Préambule
- Publication type: Book chapter
- Book: Rencontre et Reconnaissance. Les Essais ou le jeu du hasard et de la vérité
- Pages: 11 to 18
- Collection: Studies on Montaigne, n° 64
PrÉambule
Parmi les très nombreux constats de l’imperfection de l’homme que fait Montaigne dans l’Apologie de Raimond Sebond, on trouve ce passage de la version primitive des Essais, qui prolonge et réoriente des considérations sur l’échec des philosophes, acharnés à prouver l’immortalité de l’âme par leurs « humaines forces » :
L’homme peut reconnoistre par ce temoignage qu’il doit à la fortune et au rencontre la verité qu’il descouvre luy seul, puis que lors mesme, qu’elle luy est tombee en main, il n’a pas dequoy la saisir et la maintenir, et que sa raison n’a pas la force de s’en prevaloir1.
Outre la leçon pyrrhonienne sur notre « faiblesse2 », aisément reconnaissable, une relation est établie entre la stabilité d’un contenu incontesté et l’instabilité de la prise que nous pouvons avoir sur celui-ci, entre la « vérité » et le hasard des investigations censées y conduire. Cette relation trouve d’ailleurs un écho, quelques pages plus loin, dans la phrase incisive :
Il n’est pas, à l’avanture que quelque notice veritable ne loge chez nous, mais c’est par hazard3.
12Un esprit affûté remarquera cependant que le propos se dédouble ici explicitement et que, si la seconde proposition apporte une nuance à la première en donnant son contenu pour actualisable par la seule intervention du « hasard », le modalisateur « à l’aventure » touche lui l’ensemble de l’énoncé, introduisant la contingence au niveau de la validation de ce dernier4. Stimulé alors par une piste qui nous installe dans l’espace si singulier d’un texte où le plan réflexif joue en permanence sur celui de la référence, on pourra même aller jusqu’à se demander dans quelle mesure les caractéristiques ainsi prêtées à la quête du savoir sont applicables à l’entreprise de Montaigne elle-même, dans quelle mesure le livre concrétise ce qu’il décrit, ou dans quelle mesure il conforme à son dessein propre les attributs qu’il reconnaît à l’activité intellectuelle en général.
Telle est la question à l’origine de cette étude. Elle suppose un déplacement de l’angle d’attaque adopté d’ordinaire par la critique, attachée à étudier les idées exprimées dans les Essais, et à les situer à l’intérieur d’une histoire des écoles ou des courants de pensée, indépendamment le plus souvent du terrain de la lettre et de l’écriture5. Mais elle implique également une enquête un peu différente de celles qui, récemment, ont opéré une rotation de perspective semblable afin de montrer ce que le langage ou l’argumentation des Essais devaient au pyrrhonisme, qu’ils rénovent en profondeur6. En choisissant d’examiner le rapport entre le « hasard » et la « vérité », envisagés donc moins comme des notions 13constituées que comme des phénomènes constituants7, on doit pouvoir accuser davantage les traits spécifiques et originaux de l’œuvre de Montaigne, comme du mouvement qui l’explique et la justifie.
Car le « hasard » ne paraît pas vraiment relever du vocabulaire de la doctrine que Sextus Empiricus conçoit à partir de l’héritage de Pyrrhon. Dans les Hypotyposes, il apparaît avant tout à l’intérieur de l’anecdote du peintre Apelle qui parvient fortuitement à parachever un tableau dont les lacunes le désespéraient8, anecdote que retiennent les auteurs de l’Antiquité, et qui connaît un beau sort dans l’Europe humaniste9. En marge des définitions élaborées par les grands systèmes philosophiques – et en premier lieu l’aristotélisme, où il est distingué, dans la Physique notamment, de la « fortune », laquelle ne concerne que les êtres capables de choix10 –, en marge aussi du credo 14providentialiste dominant et des différents visages qu’il revêt dans les ouvrages de la Renaissance – dont celui, volontiers allégorique, de la Fortuna venue de Rome, et avant elle de la Tύχη grecque, et leurs nombreux attributs11 –, le hasard se donne d’abord comme une expérience déroutante, qui, plutôt que de se formuler et de se fixer en termes conceptuels, utilise l’ordre figuratif comme un de ses modes d’expression privilégiés.
15Il n’échappe à aucun lecteur que les Essais se présentent comme le terrain d’une expérience de cette nature. Les déclarations de l’auteur sur la façon dont il parcourt sa bibliothèque par exemple vont dans ce sens : « Là, je feuillette à cette heure un livre, à cette heure un autre, sans ordre et sans dessein, à pieces descousues : Tantost je resve, tantost j’enregistre et dicte, en me promenant, mes songes, que voicy12 ». Mieux encore, à l’occasion d’un chapitre comme « De l’incertitude de nostre jugement », Montaigne fait l’épreuve de la contingence des raisonnements qu’il a tenus, et, prenant à rebours la doxa aristotélicienne, reconnaît la présence du « hasard » dans le domaine le plus finalisé des activités humaines :
[C] Nous raisonnons hazardeusement et inconsidereement, dict Timæus en Platon, par ce que comme nous nos discours ont grande participation au hazard13.
Toutefois, une chose est de noter que s’affirme ici la puissance d’infraction de la contingence, fût-ce autorités à l’appui14, une autre de vérifier ses effets dans la pratique, de prendre vraiment au sérieux l’association du hasard et de l’écriture, de retrouver dans les cheminements la trace de cette irruption, mais également celle de la manière déployée pour la gérer et lui conférer une positivité.
Le point est important, dans la mesure où les Essais ne sauraient passer pour le réceptacle d’impressions sur lesquelles l’auteur n’aurait aucune prise, et qu’il ne ferait qu’enregistrer au fil de leur surgissement. L’innovation majeure de Montaigne consiste à faire de l’écriture le lieu et l’instrument d’un projet déterminé par une conception de la vérité qui a peu à voir là encore avec celle qui régit d’ordinaire le savoir15. Ce qui est en cause ici, c’est la capacité de l’œuvre non pas à instaurer un régime 16objectif d’adéquation, mais à créer des liens, si provisoires soient-ils, entre les instances qu’impliquent sa genèse et sa compréhension. Pour le dire autrement, c’est la capacité à mettre les ressources de la parole écrite au service d’une visée qui a pris acte de l’inconsistance fondamentale du message, et qui du coup s’oriente vers un partenaire qui seul pourra apporter à celui-ci la consistance qui lui manque.
Les chapitres qui suivent s’emploient à analyser les rapports entre « hasard » et « vérité » sur plusieurs niveaux, qui correspondent aux différents gestes opérés à partir de la matière verbale. Le « jeu », de ce fait, désigne une articulation qui s’exerce à plusieurs degrés, mais dont on verra qu’elle est traitée en réalité selon une progression qui va de l’examen de la production à celui de la réception, et dont le sens et les enjeux s’éclairent à mesure pour se donner finalement, au sein d’un dernier ensemble consacré à l’intelligence requise par les Essais, dans toute leur portée et leur envergure inédites.
L’enquête s’ouvre sur un versant lexical, ou plus exactement sur un versant centré sur la notion de « rencontre » et ses occurrences, ce qui permet de s’immerger d’emblée dans les séquences et la dynamique textuelles. Dans le sillage de l’examen d’un article du Thésor de Nicot, on étudie ainsi l’acception militaire du substantif, puis le chapitre « La fortune se rencontre souvent au train de la raison » (I.34), qui manifeste une appréhension particulière des événements et des exemples qui les consignent, sous forme d’une hésitation entre Providence et hasard, le tout rangé sous la bannière de la « fortune ». On tente de comprendre cette perception en sollicitant deux traités des Moralia de Plutarque, qui développent chacun à leur manière un système d’intelligibilité du monde manifestement insolite pour les hommes de la Renaissance, si l’on en croit les difficultés qu’ils posent à Amyot dans sa traduction. On retrouve ce dernier dans la section suivante consacrée aux scènes de rencontres des Essais en tant que telles, et notamment celle avec La Boétie, qui laisse entrevoir une coexistence de perspectives analogues à celles qu’Amyot, par certains choix et ajouts, surimpose à un récit inaugural comme le début de la Vie de Romulus. Après quoi on aborde la « rencontre » en tant que bon mot en se demandant comment ses traits sont susceptibles d’informer l’essai, pour terminer par l’analyse d’un extrait du chapitre « De l’experience » où le verbe « se rencontrer » introduit une « similitude » rhétorique imparfaite. L’ordre adopté ici 17n’est ni aventureux ni arbitraire : il répond à l’hypothèse selon laquelle Montaigne tire profit de son sentiment de la langue, pour faire du terme « rencontre », parce qu’il désigne aussi bien des situations du réel que des phénomènes mentaux ou linguistiques, une composante essentielle de ce qu’on peut appeler l’« outillage notionnel » des Essais.
Certains de ces aspects sont repris dans un second volet qui porte sur la question plus large du hasard dans l’écriture des Essais, question envisagée selon une dialectique, celle de l’« errance réfléchie ». Des considérations sur le « naturel » d’un discours de l’« occasion » sont suivies ainsi d’une étude à nouveau frais des « relations de commentaire », qui développe l’idée selon laquelle les « énoncés seconds » comportent cette part « impréméditée et fortuite » qui caractérise ceux qu’ils ressaisissent, pour reconnaître ensuite dans la totalité du texte une perspective cavalière sous-jacente à la « mise en rolle ». Du coup, on réfléchit à l’étrange « dessein » qui gouverne l’ensemble, lequel demande une redéfinition de l’« auteur », de son « intention » comme de la destination de la parole.
C’est à cette dernière qu’est consacré en priorité la troisième partie, qui, autour du paradoxe du Menteur que Montaigne fait voisiner avec le « Que sais-je ? » dans l’Apologie, s’interroge sur les conditions de possibilité d’une parole écrite véridique en régime d’incertitude. Mettant d’abord l’accent, selon peut-être les indications du Discours de la servitude volontaire, sur certaines expressions qui, selon la logique de l’œuvre, requièrent la confiance du lecteur au-delà de tous les soupçons qui pèsent toujours sur les artifices de la rhétorique, puis sur la « parrêsia » nouvelle manière de Montaigne, elle permet finalement de reprendre le problème du parler « à feinte », en y voyant la modalité paradoxalement exemplaire du programme de vérité des Essais, et en lui rendant la part hasardeuse qu’un travail antérieur, par excès de rationalité et de logique sans doute16, tendait à passer sous silence.
Enfin, le dernier versant est davantage axé sur la lecture, avec insistance sur la notion de « reconnaissance », qui nous semble assurer la transition du paradigme mimétique de l’autoportrait au paradigme herméneutique propre à l’étrange déchiffrement qu’accomplit Montaigne. 18À nouveau l’accent est mis sur la densité sémantique du terme et sur ses champs empiriques d’utilisation (la chasse, la divination, la guerre), qui fournissent le code apte à baliser les « muances » de trajets que le partenaire, sur le modèle de l’écrivain relecteur de lui-même, est invité à suivre. Si le risque est grand cependant de ne pas trouver une telle connivence, c’est parce que la « reconnaissance » postule une convergence éthique qui se superpose à l’activité intellectuelle proprement dite, une aptitude à entendre la parole authentique à visée d’affranchissement, et qu’elle implique finalement un mode de relation qui est le substitut, dans l’ordre du texte et de sa fortune aléatoire, de celui dont La Boétie pouvait déplorer, quelques années avant et à plus grande échelle, la disparition17.
1 II.12.553A (354). Pour les citations des Essais, nous nous référons à l’édition de Pierre Villey et Verdun-Léon Saulnier, Paris, PUF, 1992, coll. « Quadrige », 3 vol. (Première éd., PUF, 1924). L’orthographe et la graphie archaïsantes seront donc maintenues, en connaissance de cause, mais pas les alinéas. Nous mentionnerons entre parenthèses la pagination correspondant à l’édition procurée par André Tournon à l’Imprimerie nationale, Paris, 1998, coll. « La Salamandre », 3 volumes, dont nous restituerons autant que possible le système de ponctuation, à l’exception des guillemets ainsi que des tirets et du point-en-haut correspondant aux deux-points archaïques de Montaigne, remplacés par les deux-points classiques. Les passages autographes illisibles ou rognés sur l’Exemplaire de Bordeaux seront rétablis d’après ceux du texte de 1595, signalés entre crochets obliques, sur le modèle de cette édition critique, sur laquelle nous nous fonderons également pour ce qui est des variantes imprimées et des variantes autographes ou « repentirs », décelables sur l’Exemplaire de Bordeaux.
2 Voir quelques lignes après : « (…) L’essence mesme de la verité, qui est uniforme et constante, quand la fortune nous en donne la possession, nous la corrompons et abastardissons par nostre foiblesse » (II.12.553A – 355).
3 Ibid., 561A (368).
4 Voir sur ce point l’étude de Kirsti Sellevold dans son livre « J’aime ces mots…. » : expressions linguistiques de doute dans les Essais de Montaigne, Paris, Champion, 2004, coll. « Études montaignistes » no 42, p. 182 sq.
5 Avec le Montaigne d’Hugo Friedrich (Paris, Gallimard, 1968, trad. Rovini, rééd. coll. « Tel », 1984) et les travaux consacrés, dans le sillage de ceux de Richard Popkin, au « scepticime » de Montaigne (en particulier, de Frédéric Brahami, Le sceptisme de Montaigne, Paris, PUF, 1997, coll. « Philosophies » et Le travail du scepticisme, Montaigne, Bayle, Hume, Paris, PUF, 2001, coll. « Pratiques théoriques » ; de Sylvia Giocanti, Penser l’irrésolution : Montaigne, Pascal, La Mothe, Le Vayer, trois itinéraires sceptiques, Paris, Champion, 2001, coll. « Bibliothèque littéraire de la Renaissance »), on mentionnera, sur la « fortune » et les notions connexes, le livre de Daniel Martin, Montaigne et la Fortune – Essai sur le hasard et le langage, Paris, Champion, 1977, coll. « Bibliothèque littéraire de la Renaissance » ; celui d’Ann Hartle, Michel de Montaigne – Accidental Philosopher, Cambridge University Press, 2003 ; et enfin, de Philippe Desan, « Une philosophie impréméditée et fortuite : nécessité et contingence chez Montaigne », dans Montaigne dans tous ses états, Schena Editore, Fasano, 2001, p. 343-362.
6 Outre l’ouvrage de Kirsti Sellevold évoqué plus haut, on citera à cet égard, de Terence Cave, Pré-histoires – Textes troublés au seuil de la modernité, Genève, Droz, 1999, coll. « Les seuils de la modernité », ainsi que d’André Tournon, « Routes par ailleurs » – Le “nouveau langage” des Essais, Paris, Champion, 2006, coll. « Études montaignistes » no 48.
7 Sur le hasard, la perspective a été esquissée par Philippe Desan dans « “Le hasard sur le papier” ou la forme de l’essai chez Montaigne » au colloque « Hasard et Providence, xive-xviie siècles », Tours, Centre d’Études Supérieures de la Renaissance, 2-10 juillet 2006, sous la direction de Marie-Luce Demonet, http://www.cesr.univ-tours.fr/Publications/HasardetProvidence/Desan.pdf (repris dans Montaigne, les formes du monde et de l’esprit, Paris, PUPS, 2008, chap. 6, p. 107 sq.). On notera que la formule du titre est empruntée à la description par Montaigne de sa « première condition » de vie dans la longue addition autobiographique de 1588 au chapitre « Que le goust des biens et des maux depend en bonne partie de l’opinion que nous en avons », et qu’elle concerne le marchandage et l’emprunt : « Il n’est rien que je haisse comme à marchander : C’est un pur commerce de trichoterie et d’impudence : Après une heure de debat et de barguignage, l’un et l’autre abandonne sa parolle et ses sermens pour cinq sous d’amandement. — Et si, empruntois avec desadventage : Car n’ayant point le cœur de requérir en presence, j’en renvoyois le hasard sur le papier, Qui ne faict guiere d’effort et qui preste grandement la main au refuser » (I.14.63B – 129). Mais voir sur la question, plus récemment, et encore davantage, les pages de l’article de Bernard Sève, « Ménager le fortuit », BSIAM, no 55, 2012-1, p. 285-287.
8 Esquisses pyrrhoniennes, I, 12, 28-29. On trouvera l’épisode cité infra, p. 50.
9 Comme l’a montré Terence Cave dans Pré-histoires…, Op. cit., p. 23-35. On se reportera également aux développements de notre première partie, infra, p. 50 sq.
10 « (…) Hoc autem differunt, quod casus latius patet. Quod enim fortuna, id etiam casu evenit, hoc autem non omne fortuna. Nam fortuna & quod fortuito sit, cadunt in ea omnia quae prosperitas atque actio. Itaque in iis quae agenda sunt, fortuna versetur necesse est. (…). Quocirca ea omnia, in quae actio cadere non potest, ne ea quidem facere possunt, quae fortuna eveniunt : ob eamque causam nulla res inanimata, nulla bestia, nullusque puer quicquam facit eorum quae fortuna eveniunt, quod iudicio careant : nec adversa aut prospera fortuna in ea cadunt, nisi quadam similitudine (…). At casus & in multa animantia, & in multa eorum quae sunt inanima, convenit. Veluti equum casu venisse dicimus, quoniam incolumis & salvus venerit, cum non eo consilio venerit, ut servaretur (…). Quare perspicuum est, in iis quorum eventus omnino ad aliquem finem pertinet, cum non eventus causa fiunt, & eorum extra rem ipsam est causa, tum nos ea ἀπὸ ταὐτόματον, id est, causa fiere solitos dicere. Fortuna autem ea evenire, quae in deliberationem cadentia, casu eveniunt iis quae iudicio praedita sunt (…). Decidit enim lapis non incidendi in quempiam gratia, ex quo fit, ut frustra lapis ceciderit : quoniam aliquo iaciente, idque feriendi causa cadere potest », Aristotelis Physica ab eruditissimis hominibis conversa & emendata, Ioannis Demerlierii professoris Regii argumentis illustrata, Paris, Jacques du Puy & Denis du Pré, 1580, Liber II, cap. 6, p. 20 vo-21 ro (« (…) Mais [la fortune et le hasard diffèrent] en ce que le hasard a plus d’extension : car tous les effets de la fortune sont des effets du hasard tandis que ceux-ci ne sont pas tous des effets de la fortune. Il y a, en effet, fortune et effets de la fortune pour tous ce à qui peuvent s’attribuer l’heureuse fortune et d’une manière générale l’activité pratique. Aussi est-ce nécessairement sur les objets de l’activité pratique que la fortune s’exerce (…). Ainsi les êtres qui ne peuvent agir d’une activité pratique ne peuvent non plus faire quelque chose qui soit l’effet de la fortune. D’où il suit que nul être inanimé, nulle bête, nul enfant n’est l’agent d’effets de fortune parce qu’il n’a pas la faculté de choisir ; et il n’y a non plus pour eux ni heureuse fortune ni infortune, si ce n’est par métaphore (…). Pour le hasard, il appartient aux animaux et à beaucoup des êtres inanimés ; ainsi, on dit que la fuite du cheval est un hasard parce qu’ayant fui, il a trouvé le salut sans qu’il ait fui en vue de trouver le salut (…). Il est donc évident que, d’une manière générale, dans le domaine des choses qui ont lieu en vue d’une autre, quand les choses ont lieu sans avoir en vue le résultat et en ayant leur cause finale en dehors de lui, alors nous disons que ce résultat est un effet du hasard et, d’un autre côté, nous appelons effets de la fortune tous ceux des effets du hasard qui sont parmi les choses qu’on pourrait choisir et relèvent d’êtres capables de choix (…). Ainsi la chute d’une pierre n’a pas lieu en vue de frapper quelqu’un ; donc, sous ce rapport, la chute de la pierre vient du hasard, car, si elle n’était pas un hasard, la chute serait du fait de quelqu’un et provoquée en vue de frapper (…) », Aristote, Physique, trad. d’Octave Hamelin, II.6, 197a-b). Dans l’ensemble de ce travail, nous citons les textes dont on sait qu’ils ont été pratiqués par Montaigne, ou qui sont proches de ceux qu’il a pu lire. Raison pour laquelle nous privilégierons les traductions latines des textes grecs, sauf bien entendu lorsqu’il sera question du travail d’Amyot sur l’œuvre de Plutarque.
11 Sur l’Antiquité, voir notamment Jacqueline Champeaux, Les transformations de Fortuna sous la République, Rome, École française de Rome, 1987 ; sur le Moyen Âge, notamment Jean Wirth, « L’iconographie médiévale de la roue de Fortune », La Fortune. Thèmes, représentations, discours, Yasmina Foehr-Janssens et Emmanuelle Métry (éd.), Genève, Droz, 2003, p. 105-128 ; et, sur la réception à la Renaissance, en plus de l’ouvrage de Daniel Martin cité plus haut, voir celui de Florence Buttay-Jutier, Fortuna – Usages politiques d’une allégorie morale à la Renaissance, Paris, PUPS, 2008, dont un des mérites est de contenir une bibliographie très complète sur la question.
12 III.3.828B (79).
13 I.47.286 (454).
14 S’il est question dans ce passage du Timée, Marcel Conche a pu montrer des « Tendances matérialistes chez Montaigne », BSAM, 19-20, 2000, p. 11-21. On rappellera que la pensée de Démocrite sur le hasard est restée connue grâce à la réfutation qu’en propose la Physique d’Aristote (II.4), puis le De natura deorum de Cicéron (II, 37, 93-94).
15 Les formes de « vérité » officielles et accréditées sont ainsi passées à l’étamine dans les Essais. Pour un aperçu, fédéré par la notion de « régime de vérité » de Michel Foucault, nous renvoyons à notre article « Régimes de vérité à la Renaissance : prolégomènes », Foucault et la Renaissance, Laurent Gerbier et Olivier Guerrier (éd.), Paris, Classiques Garnier (à paraître).
16 Quand « les poètes feignent » : “fantasie” et fiction dans les Essais de Montaigne, Paris, Champion, 2002, coll. « Études montaignistes » no 40. Les remarques de Simone Perrier dans le compte-rendu qu’elle a donné de l’ouvrage pour la revue RHR (no 60, Juin 2005, p. 105-107) nous ont été utiles à cet égard, et nous tenons ici à l’en remercier.
17 Cet ouvrage figurait dans une Habilitation à Diriger les Recherches soutenue le 26.11.07 devant les Professeurs O. Millet (dir.), C. Blum, A. Couprie, F. Lecercle, J.-Y. Pouilloux et A. Tournon (Université Paris XII – Val-de-Marne). – Il s’est précisé par des articles que les éditions Champion, la revue Littératures classiques, les Montaigne Studies et le Centre d’Études Supérieures de la Renaissance m’ont autorisé à ressaisir. – Ma gratitude va à mes amis, au soutien indéfectible ; à mes élèves, pour la « filiation » établie ; à celle enfin qui, un jour, a croisé mon chemin…
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- ISBN: 978-2-406-06488-6
- EAN: 9782406064886
- ISSN: 1775-349X
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-06488-6.p.0011
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 01-13-2017
- Language: French