Résumés
- Publication type: Article from a collective work
- Collective work: La Mémoire en pièces
- Pages: 603 to 610
- Collection: Encounters, n° 436
- Series: Readings from the Latin Renaissance, n° 12
Résumés
Carlos Lévy, « Avant-propos. La memoria en réflexivité. Naissance d’une philosophie romaine de la mémoire »
Carlos Lévy montre dans son introduction comment à la fin de la République romaine s’élabora une structuration des opinions philosophiques rendant compte de la mémoire. Son rôle est minoré par l’Épicurien Lucrèce, qui semble avoir eu du mal à l’intégrer à son atomisme. Pour les Stoïciens, elle est une trace laissée dans l’hégémonique, sans que pour autant l’éthique cesse de se déployer dans le présent. Cicéron saura dépasser cet immanentisme pour orienter la mémoire vers la transcendance.
Michel Briand, « La mémoire entre mythe et histoire des avatars de Mémoire. Sur quelques figures poétiques de Μνημοσύνη »
Après une synthèse sur le rapport entre mémoire et temps en Grèce archaïque et classique, et en croisant anthropologie culturelle et littérature, cet article se concentre sur Mnémosyne, personnification divine, notamment dans le proème de la Théogonie d’Hésiode, chez Sappho et surtout Pindare. On s’intéresse aussi aux liens entre mémoire et inspiration/énonciation poétiques, avec les notions de vérité, gloire et mort, ou entre parole/écriture et image plastique comme « monuments ».
Christine Kossaifi, « Cristallisation de la mémoire et chant bucolique. Les Idylles de Théocrite au prisme du tableau de Roger Bissière »
Les Idylles bucoliques de Théocrite se construisent sur un prisme mémoriel particulièrement complexe, auquel Roger Bissière fait écho dans le tableau qu’il a peint entre 1946 et 1947, en Hommage à Théocrite. Celui-ci construit en effet une mémoire bucolique, portée par le chant des pâtres (mémoire individuelle), par les mythes qu’ils évoquent (mémoire collective) et par ses propres 604souvenirs (mémoire littéraire), en un jeu de cristallisations qui se retrouve à chaque fois dans le tableau de Bissière.
Mélanie Lucciano, « Constitution de la mémoire des philosophes. Inscriptions, tombeaux, épitaphes et épigrammes dans les Vies et doctrines des philosophes illustres de Diogène Laërce »
L’association entre les dimensions doctrinale et biographique de la doxographie est centrale pour Diogène Laërce : la transmission des idées d’un philosophe doit s’accompagner de la constitution de la mémoire de sa vie transmise par des épigrammes en prose ou en vers. Elles font apparaître la dimension d’exemple ou de contre-exemple que doit prendre la mémoire des derniers instants du philosophe, moment crucial qui révèle l’adéquation du comportement aux principes professés.
Ermanno Malaspina, « Memoria, prudentia, oblivio, monumentum. Appunti per una semantica del ricordo in Cicerone »
Les utilisations de la mémoire chez Cicéron : les définitions en inv., II, 160 (où est identifié un précédent philosophique jusqu’ici ignoré pour le lien avec prudentia) et en I, 9 ; les « lieux » de la mnémonique ; la dialectique mémoire-oubli dans la polémique contre Épicuriens (De finibus) et Stoïciens (Lucullus) ; enfin, la mémoire historique et sociale. La deuxième partie examine la valeur de la mémoire des décédés pour la survie après la mort.
Évrard Delbey, « Conflits de mémoires. Mémoires tragiques, mémoire philosophique chez Sénèque »
La memoria est ce qui est activé, dans l’Œdipe, ou réactivé, dans la Phèdre de Sénèque. Participant au renversement de situation qui définit la tragédie par le bonheur devenant malheur, cette mémoire s’oppose à son bon usage dont le traité La vie heureuse précise la philosophie stoïcienne pour laquelle il s’agit de mettre en pratique la connaissance tragique de l’humaine condition afin de trouver, par la tranquillité de l’âme en harmonie avec elle-même et l’univers, l’au-delà même des situations tragiques.
605Carlos Lévy, « Les ossements de Joseph. À propos de la mémoire chez Philon d’Alexandrie »
Cet article consacré à Joseph fait apparaître la dimension prospective de la mémoire : le lieu dépositaire de ses restes fait en effet l’objet de rudes confrontations dans un espace, dans un temps et dans un contexte religieux bien éloignés de l’univers de la Bible dans lequel il a acquis sa réputation. La perpétuation du souvenir de Joseph prend même tout son sens une fois que ses restes sont sortis d’Égypte, c’est-à-dire du lieu qui aurait pu sembler l’espace adéquat pour sa commémoration.
Jean-Claude Julhe, « “Le figuier sauvage fend les marbres de Messalla”. Martial et les seuls monumenta qui ne sauraient mourir (À propos de Mart., X, 2) »
Dans la préface de son livre X, Martial présente les épigrammes comme des « monuments » capables de conserver durablement le souvenir de ceux pour qui elles sont composées. Toutefois, derrière les scrupules d’écrivain qui l’ont amené à réviser la première « édition » de son ouvrage, transparaît l’orientation nouvelle qu’il entend donner à celui-ci, après l’assassinat de Domitien : désormais, c’est au lecteur romain qu’il rend hommage, puisque c’est à lui qu’il est redevable de l’immortalité.
Mathilde Simon, « Qu’est-ce qu’un monumentum littéraire pour Servius ? »
Les mots monumentum et memoria apparaissent rarement dans le commentaire de Servius mais l’objectif du grammairien de la fin du ive siècle, essentiellement normatif, est le bon usage de la langue : les auteurs latins sont catalogués comme antiqui, ueteres, maiores, et pour les plus tardifs, neoterici, mais ils constituent seulement un cadre historique pour l’autorité de Virgile ; on peut supposer que de nombreux auteurs, comme Tite-Live, étaient déjà cités à partir de résumés ou d’extraits.
Catherine Baroin, « Les uestigia comme traces du passé et lieu de l’imitation »
Si la notion de monumentum est essentielle pour comprendre les formes et les enjeux de la mémoire dans le monde romain, il importe aussi de réfléchir sur le terme uestigia, qui désigne des traces du passé conservées parce qu’elles sont dignes de mémoire et parce qu’elles détiennent une valeur exemplaire. 606Vestigium ponere, « mettre ses pas dans », désigne précisément le fait d’imiter un illustre prédécesseur, que cela concerne l’apprentissage de l’éloquence, de la vie politique ou du métier militaire.
Valentina Torrisi, « La maison de Livie au Palatin, lieu de mémoire de l’Antiquité à nos jours »
Découverte en 1869, la maison de Livie est devenue célèbre grâce à ses magnifiques peintures. L’identification de la propriétaire avec l’épouse d’Auguste est due à la découverte d’un fistula gravée portant le nom Iulia Augusta. La maison die Livie constituait une partie luxueuse et importante du complexe residenciel augustéen du Palatin, jusqu’à la mort de Livie en 29. Des travaux ont dégradé cette maison qui n’est réapparue comme lieu de mémoire qu’au xixe siècle grâce aux fouilles de Pietro Rosa.
Eleonora Malizia, « La mémoire d’Ulysse dans les villas impériales d’époque julio-claudienne »
La figure d’Ulysse connaît à l’époque impériale ses plus spectaculaires représentations. La villa de Tibère à Sperlonga et la villa de Hadrien à Tivoli, en constituent les exemples les plus remarquables. Il convient de se demander comment la figure d’Ulysse a pu survivre à l’époque impériale dans les décors romains après l’émergence de la figure d’Énée, représenté quant à lui dans les espaces publics, grâce à l’analyse de la présence de ce mythe à l’intérieur des complexes impériaux.
Alexia Maquinay, « Le tablinum, un lieu de mémoire dans la maison romaine »
Le contenu du tablinum conservatoire de la mémoire officielle de la familia évolue au fil des siècles. Les représentations des membres illustres prennent la forme d’hermès ou de statues honorifiques élevées afin d’honorer un individu, sans doute de son vivant. Ces bustes conservés de génération en génération revêtent une fonction commémorative. Ils deviennent, au même titre que les imagines, des monuments de mémoire reflétant la volonté de glorifier la familia.
607Laetitia Ciccolini, « La construction de la mémoire des martyrs en Afrique pendant la première persécution générale »
La Correspondance de Cyprien de Carthage est une source précieuse sur la fabrication de la mémoire des martyrs par l’autorité ecclésiastique : valorisation du lien entre le martyr et sa communauté, importance du calendrier, définition large du terme « martyr », qui offre plusieurs modèles de conduites valorisées. Mais la pratique des billets de paix fait apparaître le décalage entre le discours de l’autorité et des pratiques spontanées que ce discours vient rationaliser et réguler.
Joëlle Soler, « Les lieux de mémoire dans quelques écrits de voyageurs de la latinité tardive. Égérie et le Pèlerin de Bordeaux) »
Cette contribution étudie la façon dont se constituent des lieux de mémoire chrétiens dans l’Antiquité tardive, à travers l’évolution sémantique du terme memoria. Plus que les termes monumentum ou sepulcrum, c’est le mot memoria qui s’impose, d’abord dans la langue épigraphique, pour désigner les tombeaux des martyrs ou les lieux, voire les objets, commémorant leur passion, et, dès l’Itinerarium du pèlerin de Bordeaux, puis chez Égérie, les tombeaux des personnages bibliques.
Jean-Baptiste Guillaumin, « Géographie et mémoire dans l’Ora maritima d’Aviénus »
L’Ora maritima, poème latin du troisième quart du ive siècle. ap. J.-C., décrit, à partir des Colonnes d’Hercule, une partie des côtes atlantiques ainsi que les côtes méditerranéennes jusqu’à Marseille. Aviénus y souligne l’ancienneté et la variété des matériaux qu’il utilise, donnant ainsi une dimension antiquaire et mémorielle au poème. Cette communication met en relation le projet poétique d’Aviénus avec le contexte intellectuel propre à l’aristocratie païenne de la seconde moitié du ive siècle.
Alice Lamy, « Les édifices religieux dans l’élaboration de la mémoire médiévale. L’exemple de Hildegarde de Bingen (1098-1179) »
Hildegarde de Bingen, première bénédictine célèbre du xiie siècle, met en scène l’histoire du salut avec force couleurs et flammes, et indique avec 608autorité les chemins du Paradis ou de l’Enfer. Ces décors sacrés étayent ainsi une double mémoire : une mémoire didactique qui permet à l’âme de fixer l’enseignement des mystères ainsi qu’une mémoire mystique et musicale, au-delà des mots et des monuments, qui invite l’âme à s’évanouir dans le souvenir des chants divins et de l’harmonie céleste.
Pierre Laurens, « Aeternum cupitis producere nomen (Pétrarque, Africa, II, 408). Réflexions sur la caducité du nom »
Tandis qu’ils dénonçaient les diverses stratégies imaginées par les hommes pour éterniser leur nom grâce à des monuments eux-mêmes périssables, philosophes et poètes ont souvent assuré que seul l’écrit détenait le pouvoir d’assurer véritablement l’immortalité : c’était oublier que l’homme est promis, selon Pétrarque qui a lu Boèce, à trois morts successives, celle du corps mortel, celle du sépulcre qui l’honore et le couvre, enfin celle du livre, censé sauvegarder sa mémoire mais appelé à périr.
Donatella Coppini, « Memoria e ricordo. Tumuli di carta e tumuli di pietra nella poesia di Giovanni Pontano »
Dans l’abondante production poétique de Giovanni Pontano (1429 ?-1503), les Tumuli inaugurent un véritable genre littéraire, celui de la poésie funéraire. Pontano fit graver quelques uns de ses poèmes sur les plaques de marbre fixées aux murs du célèbre « tempietto » napolitain érigé à la mémoire de sa famille. Cette contribution souligne l’importance du support qui véhicule le message en distinguant les fonctions et les effets de la mémoire confiée aux marbres de celles confiée aux pages de poésie.
Alfredo Perifano, « Monumenta de sorcières et de démons dans la Strix de Jean-François Pic de La Mirandole »
Le dialogue de Giovanfrancesco Pico della Mirandola, la Strix (1523), fait écho aux procès pour sorcellerie des années 1522 et 1523. Le grand nombre de citations des auteurs de l’Antiquité classique et l’attention philologique pour ces textes prennent des dimensions inédites et jettent les bases de ce que l’on peut définir comme une littérature humaniste de la sorcellerie dans laquelle s’accentue l’interprétation démoniaque des mythes transmis par la première tradition patristique.
609Johannes Bartuschat, « Sur la mémoire de la Rome républicaine dans la Toscane du xiiie siècle »
La lecture de l’histoire romaine au xiiie siècle en Italie revalorise la Rome républicaine, son idéal de liberté et ses vertus civiques, notamment à Rome et Florence, où s’élabore la légende des origines de la ville en lien avec la conjuration de Catilina : cet événement perçu comme un combat entre la liberté républicaine et la tyrannie des nobles annonce chez Brunet Latin l’humanisme civil et permet de redécouvrir Cicéron dans son rôle d’homme politique et d’orateur engagé dans la défense de la liberté.
Anne Raffarin, « Une mémoire réinventée. Les antiquités imaginaires d’Annius de Viterbe »
À la fin du xve siècle, Annius de Viterbe revisite l’histoire de l’Étrurie en prenant le contrepied de l’affirmation de Flavio Biondo, selon lequel Viterbe n’était pas une cité antique. Succédant à trois textes préparatoires des années 1490, en 1498 les Antiquitatum variarum commentaria XVII, recueil composite de fragments authentiques mais surtout vaste reconstruction mythologique, linguistique et épigraphique sont destinés à faire de Viterbe la capitale de l’antique dodécapole étrusque.
Giuseppe Marcellino, « Monumenti e memoria. La riscoperta del passato nel De situ insulae Siciliae di Claudio Mario Arezzo »
Après les premiers essais de géographie urbaine des xve et xvie siècles, Claudio Mario Arezzo, notable de Syracuse, décrit intégralement la Sicile et ses monumenta, selon la méthode déjà appliquée par Biondo dans l’Italia illustrata. Giuseppe Marcellino montre comment Arezzo qui présente son œuvre comme un monumentum littéraire, a exploré le rapport complexe entre reconstruction historique et invention de la mémoire, en étudiant la présentation de la ville de Messine, centre culturel actif dans l’île.
Raphaële Mouren, « Il viaggio di Hannibale per la Toscana de Piero Vettori ou la reconstruction d’un itinéraire »
Raphaële Mouren étudie un texte resté inédit à la mort de l’humaniste florentin Piero Vettori. Dans cette étude, il cherchait à reconstruire l’itinéraire 610d’Hannibal en Toscane en 218-217 av. J.-C. en utilisant les sources littéraires (Polybe, Strabon et Tite-Live) et sa connaissance des lieux, mais sans chercher à identifier d’autres sources historiques. Il s’agit ici d’analyser les problèmes rencontrés par Vettori et la façon dont l’humaniste a cherché à les résoudre.
Anne Raffarin et Guiseppe Marcellino, « Conclusion »
Les travaux menés par les intervenants sur les modalités d’élaboration de la mémoire dans les textes grecs et latins de l’Antiquité à la Renaissance ont fait apparaître une notion dynamique et plastique. Chargée de commémorer mais également de sauvegarder personnes, noms, événements, la mémoire se révèle en outre dotée d’une capacité à se redéployer. Les textes mettent en lumière la possibilité d’une reconstruction mémorielle et d’un réinvestissement de la mémoire dans de nouveaux espaces-temps.
- CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN: 978-2-406-09550-7
- EAN: 9782406095507
- ISSN: 2261-1851
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-09550-7.p.0603
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 10-12-2020
- Language: French