Résumés
- Type de publication : Article de collectif
- Collectif : Lettres de noblesse II. L’imaginaire nobiliaire dans la littérature française du xxe siècle
- Pages : 209 à 214
- Collection : Carrefour des lettres modernes, n° 2
Résumés/Abstracts
David Martens, « L’imaginaire nobiliaire de la littérature française du xxe siècle »
En raison des transformations socioculturelles qui la caractérisent, la première moitié du xxe siècle paraît traversée par une préoccupation marquée pour la noblesse, qui a continué d’exercer une fascination sur les écrivains. Davantage, c’est tout au long du siècle que l’imaginaire nobiliaire a contribué à orienter les dynamiques mutationnelles de la littérature, en fonction de paramètres qui, par bien des aspects, relèvent d’une tradition que la modernité tend à battre en brèche.
Because of the sociocultural transformations characterising it, the first half of the twentieth century seemed remarkably preoccupied with the nobility, which continued to exert a fascination on writers. The nobiliary imaginary thus helped shape the mutational dynamics of literature throughout the century, in function of the parameters which, in many respects, related to a tradition that modernity sought to demolish.
Paul-André Claudel, « Ex Oriente Lux ? Aristocratisme et snobisme chez les derniers voyageurs en Orient (1900-1930) »
Pour les écrivains de la première moitié du xxe siècle, le voyage en Orient n’a plus le prestige d’autrefois : à Constantinople comme au Caire, le grand rêve d’évasion s’est démocratisé, et des grappes de touristes ont remplacé les promeneurs solitaires. La prose narrative de l’entre-deux-guerres reflète ainsi le déclin du pittoresque traditionnel lié à l’Orient et la naissance de l’archétype du voyageur blasé, dernier avatar du dandy de la décadence.
For writers of the first half of the twentieth century, travel in the East did not hold the prestige it once had: whether in Constantinople or Cairo, the great dream of escape had been democratised, and hordes of tourists had replaced solitary travellers. Narrative prose of the interwar years thus reflects the decline of the traditional
picturesque linked to the East and the birth of the archetype of the blasé traveller, the latest transformation of the decadent dandy.
May Chehab, « Saint-John Perse, prince par l’absurde »
La poésie altière de Saint-John Perse illustre un renversement des anciennes valeurs sociétales et leur transmutation dans un nouveau système de distinction, poétique, auquel la pensée acérée de Nietzsche n’est pas étrangère. Le poète transforme ainsi les attributs traditionnels de l’aristocratie : l’hérédité par le sang, la supériorité sociale, le rapport à l’histoire et à la religion se voient métamorphosés pour donner corps à un imaginaire que le pseudonyme de l’écrivain cristallise.
The stately poetry of Saint-John Perse illustrates a reversal of old societal values and their transformation into a new system of poetic distinction, well known to the caustic thought of Nietzsche. The poet thus transforms the traditional attributes of the aristocracy: heredity by blood, social superiority, and the rapport with history and religion are metamorphosed in order to give body to an imaginary crystallised by the writer’s pseudonym.
Marie Sorel, « Henry de Montherlant ou le revers du blason »
Chez Henry de Montherlant, la convocation d’une imagerie aristocratique revêt une dimension éminemment stratégique. Il s’agit non seulement d’asseoir une noblesse que d’aucuns jugent douteuse mais aussi de se forger une image héroïque. Mais les attaques dont l’auteur est victime à la Libération et le discrédit dans lequel il est aujourd’hui tombé invitent à pointer les limites de la morale aristocratico-chevaleresque qu’il a affichée tout au long de son œuvre.
In the work of Henry de Montherlant, the convocation of an aristocratic imaginary is, in part, highly strategic. It is not only a question of establishing a nobility of which some are doubtful, but also of forging a heroic image. But the attacks the author was subjected to at the Liberation, and the discredit he has fallen into today, point to the limits of the aristocratic-chivalric morality displayed throughout his work.
Michael Kohlhauer, « Valeurs de la noblesse littéraire chez Georges Bernanos »
La filiation nobiliaire sous-tend de part en part l’œuvre de Bernanos, à la manière d’un regret, d’un idéal perdu, mais aussi d’une espérance et d’un pari pour le monde. À défaut d’une théorie, d’un système de pensée en bonne
et due forme, l’œuvre de combat en appelle aux valeurs d’une aristocratie de l’esprit plus idéalisée que réelle ou advenue, où la référence à l’Histoire majuscule de l’ancienne France chrétienne et monarchique fonde le projet, tant poétique que politique, de l’écrivain.
The nobiliary affiliation underpins all of Bernanos’s work in the manner of a regret or lost ideal, but also of a wager on the world, and hope. In place of a theory or proper system of thought, the combative work appeals to the values of a spiritual aristocracy, more idealised than real, in which references to the history of an old, Christian, and monarchic France establish the author’s project, which is as much poetic as political.
Olivier Odaert, « La haute noblesse. Poétique de la valeur de Nietzsche à Saint-Exupéry »
Nietzsche, bien qu’il ait défini sa philosophie comme une inversion du platonisme, en a fréquemment repris les termes, ce qui a pu conduire à voir dans sa pensée un idéalisme aristocratique. Mais Antoine de Saint-Exupéry, aristocrate familier de l’altitude et lecteur de Nietzsche a, plus tard, développé une poétique de la noblesse qui constitue une continuation paradoxale et méconnue du travail de son prédécesseur en se surprenant à faire de la hauteur un abîme et de la grandeur, une bassesse.
Nietzsche, although he defined his philosophy as an inversion of Platonism, frequently used its terms, which might lead us to identify an aristocratic idealism in his thought. But Antoine de Saint-Exupéry, a high-flying aristocrat and a reader of Nietzsche, later developed a poetics of nobility which constituted a paradoxical and little-known continuation of his predecessor’s work, in which he found himself making an abyss from height, and something base from something great.
Laurent Déom, « De quoi Serge Dalens est-il le nom ? L’écriture de la noblesse comme quête identitaire »
Si la noblesse apparaît souvent dans l’œuvre de Serge Dalens, auteur phare de la collection de romans scouts « Signe de piste », ce n’est pas seulement comme symbole d’un ordre social dont il entretiendrait la nostalgie. Sur un plan plus intime, elle révèle un questionnement personnel à propos de la transmission familiale, spécialement celle qui lie le fils à son père, et participe pour l’auteur à un processus d’invention de soi dans lequel l’écriture joue un rôle déterminant.
Nobility often appears in the work of Serge Dalens, the pioneering author of the collection of scouting novels “Signe de piste”, but it is not only a nostalgic symbol of social order. At a more personal level, it reveals a process of personal interrogation about familial transmission, specifically that which links son to father, and, for the author, it participates in a process of self-invention in which writing plays a determining role.
Michel Bertrand, « “Toutes les bergères seront des reines”. Roger Vailland prosélyte d’une authentique aristocratie populaire »
L’aristocrate, qui sous l’Ancien Régime se situait au faîte de la pyramide sociale, est selon Roger Vailland représenté par le bolchevik, l’homme de qualité par excellence de la classe ouvrière. Toutefois, la désinvolture, davantage que l’adhésion au dogme, marque le comportement de cet aristocrate des temps nouveaux, caractérisé par l’indifférence, le désintérêt et l’impassibilité, apanages d’un être libre, dont la souveraineté ne peut s’exercer qu’au sein de la solitude.
The aristocracy, situated at the pinnacle of the social pyramid under the ancien régime, is, for Roger Vailland, represented by the Bolshevik, the elite member of the working class. At the same time, it is nonchalance much more than adhesion to dogma which characterises the behaviour of this new aristocracy, characterised by indifference, disinterest, and impassibility, the privileges of free beings whose sovereignty can only take effect in solitude.
Emmanuel Deronne, « “L’aristo” ou l’étrange noblesse du romancier Robert Reus et de ses avatars »
Dans La Foire (1946), puis dans Le Printemps des éclopés (1980), Robert Reus attribue à son avatar un nom noble. Ce choix, à l’opposé de son ancrage politique, paraît à première vue contradictoire. Mais son statut d’écrivain débutant présente certaines analogies avec celui de la noblesse, marginalisée en démocratie. Cette étude montre que l’auteur a été le sujet d’interrogations liées à l’espoir d’un changement violent de statut et donc d’identité sociale, que l’idée de noblesse a incarné.
In La Foire (1946), and then in Le Printemps des éclopés (1980), Robert Reus gives a noble name to his avatar. This choice, opposed to his political convictions, might seem contradictory at first. But his status as a novice writer presents certain analogies with that of the nobility, marginalised by democracy. This study shows that the author
has been the subject of interrogations linked to the hope for a violent change of status, and thus social identity, which the idea of nobility incarnates.
Christophe Meurée, « “Tout cela est si noble que j’en crève”, Albert Cohen »
De la cohorte de personnages d’aristocrates jusqu’à la posture de prince oriental prisée par l’écrivain, l’imaginaire nobiliaire paraît central dans la vie et l’œuvre d’Albert Cohen. Il se caractérise par une grande complexité, la noblesse étant à la fois un modèle moral désirable et une ambition sociale méprisable. Seuls les personnages investis d’un sacerdoce prophétique – à l’instar de l’écrivain – parviennent à séparer le bon grain de l’ivraie au sein de cette surcharge symbolique.
From the cohort of aristocratic characters to the posture of the Oriental prince adopted by the writer, the nobiliary imaginary appears as a central presence in the life and work of Albert Cohen. It is characterised by complexity, nobility being at once a desirable moral model and a contemptible social ambition. Only characters with a prophetic calling –like the writer– manage to separate the wheat from the chaff in this symbolic overloading.
Sylvain David, « La morgue du cépuscule. Cioran et Guy Debord »
Un souci de distinction a poussé de nombreux écrivains français, du xixe siècle et de la première moitié du xxe, à cultiver un ethos rappelant l’aristocratie de l’Ancien Régime. Que signifie une telle attitude lorsqu’elle se voit perpétuée ultérieurement par des penseurs désenchantés comme Cioran ou Guy Debord ? Cet article interroge leur prédilection tant pour les formes esthétiques classiques que pour une noblesse déchue afin de mieux cerner le paradoxal rapport au commun qui en découle.
A concern with distinction led numerous French writers, from the nineteenth century to the first half of the twentieth century, to cultivate an ethos recalling the aristocracy of the ancien régime. What does such an attitude signify when it is ultimately perpetuated by disenchanted thinkers like Cioran or Guy Debord? This article interrogates their predilection for classical aesthetic forms as well as a deposed nobility so as to grasp better the paradoxical relationship with the common which emanates from it.
Myriam Watthee-Delmotte, « La noblesse de l’écrivain, une ligne de risque. Qui dit “je” dans l’œuvre de Yannick Haenel ? »
Jan Karski de Yannick Haenel, qui s’attache à la figure historique d’un témoin empêché de la Shoah, conduit à se demander comment arriver à parler de l’extermination des Juifs, que l’on en ait ou non été le témoin ? Pour répondre à cette interrogation, l’auteur met en œuvre un imaginaire de la noblesse comprise comme une dignité maintenue dans la violence. Cet imaginaire hante son univers pour mettre en œuvre une posture d’auteur particulière, qui implique une prise de risque assumée.
Jan Karski by Yannick Haenel, which focuses on the historical figure of a controversial witness of the Holocaust, asks how, witness or not, we manage to speak about the extermination of the Jews. To respond, the author constructs an imaginary of nobility, the latter understood as dignity maintained in violence. This imaginary haunts his universe, establishing a particular authorial posture which implies a risk, willingly taken.
David Martens, « La noblesse dans les lettres II. Une face cachée de la modernité littéraire »
En tant que système de représentation régi par une logique spécifique, l’imaginaire nobiliaire a eu un impact, considérable, mais encore relativement méconnu, sur la littérature française du xxe siècle. Cet article, et le volume dont il propose la synthèse, ont pour ambition de cerner certaines des lignes de force de cet imaginaire historiquement déterminé.
As a system of representation governed by a specific logic, the nobiliary imaginary has had a considerable, but still relatively poorly appreciated, impact on twentieth-century French literature. This article, and the volume of which it offers a synthesis, aims to grasp the principal threads of this historically determined imaginary.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-8124-5062-4
- EAN : 9782812450624
- ISSN : 2494-7520
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-5062-4.p.0209
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 21/04/2016
- Langue : Français