Introduction
- Publication type: Book chapter
- Book: Le Sentiment religieux dans La Comédie humaine. Foi, ironie et ironisation
- Pages: 457 to 458
- Collection: Studies in Romanticism and the Nineteenth Century, n° 97
- Series: Balzac, n° 7
Dans La Comédie humaine, l’ironisation, qui est un mode critique qui permet de figurer le réel tout en le problématisant, fonde la représentation du sentiment religieux. Or l’ironisation n’est pas une description, mais bien une pensée active, une construction narrative qui joue de la réversibilité des significations, de la coexistence des contraires et de la déstabilisation permanente du lecteur pour créer une indécidabilité axiologique. Il s’agit donc dans cette partie d’analyser le geste d’ironisation dans son entier, c’est-à-dire à la fois d’étudier les procédés qui le fondent, les dispositifs poétiques qui le construisent et les effets de lecture qu’il induit. Nous proposerons d’abord une définition théorique et générale de ce que nous appelons ironisation, avant d’étudier trois modalités principales de l’ironisation du sentiment religieux.
La première modalité consiste à problématiser la représentation de la transcendance. Car la création balzacienne choisit d’interroger le présent en refusant toute pensée fondée sur des catégories fixes et opposées : le modèle métaphysique, qui passe par la croyance en une transcendance divine permettant d’assigner des significations stables aux événements, est ainsi remis en cause par la multiplication de disjonctions qui procèdent à un bouleversement généralisé du sens en interrogeant à la fois l’idée même de justice divine et le rapport au temps qu’elle fonde. Les fictions balzaciennes organisent en effet des contradictions fondamentales entre des lectures religieuses des événements et une pensée du hasard : la diégèse des romans, l’agencement des événements, la trajectoire des personnages fonctionnent comme autant d’ironies narratives qui proposent un constant retournement entre des interprétations contradictoires et incompatibles. Ces multiples disjonctions ne mettent alors pas tant en valeur l’inexistence ou l’absence de toute instance transcendante que l’ironie railleuse qui semble la définir : en associant le retournement dynamique, la fusion des contraires et les ironies du sort, les romans dessinent une instance divine qui se trouve associée à un point de tension du sens, voire à un évanouissement de toute signification, et fondent un rapport problématique au temps qui remplace la temporalité religieuse par une autre forme d’infini ne fondant aucun au-delà métaphysique.
458En outre, l’ironisation du sentiment religieux est construite à partir de diverses stratégies énonciatives qui problématisent la signification axiologique de la représentation en développant une unité fondamentalement polyphonique. Cette polyphonie se traduit d’abord par une réflexion autour du langage et des modèles de représentation, qu’elle n’hésite pas à détourner jusqu’à en proposer parfois la parodie, mais elle se fonde également sur la mise en jeu des postures d’autorité, la multiplication des diverses positions narratoriales et l’éclatement des points de vue. Développant plusieurs discours d’autorité opposés qui tous ont trait au sentiment religieux et à la religion, les romans démultiplient les voix et les ambiguïtés qui compromettent l’homogénéité idéologique, rompent l’unité axiologique de la représentation et donnent alors naissance à une poétique générale de la polyphonie et du contresens.
L’ironisation, en énonçant un discours idéologique fortement ambivalent, permet alors de juxtaposer les lectures les plus diverses et de faire cohabiter les catégories normalement incompatibles que sont le sublime et l’ironie. Le sublime religieux semble en effet constamment miné par le geste d’ironisation qui le problématise et le retourne en son inverse ; la représentation annule la distance entre des catégories inconciliables, fait cohabiter les interprétations contradictoires et propose un basculement d’un extrême à l’autre : le récit n’est plus ironique ou sublime, il est les deux à la fois. Fondée sur un principe d’inversion et de réversibilité, l’ironisation assume ainsi la solitude radicale dans laquelle elle laisse le lecteur en construisant une profonde hésitation entre des interprétations contradictoires, et elle crée ce faisant une représentation axiologiquement instable apte à embrasser l’ensemble d’un réel lui-même oxymorique.
- CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN: 978-2-406-09254-4
- EAN: 9782406092544
- ISSN: 2258-4943
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-09254-4.p.0457
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 12-09-2019
- Language: French