Préface
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Langues de bois, de pierre et de verre. Latin et français dans les inscriptions médiévales
- Auteur : Treffort (Cécile)
- Pages : 11 à 13
- Collection : Histoire culturelle, n° 7
Préface
M’ayant fait l’amitié de solliciter une préface de ma part pour son ouvrage, Estelle Ingrand-Varenne m’a surtout fait un grand honneur. Depuis la soutenance de sa thèse, elle est en effet devenue, en quelques années, une figure incontournable de l’épigraphie médiévale française, à la fois comme éditrice et comme chercheuse. Chargée, depuis son recrutement au CNRS en 2013, de la rédaction du Corpus des inscriptions de la France médiévale, très active dans l’accueil, l’encadrement et la formation de jeunes chercheurs, elle s’est par ailleurs déjà distinguée, tant en France qu’à l’étranger, par sa participation à diverses manifestations scientifiques ou programmes de recherche et par la publication de plusieurs articles.
Quelques années après la parution du travail doctoral de Vincent Debiais, Messages de pierre. La lecture des inscriptions dans la communication médiévale, xiiie-xive siècle (Brepols, 2009), le beau livre d’Estelle Ingrand-Varenne, lui aussi issu d’une thèse soutenue à Poitiers, vient enrichir considérablement la compréhension des documents épigraphiques médiévaux dont les prémices avaient été lancées en France dans les années soixante-dix par les études pionnières de Robert Favreau. Sa recherche est ainsi fortement enracinée dans l’entreprise éditoriale du Corpus des inscriptions médiévales, soutenue par le fonds documentaire de l’inscripthèque du Centre d’études supérieures de civilisation médiévale, stimulée par les réflexions méthodologiques et scientifiques partagées au sein de l’équipe poitevine ou dans de fructueux échanges avec d’autres chercheurs français et étrangers. Toutefois, c’est à sa solide érudition personnelle, à sa subtile intelligence et à son généreux sens pédagogique que le travail d’Estelle Ingrand-Varenne doit ses plus grandes qualités et sa coloration propre.
Forte d’une formation en lettres classiques, elle a en effet su donner à l’analyse du discours épigraphique médiéval une vraie dimension historique qui permet d’en cerner les modalités, les enjeux, voire les incidences 12dans la société contemporaine. Nourrie des concepts de la linguistique, qu’elle maîtrise assez parfaitement pour les utiliser sans affectation et les appliquer avec finesse à la matière épigraphique, elle réussit à renouveler, presque à révolutionner, l’appréhension de cette dernière. Partant d’une question simple en apparence, à savoir le passage du latin au français dans les inscriptions, elle s’est dégagée progressivement de ses habituels corolaires, notamment du concept de diglossie, pour mettre en lumière, grâce à la mise en œuvre de méthodes sociolinguistiques, la porosité, voire la mixité des langues latine(s) et vernaculaire(s) dans cette France de l’Ouest si peu souvent étudiée. Plus encore, laissant parler ses sources et surtout sachant les écouter, elle a également compris, très vite, que la langue n’était qu’un des aspects d’un véritable langage épigraphique, avec ses codes, ses références, son esthétique propre, qu’elle s’est attachée à identifier et décrire précisément.
La mise en valeur des procédés qui visent à la simplicité, à la brièveté, à la densité du discours, à la fois dans son contenu et dans sa forme, remet en cause l’habitude de voir en elles le fruit d’une contrainte purement matérielle ou pire, d’une défaillance culturelle : grâce à Estelle Ingrand-Varenne, la modestie et la concision des inscriptions ne peuvent plus être considérées comme des pis-aller, mais comme le résultat d’une véritable stratégie de communication, avec des règles visant à une efficacité maximale. En saisissant l’inscription comme une production verbale singulière, dans ses modes d’énonciation comme de réception, elle invite à revisiter à cette aune l’ensemble des formes de la culture écrite médiévale. Point d’aboutissement d’une réflexion personnelle riche et cohérente, ce livre sera sans doute, à ce titre, le point de départ de travaux ultérieurs qu’on peut espérer féconds.
La liste serait longue de tous les spécialistes qui liront avec bénéfice cette étude. Par son exploration minutieuse du texte, du point de vue du style, de la poétique autant que de la langue, à partir d’un matériau souvent méconnu, elle intéressera vraisemblablement linguistes et philologues. Elle ne manquera pas d’entrer en résonnance avec les réflexions actuelles des historiens d’art grâce à ses développements sur la mise en matière et en espace, donc en visibilité, du discours. Les paléographes feront leur miel des passages sur l’analyse graphique des inscriptions. Et parce que ces dernières, en tant qu’écriture exposée, sont omniprésentes dans le paysage médiéval, idéalement adressées à tous, et concernent 13l’ensemble de la société, c’est finalement l’ensemble des historiens que cet ouvrage concerne.
Tout médiéviste me paraît donc de fait pouvoir en tirer profit, tant pour son contenu que pour sa méthode. Alternant approches conceptuelles efficaces car concises, études de cas significatives car parfaitement choisies et approches synthétiques très suggestives, dans un style fluide et agréable, Estelle Ingrand-Varenne a insufflé à son propre travail la force qui réside dans ces inscriptions médiévales étudiées avec tant de finesse et d’élégance. On ne peut que la remercier d’avoir donné à la communauté scientifique une si belle contribution, si riche de promesses, et inviter le lecteur à en goûter avec délectation toutes les saveurs.
Cécile Treffort
Professeure d’histoire médiévale
à l’Université de Poitiers, CESCM
- Thème CLIL : 3378 -- HISTOIRE -- Histoire générale et thématique
- ISBN : 978-2-406-07129-7
- EAN : 9782406071297
- ISSN : 2430-8250
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-07129-7.p.0011
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 20/01/2018
- Langue : Français