Résumés
- Type de publication : Article de collectif
- Collectif : La Douceur dans la pensée moderne. Esthétique et philosophie d’une notion
- Pages : 399 à 404
- Collection : Rencontres, n° 280
- Série : Lectures de la Renaissance latine, n° 9
Résumés
Pierre Laurens, « La violence de la douceur chez Pétrarque »
Envoûté par la uerborum quædam dulcedo et la sonoritas, Pétrarque joue avec force de la fonction intensément apaisante de la musique et du chant et de son efficacité éthique. Qu’elle exprime la violence du désespoir ou montre les visions enchanteresses, c’est par l’oreille que la poésie de Pétrarque veut accéder à l’âme, comme le fait entendre le parcours musical orchestré par l’auteur de l’article, du Canzoniere à l’Africa, guidé par les impressions de lecteur qu’exprime le poète dans ses Lettres.
Virginie Leroux, « Fortune d’un précepte horatien dans les poétiques néo-latines. Non satis est pulchra esse poemata ; dulcia sunto (Art poétique, 99). »
Conjuguée à l’utile dans les vers 343-344 de l’Épître aux Pisons, la douceur est dissociée de la beauté au vers 99. Cette distinction féconde suscite dans les commentaires humanistes une réflexion sur la nature de la séduction esthétique, sur les qualités du style et sur la place de l’ornementation dans le discours pathétique. Identifiée au plaisir procuré par la pitié, la douceur acquiert, par ailleurs, une valeur morale et équivaut à la joie de se conformer à la nature et à la volonté divine.
Jean-Frédéric Chevalier, « Douceur et ironie tragique dans les tragédies latines de l’humanisme »
Dans le contexte des tragédies de Sénèque, la douceur ne peut être que paradoxale. Par effet d’ironie tragique, la douceur exacerbe la violence. Les premiers poètes tragiques des Trecento et Quattrocento empruntent à Sénèque une certaine représentation de la douceur : on joue la douceur pour tromper sa victime et mieux assouvir sa soif de vengeance. L’illusion de la douceur est ainsi constitutive de l’univers de la tragédie. La douceur n’est qu’un masque que la tragédie dévoile.
400Hélène Casanova-Robin, « Dulcidia et leuamen : le prisme de la douceur dans l’œuvre poétique de G. Pontano. Entre idéal poétique et visée éthique »
La prééminence de la douceur dans l’œuvre poétique de Pontano révèle, outre l’élaboration d’une esthétique originale qui s’exprime dans l’inuentio et dans l’elocutio, l’illustration d’une réflexion éthique que l’humaniste théorise ailleurs, dans ses traités concernant l’art de vivre. La Campanie bénéficie ainsi d’une représentation idéale, orientée par une démarche étiologique qui ancre le territoire dans un substrat originel prédisposant à l’épanouissement de l’humanitas sous toutes ses formes.
Michael Edwards, « Shakespeare et la douceur »
Dans Shakespeare, le mot sweetness (qui signifie plus que douceur) participe à la création de toute une vision du monde. Signe d’une première saisie du réel dans le bonheur de vivre, il se trouve ensuite inextricablement mêlé à l’amer dans le malheur de vivre, avant de nommer ce qui transforme le malheur : la douceur du ciel, et la douceur de l’art, où même la sweet violence de la tragédie est située dans une dynamique et une forme qui dépassent la violence.
Daniel Dauvois, « Le conflit des douceurs au Traité de la comédie de Pierre Nicole »
Dans sa réflexion condamnant le théâtre, Nicole met en évidence le rapport de la douceur avec le plaisir, et l’ambivalence de cette conjonction. Ainsi les faux plaisirs du mondain naissant de l’exacerbation des passions et des vices s’opposent-ils aux plaisirs substantiels du chrétien se nourrissant de la parole de Dieu, la fausse douceur du spectacle théâtral et de son art de l’extériorité à la vraie douceur tout intérieure des vertus chrétiennes, patience recueillie, silence et humilité.
Laurence Boulègue, « Douceur, otium et vie contemplative dans le premier livre des Disputationes camaldulenses de Cristoforo Landino »
Landino, dans les Disputationes camaldulenses, ouvre une nouvelle page du débat sur les genres de vie en revenant sur la définition de la vie contemplative et en réfutant l’accusation d’indifférence dont le sapiens otiosus était l’objet. Il élabore alors une nouvelle figure du sage, dont la douceur, centrale dans 401la conception de son ascèse, ne saurait rompre le lien d’humanitas avec les autres hommes et permet l’articulation de la suave apathéia lucrétienne et de l’utilitas cicéronienne.
Alicia Oïffer-Bomsel, « “Revêtir l’humanité, dépouiller la sauvagerie…” : vers l’idéal d’humanitas. La sage alliance entre la parole et la vie dans l’œuvre de Juan Luis Vives »
Dans certaines œuvres de Jean-Louis Vivès, la douceur est au cœur de l’humanitas, un concept qui implique, selon l’auteur, le développement des qualités éthiques dont la tempérance. En même temps, dans la réflexion philosophique vivésienne, structurée en fonction de la recherche d’une finalité (telos), à savoir le Souverain Bien, l’humanitas est indissociable de la triade « amour de soi, humilité et connaissance de soi », que Spinoza reprendra à son tour, dans sa théorie des passions.
Édith Karagiannis-Mazeaud, « La douceur dans l’œuvre de Jacques Peletier du Mans »
Peletier place la douceur au cœur de sa conception du monde, de ses théories et pratiques d’écriture. Il y voit un idéal de comportement associé à la clarté, au contrôle de soi, et le plus puissant moyen d’action civil, politique et poétique. Elle permet d’élever son sujet vers la connaissance et l’harmonie. C’est une qualité essentielle de la langue française, mais attention aux excès : la douceur exige de la vigueur, indique un état décadent et montre les paradoxes auxquels le réel confronte l’idéal.
Éric Méchoulan, « “Garroter doucement”. Droit contre sociabilité chez Montaigne et Saint-Évremond »
En analysant les cas de Montaigne et de Saint-Évremond, on voit comment, de part et d’autre, c’est sous le sceau de la douceur que la vie – tantôt sécurisée mais contrainte dans des rapports de droit, tantôt sociable mais intéressée dans des rapports de soin – est placée. C’est avouer la dimension éminemment politique de la douceur dans son lien avec l’affect d’amitié.
402Pierre Magnard, « Le sens de la terre »
Cet article réfléchit au sens de la terre que la modernité a perdu, en substituant à l’alliance avec la terre mère de tous les vivants un contrat d’ordre marchand, au respect réciproque, à la création artistique du paysage, à la tendresse à l’égard des arbres et des bêtes le prométhéisme agressif de la surexploitation du sol et du sous-sol. À cette violence faite à la terre s’oppose la sagesse de Montaigne, figure idéale du « ménager » usant de douceur et de délicatesse dans le contact des êtres et des choses.
Hélène Michon, « La suavité salésienne »
La théologie mystique mise en place par François de Sales déplace l’accent de la fracture entre l’homme et Dieu vers l’inclination de l’homme vers Dieu. Elle développe en outre une conception de la vie spirituelle qui prend le plaisir comme source et point d’aboutissement. Enfin, elle évite tout conflit entre les facultés pour préserver l’unité intérieure. Sans doute est-ce dans ce continuum instauré entre la mystique et la vie dévote, que se trouve la véritable cause de la célèbre suavité salésienne.
Jérôme Lagouanère, « Terrorem potius quam religionem. Douceur, grâce et conversion : sur une citation augustinienne chez Pascal »
La référence à la Lettre 93 d’Augustin dans le Fragment 161 des Pensées de Pascal ne doit pas oblitérer l’influence augustinienne sur l’éthique de la douceur constitutive de l’apologétique pascalienne. Après avoir situé l’un et l’autre texte dans leur contexte historique, il s’agira donc ici d’évaluer l’influence de la pensée et de la théologie augustiniennes dans la genèse de la notion pascalienne de douceur, comprise dans sa double dimension de relation à autrui et de relation à Dieu.
Maurizio Malaguti, « Victrix mitissima veritas. D’après une suggestion de J. R. R. Tolkien »
L’Esse ipsum est en soi la pure transparence : Il est la « Parole », il est le « Nom propre » de son éternelle actualité. Moïse a entendu la Parole : « Je suis », mais voilé par l’ange resplendissant. C’est le voile seulement qui nous permettrait de venir devant Dieu parce que notre faible existence ne pourrait 403pas résister à la lumière infiniment intense de l’Être-Bien. La vérité se révèle à nous en tant qu’aurore : c’est la miséricorde qui nous conduit doucement à la splendeur du midi.
Florence Malhomme, « L’éloquence du centaure. Douceur et musique dans l’art équestre à l’âge humaniste et classique »
À la force sauvage du cheval, la théorie équestre répond par la douceur : celle de la persuasion rhétorique opérée par le langage du corps ; celle de l’art qui soumet la violence guerrière à la grâce du geste et adopte les concepts musicaux d’harmonie et de justesse ; celle de la rationalité qui fait entendre la cause du geste équestre plutôt que d’en manifester la puissance ; enfin celle de la sagesse qui à apprend l’homme, plus encore qu’à dresser l’animal, à se gouverner soi-même.
Émilie Séris, « Douceur et utilité du nu à la Renaissance »
Dans les traités d’art de la Renaissance, d’Alberti à Paolo Lomazzo, la théorie du nu est le lieu privilégié de l’approfondissement de la notion de douceur. Définie tantôt comme une harmonie des proportions ou des couleurs, tantôt comme une convenance du mouvement ou de l’expression, la douceur est un aménagement de la beauté en vue de l’utilité. Catégorie rhétorique adaptée aux arts plastiques, la douceur est aussi, à la Renaissance, une légitimation morale du nu dans l’art, voire son alibi.
Lauro Magnani, « Montrer la douceur. Formes et gestes d’un sentiment dans la peinture religieuse entre xvie et xviie siècle »
Les caractères de la manière moderne de peindre s’expriment par des adjectifs proches du terme de douceur. À partir de Léonard de Vinci, les tendances au naturel s’expriment par des sensualités douces, puis le terme de douceur s’applique à l’expression des affects comme chez Le Baroche. La recherche de l’empathie entre l’observateur et la scène représentée s’incarne dans la tentative d’exprimer par les caractères de la douceur la vision imaginaire des mystiques et leur évanouissement dans l’extase.
404Catherine Fricheau, « Ut pictura poesis ? La notion de douceur dans la critique d’art au xviie siècle. Les exemples de Perrault, Rapin et Félibien »
Qu’il y ait plus de douceur dans les conduites humaines est un progrès, emblématique, selon Charles Perrault, de la modernité. À travers la notion de goût, le Parallèle des Anciens et des Modernes tente d’en faire une valeur esthétique, repérable dans l’élaboration de formes tempérées. Mais qui dit douceur dit aussi édulcoration et la promotion de la catégorie antagoniste du sublime par Rapin et Boileau critique la voie étroite, sevrée d’émotion, où l’art français s’est engagé au tournant du xviie siècle.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-06554-8
- EAN : 9782406065548
- ISSN : 2261-1851
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-06554-8.p.0399
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 17/03/2017
- Langue : Français