Avant-propos
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Mélodrames. Tome IV. 1809-1810
- Pages : 9 à 12
- Collection : Bibliothèque du théâtre français, n° 50
Avant-Propos
Les années 1809-1810 couvertes par ce quatrième tome constituent une période difficile pour l’auteur Pixerécourt qui, comme nombre de ses confrères, se voit contraint par un pouvoir politique autoritaire. Le décret du 29 juillet 1807, en limitant le nombre des salles de spectacle, avait anéanti ses chances d’être de nouveau programmé à l’affiche d’un des théâtres « secondaires » : la Porte-Saint-Martin, où Pixerécourt avait remporté ses plus grands succès en 1805-1806, avait été fermée par décret ; l’Ambigu-Comique, dont la direction était toujours assurée par le comédien Corsse, ne pouvait en aucun cas servir de contrepartie dans la mesure où Pixerécourt conservait des relations difficiles avec son directeur, pour des raisons financières essentiellement. Corsse continuait en effet d’exploiter les anciens mélodrames de l’auteur inscrits à son répertoire : Le Pèlerin blanc, La Femme à deux maris, Tékéli, L’Homme à trois visages furent ainsi régulièrement joués à l’Ambigu en 1809-1810, le plus souvent pour une ou deux soirées ponctuelles placées entre deux pièces nouvelles, ce qui, en matière de droits d’auteur, ne rapportait pas beaucoup d’argent.
C’est pourquoi Pixerécourt avait besoin de compter sur un autre appui afin de faire représenter ses mélodrames nouveaux. Jean-Baptiste Dubois, ancien directeur de la Porte-Saint-Martin, lui offrit cette opportunité en devenant « directeur de la scène » au théâtre de la Gaîté au printemps 1808. Sa première initiative fut de favoriser la réception de L’Ange tutélaire, ou le Démon femelle en avril 1808 (cette pièce figure dans le troisième tome de cette édition), une autre fut d’inciter François-Charles Bourguignon, nouvel administrateur de la Gaîté, à initier des travaux d’envergure pour agrandir la scène et l’enrichir des techniques récentes de l’illusion. Cette rénovation était nécessaire pour accueillir La Citerne, mélodrame en 4 actes, en prose et à grand spectacle, écrit en amont de L’Ange tutélaire et reçu en 1807 au théâtre de la Porte-Saint-Martin. La Citerne, qui ouvre ce quatrième tome, se donne par son usage des éléments du spectaculaire comme une synthèse et un dépassement des méthodes 10de fabrique du mélodrame « à grand spectacle » que Pixerécourt avait développé dans les années 1805-1806. Rattrapée par l’actualité politique au moment de sa première représentation, le 14 janvier 1809, elle eut en outre à souffrir les affres de la censure.
Car La Citerne, qui puisait dans le fonds littéraire du Siècle d’or et du roman picaresque, fut en effet représentée en pleine guerre d’Espagne, au moment même où Napoléon pénétrait dans la péninsule ibérique. Contraint de supprimer les formules élogieuses à l’égard des Espagnols, Pixerécourt prit alors conscience de l’infléchissement que les censeurs pouvaient imposer aux pièces, et de la possibilité que le mélodrame devienne par ce biais l’instrument de la propagande napoléonienne. C’est ce qui explique sans doute pourquoi il délaisse pour un temps le mélodrame. Soucieux de renouer avec les théâtres lyriques (auxquels il avait destiné ses toutes premières œuvres), il rédige un drame lyrique, La Rose blanche et la Rose rouge, qu’il parvient à faire représenter sur la scène de l’Opéra-Comique au mois de mars 1809. La pièce, qui remporte un beau succès, avait été composée sur fonds historique de la Guerre des Deux Roses ; elle lui procure la matière à l’élaboration d’un nouveau projet mélodramatique, Marguerite d’Anjou, auquel Pixerécourt travaille d’arrache-pied entre le 1er août et le 13 octobre 1809.
Le projet était audacieux puisqu’il s’agissait d’ériger Marguerite d’Anjou, princesse de Lorraine et reine consort d’Angleterre, en symbole de la légitimité persécutée. Le sujet « anglais » était d’autant plus périlleux que Napoléon avait durci le Blocus continental et engagé la Grande Armée dans des affrontements guerriers contre la cinquième coalition sur plusieurs fronts en Europe. Placée entre les mains des censeurs au mois de novembre 1809, la pièce y resta de longs mois avant d’être finalement autorisée, moyennant d’importantes corrections. Représentée à la Gaîté à partir du 11 janvier 1810, Marguerite d’Anjou ne présentait plus, dans sa version scénique, aucune allusion pouvant être décryptée comme une mise en cause de la légitimité du pouvoir de l’Empereur. Sans doute parce que Pixerécourt, désormais expert dans le maniement des outils du grand spectacle, avait enrichi sa pièce de couplets patriotiques et anti-anglais (qui disparaîtront, d’ailleurs, dans la version éditée du mélodrame), et surtout parce qu’il l’avait dotée d’un personnage de Français qui, occupant l’emploi du niais mélodramatique, est responsable du dénouement héroïque.
11C’est exactement la même formule qu’il réutilise quelques mois plus tard pour Les Ruines de Babylone, jouée à la Gaîté à partir du 30 octobre 1810. Ce mélodrame historique, qui puise dans le fonds légendaire de la dynastie des Barmécides, engage une critique du pouvoir impérial et fut, lui aussi, exposé aux ciseaux d’Anastasie. Enrichi d’une musique militaire dont la thématique est assez étrangère à l’exotisme de la fable, il revendique, dans sa version scénique, une dimension nationaliste en rendant hommage aux victoires de la Grande-Armée. L’examen des manuscrits n’en renseigne pas moins sur les intentions premières de l’auteur : « Il est juste que ceux qui sont forcés d’obéir soient plus ingénieux que celui qui commande » fait dire, par exemple, Pixerécourt à l’un des personnages des Ruines de Babylone. Lieu de la double énonciation, cette réplique, évidemment supprimée par la censure, témoigne de la façon dont Pixerécourt, à partir des années 1809-1810, infléchit l’écriture de son mélodrame en réaction au néo-césarisme de Napoléon.
Les trois mélodrames contenus dans ce tome, qui sont tous édités avec leur musique de scène originale, offrent un éventail particulièrement intéressant pour mesurer l’orientation nouvelle du mélodrame pixerécourtien aux lendemains du décret de 1807. La Citerne, conçue peu avant cette date, s’offre par sa nature métadramatique comme la conclusion d’une époque au cours de laquelle Pixerécourt avait cherché à explorer au plus près la contiguïté entre la scène et l’écrit. Dans le contexte politique très contraignant des années 1809-1810, l’auteur se réapproprie la formule du « mélodrame historique » et propose, avec Marguerite d’Anjou et Les Ruines de Babylone, deux pièces qui, construites sur le même modèle dramaturgique, interrogent la figure du pouvoir tout en satisfaisant, par les moyens de la mise en scène, les desiderata d’un gouvernement soucieux d’alimenter la ferveur nationale par la voie du théâtre. Notre édition critique, parce qu’elle s’appuie sur l’ensemble des documents conservés (manuscrits de l’auteur, de la censure, éditions et partitions musicales), offre l’accès aux coulisses de la fabrique du mélodrame pixerécourtien dans les années glorieuses de l’Empire et de la conquête territoriale ; elle révèle un auteur désireux de se faire représenter, et donc habile dans les remaniements qu’il opère de façon à satisfaire les vues du gouvernement ; mais elle révèle aussi un auteur qui tente de conserver intact, au cœur même de l’intrigue 12mélodramatique, le questionnement qui arme sa plume depuis le début de sa carrière, à savoir celui qui sonde la légitimité du pouvoir dans son rapport avec le droit, la justice et la vertu.
Roxane Martin
- Thème CLIL : 3622 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Théâtre
- ISBN : 978-2-406-06598-2
- EAN : 9782406065982
- ISSN : 2261-575X
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-06598-2.p.0009
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 08/08/2018
- Langue : Français