Avant-propos
- Publication type: Article from a collective work
- Collective work: La Poésie dans les écritures dramatiques contemporaines
- Author: Bouchardon (Marianne)
- Pages: 7 to 9
- Collection: Encounters, n° 138
- Series: Theater studies, n° 1
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Avant-propos
L’ouvrage fondamental de Peter Szondi, Théorie du drame moderne (1880-1950), en retraçant l’histoire du passage du théâtre selon Aristote au théâtre selon Brecht ou, en d’autres termes, de la « forme dramatique » à la « forme épique », devait durablement orienter les recherches sur les écritures dramatiques contemporaines. Depuis sa publication, en effet, c’est la manifestation de l’instance auctoriale au sein du dialogue entre les personnages et, dès lors, l’ouverture des pièces de théâtre à une forme narrative d’énonciation qui est apparue comme le biais privilégié, sinon unique, de l’évolution de l’écriture dramatique depuis le milieu du xxe siècle. S’il est vrai que les travaux menés à l’université de Paris 3 par le groupe « Poétique du drame moderne et contemporain » n’ont pas manqué de critiquer la dimension quelque peu téléologique de l’approche de Szondi, reste que l’incontestable mouvement d’épicisation ou de romanisation du drame qu’il a mis en lumière continue de polariser les études universitaires au point d’occulter d’autres formes de renouvellement de l’écriture théâtrale durant ces dernières décennies. Ainsi, fort peu de travaux ont encore été consacrés à la récente ouverture du genre dramatique au genre poétique. Notre thèse, soutenue en 2004 sous le titre « Théâtre-poésie. Limites non-frontières entre deux genres du symbolisme à nos jours », en envisageant ce phénomène sous l’angle diachronique, avait tout au plus posé quelques jalons terminologiques, méthodologiques et historiques1. L’ambition du présent volume, parfaitement complémentaire de ce précédent travail, est résolument synchronique. La poésie, devenue prisme d’envisagement du théâtre contemporain, prétend permettre d’appréhender la subtilité et la complexité de ses procédés, de ses effets et de ses enjeux, sans pour autant en réduire la diversité – que réaffirme le pluriel du titre.
Après une longue introduction, où l’auteur de ces lignes pose le cadre général de la problématique, Denis Guénoun, dans un court texte polémique et incisif, propose de la formuler en termes de valeur : l’exigence poétique du théâtre est liée, selon lui, à une exigence morale d’élévation du public. Suivent ensuite cinq études monographiques, dont les deux premières se concentrent sur l’analyse des structures des pièces d’inspiration poétique. Céline Hersant montre ainsi comment le geste de découpage puis de collage et de montage accompli par Philippe Minyana lui permet d’aboutir à une écriture verticale, tissue de bribes de réel. Florence Bernard, pour sa part, décèle chez Bernard-Marie Koltès une entreprise de déstabilisation sensorielle et intellectuelle, visant à atteindre un rythme pré-articulatoire qui restitue au langage sa mobilité et sa musicalité. Ce souci de travailler à la fois avec et contre la langue, Jean-Marie Thomasseau le repère, lui aussi, dans le théâtre de Valère Novarina, dont il fait ressortir les affinités avec la poésie mystique : celle de saint Jean de la Croix ou de Madame Guyon, à l’instar desquels il s’engage dans la voie d’un lyrisme sans moi. Les deux textes suivants posent la question de la poésie au théâtre « après Auschwitz ». À travers son analyse de l’œuvre de Patrick Kermann, Marie-Isabelle Boula de Mareuil se demande ainsi comment le poète dramatique parvient à affronter la question de l’impossible témoignage dès lors que le langage a vu sa fonction de médiatisation réduite à néant par le brasier du milieu du siècle : le ressassement, le bégaiement et le délitement semblent alors le lot d’une langue de cendres et de poussières. À partir d’un minutieux examen de L’Instruction de Peter Weiss, Armelle Talbot montre, de son côté, en quoi la poétisation du matériau permet au théâtre documentaire de s’émanciper de la prose qui sert à la fois d’écrin et d’écran à la réalité et de déboucher par là sur des questionnements inédits.
Au théâtre, ne pourrait-on pas toutefois envisager que la poésie procède, autant que d’un effet du texte, d’un effet de mise en scène ? En s’appuyant notamment sur l’analyse de deux spectacles, l’un occidental (Cendrillon de Joël Pommerat), l’autre oriental (Wuturi de Kim Kwang-Lim), Patrice Pavis nous convainc ainsi que l’injection poétique procède souvent d’une intervention extérieure. C’est encore cette idée qu’illustre le témoignage de Jean-Marie Apostolidès, consacré à la mise en scène de Our Town de Thornton Wilder par Georges Lavaudant.
Michel Vinaver, dans le cadre de l’entretien qu’il a bien voulu nous accorder, revient sur les raisons de sa réticence personnelle à l’égard de la notion de « poésie » et sur la préférence qu’il accorde à une autre terminologie : celle qui lui permet de distinguer entre « pièce-machine » et « pièce-paysage ».
Le parcours critique accompli ici, s’il n’épuise pas les possibilités d’investigation sur la poésie dans les écritures dramatiques contemporaines, ouvre, en revanche, un chantier suffisamment neuf pour autoriser à lui souhaiter une postérité.
Marianne Bouchardon
Université de Rouen – CÉRÉdI
1 Marianne Bouchardon, « Théâtre-poésie. Limites non-frontières entre deux genres du symbolisme à nos jours », thèse de doctorat, sous la direction de Claude Leroy, Université de Paris X-Nanterre, 2004.
- CLIL theme: 4028 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes de littérature comparée
- ISBN: 978-2-8124-3664-2
- EAN: 9782812436642
- ISSN: 2261-1851
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-8124-3664-2.p.0007
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 12-16-2015
- Language: French