La série Georges Perec dans La Revue des lettres modernes
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Récits d’Ellis Island de Georges Perec et Robert Bober au miroir contemporain
2019 – 6 - Auteur : Roumette (Julien)
- Pages : 11 à 12
- Revue : La Revue des lettres modernes
- Série : Georges Perec, n° 1
La série Georges Perec
dans La Revue des lettres modernes
L’œuvre de Perec perdure. Miroir contemporain, les lecteurs s’y regardent et s’y cherchent avec constance, plaisir et angoisse. Perec a su saisir des traits essentiels d’une époque où nous continuons à nous reconnaître, du moins dans ses questionnements. Comme nombre de ses personnages en quête presque toujours déçue, il s’interroge et il nous interroge. Non pas en nous interpelant – ce n’est pas son genre, son registre n’est pas celui de l’apostrophe, encore moins celui de la provocation –, mais en tirant notre regard vers ce que nous oublions de regarder, qui est plus problématique et révélateur que nous ne l’aurions pensé. Nous nous laissons emporter par la curiosité active de son regard. Interrogateur infatigable, ou inquiéteur – mais un inquiéteur bienveillant qui cherche moins à bousculer qu’à nous amener doucement à remettre en cause des certitudes, à nous remettre un peu dans le jeu. Nous continuons à nous reconnaître dans les questions qu’il pose et se pose – dont il n’a cessé d’élargir le champ, à la société, à l’histoire, à la culture au sens large d’une appréhension du monde.
Perec interroge son époque et, par ricochet, la nôtre, mais c’est un interrogateur souriant. Il fait face à ses failles sans trop nous les imposer. Il conserve toujours un sourire en réserve, comme Kafka. Face à l’angoisse, une courtoisie fraternelle, attentive cherche la connivence avec le lecteur, subtilement mis dans la poche. Ce dont parle Perec est souvent dur, grave. S’il l’aborde souvent de biais, indirectement, sur le fond il esquive peu. Il nous invite plutôt à partager la débrouille qu’il faut mobiliser pour l’affronter au jour le jour, fuyant les grandes déclarations définitives qui ne cadrent jamais très utilement avec le cours ordinaire de nos vies. Un sourire qui n’efface pas les terreurs, mais qui humanise le face à face avec ce qui nous emporte et nous menace. Il y a quelque chose comme un petit traité de résistance ordinaire dans 12l’œuvre de Perec. Les Je me souviens tissent ainsi une trame à la fois ténue, extrêmement fragile, presque rien, et un filet efficace contre les vertiges de l’oubli et du temps qui passe. Toujours proche du cœur de l’angoisse mais toujours aussi un peu de côté.
Cette nouvelle série de La Revue des lettres modernes consacrée à Georges Perec se propose d’être le lieu de résonance de cette actualité qui ne se dément pas. Les études sur son œuvre ont évolué. On est sans doute mieux à même d’apprécier aujourd’hui la place de l’Oulipo, bien déffrichée désormais, dans une démarche plus globale : à la fois centrale, cultivée pour elle-même, partie prenante de presque tous ses textes, et mise au service de problématiques autres qui la distinguent au sein de l’ensemble des textes et des écrivains oulipiens. Avec le recul, les différentes composantes de l’œuvre apparaissent mieux, et si la dimension oulipienne a beaucoup retenu l’attention, l’on prend mieux la mesure aujourd’hui des autres aspects avec lesquels elle se combine et fait sens.
Ce sont peut-être les textes un peu marginaux de l’œuvre qui ont, aujourd’hui, l’écho le plus large. Moins la spectaculaire machine de La Disparition que les plus discrètes interrogations d’Espèces d’espaces ou l’évocation tout en demi-teintes de Récits d’Ellis Island, que nous avons choisi pour ouvrir cette série. La « veine » – ou le « champ » – sociologique est particulièrement active et féconde, plus de quarante ans après. Ce n’est pas une surprise. Constituant une méthode, ou l’approche d’une méthode, surtout faite de questionnements, elle est particulièrement à même de s’adapter à de nouveaux contextes. C’est d’ailleurs peut-être cela qui reste le plus : l’insistance, la précision et la finesse d’une interrogation du monde et de la société sans cesse renouvelée, à la fois curieuse, bienveillante et attentive. C’est la raison pour laquelle elle n’est pas prête de s’effacer ni de s’épuiser. Elle perdure à travers la séduction de son regard, parce que longtemps encore nous continuerons à nous y reconnaître et à désirer nous y retrouver et le prolonger pour notre propre compte, pour apprendre à mieux voir autant en nous que le monde autour de nous.
Julien Roumette
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-09831-7
- EAN : 9782406098317
- ISSN : 0035-2136
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-09831-7.p.0011
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 19/11/2019
- Périodicité : Mensuelle
- Langue : Français