601 Cédant à la fatigue, la plupart des voyageurs de l'avion ont repoussé en arrière les dossiers de leurs sièges et som- nolent. Quelques-uns ont desserré leurs cravates et dégrafé leurs cols. Plusieurs ont baissé les rideaux des hublots et une demi-pénombre règne dans la cabine. Une femme a couché sa tête sur l'épaule de son compagnon. Les hôtesses circulent de temps à autre dans l'allée centrale en regardant de droite et de gauche sans que personne les appelle. L'une d'elles a donné à un enfant une boîte de crayons et des images à colorier. [...] À l'horizon la mince ligne ondulée d'un brun lilas que dessinait la haute chaîne de montagnes a disparu. Le hublot, qui a la forme d'un rectangle deux coins arrondis encadré d'une moulure de matière plastique, est divisé en deux parties à peu près égales par la ligne de l'horizon. La moitié infé- rieure est occupée, en bas, par l'étendue blanche du plateau de nuages au-dessus de laquelle semble peinte, comme une plinthe, une bande gris bleu. La moitié supérieure est tout entière emplie par le ciel d'un bleu très pâle, absolument pur [...]. Quelque part cependant, solitaire et aveugle dans le vide immense, Orion poursuit sa marche.
Claude SIMON, Les Corps conducteurs (1971), p. 171 et 219.