L'édition du texte
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Nouvelles complètes. Tome I
- Pages : 34 à 36
- Réimpression de l’édition de : 1986
- Collection : Classiques Jaunes, n° 570
- Série : Textes du monde
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Thèmes En dépit des vicissitudes de la guerre, Lawrence accède en une dizaine d'années à une notoriété qui ne tarde pas à faire de lui, auprès de Joyce et de Virginia Woolf, le représentant de sa géné¬ ration. La réputation de Lawrence n'est que partiellement fondée sur ses nouvelles. Il est encore à ce jour, pour le public, le roman¬ cier dont le nom est longtemps resté indissociable du scandale autour de l'Amant de Lady Chatterley. Pour beaucoup de lecteurs ses nouvelles sont encore une découverte, comme le sera peut-être un jour son théâtre. Une nouvelle en particulier a beaucoup contribué à la percée littéraire de Lawrence : < Parfum de chrysanthèmes >. Ford Madox Ford était directeur de VEnglish Review et en 1909 Jessie Chambers, que, dans ses souvenirs (Portraits from Life) Ford désigne comme < une jeune institutrice de Nottingham > lui adresse le manuscrit de cette nouvelle avec un mot de recommandation. Ford se plonge dans la lecture et ses exclamations admiratives suφrennent sa secrétaire. < Auriez-vous découvert un autre génie ? > demande celle-ci. < Oui, répond Ford, et cette fois il est de taille ! > Il invite alors Lawrence à se présenter à lui. Entre Lawrence, Ford et la compagne de ce dernier, Violet Hunt, s'établit alors une rela¬ tion amicale et durable. Les impressions de Violet Hunt sou¬ lignent une immaturité peu fréquente chez un jeune homme qui approche de ses vingt-quatre ans ; « Il ressemblait à un collégien parvenu à l'âge adulte : une tête d'enfant avec une espèce de torsade derrière une chevelure jaune, comme si un copain lui avait fait une farce. Je me rappelle ses yeux très bleus, ses lèvres très rouges et son teint d'une pâleur sinistre : il avait l'air tuberculeux. Sa douceur, sa modestie et sa délicatesse surprenaient lorsque l'on songeait dans quel milieu il avait été élevé. * Les nouvelles, dont ce volume resjsecte l'ordre chronologique, complètent la biographie de Lawrence car elles constituent une sorte d'éphéméride où se reflètent les étapes de sa vie et le contenu de son expérience. Les premières nous parlent d'Eastwood ou de Nottingham. Elles évoquent les légendes locales (< Fragment
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de vittail >). Elles décrivent avec précision, comme de l'intérieur, le monde de la mine. On sent que ce monde est familier pour l'écrivain dont, bientôt, la vie va se dérouler à Croydon. Puis se laisse percevoir à l'arrière-plan la présence de Frieda : ce sonr les nouvelles allemandes. C'est enfin l'expérience de la guerre en Angleterre, toute sa cruauté, toute son amertume. Le plus étonnant chez Lawrence est son aptitude à transposer son vécu, son expérience, dans des genres aussi divers que le roman, la nouvelle, le rhéâtre ou la poésie. En vérité, Lawrence transcende ou résorbe la notion de genres lirtéraires, car il établit spontanément des relations thématiques entre ses différentes œuvres, sans pour autant perdre de vue la spécificiré de ses différenrs modes d'expression. Fi/s et amants, par exemple, qui est son troisième roman, trouve un écho à la fois dans sa trilogie minière au théâtre, dans ses poèmes et dans ses nouvelles. Il existe ainsi chez l'écrivain une espèce de sens médiatique. C'est son côté peut-être le plus moderne et l'on est en droit de penser que, eût-il vécu au-delà de 1930, le film et la pièce radiophonique l'auraient très probablement tenté. Tous les commentateurs ont insisté sur le sens de l'observation que révèle l'œuvre de Lawrence. C'est que la curiosité de celui-ci est toujours en éveil. Dans son existence, cette curiosité aboutit à un goût du voyage qui, de Eastwood, le conduit à Vence, mais en passant par l'Allemagne et l'Italie, puis, comme on verra, par la Méditerranée, l'Australie et le Nouveau-Mexique. On note que la flore et la faune, mais surtout la flore, n'est jamais traitée de façon anonyme. A chaque espèce, à chaque spécimen, son nom, son identité, sa singularité et même, dans les poèmes, sa person¬ nalité. Les formes non humaines de la vie ne sont pas pour Lawrence un décor ou la caisse de résonance de sentiments humains. Elles vivent leur propre aventure aux côtés de l'humain et à pan entière. C'est pourquoi l'optique lawrencienne renoue avec une tradition qui, en Occident, nous ramène à Lucrèce. Elle explique aussi la spontanéité avec laquelle Lawrence devait sympathiser avec les cultures dites < primitives > qu'il a rencontrées hors d'Europe. Ford lisant les premières lignes de < Parfum de chry¬ santhèmes > fut, dit-il, séduit par la précision immédiate du détail. Cette précision ferait de lui le précurseur d'une école moderne, celle du nouveau roman, si elle était une fin en soi. Mais ce n'est jamais le cas. L'objet lawrencien nous ramène à l'humain, et, d'abord, à Lawrence lui-même. Il laisse volontiers entendre qu'il existe au sein des choses et des êtres une même réalité occulte, mais c'est, bien sûr, à l'humain que s'intéresse le romancier, en
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des termes où le mélange d'un prophétisme d'origine méthodiste et d'une vision personnelle fait très souvent songer à l'ésotérisme d'un William Blake. Il est certain que des rapports existent entre Blake et Lawrence, mais peut-être est-ce dans l'examen de leurs tableaux respeaifs que la ressemblance apparaît de la manière la plus spectaculaire. S'il est vrai, pour Lawrence comme pour les romantiques, que l'observation est affaire de regard, la véritable perception est, elle, affaire d'instina. < L'aveugle > illustre comme le ferait une parabole les modalités d'un contact avec les réalités sous-jacentes. De cette nouvelle Emile Delavenay a écrit très finement qu'elle est < une synthèse de tout Lawrence depuis The White Peacock >, signifiant par là l'importance qu'attache l'écrivain à la connaissance par < le sang >. Examinées isolément, nombreuses sont les nouvelles qui donnent l'impression d'être autant d'anecdotes autobiographiques au sens le plus large. Cette impression est fondée : t Un soupirant moderne > nous ramène à Haggs Farm et correspond à des épisodes que nous rencontrons dans Fils et amants. De même < Le deuxième choix > nous ren¬ voie, dans le même roman, au passage où Gertrude passe de Field à Morel. C'est donc, peut-être, une évocation de la jeunesse de Lydia Lawrence jeune fille. C'est dans l'examen sériel des nouvel¬ les qu'apparaît l'unité thématique. Celui de la rupture désirée, par exemple : un fils est désireux d'échapper à l'autorité maternelle (< Les filles du pasteur >), un mari à celle de l'épouse abusive (< Mineur malade >), un amant à celle de sa maîtresse (< La sor¬ cière à la mode >). La même situation informe des textes de tona¬ lité aussi différente que < Samson et Dalila > ou < Les billets, s'il vous plaît ! >. On constate que le personnage masculin a intériorisé un fantasme maternel au point d'en éprouver un sentiment d'am¬ bivalence, de perte d'identité, d'anxiété, d'impuissance généralisée. Placées dans cette perspeaive les nouvelles mettent alors en évi¬ dence une dimension autobiographique dont Lawrence ne pouvait pas avoir clairement conscience, quand bien même cette dimension nous est explicitement donnée dans les romans. Dans cette mesure les nouvelles sont à considérer comme autant d'esquisses des ro¬ mans. La thématique profonde n'est pas seule en cause. Plus d'un personnage ultérieurement développé connaît dans les nouvelles un début de réalisation. Alfred Durant est une ébauche du person¬ nage de Tom Brangwen dans Varc-en-ciel. Comme Henry (dans < Le renard >), Durant émigré vers le Canada. L'exil ou l'évasion, si l'on veut, correspond au vécu de Lawrence. Chez Durant, chez Henry et chez d'autres, l'émigration implique qu'ils ont p>orté sur la société anglaise un jugement de
- Thème CLIL : 4033 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Langues étrangères
- ISBN : 978-2-8124-1531-9
- EAN : 9782812415319
- ISSN : 2417-6400
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-1531-9.p.0032
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 08/04/2014
- Langue : Français