Préface
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Leibniz et le meilleur des mondes possibles
- Pages : 11 à 12
- Collection : Les Anciens et les Modernes - Études de philosophie, n° 19
Préface
Ce livre rassemble dix études, certaines inédites d’autres reprises d’articles déjà publiés. Il ne s’agit pas d’une collection de textes dont l’unité thématique aurait été trouvée après coup, artificiellement, pour des besoins éditoriaux. Le tout a ici précédé les parties, car celles-ci ont été écrites dans le même but : tâcher d’expliquer cette thèse leibnizienne si connue – et en même temps si caricaturée, si mal comprise – de l’existence du meilleur des mondes possibles. Cette thèse est au cœur de la théodicée. L’expliquer, c’est en déployer le sens et les implications, sur le plan à la fois théorique et pratique. Que signifie l’affirmation selon laquelle Dieu a créé le meilleur univers ? Certainement pas que « Tout est bien » ou que « Tout va pour le mieux ». La « perfection » du monde exclut-elle son progrès et celui des êtres qui l’habitent ? Un progrès est possible, mais les formes qu’il peut prendre sont multiples et diverses. Que peut enfin vouloir dire vivre et agir dans un tel monde ? S’il est le meilleur possible, quel rôle y joue l’homme ? Le Royaume de Dieu arrivera bien sans nos prières et sans nos soins, disait Luther. La morale leibnizienne ne consiste pourtant ni à se retirer des affaires du monde, ni à se soumettre à un destin qu’il faudrait accepter avec patience, mais à agir, toujours et sans relâche, pour que le « meilleur » advienne.
Le meilleur n’est pas le Paradis, répond Leibniz à qui chercherait un terme au progrès universel. Nous serions tentés d’ajouter : le meilleur, c’est mieux que le Paradis, car il laisse toujours quelque chose à réformer, à améliorer, à perfectionner. En un mot quelque chose à faire et à penser. Étrange fortune cependant que celle de cette doctrine de l’« optimisme » en France au xviiie siècle, d’abord applaudie puis jugée suspecte par les jésuites, enfin rejetée comme trop systématique, trop métaphysique par les encyclopédistes. La théodicée : un plaidoyer déiste, un fatalisme et un matérialisme cachés ? Leibniz avait certes identifié Dieu à la Raison universelle, mais il en avait rappelé aussi la nature personnelle et aimante.
Il avait fait de l’esprit un être naturel en même temps qu’un être libre, participant à l’ordre moral de la grâce. La théodicée, trop détachée de l’expérience, oubliant les souffrances du monde au nom d’une vision cosmique, grandiose mais si lointaine ? Mon mal ne cesse pas d’être un mal parce qu’il fait le bien de mon maître. La théodicée ne se tait pas devant le mal. Mais peut-être ne voulons-nous pas l’entendre, peut-être est-elle trop sérieuse pour nous, pour nous qui confondons le bien et le meilleur et le bien avec notre seul bien.