[Introduction de la troisième partie]
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Témoignage et prophétie. Le rêve de la femme de Pilate
- Pages : 125 à 126
- Collection : Perspectives comparatistes, n° 96
- Série : Classique/Moderne, n° 9
La femme de l’« irresponsable » Pilate est une femme fidèle. La parole de celle-ci reste lettre morte auprès de celui-là, mais elle résonne dans d’autres formes de communication. Dans la Bible même, où elle se fait entendre comme témoin, et dans l’art, où son témoignage se fait rappel. Par son extrême discrétion dans l’Évangile, elle aurait pu ne rester qu’un détail, et c’est bien souvent le cas. Mais le texte biblique est tellement signifiant que la femme de Pilate ne peut se contenter d’être insignifiante. L’interprétation que l’on a voulu donner à son intervention la dégage du détail des illustrations bibliques ; leur rareté rend d’autant plus riches ses représentations. Les artistes qui lui ont donné une véritable place dans une œuvre l’ont ainsi extirpée du texte biblique, ont mis en exergue cet « intermède », rendu cette femme à son histoire. Comme au ralenti, on la verra donc dormir, s’adresser à un messager, regarder le procès par la fenêtre, s’approcher de Pilate… Autant de moments que le texte biblique ne fait que suggérer. C’est que tout texte est « un tissu d’espaces blancs, d’interstices à remplir […] Un texte veut que quelqu’un l’aide à fonctionner », écrit Umberto Eco dans Lector in fabula (Eco, 1985, p. 63-64).
Dans la Bible, c’est la mission apostolique qui le fait fonctionner. La voix du ciel dit à Jean :
Va, prends le livre ouvert dans la main de l’ange qui se tient debout sur la mer et sur la terre.
Je m’avançai vers l’ange et le priai de me donner le petit livre.
Il me dit : Prends et mange-le.
Il sera amer à tes entrailles,
mais dans ta bouche il aura la douceur du miel.
Je pris le petit livre de la main de l’ange et le mangeai.
Dans ma bouche il avait la douceur du miel,
mais quand je l’eus mangé, mes entrailles en devinrent amères.
Et l’on me dit :
Il te faut à nouveau prophétiser sur des peuples, des nations, des langues et des rois en grand nombre. (Ap 10, 8-11)
Cette fonction est prise en charge par les faiseurs d’images mais la femme de Pilate s’illustre aussi dans d’autres arts : on l’entendra chanter, on 126la verra danser, et jouer la comédie. Car, dit Friedrich Schlegel, « sans l’art – qui est bien plus qu’une chose raisonnable, qui est enthousiasme divin – [l’homme] serait privé de l’un des moyens les plus efficaces d’entrer en relation avec le divin1 ».
1 Cité par Saint-Martin, 2014, p. 103. Isabelle Saint-Martin cite également, au sujet de l’émotion artistique et la foi, Benjamin Constant, qui écrit, après avoir vu les peintures de Holbein à la bibliothèque de Bâle, qu’elles « sont une meilleure démonstration de l’Évangile que tous les ouvrages de théologie du monde. Il y a deux ou trois panneaux dans un tableau de la Passion qui font pénétrer la religion jusqu’au fond de l’âme » (ibid.).