Modulate unemployment insurance contributions? Trade unions claims about discontinuous employment
- Publication type: Journal article
- Journal: Socio-économie du travail
2018 – 1, n° 3. Discontinuités de l’emploi et indemnisation du chômage / Discontinuity in employment and unemployment insurance - Authors: Higelé (Jean-Pascal), Vivés (Claire)
- Pages: 69 to 102
- Journal: Social Economy of Labor
Moduler les cotisations
d’assurance chômage ?
Les revendications syndicales
face à l’emploi discontinu
Jean-Pascal Higelé
GRÉE-2L2S
Université de Lorraine
Claire Vivés
CEET-Cnam, LISE
associée à l’IDHES
Université Paris Ouest-Nanterre
Depuis les années 1990, les réformes menées dans l’assurance chômage en France ont surtout concerné les prestations. On observe en revanche une grande stabilité concernant le financement du régime. La structure des taux (équilibre taux de cotisation employeur / taux de cotisation salarié) est restée identique et leur niveau n’a pas évolué depuis le début des années 2000. Par refus patronal de mettre cette question sur la table, le financement ne fait pas l’objet de négociation et cette absence se retrouve également dans les travaux scientifiques. Un élément fait cependant exception, aussi bien dans les propositions politiques que dans les travaux scientifiques : la modulation des contributions. Du point de vue scientifique, les travaux sont économétriques (Fougère et Margolis, 2000, Cahuc et Malherbet, 2001, Albertini, 2012, Cahuc et Prost, 2015) et s’appuient sur l’expérience américaine de financement de l’assurance chômage : l’experience rating. Ce système de bonus-malus consiste à moduler les contributions des employeurs en fonction des 70coûts générés pour l’assurance chômage par leurs anciens salariés. Du point de vue des propositions politiques, depuis la fin des années 1980, des propositions de modulations des contributions au financement en fonction des comportements des entreprises en matière de recours à l’emploi précaire ont émergé et, depuis le milieu des années 2000, se sont imposées dans le débat. Celles-ci reposent sur l’idée que les entreprises usant de contrats courts généreraient des coûts importants pour l’assurance chômage en faisant supporter à l’ensemble des entreprises les coûts de leur flexibilité. Elles avancent qu’il serait juste qu’elles supportent elles-mêmes ces dépenses sur le principe du pollueur-payeur.
Dans cet article, consacré exclusivement au financement du régime général de l’Unedic1, nous resituons les débats sur la modulation des cotisations dans le contexte de l’évolution sur le temps long du financement de l’assurance chômage et de la construction de l’emploi discontinu comme « problème » pour l’assurance-chômage (1). Nous retraçons ensuite l’historique de la revendication de modulation du taux de cotisation et de son inscription dans la réglementation de l’assurance chômage (2). Enfin, nous montrons que le consensus syndical apparent sur la revendication cache des réserves et des différences entre organisations (3) qui ne sont pas sans incidence sur les enjeux pour l’avenir de la revendication que nous abordons en conclusion.
1. Méthodologie
Cet article s’appuie sur des entretiens semi-directifs réalisés avec des représentants des organisations syndicales CGT, CFDT, FO et CFTC ayant participé aux négociations de la convention 2014 (qui a suivi l’ANI de janvier 2013 introduisant une modulation des taux de cotisation). Faute d’accord des organisations patronales, nous n’avons pu les interroger. Des entretiens ont été également menés auprès du cabinet du ministre du Travail en charge du dossier en 2014 ainsi qu’auprès de la Mission Indemnisation du Chômage de la DGEFP. Ces entretiens sont complétés avec une analyse de la presse syndicale. Enfin, notre texte se nourrit de plusieurs travaux antérieurs réalisés par les auteurs portant sur l’assurance chômage qui ont notamment donné lieu à deux thèses (Higelé, 2004, Vivés, 2013).
I. Contexte d’émergence des propositions
de modulation des cotisations
Pour comprendre à la fois l’origine et le contenu des revendications relatives à la modulation des contributions, nous abordons ici sur la longue durée la question du financement de l’assurance chômage. L’augmentation du taux général de cotisation est écartée depuis plus de 15 ans du champ des négociations de l’assurance chômage par le camp patronal2 au motif d’un coût du travail qui serait déjà trop élevé. Dans ce contexte, les propositions de modulation du taux de cotisation ont pour but affiché d’améliorer la situation financière du régime mise à mal par l’augmentation du chômage et par la multiplication des contrats courts, tout en cherchant à contourner la réticence patronale.
I.1. Le régime d’assurance chômage, un financement
par la cotisation sociale dont l’évolution
s’est déconnectée des besoins d’indemnisation
La création d’une institution paritaire pour indemniser les chômeurs à la fin des années 1950 consacre le chômage comme risque social (cf. encadré 2).
2. Repères sur l’indemnisation du chômage en France
Lors de la création de la Sécurité sociale en 1945, le choix est fait d’écarter l’intégration d’une branche chômage. L’indemnisation reste du ressort des acteurs antérieurs (communes et syndicats). Dans le but d’accompagner les reconversions de l’économie française, un débat s’engage dès 1950 pour confier aux représentants des employeurs et des salariés la gestion d’un revenu de remplacement financé par cotisations sociales. Cette réflexion débouche en 1958 sur la création de l’Unedic, organisme d’indemnisation du chômage (Daniel et Tuchszirer, 1999). Concernant la répartition des rôles entre l’État et l’Unedic en matière d’indemnisation, la répartition suivante prévaut depuis 1984 : un régime d’assurance chômage (RAC) financé par cotisation, négocié entre partenaires sociaux, versant des prestations proportionnelles au salaire et dont la durée de prestation est conditionnée à la durée de cotisation d’une part ; un régime de solidarité financé par l’État versant une prestation forfaitaire sous condition de ressource et d’activité préalable 72d’autre part. Ce régime dual est complété en 1988 par le Revenu Minimum d’Insertion (RMI) – Revenu de solidarité active (RSA) depuis 2009 – versé sous condition de ressources mais sans condition d’activité préalable, également financé par l’État. Dispositif de lutte contre la pauvreté le revenu minimum « se révèle jouer le rôle de troisième composante de l’indemnisation du chômage » (Outin, 2008).
L’institution d’assurance chômage est paritaire : elle est administrée par un nombre identique de représentants des employeurs et des salariés. Ils mettent en œuvre des conventions issues de négociations interprofessionnelles qui ont lieu tous les deux ou trois ans. L’accord conclu détermine les caractéristiques des prestations et des cotisations. Pour être applicable, il doit être agréé par le ministère du Travail. On distingue deux corpus de règles définissant cotisations et prestations : le régime général qui définit le droit commun de l’indemnisation et s’applique à la quasi-totalité des contrats de travail de droit privé (que l’employeur soit privé ou public) et les annexes qui sont des adaptations des règles d’indemnisation à la particularité de certaines catégories de salariés dont ceux dont l’activité est discontinue comme les intérimaires (annexe 4) ou les intermittents (annexes 8 et 10).
Si l’assurance chômage n’est pas une branche de la Sécurité sociale, elle partage historiquement avec cette dernière son principe de financement : la mutualisation s’opère à l’échelle nationale à travers un taux de cotisation interprofessionnel unique. La seule entorse à ce principe date de la création en 2002 d’un taux de cotisation spécifique pour les entreprises du spectacle3. Cette solidarité interprofessionnelle et nationale incarnée par un taux unique de cotisation mérite d’être rappelée au moment où la modulation des taux fait débat. En effet, la proclamation du caractère social d’un risque suppose certes de rompre avec la responsabilité individuelle dans sa protection (Hatzfeld, 1971 ; Ewald, 1986), ce qui conduira à la mise en place progressive de couvertures obligatoires de la fin du xixe siècle jusqu’aux années 1930. Mais il suppose également un financement de la réparation du risque à l’échelle de la société. C’est ce que la Sécurité sociale consacre en 1946 : là où auparavant une multitude de caisses (assurances, mutuelles, caisses départementales) couvrait les 73risques avec des périmètres de collectes divers et relativement réduits (entreprises, branche, département), avec des taux et des assiettes de prélèvement également divers, la Sécurité sociale impose l’unicité du taux de cotisation et une mutualisation à l’échelle nationale et interprofessionnelle (Friot et Jackse, 2015 ; Friot, 2017). Certes, la couverture des accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) échappe à cette logique d’unicité du taux, ce dernier variant en fonction du secteur d’activité et de la sinistralité imputable à l’entreprise (Jeantet et Thiebeauld, 2017). Cette volonté de moduler les contributions en fonction des efforts de prévention se développe dès le début du xxe siècle dans les assurances auxquelles souscrivaient les entreprises pour financer l’obligation de réparation créée par la loi de 1898 sur les accidents du travail. En 1946, l’assurance des accidents du travail et des maladies professionnelles prend la forme d’une caisse unique intégrée à la Sécurité sociale, mais la variation du taux de cotisation est maintenue au nom d’une spécificité de ce risque : « Le taux unique appliqué aux accidents du travail n’est pas compatible avec l’accident. Étant donné la diversité des risques de chaque entreprise, ce serait décourager tout effort de prévention4 ». Toutefois, cette exception du régime AT-MP confirme la règle du taux unique de cotisation à l’échelle interprofessionnelle et nationale qui reste un principe au fondement de la Sécurité sociale après-guerre. Et l’assurance chômage, tout en étant construite en dehors du régime général pour en contourner la gestion dominée par la CGT jusqu’à l’instauration du paritarisme en 1967, lui emprunte nombre de principes de fonctionnement : financement par les cotisations sociales, taux unique, mutualisation nationale et interprofessionnelle, prestations proportionnelles au salaire.
Les gestionnaires de l’assurance chômage disposent de trois variables pour en assurer l’équilibre budgétaire : le niveau des contributions, de l’endettement et de l’indemnisation (montant et durée)5. Or, contrairement aux cinquante premières années du régime durant lesquelles, sans être la seule variable d’ajustement, le taux de cotisation évoluait en fonction des besoins de financement, ce n’est plus le cas depuis 2003 (cf. figure 1).
74Fig. 1 – Taux de chômage (axe de gauche)
et taux général de cotisation d’assurance chômage (axe de droite)
du 1er trimestre 1975 au 4e trimestre 2016 (en %).
Sources : Insee, Demandes d’emploi – séries longues ; IPP, Barèmes IPP : prélèvements sociaux
NB : nous ne faisons figurer que les évolutions du taux général de cotisation et non les surcotisations spécifiques des annexes et des contrats courts (depuis 2013).
De 19626 à 1982, le taux de cotisation passe de 0,25 % à 3,6 %. De novembre 1982 à avril 1984, la situation est un peu exceptionnelle, du fait de l’échec des négociations de 1982 : à l’époque, l’État maintient le régime (décret du 4 novembre 1982) et choisit à cette occasion de remonter à 4,8 % puis à 5,8 % le taux de cotisation pour faire face aux dépenses. À l’issue des négociations de 1984, qui actent la séparation d’un régime d’assurance et d’un régime d’assistance ainsi que des conditions d’indemnisation plus restrictives7, le taux de cotisation patronale baisse à 4 %. Toutefois la progression du taux reprend, et entre 1984 et 1997, il passe de 4 % à 6,6 %. Par la suite, après une baisse en 2001 qui 75accompagne la baisse du taux de chômage, outre deux ajustements minimes temporaires en 2006 (+0,08 %) en contrepartie d’un durcissement des conditions d’ouverture des droits8 et depuis octobre 2017 (+0,05 %)9, aucune augmentation de cotisations n’est intervenue malgré l’accroissement du chômage suite à la crise financière de 2008. Le patronat invoque la « nécessaire maitrise du coût du travail » pour exclure des négociations toute augmentation10 du taux général de cotisation : « nous avons dans notre pays un coin social terrifiant (…) on ne peut pas se permettre d’augmenter le coût du travail (…) l’idée d’augmenter les cotisations, cela revient à augmenter le coût du travail, donc ce n’est pas bon pour l’emploi dans notre pays, ce n’est pas bon pour lutter contre le chômage » (négociateur du MEDEF, janvier 2007). Et de fait, les taux (hors mesures temporaires) sont restés stables depuis près de 15 ans s’établissant à 6,4 % (4 % employeurs et 2,4 % salariés). On notera que cette stabilité vaut aussi lorsque le chômage baisse de fin 2006 à début 2008, conduisant à des soldes financiers largement positifs en 2007 (+3,5 milliards €) et 2008 (+4,6 milliards €). Le choix des partenaires sociaux a été alors de consacrer les excédents à la réduction de la dette du régime, celle-ci passant de 13,1 à 5 milliards d’euros entre début 2007 et fin 2008 (Coquet, 2016). Le patronat obtint toutefois dans l’accord d’assurance chômage du 23 décembre 2008 (art. 7) que le taux de cotisation soit lié à la baisse à la situation financière du régime. Cet article ne produisit au final aucun effet en raison de l’augmentation du chômage à partir de la crise de 2008. La fixation du taux général de cotisation est donc déconnectée des évolutions du chômage et par conséquent des besoins d’indemnisation (cf. figure 1) et la décision gouvernementale de supprimer les cotisations salariés à l’assurance chômage au 1er janvier 2018 et de les substituer par de la CSG ne risque pas d’infléchir cette tendance.
76Dans ce contexte de stagnation du taux de cotisation depuis 2003, les recettes ne permettent pas de faire face aux besoins financiers résultant de la forte augmentation du chômage depuis 2008 et donc des dépenses d’indemnisation. Les gestionnaires du régime vont donc mobiliser les deux autres variables d’ajustement budgétaire du régime : l’endettement et le niveau des prestations. C’est ainsi que depuis 2008 le régime d’assurance chômage a connu un endettement important (près de 34 milliards en déficit cumulé fin 2017, à comparer aux recettes annuelles d’environ 35 milliards d’euros en 2016). Il convient toutefois de relativiser le poids de cette dette et donc des dépenses d’assurance chômage. D’une part, celles-ci ne représentent ces dernières années qu’environ 5,5 % des dépenses de protection sociale. D’autre part, la couverture du risque chômage présente une spécificité dans son équilibre budgétaire que l’on nomme couramment « effet ciseau » : lorsque le chômage augmente, les recettes baissent et les dépenses augmentent et inversement (cf. figure 2). Une reprise de l’emploi peut donc conduire à une diminution rapide de la dette.
Fig. 2 – Situation financière de l’Assurance chômage (1990-2014)
et « effet ciseau ».
Source : Unedic et Insee, situation au 31 décembre de chaque année. Publié in Richard (2016)
77Outre le recours massif à l’endettement, différentes modalités de réduction des prestations ont été utilisées depuis les années 1980 pour équilibrer le budget. D’une part, la durée et le montant des prestations ont été réduits à travers des mesures de dégressivité du montant des allocations dans le temps durant la décennie 1990. D’autre part, la création de filières d’indemnisation en 198211 a eu pour effet des raccourcissements de la durée des droits des chômeurs notamment ceux ayant des durées d’affiliation courte dont le plafond de durée des droits a été largement abaissé (Daniel, 1998). Or, les signataires ont choisi de progressivement durcir le lien entre durée de cotisation et durée de prestation (Cornilleau et Elbaum, 2009 ; Higelé, 2009b). Dans le contexte de la crise de 2008 qui voit exploser le chômage de longue durée12, ce rapprochement des durées d’affiliation et de prestation13 s’est traduit par une diminution des taux de couverture (cf. figure 3).
78Fig. 3 – Part des chômeurs indemnisés par le régime d’assurance chômage
(y compris Formation) parmi les DEFM (cat. ABC) (données CVS)
de janvier 2006 à août 2016.
Source : Données mensuelles allocataires Pôle emploi – DEFM séries longues Pôle emploi
Les pratiques d’indemnisation n’ont donc pas été ajustées aux besoins de couverture du risque social tel qu’il évolue depuis quinze ans, et notamment depuis la crise de 2008, mais au contraire ont été faites pour limiter la croissance des dépenses du régime. Depuis 2003, les gestionnaires de l’Unedic ont clairement choisi d’équilibrer le budget en privilégiant l’endettement et la non-couverture du risque. On assiste ainsi à une déconnexion entre évolution des recettes et évolution des besoins.
I.2. Dégradation de la situation financière
de l’assurance chômage : la construction
du problème de l’emploi discontinu
À la montée du chômage est venue s’ajouter à partir des années 1980 l’augmentation de l’emploi en CDD et en intérim susceptible d’accroître, si les règles d’indemnisation restaient inchangées, les dépenses en multipliant les passages par le chômage indemnisé.
79Fig. 4 – Part des salariés en contrats temporaires de 1982 à 2012
(moyennes annuelles en % de l’emploi salarié).
Source : Insee-Enquête emploi
Ces dernières années, le débat public s’est focalisé sur le coût des contrats courts pour l’assurance chômage. En mettant en lumière les soldes par type de contrat, la Cour des comptes et l’Unedic cherchent à montrer que les CDD, l’intérim ou l’intermittence coûtent plus qu’ils ne rapportent et ne doivent leur salut qu’à l’effort de cotisation des salariés en CDI et de leurs employeurs (cf. tableau 1).
En milliers d’euros |
2008 |
2009 |
2010 |
2011 |
Régime général : solde CDI (1) |
14 403 |
13 029 |
11 490 |
12 522 |
Régime général : solde CDD (2) |
-4 529 |
-5 738 |
-5 959 |
-5 592 |
Annexes 8 et 10 : solde intermittents du spectacle (3) |
-1 022 |
-1 054 |
-1 031 |
-1 011 |
Annexe 4 : solde intérimaires (4) |
-1 276 |
-2 281 |
-1 676 |
-1 464 |
80
Solde global des cotisations et des allocations (a)=(1)+(2)+(3)+(4) |
7 846 |
3 956 |
2 824 |
4 455 |
Autres recettes et dépenses du RAC (b) |
-3 248 |
-5 128 |
-5 794 |
-6 019 |
Déficit du RAC (depuis 2009) (c)=(a)+(b) |
4 598 |
-1 172 |
-2 970 |
-1 564 |
Tab. 1 – Évolution du déficit du régime d’assurance chômage depuis 2009 avec décomposition du solde des contributions et des allocations par nature de contrat.
Source : Cour des comptes (2013) – Unedic (fichier national des allocataires).
Note méthodologique : les quatre premières lignes (1), (2), (3) et (4) du tableau font apparaître, par convention, le solde entre les cotisations pouvant être rattachées aux principaux types de contrat (CDI, CDD, contrat d’intermittent du spectacle ou contrat d’intérim) et les allocations de retour à l’emploi perçues par les demandeurs d’emploi dont les droits ont été ouverts au titre de ces différents types de contrat.
À l’opposé d’une approche en termes de solidarité interprofessionnelle14, les comptes de l’assurance chômage sont présentés sous forme de déficits des uns et excédents des autres. Or, de même que la branche maladie ne peut être équilibrée que si les bien-portants paient pour les malades, l’équilibre budgétaire de l’assurance chômage ne peut reposer que sur un financement des chômeurs par les salariés et donc notamment ceux en emploi durable. Le découpage en diverses catégories de la population relevant du régime (ce peut être le statut du contrat de travail ou sa durée, mais ce pourrait être le secteur d’activité ou l’âge) contribue à construire le problème de l’emploi discontinu sous un angle consistant à légitimer des amendements au principe de solidarité interprofessionnelle.
La stigmatisation des contrats courts semble d’autant plus surprenante que l’assurance chômage n’a cessé d’accompagner leur développement à travers le dispositif d’activité réduite, dispositif d’indemnisation qui autorise et encadre le cumul d’une fraction des revenus d’allocation chômage avec des revenus d’une activité professionnelle (Vivés, 2018). Le 81nombre d’allocataires en activité réduite est passé de 469 000 en 1995 à 1,6 million en juin 2016 et parmi eux, les allocataires indemnisés sont passés de 260 000 à 767 000 (sources : Unedic, 2013 et 2017), accompagnant sur la même période la croissance du nombre de chômeurs en catégorie B et C, passé de 620 900 en janvier 1996 à 1 919 900 en juin 2016 (source : Pôle emploi-DARES, STMT).
Bien que depuis une quinzaine d’années la part des contrats de très courte durée augmente (+161 % entre 2000 et 2016 du nombre de CDD de moins d’un mois – cf. figure 7), sur la même période la part des CDD et de l’intérim dans l’emploi se stabilise et la part des fins de CDD et de missions d’intérim décline dans les motifs d’inscription au chômage. Ces deux dernières caractéristiques confèrent un caractère paradoxal à la focalisation du débat sur les contrats courts.
Fig. 5 – Motifs d’inscription sur la liste des demandeurs d’emploi
(France métropole) de janvier 1996 à janvier 2016.
Source : Pôle emploi – séries longues ; étiquettes de données pour les fins de contrat et fins de missions d’intérim.
82On pourrait relativiser ces données sur le poids des contrats courts dans les motifs d’inscription au chômage en arguant que des biais de comptage peuvent en être l’origine. Les causes d’inscription au chômage ne peuvent en effet pas rendre compte de la progression du recours au CDD des personnes durant leur inscription au chômage via le dispositif de l’activité réduite dont on a vu la forte progression ces vingt dernières années. Pour autant, une dernière donnée intéressant directement le régime d’indemnisation du chômage converge avec les éléments statistiques sur le poids des contrats courts dans l’emploi et dans les causes d’entrée au chômage : celle concernant les dépenses d’indemnisation afférentes aux fins de CDD et de missions d’intérim. De fait, la part des fins de contrats atypiques dans les dépenses d’assurance chômage est stable entre 1996 et 2015 (fig.6). On peut à nouveau imaginer des biais de comptage ou faire l’hypothèse qu’une diminution du taux de couverture ou des niveaux individuels d’indemnisation des « fins de CDD » peut participer de l’explication de cette stabilité. Mais l’ensemble de ces éléments inviteraient tout de même à une certaine prudence et à ne pas focaliser le débat du financement de l’assurance-chômage sur la question des contrats courts.
Fig. 6 – Structure des dépenses de l’assurance chômage
par motif de fin de contrat de travail, en %, de 1996 à 2015.
Source : UNEDIC, 2016, p. 8.
83Au final, la construction du problème du financement de l’assurance chômage désigne donc la discontinuité de l’emploi comme un surcoût, alors qu’on pourrait considérer que les contrats courts, y compris lorsqu’ils donnent lieu à indemnisation dans le cadre de l’activité réduite, permettent à l’assurance chômage de réaliser des économies dans la mesure où ils se substituent à du chômage total (prestations moindres) et génèrent des cotisations.
Ainsi, au nom de la limitation du coût du travail, la position patronale qui exclut toute augmentation du taux général de cotisation du champ du négociable s’impose depuis près de quinze ans. La caractérisation du problème du déficit de l’assurance, plutôt que d’interroger la déconnexion entre taux de cotisations et besoins de couverture, va se focaliser sur la nature et les durées des contrats de travail. La réponse syndicale sera de proposer une modulation des cotisations en fonction du type ou de la durée des contrats, et ce donc en rupture avec une des caractéristiques fondamentales de la protection sociale construite après-guerre en France : le financement par une cotisation interprofessionnelle à taux unique.
II. La modulation, une revendication ancienne devenue centrale dans les débats sur l’assurance chômage
Alors qu’un problème public s’est constitué autour de l’idée que les contrats courts dégraderaient la situation financière de l’assurance chômage, nous étudions ici les différentes revendications de modulation des cotisations portées par les organisations syndicales. Les modalités envisagées pour la modulation ont varié selon les organisations et les périodes. Actant le refus patronal d’augmenter le taux de cotisation interprofessionnel, les syndicats concentrent leurs revendications en matière de recettes sur la modulation des cotisations, quitte – pour certaines organisations – à réduire le taux de cotisation sur les emplois durables. L’opposition patronale à la modulation repose sur le refus de voir discutées ses décisions en matière de recours aux différents types de contrat. Les organisations syndicales trouvent finalement un appui de la part de l’État qui permet à la revendication d’aboutir en 2013 84dans le cadre d’un accord national interprofessionnel plus général sur le marché du travail, avant d’être remise en cause en 2017 puis rediscutées en vue d’une éventuelle réintroduction en 2018.
II.1. La revendication syndicale avant 2005
Les revendications de modulation des cotisations au nom de l’emploi et de la lutte contre la précarité ne sont pas récentes. En 1985 déjà, la CFDT proposait les « deux mesures incitatives suivantes : modulation du taux de cotisation pour les entreprises qui acceptent la réduction du temps de travail avec maintien ou amélioration de l’emploi ; cotisation supplémentaire des entreprises et des salaires sur les heures supplémentaires » (CFDT, 1985). Cette revendication s’inscrit alors dans la refondation de la CFDT engagée à la fin des années 1970 dite « resyndicalisation » et qui va s’incarner en particulier dans la préoccupation de l’emploi et des politiques d’activation qu’elle va soutenir à partir du milieu des années 1980, notamment à l’Unedic (Higelé, 2004). En 1989, au cours de son Congrès, FO propose également d’instaurer une « contribution financière complémentaire pénalisante pour les employeurs recourant à des emplois temporaires dits précaires » (FO, 1989a). À cet égard elle revendique, sans y parvenir, une adaptation des contributions (FO, 1989b) pendant la négociation de la convention Unedic signée en 1990. Lors des négociations Unedic de 1993, la CFDT, FO et la CGT avancent l’idée d’une surcotisation sur les heures supplémentaires et les contrats précaires mais ne parviennent pas à en faire un objet de négociation. Durant la négociation de l’année 2000, la CGT poursuit la revendication en la faisant porter sur une modulation de « l’assiette de cotisations sociales [en vue d’y] intégrer les résultats économiques dégagés, tels les profits financiers ». La CGT recommande également l’« instauration d’une sur-contribution pour les entreprises usant et abusant d’emplois précaires, d’intérim, de CDD, d’heures supplémentaires » (CGT, 2000). Signe de l’impossibilité des organisations syndicales à faire porter les discussions sur les pratiques d’employeurs plutôt que sur les comportements des demandeurs d’emploi, ces revendications n’ont jamais été discutées et cette négociation a tourné exclusivement autour de la mise en œuvre de l’activation par un suivi généralisé de la recherche d’emploi des chômeurs indemnisés avec la mise en œuvre du Plan d’aide au retour à l’emploi 85(PARE) par la convention de 2001. Il faut attendre 2005 pour que la revendication s’installe dans le paysage de ce qui paraît négociable et gagnable pour les organisations syndicales.
II.2. La revendication syndicale après 2005
Dans le contexte budgétaire plus tendu de la négociation Unedic de 200515, la revendication de modulation des cotisations resurgit et prend une dimension nouvelle car posée comme revendication centrale en particulier dans la médiatisation qui en est faite sous l’impulsion de FO puis de la CGT. Dans l’histoire déjà longue de cette revendication restée toujours marginale, cette négociation est le moment où l’idée de moduler les taux de cotisation s’installe comme un objet réel de négociation. Le credo développé par FO lors de ces négociations consiste « pour apurer les comptes du régime d’assurance chômage, [à] instaurer une “surcotisation” à la charge de l’employeur sur les contrats précaires » (FO, 2005). De son côté, la CGT propose une majoration de ces mêmes cotisations employeurs : « passer d’un taux unique de 4 % à 13 % pour les intérimaires et les contrats “nouvelle embauche”, 9 % pour les autres contrats précaires dont les CDD ». Outre l’effet dissuasif sur le recours à la précarité, l’organisation en attend une ressource supplémentaire pour l’Unedic d’environ 4,5 milliards d’euros. La CFDT se saisit également de cette question. Les entreprises « qui abusent des CDD mettent en difficulté l’Unedic car l’indemnisation est bien supérieure aux cotisations qu’elles paient16 ». Elle propose notamment « d’augmenter la prime de précarité17 des CDD » (CFDT, 2005) et d’en verser le surplus à l’Unedic. Contrairement à la surcotisation, cette surtaxation de fin de CDD se veut davantage un mode de financement par ceux qui contribuent à l’entrée de salariés dans le régime, qu’un découragement au CDD. À la CFDT, le CDD est perçu comme « un emploi quand même » pouvant déboucher sur un CDI (auquel cas la prime de précarité n’est pas due). Cette position est encore celle défendue aujourd’hui (cf. infra).
86Depuis lors, la question d’une contribution spécifique des employeurs usant d’emplois précaires resurgit sous diverses formes lors de chaque négociation. En 2008, la CGT réitère la revendication sans véritable changement à l’exception du temps partiel pour lequel la confédération propose également une surcotisation :
Pour financer les nouveaux droits des salariés précaires et dissuader les entreprises qui usent et abusent de ce type de contrats qui alimentent le réservoir des « travailleurs pauvres », la CGT propose de majorer les cotisations employeurs qui seront fixées à 13 % pour les contrats d’intérim, 9 % pour les autres dont les CDD et 6 % pour les contrats à temps partiel lorsque ceux-ci concernent plus de la moitié de l’effectif de l’entreprise. Ces pourcentages ne doivent rien au hasard, ils correspondent à un ratio dépenses d’indemnisation/recettes des cotisations calculé par l’Unedic et permettent donc une plus juste prise en charge du coût du chômage des salariés précaires par les employeurs (CGT, 2008).
La revendication de modulation des cotisations est désormais centrale dans l’ensemble des propositions avancées par la CGT lors des négociations en tant que source de financements supplémentaires et outil pour faire payer les « mauvais employeurs ». Comme en 2008, en 2011, la CGT défend la modulation au nom du fait que les contrats précaires « représentent environ 12 % de l’emploi total, mais 50 % des dépenses de l’Unedic. Les employeurs doivent financer le juste coût de la précarité qu’ils font supporter au régime d’assurance chômage » (communiqué de la CGT, 27 janvier 2011). Il y a ainsi une appropriation syndicale de la désignation du lien entre croissance de l’emploi discontinu et augmentation des dépenses pour le régime et de la nécessité de « faire payer les mauvais employeurs ».
Mais à la revendication syndicale unanime de modulation des cotisations – qui peut prendre des modalités différentes – le patronat oppose dans les négociations Unedic un refus systématique. Pour le MEDEF, « surtaxer les contrats courts, alors que ces derniers correspondent d’une part à un besoin de flexibilité du marché du travail, et d’autre part à une attente de certains salariés, serait absurde et reviendrait à pénaliser des entreprises qui n’ont pas le choix » (communiqué du MEDEF, 29 septembre 2016). Les surcotisations mises effectivement en œuvre dans l’assurance-chômage – qu’il s’agisse de celles liées aux annexes 8 et 10 ou, comme nous allons le voir, dans le cadre d’un accord national interprofessionnel en 2013 en contrepartie d’une flexibilisation du licenciement et de la durée du travail – sont toujours des concessions patronales obtenues dans des 87contextes spécifiques. Cette contestation patronale de la modulation des taux est cohérente avec le refus continu d’augmenter les cotisations d’assurance chômage : « le coût du travail est trop élevé en France, tout le monde le reconnaît et cela crée du chômage. Dans ces conditions il est absurde d’imaginer une solution visant à taxer le travail » (communiqué du MEDEF, 16 juin 2016). Mais le refus patronal d’accéder à la revendication des organisations syndicales s’inscrit aussi dans un contexte de conflit interne au patronat sur l’implication dans le paritarisme même, qui interdit en somme un aggiornamento patronal sur le sujet18.
II.3. Les dispositions de la modulation inscrites
dans l’accord national interprofessionnel de 2013
La première modulation du taux de cotisation pour le régime général de l’assurance chômage a été introduite dans l’ANI de 2013 sur la sécurisation de l’emploi19. Alors que le taux normal de la cotisation patronale est à 4 %, l’ANI instaure :
–pour les CDD de un mois ou moins : une surcotisation de trois points (total 7 %) ;
–pour les CDD de un à trois mois : une surcotisation de 1,5 point (5,5 %) ;
–pour les CDD d’usage20 : une surcotisation de 0,5 point (4,5%).
Il prévoit de nombreuses dérogations dont le secteur de l’intérim qui échappe intégralement à la surcotisation. Ces dispositions sont ensuite reprises par un avenant à la convention d’assurance chômage pour une entrée en vigueur au 1er juillet 2013 puis inscrites dans la convention de 2014.
De l’avis des acteurs gouvernementaux comme syndicaux, l’intervention de l’exécutif a été forte pour faire inscrire ce point dans l’ANI. Pour un membre du cabinet du ministère du Travail au moment de la négociation :
88C’était clairement un sujet qui était pour nous un incontournable là-dessus. C’est un sujet de crispation majeure côté patronal, c’était un sujet de fin de négociation sécurisation de l’emploi, logiquement, puisqu’ils l’avaient réservé, ne voulant pas du tout avancer là-dessus. Et c’est un des sujets qu’ils ont lâché dans la dernière phase, avec des taux faibles, et personne ne l’a jamais nié (…). Avec néanmoins le sentiment de… quelque part de mettre un pied dans la porte et ouvrir un principe. (…) on a quand même fait beaucoup, ça a été dur de l’obtenir à ce moment-là (entretien en juin 2015).
La modulation est donc une concession patronale qui permet de justifier la signature de certaines organisations syndicales. Elle est une des composantes de la « sécurisation » qui viendrait contrebalancer les dispositions relatives à la flexibilisation (accords de maintien dans l’emploi, assouplissement des règles d’encadrement des licenciements notamment économiques, etc.). L’intervention de l’État pour faire inscrire la modulation dans les règles de l’assurance chômage corrobore la thèse selon laquelle dans cette institution paritaire, le fonctionnement s’apparente à un tripartisme (Higelé, 2012).
Bien qu’il n’existe pas d’évaluation empirique permettant de mesurer les effets de la modulation, l’évolution du nombre de CDD ne révèle pas de rupture liée à son entrée en vigueur.
Fig. 7 – Évolution du nombre d’embauches en CDI et en CDD
selon leur durée du 1er janvier 2000 au 1er janvier 2017.
Source : ACOSS, Déclarations préalables à l’embauche
89Les recettes supplémentaires issues de la surcotisation sont évaluées en 2014 à 70 millions d’euros sur un total de recettes annuelles supérieur à 33 milliards d’euros. L’Unedic reconnaît que les effets de désincitation sont « faibles voire nuls » (UNEDIC, 2014, p. 103). À ce stade, le double objectif affiché de financer le régime d’assurance chômage et de désinciter à l’emploi précaire est aujourd’hui loin d’être atteint. Mais, pour la CFDT, « le sujet, il est pas tellement financier. Le sujet, il est politique, et il est de mettre un coin dans la modulation des cotisations [avec des attentes vis-à-vis des négociations à venir] : on va commencer à réfléchir à notre mandat 2016, mais c’est un sujet sur lequel on va s’interroger, c’est clair ! » (négociatrice CFDT, mars 2015).
Il apparaît donc que lorsque la modulation parvient à s’imposer dans les négociations puis dans les textes, c’est avec l’appui de l’État et à des taux trop faibles pour que la modulation permette d’augmenter significativement les recettes pour l’Unedic.
II.4. Les propositions récentes de modulation
Les débats sur la modulation se sont poursuivis en 2016 dans deux cadres : la négociation d’une nouvelle convention Unedic et la discussion de la loi « El Khomri21 ». La seconde est venue percuter la première puisque le patronat menaçait de suspendre la négociation d’assurance chômage s’il n’obtenait pas gain de cause dans les arbitrages gouvernementaux sur la « loi El Khomri ». Des interférences ont également eu lieu suite à l’annonce le 11 avril 2016 par le Premier ministre Manuel Valls d’un projet d’amendement à la loi qui envisageait de « rendre obligatoire la modulation de cotisations à l’assurance chômage sur les contrats courts » dans le but « que le CDI redevienne la norme, qu’il n’y ait plus de raisons de recruter en CDD » selon l’entourage du Premier ministre de l’époque. La modulation des taux de cotisation selon la durée du contrat deviendrait donc une obligation légale sachant que « le niveau précis et les modalités de cette modulation seront établis par les partenaires sociaux lors de leur négociation sur l’assurance chômage22 ». 90Au final, le gouvernement a renoncé à cet amendement et la modulation n’est pas mentionnée dans la loi « Travail » de 2016.
Concernant la renégociation de la convention d’assurance chômage elle-même, après huit séances, les négociations se sont interrompues en juin 2016 sans accord signé et le gouvernement a prorogé la convention de 2014. Selon l’ensemble des parties prenantes – État compris – les négociations ont achoppé sur la modulation des cotisations. Les organisations syndicales – jugeant que les modulations introduites via l’ANI étaient insuffisantes – portaient différentes propositions de modulation. Elles se sont heurtées au refus obstiné du patronat de toute hausse des surcotisations sur les contrats courts.
Les organisations syndicales ont défendu trois systèmes de modulation différents (repris lors des négociations 2017). Chacun repose sur un modèle d’incitation et des conceptions de l’assurance chômage distinctes.
–Une hausse des majorations pour rendre plus dissuasif le recours aux contrats courts (CGT). La CGT revendique des taux de cotisation de 8,4 % pour les contrats de 2 à 6 mois, 10,4 % pour ceux de 1 à 2 mois, 12,4 % pour ceux de moins d’un mois, hors CDD de remplacement, et d’appliquer des cotisations équivalentes à celles du temps plein sur les emplois à temps partiel. Cette proposition repose sur l’idée que ce serait le CDD lui-même qu’il faudrait désinciter. La CGT juge les dispositions inscrites dans l’ANI de 2013 insuffisantes, et propose donc de réduire fortement les dérogations et d’augmenter les surcotisations. C’est la seule confédération dont les propositions ne conduisent, dans aucun cas de figure, à une baisse du taux de cotisation.
–Un système de bonus-malus en fonction de la proportion d’emplois précaires dans l’entreprise (FO et CFE-CGC). Les partenaires sociaux seraient chargés de fixer un taux de contrats précaires admis qui varie selon la taille de l’entreprise. Si une entreprise dépasse ce taux, son taux de cotisation augmente, si elle est en dessous elle bénéficie d’une baisse du taux, dans une limite allant de 5 % pour le taux plancher à 10 % pour le taux maximal. Le taux minimal conduirait donc à une baisse de cotisation pour certains employeurs. Cette proposition repose sur l’idée qu’il faut désinciter à l’abus de CDD.
91–La dégressivité dans le temps des cotisations selon la durée d’emploi (CFDT et CFTC). Cette proposition repose sur un principe de taxation en fonction de la durée du contrat et non de sa nature. Elle conduirait à diminuer les taux de cotisation pour les contrats de plus de 18 mois par rapport aux taux actuels.
Fig. 8 – Taux de cotisation en fonction de l’ancienneté dans l’emploi (mois) : proposition de la CFDT.
La proposition de modulation s’est donc peu à peu imposée dans le paysage des négociations d’assurance chômage, faisant un détour par un ANI plus général pour faire céder ponctuellement le patronat, avec l’appui de l’État. L’idée de modulation des taux de cotisations en fonction des pratiques d’emploi qui s’impose à la fin des années 2000 semble faire consensus du côté syndical, ce qui n’a toutefois pas empêché l’accord du 28 mars 201723. Ce consensus doit être décrypté en analysant les projets des différentes organisations.
92III. Revendication de modulation des taux :
un consensus syndical ?
Derrière le consensus sur le principe de modulation des cotisations, des divergences perdurent sur les modalités. L’étude des propositions telles que formulées lors des négociations 2016 permet d’identifier les conceptions syndicales différenciées du rôle de l’assurance chômage.
III.1. Un double constat commun
aux revendications de modulation
En dépit de différences entre leurs propositions de modulation des cotisations, les organisations syndicales convergent sur le fait que cette revendication prend son origine dans l’impossibilité de négocier une augmentation générale du taux de cotisation et dans la nécessité de ne pas limiter la régulation des comportements des employeurs à des mécanismes incitatifs.
Des plateformes revendicatives aux sujets réellement négociés, il y a toujours des différences, des hiérarchies entre les revendications, il y a ce qui est négociable ou non. La stabilité de long terme du taux de cotisation dans un contexte de niveau de chômage et d’équilibre financier du régime très mouvants, révèle que le taux de cotisation (du régime général) est sorti du champ du négociable. Lors de la négociation Unedic de 2014, un négociateur CGT explique : « on a un chiffrage qui dit qu’un point d’augmentation de la cotisation patronale, fait je-ne-sais-plus-combien de milliards24 (…). Et là, il y a un refus total de la délégation patronale, unanime, pour dire : « nous refusons toute augmentation, tout alourdissement des charges pour les entreprises (…). Donc là, veto total et d’un bout à l’autre ils ont refusé d’en discuter » (entretien de janvier 2015). Ce que confirme une négociatrice de la CFDT : les représentants patronaux « l’avaient annoncé à tout le monde… c’était une ligne rouge : on n’augmentera pas les “cotises” ! » (entretien de mars 2015). L’hypothèse de modulation 93est donc pour partie le résultat d’une exclusion du taux de cotisation du champ de la négociation.
Le deuxième constat concerne le fait que la modulation des cotisations ne doit pas conduire à exonérer le patronat d’une régulation de ses pratiques d’emploi à laquelle il aurait, selon certaines organisations syndicales, intérêt. Le négociateur CFTC, bien que soutenant les mesures de modulations, semble en effet en faire un pis-aller d’une régulation des pratiques des employeurs :
Ça fait un certain nombre d’années que je dis aux employeurs « puisque vous vous targuez de défendre tel et tel principe, mais faites la police dans les entreprises, vous subissez la concurrence déloyale de vos collègues ». (…) Il faut que ce soit l’assurance chômage qui vienne faire la police pour vous, par l’intermédiaire de la cotisation, ce n’est pas notre rôle. (…) Mais le rôle de l’assurance chômage, c’est pas ça. Oui, on peut introduire cette démarche là mais je continue à dire, que les organisations syndicales d’employeurs fassent la police chez eux (entretien en février 2015).
La CFDT renvoie également à une nécessaire régulation des pratiques d’emploi par les employeurs eux-mêmes :
Y’en a qui sont des bons élèves qui payent pour les mauvais élèves, donc essayez un peu aussi entre vous de parler de vos pratiques. C’est plus compliqué que ça, parce que quand y’a des secteurs qui sous-traitent beaucoup, donc il faut reporter la précarité sur d’autres secteurs… Mais en même temps c’est votre problématique, c’est votre responsabilité, c’est pas que à nous à dire : il faut des CDI, il faut des CDI, il faut des CDI… c’est pas que ça ! Y’a de la pratique d’employeur, et y’a… ben y’en a qui payent plus pour d’autres. Donc essayez de discuter de ça un peu plus entre vous (négociatrice CFDT, mars 2015).
En développant ces arguments, les représentants des organisations syndicales reconnaissent les limites du dispositif : la désincitation par les taux de contributions ne peut être le seul moyen pour lutter contre la précarité d’une part, et apparait comme un dérivatif à l’impossibilité de négocier le taux de contribution d’autre part.
III.2. La modulation comme revendication réaliste
La modulation suscite deux types d’attente : un effet sur les recettes de l’assurance chômage et un effet dissuasif sur les employeurs. Si la modulation telle qu’introduite dans l’ANI de 2013 n’a pas eu les effets 94escomptés en termes de financement de l’assurance chômage, certaines organisations défendent des revendications avec des taux plus élevés qui auraient des effets significatifs sur les recettes. Ainsi, le projet de bonus-malus porté par FO depuis la négociation Unedic de 2014 (cotisation plafond fixée à 10 % pour les entreprises dépassant un taux d’emploi précaire défini en fonction du secteur et de la taille de l’entreprise) aurait permis selon le chef de file de l’organisation pour ces négociations de financer véritablement le régime : « 5 milliards d’euros, ça rapporte pour l’Unedic ! » (négociateur FO, février 2015).
Pour autant, derrière le consensus revendicatif, les doutes sur le dispositif de modulation des contributions existent. Des négociateurs de la CGT, de FO et de la CFTC émettent des réserves sur le principe. En effet, comme mentionné supra, le fait de réguler des comportements par un mécanisme financier et non par le droit est parfois jugé non conforme au rôle de l’assurance chômage et interroge sa nature : « on va sur un modèle qui peut aller à l’encontre des formes de solidarité inter-pro’ qu’on a mises en place » (négociateur FO, février 2015). L’assurance chômage reste-t-elle un risque social dont la prise en charge doit être socialisée à l’échelle interprofessionnelle ?
Autre mise en cause : l’efficacité de la mesure. À la CGT, le principe de modulation de cotisations sociales est une revendication ancienne et qui n’est pas réservée à l’assurance chômage25, pour autant l’efficacité de la mesure sur la qualité de l’emploi semble mise en doute :
C’est la position de la confédération d’essayer de dire : il faut taxer la précarité lourdement pour essayer de la limiter. Bon. J’avoue que moi je suis un peu plus circonspect par rapport à ça. Ça peut marcher, peut-être, mais il faudrait le faire plus finement. On le voit bien dans les annexes 8 et 10, le doublement des cotisations employeurs et salariés n’a pas eu d’effet particulier (…) on ne peut pas trouver de mécanisme qui fonctionne tout seul avec l’assurance chômage. C’est un des éléments. Il faut que ce soit une part d’une politique. Ça peut être un élément qui renforce la lutte contre la précarité, mais s’il y a que ça, ça ne marchera pas. Ça doit être un… il doit y avoir une politique d’emploi derrière… (négociateur CGT, janvier 2015).
95Autrement dit, pour ce négociateur, la modulation doit s’inscrire dans un système de régulation mais ne pas être le seul élément d’encadrement du recours aux contrats courts.
Chez FO, la prudence sur l’efficacité désincitative de la modulation des taux selon la qualité de l’emploi est également de mise :
On a toujours été très prudent. Moi, j’ai toujours dit, c’est un modèle théorique. De même qu’il y a des éléments de comportement de grands donneurs d’ordre qui potentiellement, pourraient… qui seraient impactés par ce type de système, qui pourraient dire, je vais – en partie, ce qu’ils font déjà – je vais externaliser la précarité sur les sous-traitants. (…) C’est pour ça que nous, quand on a présenté ces choses-là, on a toujours été très prudent, en disant, écoutez, nous, on a quelques expériences aux États-Unis là-dessus, mais on est quand même très, très prudent, parce que d’une part, en termes de rationalité, ça peut être compliqué, et puis, effectivement, sur ce que ça produit en termes de comportement des entreprises, ça effectivement, (…) peut-être que le système est complètement foireux, quoi, donc… Par contre je me dis qu’il a du sens (négociateur FO, février 2015).
Faire payer les « mauvais employeurs » parait juste (« a du sens »), mais l’effet désincitatif sur l’emploi précaire est largement questionné. Pour lutter contre la précarité de l’emploi, une régulation des pratiques des employeurs par la loi (ou par les organisations d’employeurs) est une solution jugée en réalité plus efficace. Au-delà, interrogé par rapport aux projets de modulations des cotisations inspirés de l’experience rating américain, le négociateur de FO mesure le risque :
Le système de modulation des cotis’, c’est vraiment un modèle systémique (…). C’est de dire, l’entreprise n’a plus de responsabilité, quelque part, sociale et financière, on renvoie tout à une grand structure type Pôle Emploi, mais super efficace, qui est en charge de l’accompagnement et de l’indemnisation (…). Mais, donc, c’est un modèle… mais je suis d’accord que quelque part, nous, on est quand même très prudent, on pense que ça a du sens, je ne suis pas sûr que ça soit le bon modèle, d’ailleurs. Mais bon, c’est vrai qu’on a beaucoup travaillé là-dessus, parce qu’il me semblait que la question de la sur-cotisation, comme ça, de passer de 4 à machin, comme ça, un truc sans souplesse, n’a pas de sens, mais d’un autre côté, (…), on va sur un modèle qui peut aller à l’encontre des formes de solidarité inter-pro’ (négociateur FO, février 2015).
Ainsi le positionnement de FO vis-à-vis du modèle de l’experience rating n’est caractérisé ni par un rejet massif, ni par une position de soutien univoque.
96À bien des égards, la modulation des taux de cotisation apparaît pour diverses raisons, au moins pour la CGT, FO et la CFTC, comme un pis-aller qui a l’avantage de s’inscrire dans le champ du possible de la négociation.
III.3. La modulation comme principe de justice :
la stratégie du pied dans la porte
Le positionnement de la CFDT est différent. Le soutien au mécanisme de modulation semble plus franc. La CFDT défend le principe de surcotisation comme allant de pair avec les droits rechargeables26, revendication centrale de cette confédération lors de la négociation en 2014 et dont le principe est acté dès 2013 dans l’ANI sur la sécurisation de l’emploi :
On crée la revendication droits rechargeables (…) On est dans un contexte très particulier, qui est celui de l’explosion des contrats courts, et très courts (…). Donc il s’agit pas de créer les droits rechargeables pour sécuriser les gens dans la précarité, qu’on soit bien clairs ! Donc le pendant des droits rechargeables, c’est la sur-cotise, ça va ensemble (négociatrice CFDT, mars 2015).
Ainsi, même si le dispositif actuel est jugé largement insuffisant, il est un point de départ à un dispositif pensé comme juste et potentiellement efficace. Le dispositif actuel est présenté comme un pied mis dans la porte en vue de prochaines négociations :
Quand on met 0,5 sur les contrats les plus courts, franchement, ça leur fait payer deux euros de plus… elle est où la dés-incitation financière ? Elle n’existe pas. C’est pas le modèle qu’on voulait, c’est pas le bon modèle, mais dans tous les cas on met un coin dans la modulation et dans l’idée de dire aux employeurs : vous avez une responsabilité sur les types de contrats auxquels vous recourrez ! (…) la sur-cotisation telle qu’elle est intervenue, c’est pas la revendication qu’on avait au départ. Mais pour nous, il s’agit bien de dés-inciter des employeurs qui pourraient bénéficier favorablement, ou avoir des effets d’aubaine sur les droits rechargeables (négociatrice CFDT, mars 2015).
97Ces propos mettent en lumière une tension interne à la politique de la CFDT. D’un côté les emplois de courtes durées sont considérés comme un marchepied vers l’emploi stable et devraient à ce titre être encouragés en multipliant les possibilités d’ouverture de droits pour les allocataires. D’un autre, il y a la crainte que ces politiques conduisent à faciliter le recours à ces emplois pour les employeurs. C’est donc pour éviter ce risque qu’intervient la modulation : selon la CFDT, elle vient désinciter l’employeur à l’emploi de courte durée alors que les droits rechargeables sont censés venir inciter le salarié à ce même emploi court puisque tout emploi lui garantit de cumuler des droits supplémentaires : « y’avait des demandeurs d’emploi qui se posaient la question : “je vais pas reprendre à travailler je vais laisser mon droit…” et pour nous c’était insupportable ça ! » (négociatrice CFDT, mars 2015), « grâce aux droits rechargeables, à chaque fois qu’une personne travaille ou retravaille, elle acquiert des droits au chômage qu’elle cumule avec ceux qu’elle a déjà » (CFDT, 2015). Cette revendication doit être mise en perspective plus largement dans le corpus idéologique de la CFDT pour en saisir la portée. L’idée de moduler le taux de cotisation en fonction de la durée du contrat en complément d’un dispositif d’incitation des chômeurs à reprendre les emplois de courte durée via les droits rechargeables constitue un ensemble cohérent et pas seulement un compromis conjoncturel dans le champ des possibles de la négociation. Il s’inscrit pleinement dans la logique de sécurisation des parcours professionnels, de flexicurité, et son idéal de marché du travail efficient qui structure les revendications de la CFDT depuis les années 2000 (Higelé, 2011). On associe la flexibilité (possibilité de recourir aux emplois courts) à la sécurisation des salariés concernés (droits rechargeables) tout en responsabilisant les employeurs qui doivent en payer le prix (désinciter et financer). Il ne s’agit pas d’interdire des pratiques mais de réguler le marché du travail par des modèles d’incitation-désincitation. Déjà, lorsque FO insistait en 2005 sur l’idée d’une surcotisation sur les emplois précaires, la chef de file de la CFDT à la négociation Unedic précisait :
Notre idée à nous, c’est plus comment on sécurise les parcours (…) On ne refuse pas la mobilité mais ceux qui abusent de la mobilité et en abusant de la mobilité mettent leurs salariés en précarité, ceux-là sont taxés. Parce que nous on trouvait idiot de commencer à taxer un contrat CDD, parce qu’on savait très bien que une fois sur deux un contrat CDD se poursuit en CDI, 98on sait très bien que les chefs d’entreprise (…), ils ont besoin de tester les salariés, c’est humain. Et on a à peu près la moitié des contrats CDD qui se poursuivent en CDI, donc c’est un peu dommage de taxer cette démarche-là, voilà pourquoi on voulait taxer à la fin quand seulement il y a réalité de rupture du contrat (négociateur CFDT, avril 2006).
Cette réticence à taxer l’emploi précaire lui-même, avec le risque de désinciter à l’emploi tout court, conduit finalement la CFDT à proposer un système de réduction progressive du taux à mesure de la durée du contrat (cf. supra).
Cette parenté entre flexicurité et modulation des cotisations explique que cette dernière soit défendue aussi bien par des économistes néo-libéraux que par des organisations syndicales. La modulation, nous l’avons évoqué, a même un temps été proposée par le gouvernement Valls comme concession « de gauche » pour tenter de calmer les opposants à la loi « El Khomri » de 2016. Toutefois, ce qu’ont en commun ces partisans de la modulation, c’est la croyance en la supériorité de la régulation marchande. Il s’agit donc de réguler la quantité et la qualité de l’emploi par le prix du travail, en internalisant pour l’employeur le coût de ses choix. Cela conduit à revenir sur la mutualisation telle qu’elle se pratique depuis la création de l’assurance chômage pour la remplacer par un modèle « pollueur-payeur ». Cotiser en fonction de ce que l’on coûte est présenté comme parfaitement juste, à rebours de l’idée que mutualiser permet d’alléger le poids du risque pour tous.
Le consensus syndical apparent sur la nécessaire modulation des taux de contribution traduit, au-delà des communiqués syndicaux, des motivations et des engagements différenciés. L’enjeu de cette proposition n’est donc sans doute pas seulement une question qui oppose syndicats et patronat, mais reste également en question entre organisations syndicales. Cet enjeu est en outre percuté par les interrogations sur l’avenir du régime posées par l’arrivée d’Emmanuel Macron à la Présidence de la République.
99Conclusion
La modulation des taux de cotisations se construit comme revendication syndicale à partir d’un diagnostic de surcoût généré par les contrats précaires et finit par s’imposer comme objet de négociation. Bien que l’augmentation des contrats courts soit un enjeu certain, c’est le fait que le patronat ait imposé de sortir l’augmentation du taux général de cotisation du champ du négociable qui explique l’émergence de cette revendication. Cette dernière est portée par l’ensemble des organisations syndicales bien qu’elle rompe avec le principe d’unicité du taux adopté à la fondation du régime d’assurance chômage dans le sillage de la Sécurité sociale. Pour autant, les différentes modalités de modulation du taux de cotisation et les interrogations que la revendication soulève chez les syndicalistes montrent que la mesure questionne la conception de l’assurance-chômage. La revendication de modulation des taux comme pis-aller à la CGT voire à FO n’est à ce titre pas nécessairement compatible avec le projet de la CFDT.
Aujourd’hui, l’apparence du consensus tient surtout à l’opposition du patronat à toute augmentation des taux, fut-elle sous forme de surcotisations pour des franges spécifiques d’employeurs. Les modestes surcontributions en vigueur de juillet 2013 à octobre 2017 n’ont été actées qu’à la faveur de leur inscription comme contrepartie dans un ANI portant sur de multiples sujets (ANI de sécurisation de l’emploi de 2013). Depuis, par son refus de toucher aux contributions en 2014, par la mise en échec des négociations en 2016 sur le sujet des surcotisations, et enfin par la remise en cause en 2017 des surcotisations existantes sur les contrats courts, le patronat fait apparaitre les organisations syndicales comme unies derrière cette revendication. Empêtré dans ses débats internes sur l’intérêt même de sa présence à l’assurance chômage, le MEDEF ne s’est pas saisi de la question, campant sur une position traditionnelle de refus d’augmenter les « charges sociales ». Il a d’ailleurs obtenu la suppression de l’essentiel des surcotisations dans l’accord Unedic du 28 mars 2017. L’accord étant signé par toutes les organisations syndicales sauf la CGT, on pourrait conclure que la revendication a fait son temps. Elle semble surtout avoir fait les frais du contexte spécifique de l’élection présidentielle 100et de la menace d’étatisation du régime d’assurance chômage par le candidat Macron. En mars 2017, la CFDT note que « les risques que feraient peser un nouvel échec de cette négociation sur les demandeurs d’emploi comme sur l’avenir du paritarisme » interdisent de ne pas aboutir à un accord. Pour FO ce contexte participe de la justification de la signature du texte : « Alors que certains programmes présidentiels prévoient pour des raisons d’alignement budgétaire une étatisation de ce régime, prélude à une remise en cause générale du paritarisme, cet accord constitue une protection pour les salariés et les demandeurs d’emploi » (communiqué de FO, 31 mars 2017). Mais rien ne laisse penser que les organisations syndicales seraient enclines à abandonner la revendication de modulation. La contribution temporaire décidée en 2017, déjà contestée en interne du MEDEF, n’indique pas non plus un revirement du patronat en matière d’évolution du taux général de cotisation. La modulation reste donc la marge de manœuvre syndicale la plus vraisemblable. D’ailleurs, le programme présidentiel d’Emmanuel Macron prévoit la mise en place d’un « bonus-malus sur l’assurance chômage » et le gouvernement a demandé aux partenaires sociaux fin 2017 de faire des propositions pour réguler le recours des entreprises aux contrats courts, menaçant d’imposer un système de bonus-malus si les mesures proposées étaient jugées insuffisantes. Ainsi, l’avenir de la modulation des taux de cotisations et, par rebond, la nature des formes de socialisation dans le régime d’assurance chômage, reposent dans les mains du patronat. Dans le contexte paritaire qui lui donne de fait un droit de veto, la manière dont les représentants des employeurs se saisiront ou non d’une formule de modulation des taux de contribution, départageant ainsi les différentes conceptions syndicales de la mesure, est décisive.
101Bibliographie
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1 Nous laissons donc de côté les questions relatives à l’Allocation de solidarité spécifique (ASS) et au Revenu de solidarité active (RSA) de même que nous n’abordons pas les annexes à la convention d’assurance chômage sauf comme contrepoint de l’analyse.
2 Dans le cadre des négociations interprofessionnelles telles qu’elles sont instituées dans le partenariat social, le patronat dispose de fait d’un droit de veto sur les sujets négociés (cf. Higelé, 2012).
3 Depuis 2002, les employeurs et salariés du spectacle sont soumis à un taux de cotisation spécifique. Si le MEDEF remet régulièrement en cause la légitimité même des annexes 8 et 10 afférentes aux intermittents du spectacle, il doit composer avec les organisations d’employeurs du secteur, attachées à ces annexes, la plupart des organisations syndicales interprofessionnelles et sectorielles, et le risque que le sujet lui échappe si l’État décide de légiférer pour régler le problème. Le compromis trouvé en 2002 et toujours en vigueur est de maintenir les annexes mais de faire contribuer davantage le secteur au financement de l’assurance chômage, en plus d’un financement public spécifique au titre de la politique culturelle (Grégoire, 2013).
4 Intervention de Georges Savourey à l’Assemblée consultative provisoire, no 68, J.O. du 1er août 1945, p. 1677 citée in Ruffat et Viet (1999, p. 92).
5 Bien que plusieurs fois évoquée, la réalisation de réserves budgétaires dans les périodes de bonne conjoncture n’a jamais été réalisée dans l’assurance chômage. Ainsi, de 1997 à 2001, lorsque le chômage a fortement baissé, les gestionnaires du régime ont acté une baisse de cotisation plutôt qu’une reconstitution de trésorerie.
6 La cotisation initiale de 1 % (dont 0,8 % employeurs) décidée en 1958 s’est révélée excessive du fait de la faiblesse du chômage. En 1962, le taux de cotisation est baissé à 0,25 % (dont 0,20 % pour la part patronale).
7 Sur l’histoire du droit à indemnisation voir Daniel et Tuschzirer (1999), Higelé (2004 et 2009a).
8 Pour le négociateur du Medef de la convention de 2006, « je savais qu’on ne pouvait obtenir un effort (…) des délégations syndicales qu’à partir du moment où on augmentait les cotisations. (…) Et on a dit on va les augmenter de 0,08 (…)de 0,04 pour les salariés, de 0,04 pour les employeurs (…) Et ça a débloqué un peu la négociation. Et c’est ce qui a permis de durcir un peu le système » (janvier 2017).
9 Cette « contribution exceptionnelle temporaire » est à la charge des employeurs et peut être supprimée à tout moment par le comité de pilotage interprofessionnel paritaire chargé du suivi de la convention.
10 Dans la convention de 2009, une disposition a été introduite qui prévoit une baisse du taux de cotisation en cas de diminution du taux de chômage. Cette baisse prévue serait uniforme quelle que soit la durée des contrats.
11 Le principe adopté en 2009 et toujours en vigueur de « 1 jour cotisé=1 jour indemnisé » en constitue la version la plus radicale puisque la durée de cotisation est strictement la même que la durée de prestation (entre un minimum de 4 mois et un maximum qui varie selon l’âge). En somme chaque nombre de jours cotisés constitue en soi une filière d’indemnisation.
12 Le nombre de chômeurs (DEFM cat. ABC – France métropolitaine) de longue durée (1 an ou plus) est passé de moins d’un million en décembre 2008 à plus de 2,4 millions en aout 2016 (et presque 2,5 millions en septembre 2017).
13 Jusque 2009, et depuis 1982, les filières d’indemnisation liaient certes les durées d’indemnisation aux durées de cotisations, mais permettaient par mutualisation de faire bénéficier de durées d’indemnisation supérieures aux durées d’affiliation. Dans la convention de 2006 par exemple, 16 mois d’affiliation ouvraient droit à 23 mois d’indemnisation mais en 2001, 14 mois ouvraient 30 mois de droits.
14 Le principe de solidarité interprofessionnelle a donné lieu à des mises en cause similaires de sa légitimité s’agissant notamment des annexes 8 et 10 concernant les intermittents du spectacle ou dans une moindre mesure, l’annexe 4 concernant les intérimaires (voir par exemple Coquet, 2014 et 2016).
15 Le déficit cumulé s’élève au 31 décembre 2005 à 14 milliards d’euros selon le préambule de la convention d’assurance chômage du 18 janvier 2006.
16 François Chérèque, secrétaire général de la CFDT, interviewé dans Le Figaro du 24 octobre 2005.
17 Les CDD, à l’exception des CDD d’usage, ouvrent droit à la perception d’une prime de précarité dont le montant est égal à 10 % du salaire perçu sur l’ensemble du contrat.
18 Le conflit entre « l’aile sociale » et « l’aile libérale » du patronat est ancien (Offerlé, 2009). Il a connu un nouveau regain à l’occasion de la revendication de modulation des cotisations, ne laissant aucune marge de manœuvre à la délégation patronale lors des dernières négociations pour sortir du mot d’ordre de refus de toute modulation des taux.
19 L’intitulé exact est « accord national interprofessionnel pour un nouveau modèle économique et social au service de la compétitivité des entreprises et de la sécurisation de l’emploi et des parcours professionnels des salariés ».
20 Ce type spécifique de CDD possède des règles d’encadrement plus favorables aux employeurs que celles du CDD (absence de prime de précarité, de terme précis, etc.). Son usage est possible dans certains secteurs d’activité dont la liste est fixée par décret.
21 Loi no 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.
22 Manuel Valls cité par Morgane Gaillard, AEF, 11 avril 2016, « PL [projet de loi] El Khomri : le gouvernement va rendre obligatoire la modulation des cotisations chômage sur les contrats courts ».
23 Ce dernier accord d’assurance chômage agréé le 6 mai 2017 prévoit la suppression des surcotisations sur les CDD à l’exception de celle de 0,5 point sur les CDD d’usage conservée pour 18 mois supplémentaires (cf. infra).
24 Selon la Cour des comptes (2015), un point d’augmentation des cotisations rapporterait 5 milliards d’euros par an.
25 La CGT revendique une modulation des cotisations patronales notamment pour financer les retraites du régime général et les retraites complémentaires. Elle porte un projet de double modulation dans le cadre de la Sécurité sociale professionnelle : une modulation en fonction des comportements des employeurs et une modulation en fonction de la valeur ajoutée afin de ne pas « pénaliser » les secteurs fortement consommateur de main-d’œuvre.
26 Le principe des droits rechargeables est venu remplacer celui de réadmission. Ces deux dispositifs visent à donner des droits à des chômeurs qui acceptent des emplois courts. Avec la réadmission, le chômeur, à l’issue du contrat repris, voyait son indemnisation recalculée sur la base du capital de droit le plus long et du montant de l’indemnité journalière la plus élevée. Dans les droits rechargeables, aucun des droits n’est perdu : ils se cumulent.
- CLIL theme: 3319 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Économie publique, économie du travail et inégalités -- Travail, emploi et politiques sociales
- ISBN: 978-2-406-08264-4
- EAN: 9782406082644
- ISSN: 2555-039X
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-08264-4.p.0069
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 07-10-2018
- Periodicity: Biannual
- Language: French
- Keyword: Unemployment insurance, industrial relations, employer and employee representatives, discontinuous employment