Comptes rendus
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Neologica
2015, n° 9. varia - Auteurs : Sablayrolles (Jean-François), Humbley (John)
- Pages : 269 à 275
- Revue : Neologica
269
COMPTES RENDUS
DURY Pascaline, HOYO5 José Carlos de, MAKRI-MOREL Julie, MANIEZ François, RENNER Vincent et VILLAR DIAZ Maria Belén (dir.), La néologie en langue de spécialité : Détection, implantation et circulation des nouveaux termes, Centre de Recherche en Terminologie et Traduction, Université Lumière Lyon 2, 2014.
Ce livre collectif —issu des Journées du CRTT des 2 et 3 juillet 2012, qui avaient été annoncées dans Neologica, 6 —comporte près de 300 pages, avec quatorze articles en trois langues :français, anglais, espagnol, tous pertinents et de grande qualité. Ces articles du plus grand intérêt pour quiconque s'intéresse à l'apparition de termes nouveaux dans des domaines de spécialité sont répartis en trois grandes parties qui forment un ensemble cohérent : « Outils et méthodes de détection des néologismes » (4 articles), « Implantation, circulation et diffusion des néologismes » (6 articles) et « Approches diachroniques » (4 articles).
Au sein de cette problématique générale de la néologie dans les langues de spécialité (mais le terme néonymie n'est guère employé), les diverses études abordent des points précis variés (comme la rétronymie, la déterminologisation, des domaines comme l'ingénierie nucléaire ou tout ce qui touche la fabrication et la commercialisation de l'huile d'olives, etc.) et s'appuient sur des corpus dont l'élaboration est justifiée et dont les contenus sont analysés, avec des remarques méthodologiques. Nombreux sont les acquis ou les propositions et ouvertures offerts par ces contributions. Le texte de présentation de Pascaline Dury est remarquable de clarté et d'exactitude. Sa lecture donne une idée très précise des contenus des articles et de leur apport. Notons que la référence à la page 240 de la citation de Philippe Selosse est erronée :c'est en réalité à la page 279. Une autre petite erreur réside dans le sous-titre de la revue Neologica :revue internationale de néologie et pas de terminologie.
Malgré l'existence de nombreux travaux dans le domaine de la néologie et de ses relations avec les domaines spécialisés, dont certains sont rappelés dans la présentation et qui montrent l'intérêt de ce domaine, « beaucoup reste à faire car le champ d'étude est vaste » (p. 3). Le livre ne vise pas à faire un état de la question mais à présenter des recherches dans des directions un peu moins explorées dans le domaine et regroupées dans les trois parties mentionnées ci-dessus.
Neologica, n° 9, 2015, p. 269-275
270 La première partie « Outils et méthodes de détection des néologismes » s'ouvre sur l'article de Frédéric Erlos « L'activité prise au mot : le traitement des néologismes en entreprise ». Le recours à des logiciels de textométrie permet de repérer des candidats néologismes par comparaison de séries textuelles homogènes de différentes époques. Ces néologismes potentiels sont ensuite évalués de trois points de vue différents, complémentaires. L'apparition de néologismes formels est ainsi documentée de manière très fine.
Kyo Kageura signe le second article « Argumenting terminology by crawling new terni translation pairs from textual corpora : sonie theoretical background and applicational directions ». Il montre que, malgré les progrès accomplis depuis les années 1990 dans l'extraction servi-automatique bilingue de termes nouveaux, il reste des lacunes dans l'établissement des terminologies et il se donne comme projet de les combler en s'appuyant sur des corpus anglais et japonais.
Mercedes Roldàn Vendrell traite de la « Detecci6n, anàlysis y classicaci6n de neologismos en corpus especializados : marcadores de creaci6n léxica ». Dans le cadre du projet Olivaterm consacré à la terminologie scientifique et socioécono- mique de l'olive et de l'huile d'olive, l'auteur montre l'intérêt de s'appuyer sur les marqueurs lexico-syntaxiques de création lexicale et d'étudier les relations séman- tiques des nouveaux termes avec les autres termes du champ. Ceci permet de décrire le processus de fixation du sens de ces nouveaux termes, avec leur place au sein de la hiérarchie du système conceptuel du domaine. L'auteur montre ensuite les impli- cations de ces résultats en terminologie multilingue aussi bien pour la transmission des connaissances que pour la traduction.
Le dernier article de la première partie « A view roto retronymy as a source of neology » est l'aeuvre de George J. Xydopoulos et bene Lazana. Après avoir illus- tré le phénomène, ils présentent un état de la question et proposent une définition, avec quatre phases dans le processus. Ils étudient ensuite de plus près les relations entre protonyme et néonyme ainsi que celles entre le néonyme et les termes rétro- nymes. Sont ensuite présentés le statut hyperonymique des protonymes, la récursi- vité des processus (ex. de oven `four') et le statut morphologique des expressions rétronymiques ainsi que les accourcissements qui se manifestent par des conver- sions (adj->l~. Les auteurs remarquent le fait que, dans ce processus d'accourcisse- ment, les modifieurs, originellement des termes techniques à la différence des noms têtes relevant de la langue générale, deviennent des mots de la langue générale. Ils terminent leur étude par des considérations sur la rétronymie autochtone et la rétro- nymie d'emprunt.
La seconde partie, consacrée à l'implantation, la circulation et la diffusion des néologismes, comprend six articles. Le premier de Jean Quirion, « Pour une néologie sociale »traite, dans la perspective d'un aménagement linguistique et terminologique, de l'implantation et de la circulation des néologismes (plus qu'à leur repérage). Dans cette optique, l'auteur montre les apports de la terminométrie et s'interroge sur les manières d'améliorer la diffusion et la circulation des néologismes, sur les prédic- tions de leur avenir et sur l'insuffisance de la prise en compte des facteurs sociaux. Il propose de réduire la distance entre néologie et sujets parlants, en particulier en faisant appel aux réseaux sociaux.
Danielle Candel et Marie Calberg-Challot s'occupent d'« analyser la néologie dans le domaine de l'ingénierie nucléaire ». Les auteurs s'appuient dans cette étude
271 sur un double corpus, couvrant une période d'une quinzaine d'années, formé d'une part de l'expérience des travaux de la terminologie officielle au sein de commis- sions de terminologie et de néologie, diffusés par la DGLFLF, et par une expérience d'immersion en entreprise (Areva). Comme il s'agit d'une science récente, qui évolue vite, c'est un domaine propice à la néologie et à son analyse et les témoignages des spécialistes du domaine sont particulièrement instructifs. Il ressort de ces expériences que l'avis et l'approbation des usagers sont fondamentaux pour l'emploi et la diffu- sion des termes nouveaux.
C'est sur la langue basque que porte l'article de Igone Zabal, Itziar San Martin et Mikel Lersundi « Linguistic and sociolinguistic factors that influence the detection, implantation and circulation of natural terminology in academic use of Basque ». Le développement de l'utilisation de la langue basque à l'Université a conduit les auteurs à créer le projet TSE (Tenninologia Sareak Ehunduz) visant à combattre les obstacles observés dans l'implantation pérenne de terminologies (manque de réseaux de communication fluides entre experts et inaccessibilité de certains textes utilisés pour la communication en milieu universitaire). D'autres difficultés sont apparues lors de la constitution de corpus et lors d'entretiens avec les experts participant au projet.
Anne Condamine et Aurélie Picton s'intéressent au phénomène de la dé-termi- nologisation dans « Des communiqués de presse du CNES à la presse généraliste. Vers un observatoire de la diffusion des termes ». À la demande du CNES désirant connaître l'imprégnation du spatial dans la connaissance commune, les auteurs ont mis en place un observatoire comportant des communiqués de presse du CNES et des articles de la presse généraliste. Elles présentent la méthodologie de la constitution des corpus et le recours aux outils de la linguistique outillée nécessités par ce type d'étude. Fondée sur les termes construits avec satellite et sa famille, l'étude montre les nombreuses perspectives rendues possibles par l'observatoire pour une meilleure connaissance des faits de dé-terminologisation, dont l'abondance des tenues qui les dénomment (migration diffusion, vulgarisation... auxquels il faudrait ajouter banali- sation) trahit un certain flou qui reste à dissiper.
« Implantation of English tenus including the -ING morpheme in French, Spanish and Italian : a corpus-based study of the debates of the European Parliament » est le titre de l'article de François Maniez. Celui-ci se fondant sur des données tirées du corpus Europarl compare les stratégies des traducteurs en français, italiens et espagnols des noms anglais en -ing. Il ressort de cette étude que la longueur des mots anglais joue un rôle (les mots simples sont plus facilement empruntés tels quels), que ces textes traduits contribuent à l'implantation d'emprunts de ce type dans ces langues mais que l'italien recourt plus aux emprunts que le français et l'espagnol qui cherchent plus souvent des équivalents autochtones.
Mercedes Bengoechea clôt la seconde partie avec « Neologismos, politicas lingüisticas feministas y nonna académica en los glosarios en figea Gentyll del àmbito del deporte ». Devant les lacunes lexicographiques remarquées dans les dénomina- tions relatives aux femmes et/ou devant des dénominations sexistes, l'auteur et son équipe ont décidé de créer des dictionnaires anglais-espagnol, consultables en ligne, contenant des dénominations néologiques. L'article expose les difficultés rencontrées et les manières de les résoudre, différentes pour l'anglais et pour l'espagnol.
La troisième et dernière partie est consacrée aux approches diachroniques et comporte quatre articles. Le premier de Moreno Campetella a pour titre « Les
272 néologismes techniques dans la traduction florentine de 1464 de l'Opus agriculturæ de Rutilius Aemilianus Palladius ». Cette première traduction italienne de l'aeuvre de Palladius comporte de nombreux néologismes dont l'auteur de l'article étudie les procédés de formation, qu'il s'agisse de néologismes formels, de néologismes sémantiques ou de calques. Ainsi apparaissent les débuts de la constitution de la terminologie agricole italique.
Joaquin Garcia Palacios et Miguel Sànchez Ibànez, dans « Neologismos de ida y vuelta De la Doctrina de la neurona de Cajal al Principles of Neural Sciences de Kandel » étudient les nouveaux termes des neurosciences à un siècle d'écart, en mettant en regard les termes au moment de la naissance de la discipline et à l'époque actuelle, marquée par la place des termes importés, d'emploi international.
« Le traitement de la néologie technique dans la neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie française » fait l'objet de l'article de Christophe Rey et Amandine Delacroix. Les nouvelles éditions des dictionnaires de l'Académie française sont très espacées et la neuvième est encore en cours de finalisation (la précédente datant de 1932-1935). Ce dictionnaire excluait traditionnellement de sa nomenclature les termes spécialisés, mais un certain nombre d'innovations se font jour dans cette dernière édition commencée en 1992 Ainsi un certain nombre de technolectes ont été progressivement intégrés.
Cette dernière partie et le livre s'achèvent avec l'article de Philippe Selosse « La Tulipe "royne" :prolifération et circulation néologiques aux xvI°-xvlre siècles ». La dimension diachronique de la néologie est au centre de la réflexion. Elle est illus- tréepar la floraison, durant un siècle, de néologismes dus à l'importation de Turquie de la tulipe, que ce soit pour les dénominations du genre ou des espèces, par les botanistes, les fleuristes...
L'ouvrage comporte un récapitulatif des auteurs par ordre alphabétique en fin de volume, mais on peut regretter l'absence d'un index des notions et d'un index des auteurs cités. Cela permettrait une meilleure navigation au sein de cet ouvrage dont la très grande qualité retiendra l'attention des terminologues, des néologues, des traducteurs et plus globalement des linguistes.
Jean-François SABLAYROLLES
FÀBREGA5 ALEGRET Immaculada (2014), La fabrication des néologismes. La troncation en espagnol et en catalan, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 170 pages. I5BN 978-2-7535-3526-8.
Les publications qui comparent la néologie telle qu'elle se manifeste dans deux langues, même proches, sont très rares : il convient donc de saluer la parution de cette étude récente des innovations lexicales en espagnol et en catalan, et plus particulièrement de la troncation, d'autant plus que l'amalgamation lexicale se trouve au coeur de cette recherche. Pour Neologica 9, elle tombe à point nommé !
L'étude est fondée sur une exploitation des entrées datées entre 2008 et 2010 de la base de néologie, OBNEO, de l'Institut universitaire de linguistique appliquée de l'Université Pompeu Fabra, fiait du travail des réseaux de néologie NEOROC pour l'espagnol et NEOXOC pour le catalan. Le corpus ainsi obtenu comporte 604 occur- rences de troncations de différentes formes pour l'espagnol et 570 pour le catalan.
273 Le livre est divisé en trois parties : un chapitre théorique, axé sur les défini- tions de la néologie et surtout de la troncation, un chapitre analytique, consacré aux données présentées selon les différents critères retenus pour l'analyse, et un troisième chapitre comparatif qui explicite les ressemblances et les différences constatées entre les deux langues. Il comporte également un glossaire de 76 notions de linguistique, qui constituent l'essentiel du métalangage de l'étude.
La partie théorique fait le point sur les définitions que l'on donne pour distin- guer la néologie d'autres phénomènes linguistiques ainsi qu'un aperçu des sous- catégories qui la constituent. Elle présente d'abord les différentes dimensions de l'analyse :néologie dénominative par rapport à néologie stylistique (voir à ce sujet Llopart et Freixa 2014, paru trop récemment pour figurer dans le livre), création primitive (ou ex nihilo) et création conventionnelle, néologie de la langue générale ou néonymie, créations spontanées ou planifiées. Suivent les questions concernant le sentiment néologique et les phases de la néologie — et comment les appréhender — pour conclure sur une typologie assez classique des procédés de création lexicale
dérivation, composition, conversion, redoublement, troncation, néologie sémantique et emprunts. Compte tenu de la thématique de l'ouvrage, c'est la troncation qui est la plus développée de ces catégories, sous-divisée à son tour en trois :l'abréviation, l'acronymie et la siglaison, pour employer la terminologie de l'auteure, analysée par ailleurs par Makri-Morel dans ce volume, qui se distingue de celle générale- ment acceptée en France. L'abréviation est l'utilisation de lettres initiales avec le mot prononcé complètement : M. =1u Monsieur, etc. Aussi le terme d'accourcisse- ment qui se trouve, entre autres, chez Fradin dans ce volume, permet de lever une ambiguïté, puisque abréviation s'emploie aussi pour tout type d'abrègement / accour- cissement. L'acronymie, suivant l'usage de Guilbert, très répandu en Espagne, corres- pond aux mots-valises. L'auteure rappelle d'autres synonymes :mot portemanteau, mot-centaure, etc. ainsi que télescopage, emboîtement, mals, assez curieusement, pas amalgame, qui semble s'imposer de nos jours en France.
Pour revenir aux questions de classement, l'auteure rappelle que l'abréviation peut être réalisée par apocope, aphérèse et/ou syncope. Quant à la siglaison, elle prend une forme soit alphabétique (ou lettrique, toujours selon Guilbert) soit syllabique, et se sous-divise en trois types lexicologiques selon la classification de Niklas-Sahninen, qui s'appuie sur sa fonction désignative.
Ce premier chapitre est nécessairement assez bref, car l'apport essentiel de l'étude concerne l'analyse d'un corpus très riche, mais on peut se demander si certaines questions annexes ne mériteraient pas d'être évoquées. Au niveau général, on peut se demander si l'auteure fait une distinction entre néologie, créativité lexicale et évolution de la langue. Si l'on entre dans le détail, on peut s'interroger également sur certaines analyses :dire que les préfixes ne jouent aucun rôle sur la catégo- rie grammaticale est un raccourci un peu trompeur (p. 22) :qu'en est-il alors de anti- dont la fonction peut être adjectivante (bruit, mais mur anti-bruit) ? La dériva- tion et la composition constituent-elles des classes vraiment àpart —quels sont les avantages à considérer, comme Danièle Corbin, qu'il s'agit de différents types de mots construits ? Compte tenu de l'importance numérique de l'emprunt, on peut également se demander si deux petits paragraphes suffisent pour en exposer tous les enjeux, d'autant plus que la distinction entre emprunts lexicographiques et non lexicographiques, fondée sur le critère de la transformation sémantique, mériterait
274 plus d'explication. Comme l'auteure le reconnaît plus loin dans le texte, de nombreux cas de troncations constatées dans le corpus ont été réalisés dans la langue source, antérieurement à l'emprunt. Il ne s'agit donc pas d'un acte de troncation dans les langues cibles, ce qui peut être ressenti comme troublant dans une étude qui porte sur la matrice néologique de la troncation en espagnol et en catalan. Puisqu'il s'agit de mots empruntés déjà tronqués et pas tronqués après emprunt, ils ne devraient pas — strictement parlant —figurer dans l'étude des procédés d'« accourcissement ». De même cette constatation laisse ouverte la question de savoir si les unités empruntées sont ressenties comme tronquées ou non ? Combien d'hispanophones ou de catalano- phones (voire d'anglophones) sauraient que blog vient de weblog ? Comment expli- quer multiculti, bien connu en allemand, dans un contexte catalan ?
Les résultats du dépouillement, exposés dans le deuxième chapitre, sont très riches :l'abréviation en espagnol est représentée par 309 occurrences pour un total de 1131emmes, contre 363 occurrences en catalan pour 1081emmes ;les mots-valises sont représentés en espagnol par 185 occurrences pour 721emmes, contre 135 pour 74 en catalan; la siglaison enfin 110 pour 50 lemmes en espagnol et 72 pour 26 en catalan. L'auteure procède à une analyse méthodique d'abord quantitative (le nombre d'hapax est toujours important, mais variable selon la catégorie), tenant compte également de la zone géographique sur le territoire espagnol, suivie d'une analyse grammaticale, faisant ressortir les constituants et leurs catégories grammaticales. En ce qui concerne les mots-valises, on peut se demander si les seuls vraiment fréquents en espagnol, euribor et w~, sont perçus comme des troncations ou tout simplement comme des emprunts, d'autant plus que le premier cas relève d'un paradigme en langue économique : Libor, Nibor, etc. Dans les deux langues, le nombre d'hapax est très élevé (55 sur 72 pour l'espagnol et 57 sur 74 pour le catalan), dont peu sont des emprunts —signe de vitalité des deux langues ?
Le chapitre sur la comparaison laisse surtout l'impression d'une grande similitude :les résultats sont effectivement très proches pour les deux langues soeurs, et certaines différences peuvent être attribuées à une méthodologie légèrement diffé- rente au niveau du dépouillement. Il est sans doute vrai également que de nombreuses divergences s'expliquent tout simplement par les aléas du corpus et du dépouillement, bien que certaines tendances semblent s'affirmer, comme le nombre de troncations constatées en espagnol dans le domaine économique et financier s'explique du fait que l'on rédige davantage d'articles d'analyse dans cette langue qu'en catalan.
On peut, en conclusion, recommander la lecture de ce livre comme témoi- gnage de la richesse des études de néologie conduites en espagnol et en catalan l'investissement très conséquent consenti par les collègues de l'NLA dans la construction et l'alimentation de la base de néologismes commence à verser des dividendes. La présente étude en est un très bon exemple.
John HUMBLEY Références
LLOPART SAUMELL Elisabeth et FREIXAAYMERICH Judit (2014), « La fimci6n de los neologismos : revisi6n de la dicotomia neologia denominativa y neologia estilistica », Neologica 8, p. 135-156.
275 MARTINEZ Camille, Petit dito des changements orthographiques récents, Meylan, Zeugmo, coll. « Les Petits Dicos », 2015, 142 pages. I5BN 978-2-37212-002-9.
Même si les changements orthographiques relèvent de l'évolution de la langue plutôt que de la néologie à proprement parler, ils constituent un indice important et sans doute plus complexe qu'il n'y paraît de la créativité lexicale d'une langue. Il s'ensuit que ce « petit dito » peut intéresser les lecteurs de Neologica.
Camille Martinez est connu pour ses études sur l'évolution des dictionnaires contemporains ; il est l'auteur de plusieurs outils, comme la base de données DiCo (DIctionnaires Comparés) (v. Martinez 2009), qui rendent compte de leurs modifi- cations. Il est donc bien placé pour présenter l'évolution orthographique du français telle qu'elle est reflétée dans les principaux dictionnaires monolingues (Dictionnaire de l'Académie française, Le Petit Larousse illustré et Le Petit Robert) depuis 1992, soit plus de 4500 changements.
La micro-strncture du dictionnaire est simple : la vedette est un mot (lui-même vedette dans au moins un des dictionnaires consultés), suivi du nom du dictionnaire ou des dictionnaires qui signalent) un changement, qui, lui est indiqué par une flèche. La variation d'un dictionnaire à l'autre ainsi que l'évolution dans le temps sont signa- lées systématiquement. De nombreux articles sont complétés par une définition ou une note linguistique ou encyclopédique. Les mots fréquents sont signalés en gras.
Certains changements relèvent clairement de l'évolution de la langue, comme les nombreux cas de sigles désormais orthographiés sans point et l'accentuation des e prononcés é. Dans de nombreux cas il s'agit d'une assimilation des emprunts et d'une harmonisation internationale concernant la forme des sigles. D'autres évolu- tions témoignent de la réussite d'actions de la politique linguistique, notamment la tendance à souder les mots composés, aux dépens du trait d'union, mesure phare des rectifications de l'orthographe de 1990, et les formes féminines des noms de métiers et plus généralement de personnes. Ce dernier cas est un bon exemple de change- ment orthographique qui signale directement un aspect important de la néologie du français.
L'éditeur précise que ce dictionnaire est le premier d'une collection qui sera consacrée à ce genre de manifestation de l'évolution de la langue.
John HUMBLEY
Références
MARTINEZ Camille (2009) : « Une base de données des entrées et sorties dans la nomenclature d'un corpus de dictionnaires :présentation et exploitation », Ela (Études de linguistique appliquée), 156 (4), p. 499-509.
DURY Pascaline, HOYO5 José Carlos de, MAKRI-MOREL Julie, MANIEZ François, RENNER Vincent et VILLAR DIAZ Maria Belén (dir.), La néologie en langue de spécialité : Détection, implantation et circulation des nouveaux termes, Centre de Recherche en Terminologie et Traduction, Université Lumière Lyon 2, 2014.
Ce livre collectif —issu des Journées du CRTT des 2 et 3 juillet 2012, qui avaient été annoncées dans Neologica, 6 —comporte près de 300 pages, avec quatorze articles en trois langues :français, anglais, espagnol, tous pertinents et de grande qualité. Ces articles du plus grand intérêt pour quiconque s'intéresse à l'apparition de termes nouveaux dans des domaines de spécialité sont répartis en trois grandes parties qui forment un ensemble cohérent : « Outils et méthodes de détection des néologismes » (4 articles), « Implantation, circulation et diffusion des néologismes » (6 articles) et « Approches diachroniques » (4 articles).
Au sein de cette problématique générale de la néologie dans les langues de spécialité (mais le terme néonymie n'est guère employé), les diverses études abordent des points précis variés (comme la rétronymie, la déterminologisation, des domaines comme l'ingénierie nucléaire ou tout ce qui touche la fabrication et la commercialisation de l'huile d'olives, etc.) et s'appuient sur des corpus dont l'élaboration est justifiée et dont les contenus sont analysés, avec des remarques méthodologiques. Nombreux sont les acquis ou les propositions et ouvertures offerts par ces contributions. Le texte de présentation de Pascaline Dury est remarquable de clarté et d'exactitude. Sa lecture donne une idée très précise des contenus des articles et de leur apport. Notons que la référence à la page 240 de la citation de Philippe Selosse est erronée :c'est en réalité à la page 279. Une autre petite erreur réside dans le sous-titre de la revue Neologica :revue internationale de néologie et pas de terminologie.
Malgré l'existence de nombreux travaux dans le domaine de la néologie et de ses relations avec les domaines spécialisés, dont certains sont rappelés dans la présentation et qui montrent l'intérêt de ce domaine, « beaucoup reste à faire car le champ d'étude est vaste » (p. 3). Le livre ne vise pas à faire un état de la question mais à présenter des recherches dans des directions un peu moins explorées dans le domaine et regroupées dans les trois parties mentionnées ci-dessus.
Neologica, n° 9, 2015, p. 269-275
270 La première partie « Outils et méthodes de détection des néologismes » s'ouvre sur l'article de Frédéric Erlos « L'activité prise au mot : le traitement des néologismes en entreprise ». Le recours à des logiciels de textométrie permet de repérer des candidats néologismes par comparaison de séries textuelles homogènes de différentes époques. Ces néologismes potentiels sont ensuite évalués de trois points de vue différents, complémentaires. L'apparition de néologismes formels est ainsi documentée de manière très fine.
Kyo Kageura signe le second article « Argumenting terminology by crawling new terni translation pairs from textual corpora : sonie theoretical background and applicational directions ». Il montre que, malgré les progrès accomplis depuis les années 1990 dans l'extraction servi-automatique bilingue de termes nouveaux, il reste des lacunes dans l'établissement des terminologies et il se donne comme projet de les combler en s'appuyant sur des corpus anglais et japonais.
Mercedes Roldàn Vendrell traite de la « Detecci6n, anàlysis y classicaci6n de neologismos en corpus especializados : marcadores de creaci6n léxica ». Dans le cadre du projet Olivaterm consacré à la terminologie scientifique et socioécono- mique de l'olive et de l'huile d'olive, l'auteur montre l'intérêt de s'appuyer sur les marqueurs lexico-syntaxiques de création lexicale et d'étudier les relations séman- tiques des nouveaux termes avec les autres termes du champ. Ceci permet de décrire le processus de fixation du sens de ces nouveaux termes, avec leur place au sein de la hiérarchie du système conceptuel du domaine. L'auteur montre ensuite les impli- cations de ces résultats en terminologie multilingue aussi bien pour la transmission des connaissances que pour la traduction.
Le dernier article de la première partie « A view roto retronymy as a source of neology » est l'aeuvre de George J. Xydopoulos et bene Lazana. Après avoir illus- tré le phénomène, ils présentent un état de la question et proposent une définition, avec quatre phases dans le processus. Ils étudient ensuite de plus près les relations entre protonyme et néonyme ainsi que celles entre le néonyme et les termes rétro- nymes. Sont ensuite présentés le statut hyperonymique des protonymes, la récursi- vité des processus (ex. de oven `four') et le statut morphologique des expressions rétronymiques ainsi que les accourcissements qui se manifestent par des conver- sions (adj->l~. Les auteurs remarquent le fait que, dans ce processus d'accourcisse- ment, les modifieurs, originellement des termes techniques à la différence des noms têtes relevant de la langue générale, deviennent des mots de la langue générale. Ils terminent leur étude par des considérations sur la rétronymie autochtone et la rétro- nymie d'emprunt.
La seconde partie, consacrée à l'implantation, la circulation et la diffusion des néologismes, comprend six articles. Le premier de Jean Quirion, « Pour une néologie sociale »traite, dans la perspective d'un aménagement linguistique et terminologique, de l'implantation et de la circulation des néologismes (plus qu'à leur repérage). Dans cette optique, l'auteur montre les apports de la terminométrie et s'interroge sur les manières d'améliorer la diffusion et la circulation des néologismes, sur les prédic- tions de leur avenir et sur l'insuffisance de la prise en compte des facteurs sociaux. Il propose de réduire la distance entre néologie et sujets parlants, en particulier en faisant appel aux réseaux sociaux.
Danielle Candel et Marie Calberg-Challot s'occupent d'« analyser la néologie dans le domaine de l'ingénierie nucléaire ». Les auteurs s'appuient dans cette étude
271 sur un double corpus, couvrant une période d'une quinzaine d'années, formé d'une part de l'expérience des travaux de la terminologie officielle au sein de commis- sions de terminologie et de néologie, diffusés par la DGLFLF, et par une expérience d'immersion en entreprise (Areva). Comme il s'agit d'une science récente, qui évolue vite, c'est un domaine propice à la néologie et à son analyse et les témoignages des spécialistes du domaine sont particulièrement instructifs. Il ressort de ces expériences que l'avis et l'approbation des usagers sont fondamentaux pour l'emploi et la diffu- sion des termes nouveaux.
C'est sur la langue basque que porte l'article de Igone Zabal, Itziar San Martin et Mikel Lersundi « Linguistic and sociolinguistic factors that influence the detection, implantation and circulation of natural terminology in academic use of Basque ». Le développement de l'utilisation de la langue basque à l'Université a conduit les auteurs à créer le projet TSE (Tenninologia Sareak Ehunduz) visant à combattre les obstacles observés dans l'implantation pérenne de terminologies (manque de réseaux de communication fluides entre experts et inaccessibilité de certains textes utilisés pour la communication en milieu universitaire). D'autres difficultés sont apparues lors de la constitution de corpus et lors d'entretiens avec les experts participant au projet.
Anne Condamine et Aurélie Picton s'intéressent au phénomène de la dé-termi- nologisation dans « Des communiqués de presse du CNES à la presse généraliste. Vers un observatoire de la diffusion des termes ». À la demande du CNES désirant connaître l'imprégnation du spatial dans la connaissance commune, les auteurs ont mis en place un observatoire comportant des communiqués de presse du CNES et des articles de la presse généraliste. Elles présentent la méthodologie de la constitution des corpus et le recours aux outils de la linguistique outillée nécessités par ce type d'étude. Fondée sur les termes construits avec satellite et sa famille, l'étude montre les nombreuses perspectives rendues possibles par l'observatoire pour une meilleure connaissance des faits de dé-terminologisation, dont l'abondance des tenues qui les dénomment (migration diffusion, vulgarisation... auxquels il faudrait ajouter banali- sation) trahit un certain flou qui reste à dissiper.
« Implantation of English tenus including the -ING morpheme in French, Spanish and Italian : a corpus-based study of the debates of the European Parliament » est le titre de l'article de François Maniez. Celui-ci se fondant sur des données tirées du corpus Europarl compare les stratégies des traducteurs en français, italiens et espagnols des noms anglais en -ing. Il ressort de cette étude que la longueur des mots anglais joue un rôle (les mots simples sont plus facilement empruntés tels quels), que ces textes traduits contribuent à l'implantation d'emprunts de ce type dans ces langues mais que l'italien recourt plus aux emprunts que le français et l'espagnol qui cherchent plus souvent des équivalents autochtones.
Mercedes Bengoechea clôt la seconde partie avec « Neologismos, politicas lingüisticas feministas y nonna académica en los glosarios en figea Gentyll del àmbito del deporte ». Devant les lacunes lexicographiques remarquées dans les dénomina- tions relatives aux femmes et/ou devant des dénominations sexistes, l'auteur et son équipe ont décidé de créer des dictionnaires anglais-espagnol, consultables en ligne, contenant des dénominations néologiques. L'article expose les difficultés rencontrées et les manières de les résoudre, différentes pour l'anglais et pour l'espagnol.
La troisième et dernière partie est consacrée aux approches diachroniques et comporte quatre articles. Le premier de Moreno Campetella a pour titre « Les
272 néologismes techniques dans la traduction florentine de 1464 de l'Opus agriculturæ de Rutilius Aemilianus Palladius ». Cette première traduction italienne de l'aeuvre de Palladius comporte de nombreux néologismes dont l'auteur de l'article étudie les procédés de formation, qu'il s'agisse de néologismes formels, de néologismes sémantiques ou de calques. Ainsi apparaissent les débuts de la constitution de la terminologie agricole italique.
Joaquin Garcia Palacios et Miguel Sànchez Ibànez, dans « Neologismos de ida y vuelta De la Doctrina de la neurona de Cajal al Principles of Neural Sciences de Kandel » étudient les nouveaux termes des neurosciences à un siècle d'écart, en mettant en regard les termes au moment de la naissance de la discipline et à l'époque actuelle, marquée par la place des termes importés, d'emploi international.
« Le traitement de la néologie technique dans la neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie française » fait l'objet de l'article de Christophe Rey et Amandine Delacroix. Les nouvelles éditions des dictionnaires de l'Académie française sont très espacées et la neuvième est encore en cours de finalisation (la précédente datant de 1932-1935). Ce dictionnaire excluait traditionnellement de sa nomenclature les termes spécialisés, mais un certain nombre d'innovations se font jour dans cette dernière édition commencée en 1992 Ainsi un certain nombre de technolectes ont été progressivement intégrés.
Cette dernière partie et le livre s'achèvent avec l'article de Philippe Selosse « La Tulipe "royne" :prolifération et circulation néologiques aux xvI°-xvlre siècles ». La dimension diachronique de la néologie est au centre de la réflexion. Elle est illus- tréepar la floraison, durant un siècle, de néologismes dus à l'importation de Turquie de la tulipe, que ce soit pour les dénominations du genre ou des espèces, par les botanistes, les fleuristes...
L'ouvrage comporte un récapitulatif des auteurs par ordre alphabétique en fin de volume, mais on peut regretter l'absence d'un index des notions et d'un index des auteurs cités. Cela permettrait une meilleure navigation au sein de cet ouvrage dont la très grande qualité retiendra l'attention des terminologues, des néologues, des traducteurs et plus globalement des linguistes.
Jean-François SABLAYROLLES
FÀBREGA5 ALEGRET Immaculada (2014), La fabrication des néologismes. La troncation en espagnol et en catalan, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 170 pages. I5BN 978-2-7535-3526-8.
Les publications qui comparent la néologie telle qu'elle se manifeste dans deux langues, même proches, sont très rares : il convient donc de saluer la parution de cette étude récente des innovations lexicales en espagnol et en catalan, et plus particulièrement de la troncation, d'autant plus que l'amalgamation lexicale se trouve au coeur de cette recherche. Pour Neologica 9, elle tombe à point nommé !
L'étude est fondée sur une exploitation des entrées datées entre 2008 et 2010 de la base de néologie, OBNEO, de l'Institut universitaire de linguistique appliquée de l'Université Pompeu Fabra, fiait du travail des réseaux de néologie NEOROC pour l'espagnol et NEOXOC pour le catalan. Le corpus ainsi obtenu comporte 604 occur- rences de troncations de différentes formes pour l'espagnol et 570 pour le catalan.
273 Le livre est divisé en trois parties : un chapitre théorique, axé sur les défini- tions de la néologie et surtout de la troncation, un chapitre analytique, consacré aux données présentées selon les différents critères retenus pour l'analyse, et un troisième chapitre comparatif qui explicite les ressemblances et les différences constatées entre les deux langues. Il comporte également un glossaire de 76 notions de linguistique, qui constituent l'essentiel du métalangage de l'étude.
La partie théorique fait le point sur les définitions que l'on donne pour distin- guer la néologie d'autres phénomènes linguistiques ainsi qu'un aperçu des sous- catégories qui la constituent. Elle présente d'abord les différentes dimensions de l'analyse :néologie dénominative par rapport à néologie stylistique (voir à ce sujet Llopart et Freixa 2014, paru trop récemment pour figurer dans le livre), création primitive (ou ex nihilo) et création conventionnelle, néologie de la langue générale ou néonymie, créations spontanées ou planifiées. Suivent les questions concernant le sentiment néologique et les phases de la néologie — et comment les appréhender — pour conclure sur une typologie assez classique des procédés de création lexicale
dérivation, composition, conversion, redoublement, troncation, néologie sémantique et emprunts. Compte tenu de la thématique de l'ouvrage, c'est la troncation qui est la plus développée de ces catégories, sous-divisée à son tour en trois :l'abréviation, l'acronymie et la siglaison, pour employer la terminologie de l'auteure, analysée par ailleurs par Makri-Morel dans ce volume, qui se distingue de celle générale- ment acceptée en France. L'abréviation est l'utilisation de lettres initiales avec le mot prononcé complètement : M. =1u Monsieur, etc. Aussi le terme d'accourcisse- ment qui se trouve, entre autres, chez Fradin dans ce volume, permet de lever une ambiguïté, puisque abréviation s'emploie aussi pour tout type d'abrègement / accour- cissement. L'acronymie, suivant l'usage de Guilbert, très répandu en Espagne, corres- pond aux mots-valises. L'auteure rappelle d'autres synonymes :mot portemanteau, mot-centaure, etc. ainsi que télescopage, emboîtement, mals, assez curieusement, pas amalgame, qui semble s'imposer de nos jours en France.
Pour revenir aux questions de classement, l'auteure rappelle que l'abréviation peut être réalisée par apocope, aphérèse et/ou syncope. Quant à la siglaison, elle prend une forme soit alphabétique (ou lettrique, toujours selon Guilbert) soit syllabique, et se sous-divise en trois types lexicologiques selon la classification de Niklas-Sahninen, qui s'appuie sur sa fonction désignative.
Ce premier chapitre est nécessairement assez bref, car l'apport essentiel de l'étude concerne l'analyse d'un corpus très riche, mais on peut se demander si certaines questions annexes ne mériteraient pas d'être évoquées. Au niveau général, on peut se demander si l'auteure fait une distinction entre néologie, créativité lexicale et évolution de la langue. Si l'on entre dans le détail, on peut s'interroger également sur certaines analyses :dire que les préfixes ne jouent aucun rôle sur la catégo- rie grammaticale est un raccourci un peu trompeur (p. 22) :qu'en est-il alors de anti- dont la fonction peut être adjectivante (bruit, mais mur anti-bruit) ? La dériva- tion et la composition constituent-elles des classes vraiment àpart —quels sont les avantages à considérer, comme Danièle Corbin, qu'il s'agit de différents types de mots construits ? Compte tenu de l'importance numérique de l'emprunt, on peut également se demander si deux petits paragraphes suffisent pour en exposer tous les enjeux, d'autant plus que la distinction entre emprunts lexicographiques et non lexicographiques, fondée sur le critère de la transformation sémantique, mériterait
274 plus d'explication. Comme l'auteure le reconnaît plus loin dans le texte, de nombreux cas de troncations constatées dans le corpus ont été réalisés dans la langue source, antérieurement à l'emprunt. Il ne s'agit donc pas d'un acte de troncation dans les langues cibles, ce qui peut être ressenti comme troublant dans une étude qui porte sur la matrice néologique de la troncation en espagnol et en catalan. Puisqu'il s'agit de mots empruntés déjà tronqués et pas tronqués après emprunt, ils ne devraient pas — strictement parlant —figurer dans l'étude des procédés d'« accourcissement ». De même cette constatation laisse ouverte la question de savoir si les unités empruntées sont ressenties comme tronquées ou non ? Combien d'hispanophones ou de catalano- phones (voire d'anglophones) sauraient que blog vient de weblog ? Comment expli- quer multiculti, bien connu en allemand, dans un contexte catalan ?
Les résultats du dépouillement, exposés dans le deuxième chapitre, sont très riches :l'abréviation en espagnol est représentée par 309 occurrences pour un total de 1131emmes, contre 363 occurrences en catalan pour 1081emmes ;les mots-valises sont représentés en espagnol par 185 occurrences pour 721emmes, contre 135 pour 74 en catalan; la siglaison enfin 110 pour 50 lemmes en espagnol et 72 pour 26 en catalan. L'auteure procède à une analyse méthodique d'abord quantitative (le nombre d'hapax est toujours important, mais variable selon la catégorie), tenant compte également de la zone géographique sur le territoire espagnol, suivie d'une analyse grammaticale, faisant ressortir les constituants et leurs catégories grammaticales. En ce qui concerne les mots-valises, on peut se demander si les seuls vraiment fréquents en espagnol, euribor et w~, sont perçus comme des troncations ou tout simplement comme des emprunts, d'autant plus que le premier cas relève d'un paradigme en langue économique : Libor, Nibor, etc. Dans les deux langues, le nombre d'hapax est très élevé (55 sur 72 pour l'espagnol et 57 sur 74 pour le catalan), dont peu sont des emprunts —signe de vitalité des deux langues ?
Le chapitre sur la comparaison laisse surtout l'impression d'une grande similitude :les résultats sont effectivement très proches pour les deux langues soeurs, et certaines différences peuvent être attribuées à une méthodologie légèrement diffé- rente au niveau du dépouillement. Il est sans doute vrai également que de nombreuses divergences s'expliquent tout simplement par les aléas du corpus et du dépouillement, bien que certaines tendances semblent s'affirmer, comme le nombre de troncations constatées en espagnol dans le domaine économique et financier s'explique du fait que l'on rédige davantage d'articles d'analyse dans cette langue qu'en catalan.
On peut, en conclusion, recommander la lecture de ce livre comme témoi- gnage de la richesse des études de néologie conduites en espagnol et en catalan l'investissement très conséquent consenti par les collègues de l'NLA dans la construction et l'alimentation de la base de néologismes commence à verser des dividendes. La présente étude en est un très bon exemple.
John HUMBLEY Références
LLOPART SAUMELL Elisabeth et FREIXAAYMERICH Judit (2014), « La fimci6n de los neologismos : revisi6n de la dicotomia neologia denominativa y neologia estilistica », Neologica 8, p. 135-156.
275 MARTINEZ Camille, Petit dito des changements orthographiques récents, Meylan, Zeugmo, coll. « Les Petits Dicos », 2015, 142 pages. I5BN 978-2-37212-002-9.
Même si les changements orthographiques relèvent de l'évolution de la langue plutôt que de la néologie à proprement parler, ils constituent un indice important et sans doute plus complexe qu'il n'y paraît de la créativité lexicale d'une langue. Il s'ensuit que ce « petit dito » peut intéresser les lecteurs de Neologica.
Camille Martinez est connu pour ses études sur l'évolution des dictionnaires contemporains ; il est l'auteur de plusieurs outils, comme la base de données DiCo (DIctionnaires Comparés) (v. Martinez 2009), qui rendent compte de leurs modifi- cations. Il est donc bien placé pour présenter l'évolution orthographique du français telle qu'elle est reflétée dans les principaux dictionnaires monolingues (Dictionnaire de l'Académie française, Le Petit Larousse illustré et Le Petit Robert) depuis 1992, soit plus de 4500 changements.
La micro-strncture du dictionnaire est simple : la vedette est un mot (lui-même vedette dans au moins un des dictionnaires consultés), suivi du nom du dictionnaire ou des dictionnaires qui signalent) un changement, qui, lui est indiqué par une flèche. La variation d'un dictionnaire à l'autre ainsi que l'évolution dans le temps sont signa- lées systématiquement. De nombreux articles sont complétés par une définition ou une note linguistique ou encyclopédique. Les mots fréquents sont signalés en gras.
Certains changements relèvent clairement de l'évolution de la langue, comme les nombreux cas de sigles désormais orthographiés sans point et l'accentuation des e prononcés é. Dans de nombreux cas il s'agit d'une assimilation des emprunts et d'une harmonisation internationale concernant la forme des sigles. D'autres évolu- tions témoignent de la réussite d'actions de la politique linguistique, notamment la tendance à souder les mots composés, aux dépens du trait d'union, mesure phare des rectifications de l'orthographe de 1990, et les formes féminines des noms de métiers et plus généralement de personnes. Ce dernier cas est un bon exemple de change- ment orthographique qui signale directement un aspect important de la néologie du français.
L'éditeur précise que ce dictionnaire est le premier d'une collection qui sera consacrée à ce genre de manifestation de l'évolution de la langue.
John HUMBLEY
Références
MARTINEZ Camille (2009) : « Une base de données des entrées et sorties dans la nomenclature d'un corpus de dictionnaires :présentation et exploitation », Ela (Études de linguistique appliquée), 156 (4), p. 499-509.
- Thème CLIL : 3147 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Linguistique, Sciences du langage
- ISBN : 978-2-8124-4838-6
- EAN : 9782812448386
- ISSN : 2262-0354
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-4838-6.p.0269
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 07/07/2015
- Périodicité : Annuelle
- Langue : Français