptuel des syndicats français » (Béroud et Lefèvre, 2010, p. 103). Qui parle de démocratie sociale parmi les acteurs des relations professionnelles ? À partir de quelle date ? Quel sens est associé à cette expression ? Les analyses de Sophie Béroud et Josette Lefèvre (2007) constituent un point de départ stimulant pour tenter de répondre à ces questions.
II.1. L ’ émergence de la démocratie sociale , symptôme
de la dépolitisation des relations professionnelles ?
À partir d’une analyse lexicométrique des résolutions confédérales de la CGT et de la CFDT entre les années 1970 et le début des années 2000, complétée par une étude qualitative de textes attribués à Bernard Thibault et Nicole Notat entre la fin des années 1990 et le début des années 2000, elles ont étudié les évolutions du recours à la forme démocratie dans le discours syndical. Leur analyse les conduit à voir dans l’évolution des usages de la démocratie un symptôme de la dépolitisation du syndicalisme, au double sens d’une désidéologisation et d’une déconflictualisation du discours syndical :
En disqualifiant toute discussion sur ce que pourrait être une organisation sociale alternative à l’organisation capitaliste, les dirigeants de la CGT tendent à enfermer le discours syndical dans l’immédiateté. […] La démocratie n’est plus appréhendée par la CFDT ni par la CGT comme une notion problématique qu’elles auraient à définir par elles-mêmes en conflit éventuel avec d’autres discours. (Béroud et Lefèvre, 2007, p. 48-50)
35Plus intéressant encore, elles relient cette dépolitisation à un recours croissant à la lexie démocratie sociale, une expression qui apparaît tardivement dans le corpus. Comme le pointait déjà le dictionnaire des fréquences (Hetzel et al., 1998), c’est surtout à la CGT qu’on la trouve : elle apparaît ponctuellement, une fois en 1978 et en 1999, mais quatre fois dans la résolution de 2003. En 1992 figure une occurrence de la « démocratie économique et sociale ». Avant 1989, la démocratie dans le discours cégétiste était soit « économique », soit « économique et politique ». Il est intéressant de souligner ce qui s’apparente à une sorte de substitution, de la démocratie économique à la démocratie sociale, l’hapax de 1992 constituant de ce point de vue une formule de transition. Les auteures évoquent aussi le fait que la démocratie était souvent, dans le discours cégétiste, considérée comme un objectif à atteindre – d’où la nécessité de la qualifier, de la préciser (« véritable démocratie ») ou de l’envisager comme un processus (« démocratisation »). Elles soulignent la rupture induite par l’émergence de la lexie démocratie sociale qui correspond selon elles « à la volonté explicite de la CGT, à partir de 1999, d’émettre des propositions de réforme dans le domaine des relations professionnelles. Dès lors, la référence temporelle s’est là aussi modifiée : la démocratie sociale n’est plus en devenir, elle est l’existant » (Béroud et Lefèvre, 2007, p. 44). Selon cette interprétation, l’évolution des références à la démocratie dans le discours cégétiste serait l’indicateur d’un processus plus vaste : la disparition dans le discours syndical de toute réflexion sur une « autre société » possible – autre que le capitalisme – et la focalisation sur des propositions visant à modifier l’ici et maintenant.
Je propose de retravailler cette hypothèse en abordant le recours à la notion de « démocratie sociale » dans une optique plus dialogique et relationnelle. Pour ce faire, Josette Lefèvre a eu la gentillesse de bien vouloir prolonger pour moi le traitement lexicométrique des discours confédéraux de la CGT et de la CFDT, tout en l’élargissant à Force ouvrière12. Grâce à la constitution récente d’un corpus de textes patronaux, l’analyse a pu être étendue à la principale organisation représentative du patronat français (CNPF, puis Medef, de 1981 à 2010) (voir l’encadré méthodologique)13. Cet élargissement du corpus répond à l’hypothèse 36dialogique selon laquelle « les acteurs collectifs expriment nécessairement le sens qu’ils tirent des contextes et des expériences en répondant aux discours des autres14 ». C’est aussi pourquoi je prolongerai mon analyse dans la partie suivante par une étude qualitative de discours tenus au nom de l’État. Cet élargissement permet de comprendre les dynamiques de remobilisation de la notion de « démocratie sociale » et de nuancer l’hypothèse de dépolitisation du discours syndical en montrant que la « démocratie sociale » reste bien un « mot-conflit » (Tournier, 1989).
1. Une exploration lexicométrique de textes syndicaux et patronaux
La description lexicométrique ou quantitative d’un corpus de recherche clos fondé sur un socle important d’invariants vise à appréhender, à travers l’étude des mots dits ou des mots tus, des alliances de mots, des lexicalisations et réseaux statistiques, les stratégies qui traversent le discours. Méthode au service de l’analyse de discours, la lexicométrie permet au stade de l’interprétation d’articuler deux approches complémentaires : une approche quantitative et une approche qualitative. Il doit y avoir un va-et-vient permanent de l’une à l’autre pour ne pas tomber dans un usage instrumental des opérations statistiques. Ainsi, de simples relevés et comptages de mots permettent d’appréhender certaines réalités discursives et concourent à une meilleure connaissance des stratégies à l’œuvre dans les énoncés sociaux (Hetzel et al., 1998).
Dans cet article, l’analyse lexicométrique a été utilisée de manière très simple, à des fins exploratoires, comme un moyen de survoler une grande masse de données textuelles, de dénombrer les occurrences de la lexie démocratie sociale en relation avec la forme démocratie et d’isoler les passages où la démocratie sociale est mentionnée afin d’en étudier le sens. Il s’agit ainsi de tester l’hypothèse d’un réinvestissement de la notion de « démocratie sociale » et d’une mise en jeu de ses significations dans la période contemporaine. On peut de la sorte objectiver des usages qu’il s’agit d’éclairer ensuite par le recours à d’autres méthodes plus qualitatives (entretiens, archives et analyses de contenu).
Le corpus syndical est constitué de toutes les résolutions votées en congrès confédéraux par la CFDT (1970-2010, 177 214 occurrences, 9 031 formes), la CGT (1972-2013, 602 458 occurrences, 14 986 formes) et Force Ouvrière (1971-2000, 158 397 occurrences, 9 677 formes), soit un total de 938 069 occurrences. Le corpus patronal est constitué des textes d’Assemblées générales du CNPF-Medef entre 1981 et 2010 soit 381 139 occurrences réparties sur 17 686 formes.
L’étude lexicométrique a été effectuée par Josette Lefèvre (CURAPP, Université de Picardie-Jules Verne, Amiens, CNRS) avec le logiciel LEXICO3, conçu sous la direction d’André Salem (Syled, Sorbonne nouvelle, Paris 3).
Travailler sur les seuls discours confédéraux, « discours du sommet », n’épuise évidemment pas la diversité des significations qui sont investies par les militants dans l’usage d’un vocabulaire. Étudier ces produits finis que sont les résolutions confédérales conduit en outre à laisser de côté le processus d’élaboration de ces discours, les discussions et affrontements qui traversent les organisations. Mais cette approche présente l’intérêt d’analyser la production d’une parole « qui distribue, contrôle et orchestre les usages lexicaux en interne pour les militants et adhérents de l’organisation mais joue et influe aussi en externe sur le gouvernement, les syndicats, les médias, l’opinion publique, etc. » (Lefèvre, 2013, p. 89). C’est donc à ce niveau que peuvent s’observer les modalités d’insertion des organisations dans le champ des relations professionnelles.
II.2. Les syndicats entre usages réflexes
et réflexifs de la « démocratie sociale »
Dans le cas de FO, les occurrences de la lexie démocratie sociale sont rares et renvoient à des contextes très différents. La résolution du congrès de 1971 mentionne la « démocratie politique, économique et sociale » comme un objectif à atteindre et la « démocratie économique et sociale [qui] reste à construire ». On est face à la formulation d’un projet de société faisant écho au préambule des statuts de la confédération, adoptés en 1948, qui eux-mêmes reprenaient la notion de « démocratie économique et sociale » au Conseil national de la résistance. Il n’est pas surprenant de trouver un tel usage à cette date, le congrès de 1971 ayant constitué l’apogée d’une controverse interne sur la place du syndicalisme dans la société (Yon, 2011). Le sens est tout autre dans la seconde occurrence, où il est alors strictement question de la « démocratie sociale », mentionnée par deux fois dans le cadre des débats relatifs à la réforme de la Sécurité sociale de 1996. Il s’agit pour la confédération de désigner la gestion de la Sécurité sociale par les partenaires sociaux, dont elle entend défendre l’autonomie face aux intrusions de l’État. L’interruption du corpus en 2000 concernant FO empêche de voir si les usages évoluent après cette date.
En ce qui concerne la CFDT, on note une occurrence de la « démocratie économique et sociale » à l’occasion de son congrès de 1992, qui semble renvoyer à la mission réformiste du syndicat puisqu’il s’agit d’œuvrer à son « approfondissement ». Il est une autre fois question 38de la « démocratie économique et sociale » lors du congrès de 1998, moment où apparaît aussi pour la première fois l’expression stricte « démocratie sociale ». On la retrouve ensuite dans chaque texte de congrès, avec une occurrence en 2002, deux occurrences en 2006 et trois occurrences en 2010. Mais derrière cette apparente continuité se cache un changement de sens ou, en d’autres termes, une réarticulation discursive : en 1998 et 2002, la « démocratie sociale » est mentionnée dans des passages qui portent sur la protection sociale. Comme pour les usages repérés à FO en 1996, il s’agit ainsi de désigner la gestion paritaire de la Sécurité sociale. En 2006 et 2010, le sens a changé, la « démocratie sociale » est insérée dans une chaîne discursive différente : elle est articulée au « dialogue social » et à la section syndicale d’entreprise qui est présentée comme « le lieu essentiel d’apprentissage de la démocratie sociale, de l’exercice de pratiques participatives, du débat et de la synthèse » (2006). Un continuum allant de l’implication des salariés dans la vie syndicale à la négociation collective dessine un nouvel espace sémantique de la démocratie sociale, qui ne correspond plus à la sphère de la protection sociale mais plutôt à celle de la négociation professionnelle. Les usages de 2010 confirment cette inflexion sémantique, désignant la réforme de la représentativité syndicale sous l’expression « nouvelles règles de la démocratie sociale ». La plus grande légitimité attendue de cette réforme est censée conforter l’autonomie des acteurs des relations professionnelles, présentée comme « un fondement pour conjuguer démocratie sociale et démocratie politique ».
Il faut revenir plus en détail sur le discours cégétiste, car c’est bien cette organisation qui mobilise le plus fréquemment la notion dans ses résolutions confédérales. J’ai indiqué plus haut que la « démocratie sociale » n’apparaissait que rarement avant le congrès de 1999. Or, on note un accroissement considérable de ses occurrences au cours des années 2000 : après les trois occurrences de 2003, on en dénombre dix en 2006, huit en 2009 et pas moins de vingt-deux en 2013. De surcroît, la part relative de la référence à la démocratie sociale oscille entre un tiers et un quart de l’ensemble des références à la démocratie au cours des années 2000, mais en représente près des trois quarts au début de la décennie suivante (cf. tableau). Il y a donc tout au long de la période étudiée un effort continu de la part 39des instances cégétistes pour produire un discours sur la démocratie sociale.
Tab. 1 – Part relative de la référence à la démocratie sociale dans l’ensemble
des références à la démocratie au sein du discours cégétiste (2003-2013).
2003 |
2006 |
2009 |
2013 |
4/12 |
10/39 |
8/26 |
22/30 |
0,33 |
0,26 |
0,31 |
0,73 |
Le sens donné à la notion semble flou lors du congrès de 1978. L’usage de l’expression renvoyait surtout à un effet de rhétorique pour désigner une visée de « justice sociale » dans l’énumération des différents terrains d’action syndicale devant permettre d’accroître la démocratie (« démocratie sociale contre l’injustice et les inégalités »). Les quatre occurrences de 2003, au contraire, renvoient à une conception précise et extensive de la « démocratie sociale », construite en analogie avec des catégories de la démocratie politique (liberté, autonomie, citoyenneté, décentralisation, etc.). L’expression semble désigner, sinon un projet de société, au moins un programme syndical, allant de l’expression des salariés dans l’entreprise à la gestion démocratique de la Sécurité sociale, en passant par la garantie des libertés syndicales. La « démocratie sociale » permet ici d’articuler stratégiquement plusieurs domaines d’intervention syndicale (protection sociale, négociation collective et libertés syndicales) qui, dans le discours des autres organisations, sont généralement séparés. C’est ce que résume bien ce paragraphe :
la CGT fait de l’exigence de démocratie sociale un axe revendicatif majeur :
– par l’affirmation du fait syndical en obtenant la reconnaissance de son rôle d’utilité publique dans chaque lieu de travail, chaque site, chaque branche, dans l’organisation sociale des territoires, l’élaboration et l’évaluation des politiques publiques ;
– par la condamnation de la répression syndicale et par l’action pour la conquête de droits nouveaux ;
– par l’instauration du principe majoritaire pour la validation à chaque niveau des accords négociés, ce qui exige une mesure régulière de la représentativité syndicale fondée sur le vote des salariés dans le respect de la hiérarchie des normes sociales ;
– par l’élection directe des administrateurs dans les caisses de Sécurité sociale et d’autres institutions sociales.
40Au congrès suivant de 2006, cette interprétation extensive persiste, la « démocratie sociale » étant même appelée à désigner un ensemble plus vaste de réformes intégrant les revendications de « Sécurité sociale professionnelle » et de « nouveau statut du travail salarié » que développe à l’époque la CGT15. Mais elle cohabite avec une définition plus restrictive qui correspond à l’évocation directe de la réforme des règles de la représentativité syndicale que la CGT appelle de ses vœux. En 2009 apparaît une nouvelle formule, la « démocratie sociale et culturelle », mais le sens de cette expression semble aussi flou que le paragraphe très hétéroclite au milieu duquel elle figure. Pour le reste, les références à la démocratie sociale renvoient soit à la gestion de la protection sociale, soit au thème du droit syndical en entreprise, allant de la liberté syndicale à la négociation collective. Ces deux dimensions sont toutefois moins nettement articulées que dans le texte du précédent congrès. Elles apparaissent à des endroits différents et ne sont pas explicitement reliées. On doit souligner également qu’il est question à plusieurs reprises d’une « véritable démocratie sociale », renvoyant au souci de marquer le contraste entre l’idéal et la réalité. Le texte de 2013 revient à une affirmation plus forte du caractère stratégique de la notion de démocratie sociale, « instrument de la citoyenneté des salariés (…) de l’entreprise à la nation ». À plusieurs reprises, il est question de ce que signifie la démocratie sociale et de ce qu’elle ne signifie pas : « la démocratie sociale ne peut pas se réduire à une simple reconnaissance du “dialogue social” », « la démocratie sociale n’a de sens que dans la construction du progrès social », elle ne se réduit pas à « un jeu purement institutionnel, aux antipodes de toute notion de démocratie sociale », confiné dans les limites de l’entreprise.
L’étude des textes confédéraux permet de distinguer deux logiques d’usage de la lexie démocratie sociale : une logique réflexe, où le discours syndical semble accompagner le sens commun et ses évolutions, et une logique plus réflexive, où le discours syndical est le lieu d’un travail critique, entendu comme mise à distance du langage par le langage (Boltanski, 2009). Ainsi, dans le cas de la CFDT, les usages de la démocratie sociale attestent d’un basculement déjà noté dans le champ académique : l’expression qui désignait la protection sociale en vient à désigner le dialogue social, sans que ce changement de sens soit relevé. 41Dans le cas de la CGT, on note au contraire un effort définitionnel pour préciser le sens de la démocratie sociale et l’inscrire dans une stratégie revendicative articulant protection sociale et négociation collective, en passant par les libertés syndicales. Ce travail de définition est plus ou moins clair d’un congrès à l’autre, mais il prend un tour plus nettement défensif en 2013, ce qui témoigne d’un contexte manifestement conflictuel quant à la signification légitime de la notion. On comprend mieux cette inflexion du discours cégétiste en la concevant, selon une approche dialogique, comme une réponse à d’autres acteurs et notamment au patronat.
II.3. L ’ appropriation patronale de la démocratie sociale
Il est significatif de constater que le mot « démocratie » est totalement absent des textes du CNPF entre 1981 et 1997. Ce n’est qu’à partir de 1998, soit au moment où le Mouvement des entreprises de France succède au Conseil national du patronat français, qu’on le retrouve régulièrement dans les textes patronaux. Si le terme reste cependant rare (généralement deux ou trois occurrences), deux textes se distinguent par une inflation particulièrement notable des références à la démocratie : ceux de 2001 (25 occurrences) et 2005 (9 occurrences). C’est d’ailleurs à l’occasion de son assemblée générale de 2001 que le Medef mentionne pour la première fois la « démocratie sociale ». Et c’est bien l’irruption de cette formule qui explique l’inflation des références à la démocratie, avec 18 occurrences sur 25, soit près des trois quarts des références.
La référence à la démocratie sociale s’inscrit dans un contexte très particulier : celui de l’opposition du patronat français à la réduction de la durée légale du travail, qui a conduit l’ancien président du CNPF Jean Gandois à démissionner, son organisation à se rebaptiser Medef et à élaborer un véritable programme stratégique (Offerlé, 2013). La lecture du texte présenté par Ernest-Antoine Seillière devant l’assemblée générale du Medef de 2001 permet d’ailleurs de constater que ce programme, que l’on a retenu sous l’appellation de « refondation sociale », est cette année-là tout autant désigné par le porte-parole des patrons comme celui de « rénover la démocratie sociale ». Jugeant celle-ci menacée par l’intervention de l’État (« la démocratie sociale est aujourd’hui en danger dans notre pays »), il appelle à la réformer pour préserver « le dialogue » et favoriser l’émergence de syndicats « représentatifs, crédibles 42et modernes ». La rénovation de la démocratie sociale renvoie ainsi à la promotion d’un certain modèle de relations entre syndicats et patronat :
Il nous appartient de porter haut et fort cette exigence de dialogue et de démocratie sociale. Restaurer une démocratie sociale véritable, responsable, humaine, est une condition de l’équilibre de la société française, de la compétitivité et donc de la prospérité. L’image que donne notre pays, où se succèdent des grèves à répétition des services publics, où les manifestations de toutes sortes sont quotidiennes, où l’on passe davantage de temps à crier des slogans plutôt qu’à négocier loyalement, où fleurissent banderoles, pancartes et calicots alors que les solutions résultent et résulteront toujours de l’écoute réciproque, cette image n’est pas celle d’une démocratie apaisée, vivante, responsable. Le Medef souhaite restaurer, rénover, moderniser la démocratie sociale en France.
Dans le discours patronal, les expressions « démocratie sociale » et « dialogue social » sont interchangeables, quand elles ne sont pas accolées. Le texte de 2005, où l’on voit de nouveau s’accroître le nombre de références à la démocratie, associe en outre la « démocratie sociale » (deux occurrences) au projet de réforme des règles de représentativité syndicale :
nous devons poser sans tabou la question de la représentativité des acteurs sociaux, que ce soit au sein des institutions sociales, au sein des branches ou au sein de l’entreprise. Notre système social évolue dans une “présomption de représentativité”. Un syndicat est considéré comme représentatif indépendamment de son nombre d’adhérents ou de sa base électorale. Dans l’entreprise, la section syndicale est représentative mais non élue, alors que les délégués du personnel et les membres du comité d’entreprise sont élus mais n’ont pas le statut de représentativité. Ensemble, représentants des employeurs et représentants des salariés, employeurs et salariés, reprenons le fil de la démocratie. Allons vers plus de démocratie sociale. Démocratisons notre démocratie.
Les deux années suivantes, la référence à la démocratie sociale accompagne la revendication « qu’un droit à la négociation soit inscrit dans notre Constitution et que l’autorité normative des partenaires sociaux soit affirmée » (2006). Cette revendication, inspirée du protocole social de Maastricht, avait été suggérée par la CFDT en 2000-2001 lors des travaux du groupe sur les « voies et moyens de la négociation collective » (Duclos et Mériaux, 2003). Elle inspirera la loi Larcher de 2007 et sera reprise par le candidat socialiste à l’élection présidentielle de 2012, François Hollande. Le texte de 2007 évoque plus largement un ensemble 43de propositions censées faire « entrer la France dans un nouveau temps moderne de la démocratie sociale » :
– réformer la Constitution pour prévoir la création d’un champ autonome de dialogue social
– créer une nouvelle méthode de transposition des accords conclus dans le champ de la loi : les ordonnances sociales
– revoir les règles de représentativité syndicale, pour renforcer la part des audiences électorales
– créer une instance unique élue de représentation dans les entreprises de moins de 250 salariés
– supprimer le monopole de présentation des listes au premier tour
Le Medef inscrit ainsi la « démocratie sociale » dans un projet stratégique de refonte des relations de travail qui renvoie autant à un changement des règles de la négociation collective qu’à une redéfinition des formes du syndicalisme légitime.
L’exploration des discours syndicaux et patronaux atteste d’un recours accru à la notion de « démocratie sociale » dans les années 2000, celui-ci allant de pair avec un glissement de sa signification. Mais parmi les organisations étudiées, seuls le Medef et la CGT semblent en faire un usage stratégique. Pour l’une et l’autre organisation, la « démocratie sociale » est l’emblème d’un vaste projet de réforme des relations de travail, qui passe notamment par l’instauration d’un « nouveau statut du travail salarié » et d’une « Sécurité sociale professionnelle » à la CGT, tandis que la « refondation sociale » du Medef vise à restreindre l’emprise du paritarisme sur la protection sociale et à renforcer le pouvoir normatif autonome des « partenaires sociaux ». Mais tandis que le Medef ne semble mobiliser la notion que pour une période limitée, la CGT au contraire en multiplie les références et, on l’a vu, s’efforce d’en préciser le sens. Par-delà ces usages variés, un trait commun à l’ensemble de ces discours émerge au début des années 2000 : que la « démocratie sociale » fasse l’objet d’une considération particulière ou non, qu’elle soit mise au service de la refondation ou de la citoyenneté sociales, elle inclut toujours la référence à un enjeu concret : la réforme des règles de représentativité syndicale.
44III. Des luttes idéologiques à la constitution
d’une formation discursive hégémonique :
le double rôle de l’État
Considérer l’action de l’État permet de comprendre comment, à deux moments distincts, s’imposent tout à la fois la catégorie même de « démocratie sociale » et son resserrement autour de la question des règles de représentativité. Pour ce faire, il importe de se déprendre d’une vision unifiée de la puissance publique. Ce qu’on appelle l’État agit en effet au travers de multiples agents, aux intérêts divers, qui parlent en son nom. Il ne s’agit donc pas de dire que l’État serait l’arbitre suprême, tranchant entre des visions concurrentes de la démocratie sociale. Loin d’être en surplomb, l’État et ses agents se trouvent au cœur de ces luttes de définition. Mais l’État est à la fois un acteur et un contexte (Dressen et Mias, 2008) de ces luttes idéologiques. Outre le fait que les institutions publiques constituent des arènes de mise en visibilité et par là-même de construction des problèmes sociaux, l’État dispose d’un pouvoir que n’ont pas les autres acteurs collectifs : un pouvoir d’institution, qui se décline symboliquement (par l’édiction d’énoncés juridiques) et pratiquement (par la mise en place de dispositifs pratiques aux vastes effets sociaux).
III.1. L ’ État, observatoire et arène des luttes dans le discours
Si l’étude des textes confédéraux laisse voir un usage stratégique de la « démocratie sociale » au sein du Medef qui précède les développements que lui consacre la CGT, il serait cependant précipité d’en déduire que l’initiative de la controverse revient au patronat. Certes, c’est en partie l’offensive idéologique engagée par le Medef avec la « refondation sociale » qui conduit la CGT à préciser son programme revendicatif16. Mais, on l’a vu, la référence à la « démocratie sociale » n’est pas centrale dans le discours patronal. Les productions académiques évoquées en introduction, tout comme l’étude de la presse de la fin des années 1990 – début 452000 montrent que la controverse est déjà présente et implique d’autres acteurs, universitaires et représentants syndicaux parlant par exemple au nom de Solidaires17 ou de la CFDT18. Tout laisse à penser que le Medef comme la CGT n’ont fait que se saisir d’un motif qui circulait déjà dans l’espace public. La construction de la « démocratie sociale » comme un problème d’intérêt général concernant l’ensemble des acteurs politiques et socioprofessionnels semble ainsi revenir à la puissance publique, à l’occasion d’un colloque organisé le 30 mars 2000 par la Commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l’Assemblée nationale, présidée par Jean Le Garrec, député socialiste du Nord et proche de la ministre du Travail de l’époque, Martine Aubry19. Les deux tables-rondes organisées pour le colloque font en quelque sorte cohabiter deux états de la démocratie sociale : la première est consacrée au paritarisme, auquel était le plus souvent associée l’expression jusqu’à la fin des années 1990, et la seconde à la négociation collective, à laquelle le discours offensif du Medef réarticule alors la démocratie sociale.
Le constat de départ est celui d’une « crise de la démocratie sociale » : on est en effet dans un contexte où les acteurs des relations professionnelles ont été conduits, successivement et pour des raisons différentes, à s’opposer fortement à l’intervention de l’État. Le plan Juppé de réforme de la Sécurité sociale a mobilisé la majorité du mouvement syndical en novembre-décembre 1995, lequel continue cinq ans plus tard de s’opposer à « l’étatisation » de la protection sociale. L’organisation faîtière du patronat français est partie en guerre contre la loi Aubry de 1998 abaissant la durée légale du travail de 39 à 35 heures ; après une première phase d’opposition frontale, elle a adopté une stratégie de neutralisation par le dialogue social qui lui a permis d’utiliser la réduction du temps de travail comme un levier de flexibilité (Pélisse, 2009). Dans la foulée de cette opposition à l’interventionnisme étatique, le Medef a menacé de quitter les organismes paritaires et invité les syndicats à discuter d’une nouvelle « Constitution sociale ». Le colloque, organisé au moment où s’ouvrent en parallèle les négociations sur l’agenda de la « refondation 46sociale » (une première rencontre a eu lieu en février 2000 entre organisations syndicales et patronales), laisse penser à une volonté de la ministre du Travail de ne pas laisser le terrain de la refondation au seul Medef.
Le débat sur la démocratie sociale s’inscrit donc dans un contexte marqué par la défiance, tant syndicale que patronale, à l’égard de l’État accusé d’empiéter sur le terrain légitime des « partenaires sociaux ». De sorte que le colloque se fixe comme objectif de « clarifier les compétences et les responsabilités respectives de l’État, des organisations patronales et des syndicats tant dans la gestion des institutions paritaires que dans la définition du champ et de la portée de la négociation collective. » Dans son intervention d’ouverture, Jean Le Garrec défend un positionnement qui répond aux propositions de « refondation sociale » du Medef : « Il n’est pas question d’opposer la démocratie sociale à la démocratie politique. […] Plutôt que le terme de “refondation sociale” j’aurais volontiers utilisé celui de “rénovation”. Je le préfère en tous cas à celui de “nouvelle constitution sociale”20. » L’année suivante, on l’a vu, le président du Medef reprendra à son compte cette ambition de « rénover la démocratie sociale ».
Tandis que les représentants de l’État définissent la démocratie sociale comme une sphère intermédiaire entre l’économie et la politique, comme « la mise en place et le fonctionnement d’une sphère de régulation du social entre le marché et l’État, confiée aux partenaires sociaux21 », le Medef rabat la démocratie sociale sur l’économie, qu’il oppose à la démocratie politique et à l’État. Du côté des organisations syndicales, les points de vue sont divers. Nicole Notat, pour la CFDT, reprend à son compte l’idée des « corps intermédiaires entre l’État et les citoyens, lesquels assurent la liaison entre l’État et le marché, entre le marché et l’économie ». Bernard Thibault, pour la CGT, se situe quant à lui du point de vue de la souveraineté des salariés : « Ce concept est central et négligé quand on songe que 90 % de la population, active ou retraitée, est constituée de salariés ou d’anciens salariés qui ne disposent pas de pouvoir d’intervention alors même que ce sont eux qui sont responsables au premier titre de la production des richesses ».
En dehors de ce colloque du printemps 2000, la notion de « démocratie sociale » est peu présente dans les discours politiques tenus sous le gouvernement de la gauche plurielle. À l’inverse, le retour au pouvoir 47de la droite en 2002 sera l’occasion d’une mise en visibilité forte de ce thème puisque le nouveau Premier ministre Jean-Pierre Raffarin consacre, dans sa déclaration de politique générale, la « démocratie sociale » comme un pilier de son programme de redynamisation de la République, conjointement avec la relance de la démocratie locale :
la République doit s’ouvrir à la démocratie sociale. S’ouvrir à la démocratie sociale, c’est mettre fin à un système qui met trop souvent l’État et le citoyen directement face à face. Le dialogue social sera au cœur de l’action du Gouvernement et les partenaires sociaux seront consultés avant toute initiative majeure de l’État. Ils se verront reconnaître une autonomie pour définir par voie d’accord, et dans le respect des principes fondamentaux de notre droit, les règles qui déterminent les relations du travail. Le Gouvernement souhaite conforter la légitimité des partenaires sociaux à agir. C’est pourquoi je regarde avec beaucoup d’intérêt les initiatives prises par ces derniers pour vivifier et améliorer la démocratie sociale. Des partenaires sociaux forts et engagés sont en effet indispensables pour que puisse se développer dans de bonnes conditions un dialogue social qui est, à mon sens, le préalable nécessaire au règlement de nos dossiers majeurs22.
Le discours du Premier ministre contribue ainsi à consolider une acception restrictive et procédurale de la « démocratie sociale », au sens du dialogue social et de l’autonomie collective des partenaires sociaux dont il faut renforcer le pouvoir contractuel. L’orateur du groupe socialiste, François Hollande, lui répond que « ce sont les règles de la démocratie sociale qu’il convient de faire évoluer23 », évoquant les critères de représentativité et la validation majoritaire des accords. Sur ce terrain, les lois Fillon de 2004 et Larcher de 2007 poseront de premiers jalons, avant la réforme plus profonde de 2008.
III.2. Réforme de la représentativité
et stabilisation d ’ un nouveau sens commun
La « démocratie sociale » se trouve juridiquement consacrée par l’adoption de la loi du 20 août 2008 qui, pour la première fois, reprend ce vocable dans son intitulé. Cependant, il convient de souligner que l’expression ne figure pas dans la position commune du 9 avril 2008 48que la loi est supposée retranscrire24. Alors qu’au même moment, des organisations diverses et opposées, au moins le Medef et la CGT, font, on l’a vu, un usage stratégique de cette notion à laquelle elles donnent un contenu différent, la « démocratie sociale » est absente du texte qui fixe le compromis entre les parties sur l’enjeu commun à ces deux discours sur la démocratie sociale : les règles de représentativité syndicale. En excluant de facto la formule de la déclaration qui fixe alors une expression commune des « partenaires sociaux », tout se passe comme si chaque partie à la négociation se permettait ainsi de préserver le sens spécifique qu’elle entend donner à « sa » « démocratie sociale ». Cependant, l’appropriation de la formule par le législateur contribue à redéfinir cet équilibre en la faisant pencher du côté d’une interprétation restrictive, centrée sur la pratique de la négociation collective. L’exposé des motifs de la loi de 2008 reprend ainsi un argumentaire et des expressions analogues à l’argumentaire du Medef cité plus haut : la rénovation de la démocratie sociale doit passer à la fois par la réforme de la représentativité syndicale, condition pour « renforcer la légitimité des acteurs » et ainsi « fonder le dialogue social sur des organisations fortes et légitimes », et par une articulation repensée entre la loi et le contrat. C’est cette « défense » de la démocratie sociale qui permet d’ailleurs de justifier l’introduction d’un titre II portant sur l’aménagement de la durée du travail. Il en est de même avec les accords de Bercy qui réforment les règles de représentativité et de négociation collective dans la fonction publique. Alors que la « démocratie sociale » est absente du relevé de conclusions, on la retrouve dans la préface, signée des ministres de l’époque, qui saluent le caractère historique d’un « protocole [qui] concrétise une nouvelle démocratie sociale dans la fonction publique, autour de deux principes clés : l’élection et la négociation25 ».
La réforme de la représentativité syndicale fixe ainsi la lexie « démocratie sociale » comme point d’ancrage dans le discours contemporain des relations professionnelles. La loi de 2008 contribue en effet à stabiliser le sens de la 49notion en l’arrimant à un dispositif matériel (fait d’énoncés juridiques, de techniques et de pratiques réglées) qu’elle sert à désigner et qu’on pourrait résumer par cette équation : [dialogue social + élections = démocratie sociale]. Si l’État concourt à fixer une acception commune de la démocratie sociale, ce n’est pas seulement parce que la loi reprend à son compte une définition contre une autre, mais parce qu’elle institue un dispositif qui confère une réalité matérielle à cette définition. L’étroite articulation de la démocratie sociale et du dialogue social se retrouve ainsi dans les institutions nouvelles créées par la réforme : parce que la démocratie doit servir au dialogue, le vote des salariés est placé sous la surveillance d’un « Haut conseil du dialogue social » au sein duquel siègent représentants de l’État et des organisations socioprofessionnelles. Il veille au bon déroulement des scrutins, compile les résultats et les atteste lors de la publication officielle de la mesure d’audience de la représentativité syndicale.
Mais le vote des salariés n’est pas conçu comme le point de départ vers un renforcement de la citoyenneté sociale. L’analyse des débats parlementaires lors des travaux préparatoires à la loi du 20 août 2008 permet d’attester de la faiblesse des relais qui auraient permis de donner plus de crédit au discours cégétiste en le faisant résonner dans d’autres lieux. L’étude des minutes des débats montre un usage commun de la démocratie sociale, à droite comme à gauche, pour désigner le dialogue social ou le système français de relations professionnelles. Seules deux prises de parole font dissensus. Se situant par rapport à l’acception patronale de la notion, mais se démarquant par la même occasion des syndicats, le sénateur Front de gauche Jean-Luc Mélenchon est le seul à manifester sa défiance : « Je n’aime pas l’expression “démocratie sociale” et je ne la comprends pas : la démocratie ne peut être réduite au champ social ; elle s’étend à la société politique tout entière ou elle n’a aucun sens ! En réalité, on veut opposer ici la logique du contrat et celle de la loi, qui reposent sur des raisonnements différents. […] Nous devons réfléchir à ce problème, car c’est la deuxième fois en quelques semaines que nous sommes saisis d’un texte visant à valider une position commune des syndicats. Nous ne pourrons plus nous contenter de slogans et considérer la démocratie sociale comme un bienfait pur et constant pour la démocratie politique, parce que telle n’est pas la vérité26 ! » Seule l’intervention 50de la communiste Annie David au Sénat évoque une autre conception, reprochant au gouvernement d’avoir « pris la rénovation par le petit bout de la lorgnette, en évitant soigneusement tout ce qui pouvait apparaître comme une introduction de la démocratie participative dans l’entreprise, en privant les salariés de leur droit à la parole et à la contestation, en ne permettant pas à leurs représentants de peser véritablement sur les choix stratégiques des entreprises. Alors que, dans de nombreux conflits, ces femmes et ces hommes sont porteurs de projets de substitution, rien dans votre texte ne les renforcera27. »
Conclusion
En ébauchant l’espace des discours relatifs à la « démocratie sociale », j’ai tenté dans cet article de montrer les limites d’une analyse de la notion comme un « lieu commun » vide de sens. Ce point de vue empêche en effet de saisir la dynamique des affrontements idéologiques dont cette notion est l’objet. Loin d’avoir toujours habité le discours des acteurs des relations professionnelles, la « démocratie sociale » apparaît par éclipses. Elle n’a que très récemment regagné en visibilité dans le débat public, en lien avec la stratégie engagée par le Medef pour contester l’intervention étatique en matière d’organisation du temps de travail et revendiquer une refondation profonde du système français de relations professionnelles. C’est ce « coup symbolique » du Medef, un temps légitimé par la référence à la démocratie sociale, qui a conduit en retour la CGT à développer un contre-discours inscrivant la démocratie sociale dans un autre système de significations. Le discours patronal articule « démocratie sociale » et « dialogue » d’une part, et oppose « démocratie sociale » et « démocratie politique », en analogie à l’opposition entre autonomie des acteurs sociaux et intervention de l’État. Le discours cégétiste articule « démocratie sociale » et « citoyenneté » des salariés et oppose la démocratie sociale au pouvoir arbitraire du patronat. En s’appropriant la démocratie sociale dans le sens du dialogue social et d’une vision contractualiste des relations de travail, on pourrait dire 51que le Medef a réalisé une opération de triangulation par laquelle il s’adressait à la CFDT dans le langage de la CGT.
Mais il y a une différence de taille entre ces deux définitions. La première résonne de multiples manières, dans le discours d’autres acteurs (syndicaux, politiques, médiatiques, scientifiques, etc.), mais aussi dans la matérialité de pratiques et de dispositifs. L’ensemble de ces résonances et relais produit un effet de réalité qui conforte la légitimité de la définition patronale. À l’inverse, la définition cégétiste de la démocratie sociale ne peut se présenter que pour ce qu’elle est : une élaboration théorique, un idéal. Ces résultats conduisent à nuancer les conclusions avancées par S. Béroud et J. Lefèvre à propos des évolutions du discours syndical en général et cégétiste en particulier. Le discours de la CGT sur la démocratie sociale ne se réduit pas à un positionnement dans l’ici-et-maintenant. Il est structuré par une temporalité sociale spécifique qui articule une vision prospective, un horizon d’action à l’idée, héritée du passé valorisé de la Libération, d’une « souveraineté politique du travail ». Il est informé par une vision de la citoyenneté sociale qui reste subversive au regard de l’ordre existant dans la sphère économique et des tendances affectant la sphère des relations professionnelles. Cette subversion se nourrit de la tension entre la reconnaissance de la subordination induite par la relation d’emploi et l’aspiration à l’émancipation qu’exprime la revendication démocratique. Pour autant, et sur ce point je rejoins Béroud et Lefèvre, la résolution de cette contradiction n’est plus explicitement présente dans le discours syndical, ce qu’illustre la disparition de l’objectif de « démocratie économique » au profit de la seule « démocratie sociale ».
Comme l’écrivait Maurice Tournier, « Une fois posé le principe que le “dialogue” politique n’est pas de l’échange convivial mais une forme sublimée de la violence, à une vision abstraite, libérale, unanimiste des échanges il faut substituer une vision conflictuelle permanente dans laquelle les consensus n’opèrent qu’à titre de dominances ou de masquages » (1989, p. 58). De ce point de vue, l’analyse idéologique conduit aussi à pointer les impensés politiques des discours académiques qui recourent à la « démocratie sociale » sans s’interroger sur la notion, ignorant ce faisant la spécificité d’une lexie qui, à la différence par exemple du « dialogue social » (Higelé, 2012), apparaît comme un « mot-conflit », une expression inscrite dans des discours antagoniques.
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1 Nicolas Sarkozy, « Pour des syndicats forts », Le Monde, 19 avril 2008.
2 François Hollande, « Il faut avoir confiance en la démocratie sociale », Le Monde, 16 juin 2011.
3 Paru en 2015, édité par Lignes de Repères et la Fondation Jean Jaurès.
4 La Revue socialiste, no 58, juin 2015, « Démocratie sociale ? ».
5 Discours de Myriam El Khomri devant la commission nationale de la négociation collective, 24 février 2016 [http://travail-emploi.gouv.fr/actualites/presse/discours/article/discours-de-myriam-el-khomri-lors-de-la-commission-nationale-de-la-negociation] consulté en ligne le 28 mars 2016.
6 C’est le sens que lui donnent par exemple Dominique Labbé et Gilles Nezosi dans le chapitre intitulé « Négociation collective, paritarisme et démocratie sociale » d’un ouvrage de synthèse (Andolfatto, 2004).
7 Je traduis : « ideologies are contextually produced chains of meanings rather than discrete as well-structured systems of beliefs » (Steinberg, 1993, p. 317).
8 Voir Althusser (2011), qui reprend l’intégralité du manuscrit dont fut tiré le texte « Idéologie et appareils idéologiques d’État » paru dans La Pensée en 1970.
9 À l’inverse de ce que fait Jean-Pascal Higelé (2012) dans sa critique du dialogue social. Sur la différence entre théorie de l’idéologie et critique de l’idéologie, voir Rehmann (2013).
10 Ici la notion d’articulation, qui met l’accent sur les fondements sociaux plutôt qu’intellectuels de la cohérence idéologique, est essentielle : « Par le terme “articulation”, j’entends une connexion ou un lien qui n’est pas nécessairement donné dans tous les cas, comme une loi ou un fait de la vie, mais qui a besoin de conditions d’existence particulières pour apparaître, qui doit être soutenu positivement par des processus spécifiques, qui n’est pas “éternel”, mais qui doit être sans cesse renouvelé, qui peut, sous certaines circonstances, disparaître ou être renversé, les liens anciens étant dissous et de nouvelles connexions – réarticulations – se voyant forgées. » Hall (2012, p. 134). Voir aussi Lindner (2012).
11 À quelques exceptions près (Higelé, 2012 ; Thomas, 2016).
12 Qu’elle en soit ici remerciée.
13 La constitution de ce corpus de textes patronaux a été réalisée avec l’aide financière de la Dares dans le cadre du projet de recherche du ministère du Travail sur les « Organisations d’employeurs en France » (2009-2011). Voir Amossé et al., (2012) ; Lefèvre, (2013).
14 Je traduis : « Collective actors necessarily articulate meanings about their situations and experiences by addressing the discourses of others » (Steinberg, 1993, p. 318).
15 Sur ces élaborations, voir Friot (2009).
16 En partie seulement, car la CGT a entamé dès le début des années 1990 un processus d’aggiornamento idéologique dont les élaborations des années 2000 sont un des résultats (de Comarmond, 2013).
17 Thierry Renard, « La démocratie sociale est-elle soluble dans la refondation sociale ? », Les Échos, 13 novembre 2000.
18 Jean Kaspar, « Pour une démocratie sociale », Libération, 28 août 2000.
19 Les actes du colloque sont repris dans le Rapport d’information déposé en application de l’article 145 du Règlement par la Commission des affaires culturelles, familiales et sociales sur la démocratie sociale, avril 2000.
20 « Intervention de M. Jean Le Garrec », Rapport d’information…, op. cit., p. 8.
21 « Introduction », Rapport d’information…, op. cit., p. 5.
22 Assemblée Nationale, Journal Officiel de la République française, Session extraordinaire de 2001-2002, Compte rendu intégral, Session du mercredi 3 juillet 2002, p. 1832.
23 Ibid., p. 1845.
24 Position commune du 9 avril 2008 sur la représentativité, le développement du dialogue social et le financement du syndicalisme, signée par le MEDEF, la CGPME, la CGT et la CFDT.
25 Éric Woerth, Ministre du Budget, des comptes publics et de la fonction publique, André Santini, Secrétaire d’État, chargé de la fonction publique, « Les accords de Bercy : un tournant historique pour la fonction publique », in DGAFP, Relevé de conclusions relatif à la rénovation du dialogue social dans la fonction publique, juin 2008.
26 Sénat, Journal Officiel de la République française, Session extraordinaire de 2007-2008, Compte rendu intégral, Session du jeudi 17 juillet 2008, p. 4865.
27 Ibid., p. 4824.
- Thème CLIL : 3319 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Économie publique, économie du travail et inégalités -- Travail, emploi et politiques sociales
- ISBN : 978-2-406-08857-8
- EAN : 9782406088578
- ISSN : 2555-039X
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-08857-8.p.0027
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 11/02/2019
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français
- Mots-clés : Relations professionnelles, luttes idéologiques, analyse de discours, démocratie