Introduction
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Mode, vêtements, accessoires et représentations
2020 – 4 - Auteur : Auraix-Jonchière (Pascale)
- Pages : 13 à 15
- Revue : La Revue des lettres modernes
- Série : Jules Barbey d'Aurevilly, n° 23
INTRODUCTION
Les tenues vestimentaires arborées par Jules Barbey d’Aurevilly ont fait couler en leur temps beaucoup d’encre et provoqué sur ce plan une dissociation de l’homme et de son œuvre, comme le souligne Hugues Laroche1 à la suite de Philippe Berthier2. Un extrait du Journal des Goncourt, « oraison funèbre, puisqu’il est consigné dans le Journal le lendemain de la mort de Barbey, est représentatif de la perception qu’en eurent ses contemporains dont les témoignages multiplient les descriptions détaillées des costumes les plus tapageurs3 » : Barbey y apparaît comme « un écrivain dont la célébrité a été surtout faite par son costume de faraud imbécile, le mauvais goût de ses cravates à galons d’or, ses pantalons gris perle à bandes noires, ses redingotes à gigots, ses gants crispins, le carnaval enfin qu’il promenait toute l’année dans les rues sur sa personne4 ».
Pourtant Barbey, « chroniqueur de modes et courriériste mondain5 », auteur du fameux essai Du dandysme et de George Brummell, s’est précisément exprimé sur le fondement philosophique et métaphysique de l’élégance, du dandysme et de leurs codes. Il peut ainsi écrire dans Le Constitutionnel du 1er septembre 1845 : « […] nous croyons n’être pas si frivole en appelant la mode une chose très grave sous son apparente légèreté. Les questions de forme mènent le monde6. » Depuis, la critique contemporaine n’a pas manqué d’explorer ce sujet « grave » et désormais, nombreuses sont les analyses qui éclairent cette dimension 14de l’œuvre, qui entre en résonance avec ce qui semble relever tout autant d’un ethos que d’une posture. Aussi bien est-il important de revenir sur les textes consacrés à cette réflexion, y compris dans leur dimension stylistique7, afin de mettre au jour l’idiosyncrasie de l’écrivain dandy, qu’éclaire en outre une stimulante variation de focale, rendue possible par la diversité générique du corpus interrogé : essai, articles, mais aussi journaux intimes et fictions narratives. Pour développer cette réflexion profonde, en effet, l’écrivain déploie toutes les facettes de son art car c’est au croisement de ces approches multiples et complémentaires que la mode, les vêtements et les accessoires, ces menus objets qui complètent et rehaussent la parure, prennent tout leur sens. On voit ainsi saillir des modalités très spécifiques du dandysme « à la française8 » qu’édifie Barbey, comme le « dandysme militaire9 » ou le dandysme « sacerdotal10 ».
S’intéresser aux vêtements et aux accessoires suppose en outre la prise en compte de rituels, intimes ou sociaux. Car la mode, les tissus et les vêtements gagnent à être envisagés dans leurs fonctionnalités relationnelles, dimension de l’œuvre plus rarement abordée. Dans cette perspective, l’attention portée aux objets et aux détails ou singularités vestimentaires – la cape11, la « mise espagnole12 », les robes des femmes13, les accessoires14 ou toute autre vêture15 – fait sens. Mais l’écriture n’est jamais bien loin des rituels de la toilette et de ses fantaisies : « Avant d’entrer en écriture, tel un officiant, [Barbey] s’apprête d’un vêtement blanc qui ressemble à un surplis ou à un rochet qu’il recouvre ou non de sa célèbre tunique rouge, rehaussée de galons noirs et blancs », note ainsi Catherine Joseph16, qui voit dans cette habitude la mise en œuvre d’« un rituel vestimentaire épiphanique qui annonce la genèse de sa création littéraire17 ». Et 15si l’épée à la puissante valeur symbolique ne peut plus faire partie de la tenue de l’écrivain, sa plume et la vigueur de son trait en sont le substitut18.
Pascale Auraix-Jonchière
1 Hugues Laroche, « Posture et figure chez Barbey d’Aurevilly », Romantisme, vol. 161, no. 3, 2013, p. 87-99.
2 « C’est un fait que pendant très (trop) longtemps, on a parlé de sa culotte au lieu de considérer sa littérature. » Philippe Berthier, Barbey d’Aurevilly et l’imagination, Genève, Droz, 1978, p. xii.
3 Hugues Laroche, art. cité, p. 87.
4 Cité par Hugues Laroche. Ibid.
5 Voir ici même l’article de Marie-Christine Natta.
6 Le Constitutionnel, 1er septembre 1845, « Revue critique de la mode (1) » p. 9.
7 Voir les articles d’Alice De Georges, Mathilde Bertrand, Catherine Boschian-Campaner.
8 C’est la piste qu’explore Joël Fusco.
9 Voir l’analyse de Jonathan Ruiz de Chastenet.
10 Catherine Joseph, « Jules Barbey d’Aurevilly, un dandy en habit sacerdotal ».
11 Voir notamment sur ce point Catherine Boschian-Campaner.
12 Éric Hendrycks.
13 Voir Pascale Auraix-Jonchière.
14 Voir l’analyse d’Élise Sorel.
15 Shoshana-Rose Marzel.
16 Voir p. 133.
17 Ibid.
18 Voir Pierre Glaudes, « L’épée, accessoire aurevillien ? », p. 151.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-10485-8
- EAN : 9782406104858
- ISSN : 0035-2136
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-10485-8.p.0013
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 22/04/2020
- Périodicité : Mensuelle
- Langue : Français
- Mots-clés : Tenue vestimentaire, accessoires, élégance, dandysme, philosophie, ethos