Définition, apports et limites du concept gauchéen de religion séculière
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Revue d’Histoire et de Philosophie Religieuses
2020 – 3, 100e année, n° 3. varia - Auteur : Vazeux (Paul Israël)
- Pages : 385 à 404
- Revue : Revue d'Histoire et de Philosophie religieuses
Définition, apports et limites
du concept gauchéen
de religion séculière
Paul Israël Vazeux
Faculté de Philosophie de l’Université de Strasbourg
La controverse
des religions politiques et séculières
Dans À l’épreuve des totalitarismes, le troisième tome de son ouvrage consacré à L’avènement de la démocratie, Marcel Gauchet convoque, pour penser les idéologies totalitaires, le concept de religions séculières. Ce faisant, il semble s’inscrire dans la tradition interprétative des religions politiques et séculières, formulée initialement par certains auteurs chrétiens antinazis des années 30-40. Aussi comprendra-t-on mieux la spécificité de sa pensée si on la rapporte au débat houleux qui a opposé intellectuels français et allemands pendant et après-guerre concernant cette dénomination controversée donnée au phénomène totalitaire.
Les premières occurrences de l’expression « religions séculières », ainsi que de la dénomination voisine de « religions politiques », remontent au début des années 30. Elles apparaissent d’abord sous la plume de certains penseurs chrétiens, comme Waldemar Gurian et Eric Voegelin, qui s’inquiètent face à la montée en puissance des mouvements de masse nazi, fasciste et bolchévique. On retrouve ces expressions quelques années plus tard au cœur de la discussion entre les intellectuels européens émigrés aux États-Unis. Voici, par exemple, comment, en 1933 déjà, Waldemar Gurian expliquait comment il comprenait le mouvement communiste bolchévique :
386Ce que les croyants, dans les religions traditionnelles, imputent à Dieu et ce que les chrétiens assignent à Jésus-Christ et à l’Église, les bolcheviks l’imputent aux lois prétendument scientifiques du progrès social, politique et historique […] formulées dans la doctrine créée par Marx et Engels, Lénine et Staline. On peut, par conséquent, voir dans leur adhésion à ces lois doctrinales […] une religion séculière1.
De son côté, Luigi Sturzo, un prêtre et philosophe italien farouchement opposé au régime fasciste de Mussolini, écrivait en 1938 :
L’État totalitaire par sa nature même est amené à dépasser les limites observées jusqu’à lui. Tout le monde doit avoir foi en l’État nouveau et apprendre à l’aimer. Pas une idée opposée, pas une voix dissidente. De l’école primaire à l’Université, il ne suffit pas de pratiquer un conformisme sentimental ; il faut une soumission intellectuelle et morale complète, un enthousiasme confiant, l’ardeur mystique d’une religion. Le communisme, ou le fascisme, ou le nazisme, est et doit être une religion2.
Raymond Aron est le premier en France à avoir introduit le terme de « religions séculières ». Cette expression désigne avant tout, chez le sociologue français, la sécularisation de l’eschatologie judéo-chrétienne, c’est-à-dire le transfert dans l’immanence terrestre de l’espérance en l’au-delà3. Pourtant, dès le départ, cette interprétation religieuse du phénomène totalitaire fut loin de remporter l’unanimité parmi les intellectuels allemands et français d’après-guerre. Elle fut vivement critiquée notamment par Hannah Arendt qui dénonçait dans l’assimilation du nazisme et du bolchévisme à une religion une « fonctionnalisation des catégories qui les vide de tout contenu4 ». Arendt a, d’ailleurs, très bien saisi l’enjeu philosophique de ce débat, qui réside dans le fait de remettre à l’ordre du jour de la science politique « le problème presque oublié des rapports entre religion et politique ». En effet, comme elle l’écrit dans les premières lignes de son article « Religion and Politics », publié en 1953 dans la revue américaine Confluence,
La lutte entre le monde libre et le monde totalitaire a eu un effet secondaire surprenant : elle a fait apparaître une tendance marquée à interpréter ce conflit à l’aide de catégories religieuses. Le communisme, nous assure-t-on, constitue une « religion séculière » nouvelle vis-à-vis de laquelle le monde libre défend son propre « système religieux » transcendant. 387Or, cette représentation a des incidences qui dépassent la configuration immédiate qui l’a suscitée : elle a fait revenir la « religion » dans la sphère des affaires publiques d’où elle était exclue depuis la séparation de l’Église et de l’État. Du même coup, bien que les tenants de cette théorie en aient rarement conscience, elle a remis le problème presque oublié des rapports entre religion et politique à l’ordre du jour de la science politique5.
Mais cette controverse des religions politiques et séculières demande, pour être mieux comprise, d’être elle-même resituée dans le cadre plus large de la discussion portant sur la sécularisation des temps modernes. Cette querelle herméneutique a mis en lice deux écoles interprétatives diamétralement opposées de la modernité politique, à savoir d’un côté les tenants de la « théorie de la sécularisation », qui, comme Carl Schmitt, pensent que « tous les concepts prégnants de la théorie moderne de l’état sont des schèmes théologiques sécularisés6 », et, de l’autre côté, les opposants à cette « catégorie de l’illégitimité historique » (comme la dénomme Blumenberg) qui défendent (précisément) la « légitimité des temps modernes » à se définir comme tels et à se penser selon leurs propres catégories. En effet, c’est cette même problématique ‒ transposée sur le plan de la modernité politique ‒ que l’on retrouve dans la discussion sur les religions séculières. De manière analogue, on reproche à cette dénomination de nier la modernité du phénomène totalitaire en ramenant ce qui en fait la nouveauté et la spécificité au recyclage d’une structure religieuse plus ancienne. C’est pourquoi Arendt, qui cherche à penser le caractère absolument neuf et inédit de la modernité politique en général, et du phénomène totalitaire en particulier, lui refuse cette qualification. Elle trouve illégitime, voire scandaleux, de réduire le totalitarisme à une simple pseudomorphose d’éléments religieux traditionnels.
Il est significatif, à cet égard, que tous ceux qui adoptent cette dénomination religieuse des totalitarismes soient enclins à souligner la parenté qu’entretiennent ces régimes avec d’autres formes plus anciennes de tyrannies politiques (et soient ainsi portés à considérer comme totalitaire toute une série de vieux régimes autoritaires). Ces auteurs, en effet, tendent à regrouper, à subsumer sous ce vocable diverses formations politiques historiques qui plongent leurs racines jusque dans l’antiquité gréco-romaine, voire dans l’Égypte des 388pharaons. Ainsi Karl Popper voit-il dans le communisme de Platon une préfiguration du totalitarisme, tandis que Simone Weil discerne dans l’Empire romain une forme d’État totalitaire, alors qu’Arendt, elle, établit une distinction très nette entre les totalitarismes et les différentes formes de tyrannies ou de régimes autoritaires ayant existé par le passé. Le totalitarisme constitue, selon cette dernière, une forme de gouvernement inédit, une dérive propre à la modernité politique ‒ et donc non concevable ni transposable dans le passé.
Pour une étude plus approfondie de cette controverse sur les religions politiques et séculières et des enjeux herméneutiques qui la sous-tendent nous renvoyons à notre premier article paru dans cette revue sur le sujet7.
Introduction à la pensée
du sociologue français
Pour saisir ce qui fait l’originalité de la réflexion de Marcel Gauchet sur les totalitarismes, il importe au préalable de la situer dans le cadre plus général de son œuvre, laquelle se propose de penser « l’avènement de la démocratie » ainsi que le processus de « sortie de la religion » qui l’accompagne. Gauchet soutient en effet que ce qui fait le nerf de la modernité, c’est le passage de l’hétéronomie religieuse à l’autonomie politique de « l’être-ensemble », c’est-à-dire le passage de la structuration religieuse hétéronome des sociétés traditionnelles à la structuration politique autonome de nos sociétés occidentales. Le sociologue discerne dans le christianisme un ferment d’émancipation qui va conduire les communautés humaines à s’affranchir du joug de « l’Un hétéronome » pour accéder à l’ordre autonome des démocraties modernes8. Cette « sortie de la religion9 », en germe dans le christianisme, se traduit par un « désenchantement 389du monde », à entendre ici non pas au sens wébérien d’une perte du rapport magique au monde mais dans le sens où le religieux n’est plus le fondement instituant du politique.
Une fois ceci rappelé, nous pouvons mieux situer l’« hapax historique » que représente, d’après Gauchet, le phénomène totalitaire fiché en plein cœur du xxe siècle. Pour être compris au mieux, les totalitarismes doivent être replacés dans ce long processus de sortie de la religion qui, amorcé par le christianisme, débouche sur l’avènement de la démocratie. Ils correspondent à une phase bien déterminée de ce « mouvement d’échange entre structuration religieuse et structuration politique de l’être-ensemble10 » qui caractérise la modernité politique.
Une analogie médicale, celle d’un corps en proie à la maladie, peut nous aider à mieux comprendre l’étape douloureuse (mais nécessaire ?) que représente l’épisode totalitaire dans le processus de démocratisation de nos sociétés. Dans l’optique de Gauchet, le phénomène totalitaire constituerait une réaction organique ; ce serait l’effet symptomatique qui accompagne le processus de sortie de la religion – ce processus d’autonomisation du politique vis-à-vis de la structuration religieuse des sociétés traditionnelles –, de la même manière qu’un organisme convalescent est secoué par des fièvres et des spasmes, qui sont les symptômes de la lutte de forces contraires (santé/maladie ou autonomie/hétéronomie), en même temps qu’elles annoncent la guérison prochaine, c’est-à-dire, ici, l’avènement de la démocratie.
Les convulsions dont le xxe siècle est le théâtre témoignent de ce jeu de forces antinomiques – entre poussée autonome et résistance hétéronome – qui travaille le corps social, en même temps qu’elles font apparaître l’enjeu sous-jacent. L’ampleur des forces en présence, la tension extrême qui accompagne l’émergence des totalitarismes, ainsi que les proportions dantesques des conflits mondiaux qu’ils vont générer, révèlent l’importance de ce qui se joue : rien de moins que savoir s’il existe « une alternative à la structuration religieuse11 ». C’est cette « question ultime ouverte par la modernité », « la question de savoir ce qui structure la communauté humaine et comment12 », qui va être « tranchée au fil d’affrontements titanesques en chaîne », dans ce « siècle court mais décisif13 » qu’est le siècle des totalitarismes. 390Aussi, le « front antifasciste des vainqueurs de 1945 » ne doit pas nous empêcher de reconnaitre, écrit Gauchet, que « l’axe du siècle était le conflit, non du progressisme et du fascisme, mais de la démocratie et des totalitarismes14 ». Depuis la tribune de l’histoire du xxie siècle nous assistons à l’affrontement dramatique entre ces deux modèles incompatibles de structuration religieuse ou politique du vivre-ensemble, ainsi qu’à son dénouement final et inespéré : la victoire de la démocratie qui se solde par la défaite définitive des totalitarismes.
Là où les totalitarismes ont échoué dans leur prétention folle de reconstituer l’unité religieuse à l’intérieur et avec les éléments de la modernité, les démocraties ont réussi à lui substituer l’unité par le politique. C’est cette relève de la forme religieuse par la forme politique qui a assuré leur victoire finale dans cette lutte de géants qu’elles avaient paru si longtemps condamnées à perdre15.
C’est « le chemin tortueux et tragique de cette découverte du passage vers l’ordre autonome16 » que Marcel Gauchet se propose de reconstituer dans À l’épreuve des totalitarismes. Après avoir souligné, dans un chapitre initial, le rôle matriciel de la Grande Guerre dans la gestation et l’éclosion des religions séculières, Gauchet se livre à une description quasi phénoménologique du processus historique qui conduit à l’émergence des régimes totalitaires bolchévique, fasciste et nazi. Puis, en un chapitre qui clôt cette grande fresque historique, il s’attèle à définir le phénomène en question. Arrêtons-nous sur cette définition.
La définition et la triple dénomination gauchéenne du phénomène totalitaire
Aucun mot, selon Gauchet, ne permet à lui seul de cerner la nature spécifique de cette réalité. Car nous sommes en présence d’un phénomène inédit et complexe qui oblige à recourir à plusieurs concepts complémentaires pour le circonscrire. Aussi notre auteur propose-t-il trois termes : « totalitarisme », « idéocratie » et 391« religion séculière », tous trois indispensables pour appréhender l’essence particulière du phénomène (chacun saisissant une des dimensions constitutives de l’objet sans pouvoir pour autant se passer des deux autres). À travers cet attelage conceptuel, Marcel Gauchet veut faire « droit aux trois éléments fondamentaux qui interviennent manifestement dans la définition du phénomène : le politique, l’idéologie et la religion17 ». Trois éléments que le sociologue considère comme « suffisamment déterminants pour justifier trois points de vue systématiques à son sujet, l’un qui privilégie le mode d’organisation du régime (totalitarisme), l’autre l’esprit qui préside à son fonctionnement (idéocratie) et le dernier la source à laquelle il puise (religion séculière)18 ». C’est cette articulation que Gauchet entend mettre à jour et dont nous voudrions ici rendre compte.
Totalitarisme
Avec le premier concept, celui de totalitarisme, Gauchet entend identifier « le principe organisateur19 » du phénomène, à savoir la visée totalitaire d’un État – détenant tous les pouvoirs et les concentrant en un seul – qui prétend régir et mouvoir l’ensemble de l’existence collective d’une nation dans une direction par lui déterminée :
Descriptivement parlant, le parti totalitaire a pour spécificité de vouloir tous les pouvoirs. Par principe, il ambitionne de les concentrer en un seul. […] Le pouvoir totalitaire aspire à se subordonner toute espèce d’autorité au sein de la société20.
Ce projet de totalisation dynamique21 de toutes les dimensions politiques, économiques et culturelles de la société, qui opère à la manière d’un véritable rouleau compresseur (la terreur22), est relayé par un parti et sous-tendu par une idéologie. Ce projet exige, en effet, avant tout « un parti combinant la conscience d’avant-garde et l’encadrement des masses, descendant dans la profondeur de la 392société et se ramifiant dans son étendue entière pour tisser un lien serré entre elle et l’élite au pouvoir qui la mène23 ».
Il suppose ensuite une idéologie
à même de rendre compte de tout dans la société en fonction du but à atteindre. Le pouvoir totalitaire ne se conçoit pas sans une vision du monde, une doctrine, une science ambitionnant de dire le dernier mot sur l’histoire, la société, la destinée humaine et d’embrasser dans cette lumière l’ensemble des rouages et des composantes de l’existence collective. Une prétention globalisante qui s’étend volontiers jusqu’aux sciences de la nature, investies comme le reste, puisque tout est politique24.
On entrevoit ici la démence d’une telle « ambition d’emprise totale » du politique sur la société, la démesure du dessein de « rendre le politique coextensif au social » afin d’« assurer la présence de la société entière auprès du pouvoir25 ».
Nous verrons comment cette entreprise de totalisation du politique, propre au régime totalitaire, est indissociable d’une recherche d’unité, d’identification et d’identité qui trahit l’ambition de renouer avec l’Un hétéronome des sociétés religieuses traditionnelles. Notons pour l’instant que cette visée totalitaire se traduit par « la primauté absolue du politique26 » sur le social ; qu’elle érige le « primat absolu du politique, son omniprésence organisatrice, son règne monopolistique à tous les échelons et dans tous les compartiments de la vie sociale27 » ; qu’elle instaure le « règne direct et nu du politique pur28 ». Point n’est besoin d’insister sur la terreur qui l’accompagne ni sur la violence inouïe qu’elle exerce sur le corps social…
Cependant, précise Gauchet, cette « primauté du politique ne se soutient pas par elle-même. Elle requiert impérativement l’appui d’un discours sans lequel elle n’aurait pas lieu d’être29 » : le discours idéologique, qui occupe une place centrale dans la définition du phénomène totalitaire.
393Idéocratie
Si « toutes les définitions typologiques du totalitarisme font une place de choix à l’idéologie unique et obligatoire parmi leurs critères – écrit Gauchet – on ne peut se contenter de mentionner le monopole idéologique comme un trait parmi d’autres30 ». L’idéologie est en effet « le rouage décisif », le levier sans lequel la primauté absolue du politique est irréalisable. Toute idéologie n’a pas pour autant « vocation à l’idéocratie », précise le sociologue : « Il y faut une idéologie conçue pour l’exercice d’un pouvoir radical et total. C’est cette vocation à l’empire qui caractérise véritablement les idéologies totalitaires31. » En effet, si toute idéologie consiste en une explication de l’histoire justifiant une certaine action politique, l’idéologie totalitaire se caractérise, elle, par son recours à une interprétation de l’histoire qui érige le moment présent en kairos décisif de l’histoire humaine. Elle élabore une Weltgeschichte qui sacralise l’action du peuple et absolutise l’action politique pour en faire le point de basculement de la sortie de l’histoire ou de son accomplissement, « deux scénarios convoquant l’absolu à l’intérieur de la sphère du devenir pour le placer à portée de l’action humaine32. » Ainsi, les discours totalitaires mettent-ils en branle l’histoire en suscitant l’action révolutionnaire, nationale ou socialiste. Seuls de tels discours, affirme Gauchet,
ont une vocation authentiquement idéocratique, en fonction du projet qui les anime de dominer l’histoire du dedans de l’histoire. Les autres nagent dans le relatif, le probable et le transitoire ; eux jouent dans la cour du certain et du définitif. C’est cette propriété qui les met en mesure de mobiliser la structure qui fait électivement du politique le représentant d’autre chose et de plus haut que lui-même, afin de donner intégralement corps à cette image finale de la condition collective. Car l’absolu profane qui se réalise dans l’histoire a des exigences beaucoup plus étendues, en matière de concrétisation, que l’absolu sacral de jadis. Il requiert un instrument qui prend la vie collective en charge de part en part, sans rien laisser en dehors de son étreinte, puisqu’il a la raison de tout et que tout dépend de lui33.
Et notre auteur de conclure : « l’omnipotence du politique est fonction de l’omniscience de l’idéologie34 ». Cette formule conclusive 394exprime clairement l’interdépendance des deux concepts de totalitarisme et d’idéocratie ; elle dit comment ils se font écho en mettant chacun en lumière une facette complémentaire du même objet. Pourtant, selon Gauchet, ces deux termes ne suffisent pas à circonscrire la nature complexe du phénomène totalitaire ; ils font signe vers un troisième concept qui les éclaire en retour, le concept de religion séculière.
Religion séculière
Reprenons donc nos deux premiers concepts pour voir comment, en vue de l’explicitation intellectuelle du phénomène totalitaire, ils demandent à être relayés par un troisième terme.
Concernant la première dénomination, « totalitarisme », nous évoquions comment l’entreprise de totalisation dynamique, inhérente à la visée totalitaire, trahit en réalité une recherche d’unité religieuse d’ordre sacral, de forme hétéronomique. L’ambition d’une emprise totale du politique sur la société, qui la caractérise, affirme en effet Gauchet, « est inséparable de la recherche de l’unité, qu’elle soit intellectuelle, sociale ou politique35 ». Aussi,
le régime totalitaire entend donner le spectacle de l’unanimité. Il ne se contente pas de la proscription des opinions dissidentes ; il réclame l’adhésion des esprits qu’il cultive méthodiquement par l’éducation de la jeunesse, l’endoctrinement des cadres, la propagande de masse, la mobilisation des peuples. Davantage encore, il s’emploie à rendre manifeste et tangible cette communauté de conviction par l’expression publique et ostentatoire de la ferveur de la population pour l’idéologie officielle. Il veut de la même façon le dépassement des divisions sociales36…
Cette quête unitive, poursuit Gauchet, « culmine dans le culte rendu au leader, lequel culte a pour fonction de rendre sensible en l’exaltant l’identité du pouvoir et du peuple37 ». Avec cette auto-sacralisation du chef, les régimes totalitaires versent en pleine hétéronomie religieuse puisque ce que réclament les fidèles des religions séculières, « ce qui enflamme les adeptes de ces régimes », « c’est la communion spirituelle, organique et hiérarchique qu’ils semblent en passe de ramener à l’existence38 ». Or, Gauchet reconnaît dans cette quête obsessionnelle d’unité, d’unanimité et d’identité – c’est-à-dire, au 395fond, de communion – qui sous-tend le projet totalitaire, la volonté de renouer avec l’Un hétéronome de la structuration religieuse, une tentative pour faire revivre l’ordre sacral des sociétés traditionnelles : « La foi, la dévotion inconditionnelle, le fanatisme sacrificiel dont ils ont bénéficié procèdent de cette source d’inspiration cachée39. » Aussi le terme de religion séculière traduit-il bien « cette reviviscence inconsciente de la figure de l’ordre sacral au milieu de la modernité […] qui constitue l’âme de nos régimes idéocratiques40 ».
Quant à la seconde dénomination, « idéocratie », elle ne s’éclaire elle aussi pleinement qu’à l’aide de ce troisième terme. La notion d’idéocratie laisse en effet intacte « la question de la nature de ces “idées” auxquelles la possibilité de la domination totalitaire est suspendue41 ». Aussi, après avoir « précisé les structures formelles » de ces idées, Gauchet fait un pas de plus en cherchant à « en déterminer les caractéristiques substantielles42 ». C’est alors qu’il convoque – pour la première fois dans son analyse – le concept de religion séculière, « le seul à même de rendre pleinement compte de l’origine, de la teneur et du rayonnement de ces idées conçues pour un exercice sans partage du pouvoir – en même temps, d’ailleurs, que de leurs propriétés formelles43 ». L’idéocratie comme « projet de domination de l’histoire ou d’arrachement à l’histoire » ne se comprendrait en dernier ressort que comme « religion séculière », c’est-à-dire, très précisément, comme « réinvention de la forme religieuse par des moyens séculiers44 ».
Le concept de religion séculière est donc la clef de voûte de la réflexion de Marcel Gauchet sur les totalitarismes ; il lui permet en effet de rendre compte « de la naissance et de la mort de l’inspiration qui a porté ces formations politiques sans précédent, de leur signification à l’échelle de l’histoire aussi bien que de leur unité dans la division45 ». Voilà ce qui rend le concept de religion séculière indispensable : « il est le plus compréhensif de la série, il est celui qui permet d’aller le plus avant dans l’intelligence de ces phénomènes énigmatiques46. »
396Apports du concept gauchéen
de religion séculière
Un concept oxymorique qui permet de circonscrire
la nature contradictoire du phénomène totalitaire
Les totalitarismes sont des religions séculières, au sens où ils cherchent à renouer avec la structuration religieuse hétéronome des sociétés traditionnelles mais avec les moyens de l’autonomie moderne :
Le sens ultime des entreprises totalitaires réside dans le dessein de reconstituer les rouages de l’unité religieuse de l’intérieur et à partir de la modernité individualiste, égalitaire, représentative, futuriste. Ce qu’elles ont de plus profond en commun, c’est l’ambition de faire revivre toutes ces dimensions qui résultaient de l’assujettissement à l’au-delà – l’identité dans le temps, l’inclusion communautaire, la conjonction hiérarchique, l’union avec le pouvoir – dans l’élément de l’immanence et sur la base des vecteurs de la structuration autonome47.
Si Gauchet préfère l’expression de « religion séculière » à la notion voisine de « religion politique », c’est parce qu’elle lui permet, du fait de son caractère oxymorique, de conceptualiser la contradiction inhérente au projet totalitaire48. La dénomination de « religion séculière » met bien en lumière, en effet, la structure bâtarde, faite d’autonomie et d’hétéronomie, de religion et de sécularité, qui charpente le projet totalitaire et qui explique le caractère paradoxal du phénomène en présence49. Les deux formes antagonistes qu’il revêt s’expliquent par les deux manières dont il est possible d’agencer ces éléments antinomiques50. Selon la 397manière dont on combine religiosité et sécularité, « selon l’entrée qu’on privilégie dans ce couple contre nature51 », l’on obtient en effet deux versions à la fois jumelles et opposées du même projet totalitaire : l’une vise à reconstituer la structuration religieuse hétéronome, mais avec des moyens profanes (fascismes) ; l’autre veut réaliser l’autonomie démocratique moderne tout en recourant à des moyens hétéronomes (communisme).
Ainsi le nazisme veut-il retrouver la stabilité millénaire de l’empire germanique (le Reich de « mil ans »), tout en ayant recours à des moyens techniques et politiques modernes : plébiscite, propagande idéologique, caractère scientifique de sa doctrine, armement dernier cri et moyens d’exterminations de masses. Pareillement, l’Italie fasciste prétend renouer avec le passé glorieux de la Rome impériale, tout en se drapant d’oripeaux futuristes (cf. le ralliement d’une grande partie du mouvement futuriste au fascisme). Inversement, le bolchévisme est tourné vers l’avènement futur d’une humanité autonome, égalitaire, affranchie du travail et des contraintes économiques, en même temps qu’il verse en pleine hétéronomie religieuse avec ses cérémonies de masses ritualisées, son culte du chef, l’orthodoxisation de la pensée et les procédés inquisitoriaux. « On se retrouve donc avec, face à face, une autonomie hétéronome et une hétéronomie autonome52 » : telle est la structure commune mais inversée des religions séculières.
La dénomination de « religion séculière » permet à Marcel Gauchet de conceptualiser la structuration bâtarde d’une formation politique et idéologique inédite qui croise le neuf et l’ancien, le profane et le religieux. Ce concept antithétique le conduit ainsi à faire droit aux deux écoles interprétatives, de la modernité politique en général, et du phénomène totalitaire en particulier. Il peut faire sienne l’idée d’une religiosité intrinsèque aux totalitarismes (chère aux penseurs des religions séculières et politiques), et en même temps échapper au reproche d’« iniquité historique » formulé par Blumenberg.
Au fond, les religions séculières, telles que les conçoit Gauchet, n’ont rien à voir avec les religions traditionnelles. Elles représentent un véritable « hapax historique », une formule inédite et mortifère de la religion, une combinaison hybride et monstrueuse de religiosité 398et de sécularité, propre à une étape bien déterminée du mouvement d’échange entre structuration politique et structuration religieuse de l’être-ensemble, et, à ce titre, entièrement révolue :
L’époque des totalitarismes est derrière nous. Cela ne veut pas dire que nous sommes définitivement à l’abri de la barbarie politique, mais que si elle doit revenir, elle revêtira d’autres formes et empruntera d’autres canaux53.
Une clef herméneutique pour penser
les contradictions de la modernité politique
La pensée de Marcel Gauchet se révèle particulièrement novatrice, nous semble-t-il, en ce qu’elle propose une clef herméneutique qui fait droit aux deux lectures antagonistes de la modernité politique, en même temps qu’elle dépasse le clivage progressiste-conservateur qui grève le débat sur les religions politiques et séculières. On pourrait croire en effet, à une première lecture superficielle de l’œuvre de Gauchet, que l’on est en prise – au travers du processus de « sortie de la religion » à l’œuvre dans la modernité – avec un mouvement linéaire de démocratisation des sociétés occidentales, allant dans le sens d’une autonomisation croissante et irréversible du politique. En réalité, la pensée de Gauchet est plus complexe que cela54, car ce qui ferait, selon lui, le ressort intime du processus historique conduisant à la modernité, c’est une tension contradictoire, un jeu de forces antinomiques – entre, d’une part, la poussée autonome du politique et, d’autre part, la résistance hétéronome de la structuration religieuse des sociétés traditionnelles –, et non pas un processus univoque qui irait dans un seul sens. Gauchet discerne en effet, dans le processus historique par lequel on entre dans la modernité, quelque chose de fondamental, à savoir :
à l’intérieur de ce mouvement continu, toute l’histoire avance par des compromis renégociés en permanence entre, dans un sens, la poussée autonome qui récupère des éléments du monde hétéronome et, dans l’autre sens, des défenseurs de la tradition qui sont modernes malgré eux, qui sont dans l’autonomie tout en se réclamant de l’hétéronomie55.
399Le sociologue français nous livre ici une clef herméneutique féconde pour penser les contradictions qui ont émaillé l’avènement de la modernité politique, et que l’on retrouve portées à leur acmé dans les régimes totalitaires du xxe siècle. En effet, lire l’histoire moderne comme un processus historique qui avance par des compromis sans cesse renégociés entre la demande d’autonomie du politique et l’hétéronomie religieuse nous permet tout aussi bien de déchiffrer les paradoxes qui ont accompagné le processus de démocratisation des sociétés occidentales (par exemple le retour provisoire de la monarchie napoléonienne et, en même temps, le maintien de procédures démocratiques, ou bien l’installation du paradigme socialiste et ses références auto-sacralisées56), que de comprendre les contradictions auxquelles se heurte aujourd’hui notre société. À savoir, la dérive, d’un côté, d’une laïcité qui tend de plus en plus à devenir une pseudo religion d’État et, de l’autre, l’aporie que représente la recrudescence du fanatisme islamique en plein xxie siècle postmoderne ; ou, pour le dire autrement, le paradoxe d’une modernité high-tech ultra sécularisée qui voit refluer en son sein une vague inédite de fondamentalisme religieux. Enfin, concernant notre objet, cette clef interprétative, mise à jour par Gauchet, se révèle d’une portée heuristique particulièrement efficace pour penser les contradictions inhérentes aux régimes totalitaires :
Ce mouvement nous allons le retrouver porté à son paroxysme, dans l’histoire européenne, avec les idéologies totalitaires : le totalitarisme d’extrême gauche est un projet d’autonomie mais réalisé par des moyens hétéronomes (qui aboutit à des systèmes de domination particulièrement abominables) et, dans l’autre sens, les totalitarismes d’extrême droite sont explicitement au service d’un projet de restauration d’un ordre de domination traditionnelle hétéronome et, pour aboutir à ce projet, recourent à des moyens appartenant au monde de la politique autonome : plébiscite, culte du chef, idéologisation (choses tout à fait étrangères aux sociétés de domination traditionnelle dont ils se réclament)57.
Or, comme on l’a vu précédemment, c’est précisément cette nature paradoxale du projet totalitaire – l’« entreprise contradictoire de renouer avec l’hétéronomie religieuse mais avec les moyens de l’autonomie moderne58 » – dont rend si bien compte, chez Marcel Gauchet, le concept oxymorique de religion séculière.
400Limites du concept gauchéen
de « religions séculières »
Le concept gauchéen de religion séculière se heurte toutefois à des difficultés que nous voudrions ici souligner.
Le premier point faible de son argumentation concerne le tour hégélien et systématique que Gauchet donne malgré lui au processus de « sortie de la religion », dont l’épisode totalitaire marquerait une étape douloureuse – mais nécessaire ? Grâce à un habile tour de passe-passe intellectuel, Marcel Gauchet retourne l’objection qui pourrait lui être faite59 en disant que s’il y a, avec les religions séculières, un retour apparent du type hétéronome de la structuration religieuse de la société, ce n’est en réalité qu’un effet symptomatique qui manifeste que l’on est effectivement en train d’en sortir, à la manière dont les convulsions qui secouent un corps convalescent annoncent sa guérison prochaine. Ainsi, au lieu que ce retour imprévu du religieux infirme son hypothèse de travail, il la validerait60.
D’autres points peuvent nous laisser dubitatifs : peut-on réduire le totalitarisme à une « pathologie de la transition » et le considérer comme un phénomène révolu ? Peut-on le ramener à un simple agencement bâtard de religion et de sécularité, d’autonomie et d’hétéronomie, de modernité et de tradition ? Ne risque-t-on pas ainsi d’évacuer le drame moral et humain qu’il représente, d’en mésestimer les causes anthropologiques et spirituelles plus profondes ?
Un autre élément problématique de la pensée de Marcel Gauchet concerne plus particulièrement le contenu qu’il donne à l’expression « religion séculière », ainsi que l’usage qu’il en fait. En effet, si Gauchet emprunte cette dénomination à une tradition interprétative particulière du phénomène totalitaire, c’est pour lui conférer un contenu qui lui est propre, qui est en résonance avec sa pensée et qui rompt avec la définition traditionnelle de religion séculière, conçue comme « transposition sur terre de l’idée du paradis céleste ». Toute 401son analyse est commandée par l’idée de structuration religieuse. La religion est prise avant tout, chez Gauchet, en un sens structurant, au sens de ce qui structure la communauté humaine, et non comme un contenu de croyances et de rites déterminés. Religion séculière désignerait la persistance de la structuration religieuse hétéronome sous une forme moderne et profane, et non la sécularisation d’une quelconque espérance millénariste.
Le problème, c’est qu’en s’éloignant de la sorte de son emploi initial et de sa signification originelle, ce terme en vient, chez Marcel Gauchet, à revêtir un caractère équivoque. Il n’a plus du tout le même sens que celui qu’avaient en vue les intellectuels allemands et français des années 40-50 qui forgèrent ce concept61. Il désignait, comme on l’a vu avec Raymond Aron62, le transfert profane de l’espérance eschatologique dans l’immanence terrestre. Cette expression, qui chez ces auteurs revêtait un contenu déterminé, en vient, chez Gauchet, à être réduite à un usage purement fonctionnel. Ce qui fait qu’il tombe sous le feu de la critique arendtienne, qui dénonçait, on l’a vu : « cette fonctionnalisation des catégories qui les vide de tout contenu63 ». En effet, Gauchet fait sien ce présupposé des sciences sociales : « tout ce qui remplit la fonction d’une religion est une religion64 » ; plus précisément, tout ce qui relie une communauté humaine, abstraction faite de son contenu. C’est pourquoi notre sociologue peut affirmer que le totalitarisme est une religion au sens où il renoue avec la structuration religieuse hétéronome des sociétés traditionnelles, indépendamment de tout contenu religieux. Paradoxalement, Gauchet se retrouve finalement bien plus proche de Blumenberg – qui admet malgré lui un certain « réinvestissement » fonctionnel d’éléments religieux dans la modernité, bien qu’il récuse le concept de sécularisation comme relevant d’une catégorie de l’« iniquité historique » –, que des auteurs à qui il emprunte l’expression de « religion séculière ». En effet, selon le philosophe allemand, « la fonction » qu’occupait pour la conscience l’histoire du salut est « réassumée », ou « réinvestie » par l’idée de progrès, « ce qui ne signifie pas que celle-ci découle de celle-là ». Car « l’idée de “réinvestissement” n’explique 402pas d’où provient l’élément nouvellement engagé mais seulement quelle consécration il reçoit65 ».
En ce qui concerne plus précisément la question de l’eschatologie, Gauchet adopte une position que l’on pourrait qualifier de minimaliste. Certes, il emprunte à l’eschatologie judéo-chrétienne tout un vocabulaire apocalyptique pour décrire l’escalade paroxystique qui accompagne l’ascension nazie. Il dépeint notamment la « conjoncture eschatologique, secrétée par le succès66 » qui caractérise l’apogée du nazisme, ainsi que « l’atmosphère de radicalisation apocalyptique dans laquelle évoluent les dirigeants nazis67 ». En réalité, si l’on y regarde de plus près, cette terminologie apocalyptique lui sert surtout à décrire le vécu psychologique des acteurs en présence :
Cette conjoncture se manifeste psychologiquement, chez Hitler, sous l’aspect d’un vif sentiment d’urgence. Son cinquantième anniversaire, loin de le détendre, sonne pour lui comme un rappel à l’ordre – il n’a plus beaucoup de temps devant lui. C’est ce qu’il déclare à ses convives, lors d’un dîner, quelque temps après : « J’ai maintenant cinquante ans, et je suis encore en pleine possession de mes moyens. C’est à moi de résoudre les problèmes, et je ne peux plus attendre. Dans quelques années, je ne serai plus en état, physiquement et peut être aussi mentalement. » Mais Hitler n’est pas seul dans cette conviction. À son sentiment d’être irremplaçable et d’avoir à saisir une occasion qui ne se représentera plus répond la conscience eschatologique diffuse au sein du peuple allemand de disposer en Hitler du génie providentiel appelé à le conduire vers une destinée grandiose68.
Aussi, le conflit inéluctable, l’entrée en guerre inévitable suivie de l’invasion de la Russie est-elle vécue par les nazis comme une « croisade eschatologique », un « affrontement apocalyptique » qui décidera du sort de l’humanité. À travers cette conflagration mondiale, c’est en quelque sorte le « jugement de Dieu » qui s’exerce ; ou plutôt, il s’agit d’une ordalie, d’une épreuve par le feu et le sang qui doit révéler l’élection particulière du peuple allemand et de la race aryenne. L’eschatologie désigne donc avant tout, chez Gauchet, le mode expérimental, la manière dont les acteurs ont le sentiment de vivre une temporalité particulière, non un quelconque projet messianique ou millénariste. Mais si le grand mérite du sociologue est d’être très précis dans la description quasi phénoménologique 403du vécu intérieur (psychique, émotif et intellectuel) des acteurs en présence, on peut se demander s’il est légitime de dénier tout contenu eschatologique au phénomène totalitaire en le réduisant à un simple vécu psychologique. Cette formulation a minima suffit-elle à rendre compte du lien entre eschatologie et totalitarismes, ou devrait-on aller plus loin en affirmant que le contenu lui-même du projet totalitaire est eschatologique de part en part ? Pour répondre à cette question peut-être faudrait-il ici faire droit à l’auto-compréhension que les religions ont d’elles-mêmes.
404Bibliographie
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Aron, Raymond, « L’Avenir des religions séculières », dans Id., Chroniques de guerre : La France libre 1940-1945, Paris, Gallimard, 1990, p. 925-947.
Blumenberg, Hans, La légitimité des temps modernes, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de Philosophie », 1999 (1re éd., 1966).
Gauchet, Marcel, L’avènement de la démocratie, t. 3 : À l’épreuve des totalitarismes, 1914-1974, Paris, Gallimard, coll. « Folio essais », 2017.
Gurian, Waldemar, Le Bolchévisme. Introduction historique et doctrinale, trad. J. Coster, Paris, Beauchesne, 1933.
Schmitt, Carl, Théologie politique I, Paris, Gallimard, 1988 (1re éd., 1922).
Sturzo, Luigi, Politique et morale, Paris, Bloud et Gay, coll. « Cahiers de la nouvelle journée » 40, 1938.
Vazeux, P. I., « La controverse des religions politiques et séculières », RHPR 99, 2019, p. 491-515.
1 Gurian, 1933, p. 5.
2 Sturzo, 1938, p. 29.
3 Cf. Aron, 1990, p. 925-947.
4 Arendt, 1990, p. 155.
5 Ibid., p. 139.
6 Schmitt, 1988, p. 46.
7 Vazeux, 2019.
8 Le sociologue français considère le christianisme comme « la religion de la sortie de la religion » en ce qu’elle permet par l’incarnation du Dieu fait homme de faire de l’homme l’égal de Dieu (l’homme-dieu), et donc d’ouvrir un espace inédit aux sociétés affranchies du religieux.
9 Attention à la méprise, l’expression : « sortie de la religion » a un sens très précis et codifié chez Gauchet. Elle signifie que les religions ne sont plus des instances structurantes des sociétés occidentales, et non pas que les religions comme telles ont cessé d’exister.
10 Gauchet, 2017, p. 137.
11 Ibid., p. 12.
12 Ibid., p. 19.
13 Ibid., p. 12.
14 Ibid., p. 17.
15 Ibid., p. 18.
16 Ibid., p. 12.
17 Ibid., p. 648.
18 Ibid.
19 Ibid., p. 653.
20 Ibid., p. 649 et 650.
21 « La visée propre du pouvoir totalitaire est de donner corps à cette puissance d’entraînement du tout. » Ibid., p. 650.
22 La terreur qui l’accompagne « ayant pour rôle symbolique de signifier que rien n’est hors de son atteinte dans ce travail de totalisation dynamique ». Ibid., p. 651.
23 Ibid., p. 651.
24 Ibid.
25 Ibid., p. 669.
26 Ibid., p. 676.
27 Ibid., p. 677.
28 Ibid.
29 Ibid., p. 680.
30 Ibid., p 681.
31 Ibid.
32 Ibid.
33 Ibid., p. 681-682.
34 Ibid., p. 682.
35 Ibid., p. 651.
36 Ibid., p. 651-652.
37 Ibid., p. 652.
38 Ibid., p. 686.
39 Ibid., p. 685.
40 Ibid.
41 Ibid., p. 684.
42 Ibid.
43 Ibid.
44 Ibid.
45 Ibid., p. 692.
46 Ibid. Chez Marcel Gauchet les trois termes de totalitarisme, d’idéocratie et de religion séculière se relayent donc dans l’analyse conceptuelle du phénomène totalitaire, chacun poussant plus avant sa compréhension ; chacun mettant en lumière un élément fondamental de l’objet et réclamant l’éclairage complémentaire des deux autres concepts. Ainsi, si la dénomination de « religion séculière » « éclaire les tenants et les aboutissements de l’idéocratie », celle-ci « précise l’articulation interne de ces régimes dont le totalitarisme circonscrit la morphologie générale ». Ibid., p. 692.
47 Ibid., p 684-685.
48 À savoir cette « réinvention de la forme religieuse par des moyens séculiers », cette prétention folle à vouloir « reconstituer l’unité religieuse à l’intérieur et avec les éléments de la modernité ». Ibid., p. 18.
49 Aussi, ce n’est « qu’en rapportant les phénomènes totalitaires à la religiosité dans laquelle ils s’enracinent que l’on peut véritablement comprendre l’existence de deux versions radicalement antagonistes du même projet ». Ibid., p. 686.
50 « Nazisme, fascisme et bolchévisme constituent trois figures, aussi dissemblables que possible, d’une même ambition. Ils se proposent semblablement de reconstruire l’unité sacrale par des moyens profanes, chacun par des voies différentes. » Ibid., p. 644.
51 Ibid., p. 687.
52 Ibid., p. 687.
53 Ibid., p. 692.
54 On pourrait reprocher à Gauchet de présupposer une philosophie de l’histoire hégélienne qui induit une vision naïve et progressiste de l’histoire conçue comme un long mouvement ascensionnel vers les lumières de la démocratie. Mais le sociologue français ne tombe pas dans cette caricature, sa pensée est plus fine et nuancée que cela.
55 Intervention de Marcel Gauchet à la Librairie Kléber, à Strasbourg, le 08/11/2017.
56 On ne quitte pas l’auto-sacralisation, au contraire, on la renforce au moment où s’installe le paradigme socialiste.
57 Intervention citée n. 55.
58 Intervention citée n. 55.
59 À savoir que le reflux inédit du religieux en plein xxie siècle postmoderne montre bien qu’on n’en est jamais sorti.
60 Relevons la limite d’une telle argumentation qui prend la tournure logique d’une proposition non falsifiable et donc non scientifique, pour parler en terme poppérien, car, qu’elle que soit la configuration en présence, elle manifeste que nous sommes en train de sortir de la religion.
61 Et lui conférèrent un véritable contenu ecclésiologique, sotériologique et eschatologique.
62 Voir Vazeux, 2019, p. 497.
63 Arendt, 1990, p. 155.
64 Arendt, 1989, p. 136.
65 Blumenberg, 1999, p. 59-60.
66 Gauchet, 2017, p. 612.
67 Ibid., p. 634.
68 Ibid., p. 612-613.
- Thème CLIL : 4046 -- RELIGION -- Christianisme -- Théologie
- ISBN : 978-2-406-10956-3
- EAN : 9782406109563
- ISSN : 2269-479X
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-10956-3.p.0055
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 20/09/2020
- Périodicité : Trimestrielle
- Langue : Français
- Mots-clés : Controverse des religions politiques et séculières, querelle de la sécularisation, totalitarismes, eschatologie judéo-chrétienne, Raymond Aron, Hannah Arendt, Hans Blumenberg, Marcel Gauchet