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- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : L’Intimité et l’Histoire. Lecture du Guépard
- Pages : 7 à 9
- Collection : Théorie de la littérature, n° 8
Chapitre d’ouvrage : 1/10 Suivant
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Francesco Orlando, dont les Classiques Garnier ont publié Les Objets désuets en 2010, peu de mois après sa mort, est connu comme l’un des théoriciens de la littérature les plus influents en Italie, à partir des années 1970, grâce à ses ouvrages d’orientation freudienne et à son enseignement aux universités de Naples, Venise, Pise. Moins connue, mais fondamentale pour comprendre sa personnalité intellectuelle, est sa formation juvénile auprès d’une figure excentrique d’homme de lettres, Giuseppe Tomasi di Lampedusa, l’auteur du Guépard et de Le Professeur et la Sirène.
Orlando a rencontré Lampedusa en 1953 : il avait 19 ans et faisait des études de droit à l’université de Palerme, il était issu d’une famille bourgeoise, il aimait la littérature et écrivait des poèmes. Par l’entremise d’un aristocrate palermitain, il fait la connaissance du prince de Lampedusa, qui cultive sa passion littéraire en dehors de toute institution et n’a rien publié pour l’heure. Le prince, qui a 58 ans, aime à rencontrer des jeunes gens qui s’intéressent à la littérature, et se prend d’amitié pour Orlando. Il s’établit entre les deux un dialogue socratique, prenant bientôt les formes d’un enseignement suivi, portant d’abord sur la littérature anglaise en 1953-1955, puis sur la littérature française en 1956. Ces cours privés consistaient en leçons écrites par le maître et discutées à chaque séance avec l’élève ; le texte en a été publié à titre posthume, de manière intégrale en italien, partielle en traduction française (Byron, 1999, Shakespeare, 2000 ; Stendhal, 2002). Ils portent sur les grandes tendances historiques des littératures nationales, ou bien sur des figures privilégiées, comme Maurice Scève, Racine ou Saint-Simon pour la France, Eliot, Joyce, Woolf pour l’Angleterre.
Orlando quitte définitivement ses études de droit et commence à écrire un roman ; plus ou moins à la même époque, vers 1955, Lampedusa
commence à travailler au Guépard, qu’il ne verra pas publié. En avril et en juin 1956, Orlando dactylographie, sous la dictée de l’auteur, quelques chapitres du Guépard, et lui fait lire son propre roman, La doppia seduzione, qui plaît au maître, mais qui restera inédit jusqu’en 2010. En 1957 Lampedusa meurt, sans avoir pu trouver une maison d’édition qui publie son roman (Vittorini l’a refusé chez Einaudi). Mais déjà en 1958, grâce à Giorgio Bassani, Il Gattopardo paraît chez Feltrinelli, et il suscite des réactions immédiates du public et de la critique. Vainqueur du prix Strega en 1959, il est bientôt au centre d’une polémique culturelle et politique parmi les plus importantes de l’Italie de l’après-guerre. Le monde littéraire se scinde entre gattopardisti et anitigattopardisti, la querelle portant sur deux questions principales : le roman est-il une apologie de l’immobilisme politique ? est-il une œuvre arriérée dans sa forme, trop proche des modèles du xixe siècle ? À ces questions, Orlando donnera sa réponse plus tard. Pour l’instant, il livre un portrait biographique et autobiographique du maître disparu : Ricordo di Lampedusa, imprimé en 1963 par un éditeur raffiné et confidentiel. En mai de la même année, Visconti présente à Cannes son Guépard, et arrache la Palme d’or. Dopé par le cinéma, le succès du roman ne s’éteindra plus. Orlando, snobé par le réalisateur sur le set du film, entreprend sa carrière de critique universitaire, se confrontant à bien d’autres approches critiques que celle de son premier mentor.
Trente ans plus tard, sollicité par l’éditeur turinois Bollati-Boringhieri, il réédite son Ricordo, et le fait suivre par un nouvel écrit, Da distanze diverse, où il revient d’un œil plus détaché sur son amitié avec le prince (ces deux textes ont été traduits en français par Michel Balzamo en 1996). C’est là qu’il exprime son désir de consacrer au Guépard un livre de pure critique, séparé de toute réflexion personnelle et biographique. Il réalise ce projet rapidement, et en 1998 il fait paraître L’intimità e la storia. Lettura del Gattopardo : livre paradoxal, où il relève le défi d’écrire « comme s’il ne savait rien de l’auteur », alors que l’auteur est l’une des personnes qui a le plus compté dans sa vie. Exercice de contre-sainte-beuvisme radical, revendiqué en opposition et en hommage à son premier maître. En effet, si Lampedusa oscillait entre un modèle biographique inspiré de Sainte-Beuve et un modèle historique inspiré de Lanson, Orlando est désormais passé du côté de la nouvelle critique,
dans ses variantes structuralistes et psychanalytiques, dont il donnera une synthèse des plus originales, en les confrontant à sa culture historiciste initiale. L’apport de L’Intimité et l’Histoire à la théorie littéraire est fondé sur ce paradoxe et ce défi.
- Thème CLIL : 4053 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Théorie Littéraire
- ISBN : 978-2-8124-3347-4
- EAN : 9782812433474
- ISSN : 2261-5717
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-3347-4.p.0007
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 14/11/2014
- Langue : Français