Avertissement au lecteur
- Publication type: Book chapter
- Book: Vie et mort d’un berger. Récit historique
- Pages: 11 to 12
- Collection: Correspondence and Memoirs, n° 58
- Series: Le dix-huitième siècle, n° 11
Avertissement au lecteur
L’histoire que voici est vraie. Les faits qu’elle relate sont établis selon des témoignages et des documents d’archives, qui ont évidemment été recoupés du mieux possible. Mais, évidemment aussi, il n’était pas possible de les transcrire tels quels. Ils font mention de personnes privées, dont certaines sont encore vivantes. La moindre des civilités à leur égard et à celui de leurs descendants, amis et alliés, imposait de changer leurs noms – s’il advient que d’aucuns s’y reconnaissent ou identifient un ancêtre, on en sera ravi car ils verront qu’il en est dit peu et jamais du mal. Mais des noms ainsi masqués auraient pu être décelés eu égard aux circonstances rapportées ; il s’imposait donc aussi d’en modifier quelques-unes en – comme on dit – condensant certains événements. La contrainte civile a ainsi induit des traits de fiction. Ils ne visent qu’à rendre dicible une histoire.
C’est une histoire lacunaire, trouée de silences, de flous et d’incertitudes ; il fallait donc la rendre lisible – ce dont je me suis trouvé chargé, on verra comment. À cette fin, elle a pris la forme d’un récit. Sans pour autant essayer d’en combler les lacunes. Ni, encore moins, d’y greffer des commentaires, inoculer une psychologie ou dévider une philosophie. Car certes il est facile, quand on vient après coup, de plaquer sur les faits, les choses et les gens des qualificatifs de jugement ; mais les intrusions d’un narrateur pontifiant tordent toujours la vérité. Et surtout elles manquent à la moindre des courtoisies envers les possibles lectrices et lecteurs, qui détiennent seuls le droit imprescriptible de juger comme il leur plaira. On s’est donc borné à transcrire des lieux, des gestes et des propos. Parfois tels quels, lorsque c’était possible, et souvent selon ce qu’on savait et pouvait.
Cette histoire fragmentaire est celle d’une vie d’hier : elle couvre à peu près le siècle passé*. Une vie qui a été à la fois voyageuse et immobile dans son coin. C’est une vie ordinaire, celle de quelqu’un qui a été prolo 12sans l’avoir voulu. Les commanditaires de sa transcription ont pensé que son cas pouvait éclairer l’expérience de la génération qui s’éteint aujourd’hui. Et qui, disaient-ils, a été comme tant d’autres au fil du temps une génération grugée : la génération grugée par les mensonges des nationalismes et les illusions des « Trente Glorieuses ».
Alain Viala