Préface à la nouvelle édition
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Révolution à rebours. Le renouveau catholique dans la littérature française (1870-1914)
- Pages : 11 à 14
- Collection : Études romantiques et dix-neuviémistes, n° 98
Préface
à la nouvelle édition
Ce livre, au moment de sa parution en 1966 (une traduction française en parut en 1971), s’adressait au public anglais, et en tant que tel s’attachait à dégager certains traits de la littérature française à une époque bien déterminée. Le relisant après plus de cinquante ans, je me rends compte à quel point c’est un livre écrit par un jeune homme. Il s’y trouve en effet des jugements péremptoires, des généralisations parfois extravagantes. Il aurait été, en principe, possible de modifier cette nouvelle édition, pour en atténuer ces caractéristiques ; mais cela aurait déformé le livre, et sa tonalité, de fond en comble. Je me suis donc restreint à ne modifier que deux ou trois jugements évidemment injustes, et quelques autres généralisations quand elles induisaient en erreur.
Ce qui m’a surtout étonné, cependant, c’est combien je suis d’accord avec le “moi” des années soixante. Bien sûr, à travers les décennies, sur certains points, mon opinion s’est modifiée ; c’est ainsi que j’ai remanié de fond en comble le chapitre vii (sur l’occultisme et le satanisme), et la conclusion du livre, où j’ai essayé de donner un aperçu un peu plus complet de l’héritage du renouveau catholique littéraire dans l’entre-deux-guerres. Ailleurs, j’ai simplement signalé au lecteur celles de mes opinions qui avaient changé, par exemple celles concernant Huysmans et le péché, ou la conversion de Psichari, tout en le pilotant, par une note en bas de page, vers les articles où j’ai examiné ces questions plus récemment. S’ajoutent quelques sections remaniées pour les rendre plus cohérentes, ou pour faire figurer de nouvelles preuves ou de nouveaux détails. Cela mis à part, le livre reste essentiellement le même.
La traduction française de l’édition de 1971 était de Marthe Lory. Cette nouvelle édition en a parfois changé non seulement le contenu, mais aussi les formes d’expression, et en plus il y a des sections ajoutées. Si l’on y trouve des maladresses linguistiques, elles ne sont imputables qu’à moi.
12La mission originale de ce livre fut de dresser une vue d’ensemble des thèmes traités par les auteurs catholiques français entre 1870 et 1914. Chose extraordinaire, une telle étude n’existait pas à l’époque. Les grandes monographies consacrées aux auteurs individuellement avaient curieusement négligé ces traits communs, et les études d’histoire littéraire ayant trait au renouveau catholique étaient le plus souvent entachées de deux erreurs : celle qui consiste à étudier séparément chaque auteur, méthode génératrice de vues fragmentaires et non d’un tableau coherent, et celle qui prend d’emblée le terme « catholique » pour synonyme de perfection littéraire…
Si l’on omet d’étudier dans le détail les influences qui ont pu nourrir un écrivain, le danger est grand de mal interpréter l’ensemble de son œuvre. Lorsqu’un mouvement littéraire comporte un soubassement religieux ou philosophique, le danger est plus grand encore ; il faut alors cerner tous les éléments de ce contexte, et montrer la diversité de son action sur chaque écrivain. Les religions et les philosophies évoluent sans cesse ; la connaissance d’une religion dans son état actuel n’est pas suffisante pour en cerner l’image à une époque antérieure déterminée. Aussi bien, ce livre, qui traite essentiellement de littérature, se permet-il quelques incursions dans le domaine de l’histoire, et particulièrement de l’histoire des religions.
Les généralisations sont dangereuses. Huysmans, Bloy, Péguy, Jammes et Claudel, également représentatifs de cette renaissance littéraire du catholicisme français, sont à bien des égards totalement différents les uns des autres. Ils ont toutefois des traits communs ; ils manifestent surtout des formes d’intérêt très précises qui les lient, bien que dans leur interprétation ou leur utilisation des thèmes, de nombreux facteurs interviennent qui les différencient à nouveau.
Dans le cadre de ce travail, il ne pouvait être question de traiter de l’ensemble de l’œuvre de ces grands écrivains. Tout au contraire il fallait se limiter à l’étude de tendances communes apparues chez chacun. Au lecteur de comprendre les limites de cette étude, qui essaie de compléter ce que d’autres ont dit. Il n’est pas besoin de dire qu’il serait vain d’aborder Claudel ou Péguy pour la première fois dans ce livre ; on a supposé une connaissance préalable de ces auteurs, et de leur pensée.
Dans ce livre, la place faite aux écrivains mineurs peut paraître disproportionnée par rapport à leur valeur littéraire. Mais ils illustrent 13souvent à merveille – et dans leur pureté première – des tendances qui subissent toujours plus d’altérations chez les plus grands. Adolphe Retté est le type même de l’écrivain dénué de valeur littéraire, mais en qui certains traits du catholicisme d’alors apparaissent comme grossis à la loupe. Il ne faut pas oublier non plus combien la convention de la critique littéraire qui crée une division entre « écrivains majeurs » et « écrivains mineurs » est artificielle. À chaque époque les auteurs sont les produits de leur milieu, social et artistique. Les grand auteurs réussissent à se différencier, à s’affranchir en partie des conventions et des idées des autres ; il n’en reste pas moins vrai que – tout en les modifiant selon ses besoins – un Racine a construit son œuvre sur les conventions de son époque, et qu’une étude du théâtre au xviie siècle doit nécessairement tenir compte des auteurs « mineurs » ; de même, les écrits d’un penseur ne sont jamais complètement étrangers au climat intellectuel de son époque, que ce soit pour l’exprimer, pour le modifier, ou même pour le combattre.
Pour mettre terme à cette Préface, je voudrais dire à quel point je mesure ma chance d’avoir rencontré en chemin un si grand nombre de personnes qui avaient été mêlés aux événements que j’étudiais. Parmi elles, surtout, le professeur Louis Massignon, que j’ai souvent visité rue Monsieur, et qui est resté pour moi une des grandes influences de ma vie. Henri Massis aussi, octogénaire toujours jeune, avec qui, chaque fois que je le visitais, je montais péniblement l’escalier chez Plon, où il me devançait athlétiquement pour gagner son bureau à l’avant-toit. (Massis m’a parlé de sa grande admiration pour Massignon, même quand ses opinions politiques étaient contraires aux siennes ; par exemple, à cette époque, sur la question algérienne.) Sans oublier Gabriel Marcel qui, septuagénaire, faisait honte à mon mode de vie de jeune homme ; le lendemain de notre première rencontre à un dîner, il m’a téléphoné de très bonne heure, alors que je n’étais pas encore levé, pour me signaler d’autres personnes que je pourrais consulter (et qu’il avait déjà prévenues).
Et tant d’autres personnes qui m’ont aidé de leurs avis, de leurs informations, et de leur hospitalité, pour lesquelles je garde toujours un souvenir reconnaissant. J’y distinguerai Pierre Lambert, auquel je rendais visite dans sa librairie rue Jacob, et qui m’invitait souvent chez lui rue des Saints-Pères, pour mettre à ma disposition son inestimable collection de livres et de manuscrits et m’aider de ses conseils et de son 14immense érudition. Et il y avait aussi Maurice Belval SJ, Robert Baldick, Jean-Bertrand Barrère, André Blanchet SJ, Henry Brandreth OGS, Georges Cattaui, Michel de Certeau SJ, Louis Chaigne, Pierre Claudel, Gilbert Gadoffre, Maurice de Gandillac, Maître Maurice Garçon, Henri Gouhier, Raymond Halter SJ, Anne Heurgon-Desjardins, Gabriel-Ursin Langé, Henry Lefai, Paul-André Lesort, Jacques Madaule, Jean Mouton, Renée Nantet, Émile Poulat, André Thérive : je ne saurais tous les citer. C’est le destin d’un chercheur de perdre la plupart de ceux avec qui il a travaillé au commencement de sa carrière, et la plupart de ceux que j’ai mentionnés sont maintenant morts. Mais il reste encore deux de mes collègues de cette période – de très bons amis qui ont assisté à la genèse de ce livre, et avec lesquels je reste toujours en relation : Pierre Brunel et Jean-Louis Backès. Et depuis, ce livre m’a encore apporté beaucoup d’autres collègues et amis, appartenant aux nouvelles générations.
Richard Griffiths
Penarth, 2018
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-08840-0
- EAN : 9782406088400
- ISSN : 2258-4943
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-08840-0.p.0011
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 24/02/2020
- Langue : Français