When self-employment replaces wage labor The cost and the value of independence
- Publication type: Journal article
- Journal: Socio-économie du travail
2016, n° 1. Être entrepreneur de soi-même, l’auto-emploi - Author: Abdelnour (Sarah)
- Pages: 29 to 60
- Journal: Social Economy of Labor
Quand l’auto-entrepreneuriat
se substitue au salariat
Le prix et la valeur de l’indépendance
Sarah Abdelnour
Université Paris Dauphine
IRISSO (UMR 7170 CNRS)
Introduction
Voté à l’été 2008, le régime de l’auto-entrepreneur marque une nouvelle étape dans la promotion politique de l’auto-emploi. Ce dispositif consiste en une option « allégée » pour les entreprises individuelles réalisant de faibles chiffres d’affaires. Il les dispense de certaines formalités administratives et de la TVA, et les exonère de prélèvements obligatoires planchers, puisque cotisations et impôts sont directement indexés sur le chiffre d’affaires. Dans une certaine mesure, il s’inscrit dans la continuité des dispositifs mis en place depuis les années 1970 visant à encourager les chômeurs à créer une entreprise, au premier rang desquels figure l’Accre, aide aux chômeurs créateurs et repreneurs d’entreprise (Aucouturier, 1996). Mais ce nouveau dispositif marque deux déplacements de taille. D’une part, si l’Accre était au départ destinée aux seuls cadres1, le régime de l’auto-entrepreneur signe l’extension du mot d’ordre vers les classes populaires, enjointes à recourir à l’auto-emploi pour faire face, de manière individualisée, à la crise (Abdelnour et Lambert, 2014). D’autre part, et non sans lien, 30le passage à l’indépendance n’est plus pensé comme exclusif, mais comme un moyen de « travailler plus pour gagner plus ». Le régime organise ainsi le cumul des revenus pour tous, incitant salariés, retraités et étudiants à « faire fructifier leur talent » selon le slogan officiel, et cela en plus de leur activité ou de leur statut social principal. Il participe alors du brouillage des frontières entre salariat et indépendance, analysé depuis une vingtaine d’années (Dupuy et Larré, 1998 ; Supiot, 1999 ; Caveng, 2011).
Mais si le cumul constitue la nouveauté, une enquête statistique datant de 2010 (voir encadré) révèle néanmoins que 62 % des auto-entrepreneurs n’ont pas d’autre activité professionnelle. Le dispositif, en baissant les barrières à l’entrée habituelles de l’indépendance, fait alors advenir une nouvelle génération de très petits indépendants. Or ceux-ci n’ont ni les caractéristiques ni les ressources habituelles des indépendants. En effet, ils n’étaient que 5 % à être indépendants avant de s’inscrire, et l’enquête SINE révèle plus largement que 77 % d’entre eux n’ont jamais créé d’entreprises auparavant. Les auto-entrepreneurs démarrent ainsi le plus souvent sans capital initial et sans transmission familiale, ce qui les distingue nettement des indépendants plus traditionnels (Colombier et Masclet, 2008 ; Bessière et Gollac, 2010).
Afin de cerner ces nouvelles trajectoires d’indépendants, cet article se centrera sur les auto-entrepreneurs à titre exclusif ou du moins principal, c’est-à-dire qui consacrent la majeure partie de leur temps de travail à leur activité indépendante, et/ou qui en tirent leur statut et l’essentiel de leurs revenus. Il s’agira alors de saisir les conditions de mise à son compte en l’absence de patrimoine, de réseau professionnel ou de compétences comptables, ainsi que les ressources mobilisées pour gérer l’instabilité des revenus, l’absence de congés payés ou encore d’assurance chômage. Nous mettrons alors ici de côté les situations de cumul sur la base d’un centre qui soit un salaire ou une retraite. L’enquête a montré que les situations de cumul avaient tendance à redoubler les polarisations des situations socioprofessionnelles : les plus qualifiés, déjà protégés, en tirent des revenus supplémentaires et même une protection sociale inutilement dédoublées, tandis que les plus fragiles, souvent les plus jeunes, accumulent des bouts de ficelle d’une société de travail de laquelle ils peuplent les marges.
31Dans leur ensemble, les auto-entrepreneurs à titre principal sont confrontés à des situations économiques fragiles. Et cela d’abord par définition, en raison des seuils de chiffres d’affaires annuels imposés aux auto-entrepreneurs : 32 000 euros pour les activités de services et 80 000 euros pour les activités commerciales2. Le régime apparaît alors pour certains brider toute perspective de croissance économique, et fonctionner finalement comme « adoucissant de la rigueur » bien plus que comme instrument de compétitivité (Levratto et Serverin, 2012). En outre, les chiffres d’affaires déclarés par les auto-entrepreneurs sont significativement inférieurs aux seuils autorisés. Sur le premier trimestre 2012, plus de la moitié des auto-entrepreneurs ne déclaraient aucun revenu de leur activité, et un autre quart déclaraient moins de 3 000 euros de recettes. Une synthèse de l’Insee établit alors qu’au bout de trois ans, 90 % des auto-entrepreneurs dégagent un revenu inférieur au Smic au titre de leur activité non salariée (Domens et Pignier, 2012). Mais l’interprétation de ces faibles chiffres d’affaires nécessite de connaître le statut de l’activité, entre complément et revenu principal. Or il apparaît que toutes choses égales par ailleurs, les auto-entrepreneurs pluriactifs dégagent de leur activité indépendante un revenu inférieur de 12 % aux auto-entrepreneurs exclusifs, ou devrait-on dire un revenu inférieur de seulement 12 %.
En prenant pour objet les situations dans lesquelles l’auto-entrepreneuriat constitue la situation professionnelle centrale, l’article vise à penser ensemble les conditions de ces entrées dans l’indépendance, et l’organisation mise en place afin de gérer le coût de ce changement de statut. Cette analyse s’inscrit dans une interrogation plus large sur les formes de renouveau de l’indépendance dans un contexte d’effritement du salariat (Castel, 1999). Il s’agit d’identifier les mécanismes de diffusion du modèle du travail indépendant, et les conséquences de la sortie du salariat sur des trajectoires individuelles mais aussi plus collectives. Ainsi, dans quelles configurations de contraintes et d’aspirations, et en recourant à quelles ressources, tant professionnelles que domestiques, s’opèrent les passages du salariat à l’auto-entrepreneuriat ?
32Méthode et terrain d’enquête
Cet article est issu d’une enquête portant sur le régime de l’auto-entrepreneur, envisagé de sa genèse politico-institutionnelle à ses usages. Sera ici mobilisée l’analyse des trajectoires des auto-entrepreneurs, appuyée sur une enquête ethnographique, et cadrée par des éléments statistiques. Le volet quantitatif a été réalisé à partir des données de l’enquête SINE (système d’information sur les nouvelles entreprises) de l’Insee. Le dispositif consiste à sélectionner, tous les quatre ans, une cohorte d’entreprises nouvellement créées et à les interroger trois fois, à la création, au bout de trois ans puis de cinq ans. Lors de la mise en place d’une nouvelle cohorte en 2010, en sus des 55 000 entreprises dites classiques interrogées, 40 000 auto-entrepreneurs ont répondu à un questionnaire spécifique. Cette source permet notamment de dresser un profil sociodémographique des auto-entrepreneurs, de connaître leur situation professionnelle avant l’inscription et, le cas échéant, leur situation en parallèle de l’activité indépendante, en sachant qu’ont été interrogés à l’automne 2010 des auto-entrepreneurs qui se sont inscrits au cours du premier semestre de la même année. Notons que nous n’avons pas pu accéder aux fichiers sources de l’enquête SINE, mais seulement à une tabulation sur mesure, c’est-à-dire à des tris croisés réalisés à notre demande. De ce fait, il n’a été possible de mener ni analyses factorielles ni régressions.
Le cœur de l’enquête est de nature qualitative, reposant sur la conduite d’entretiens auprès d’une trentaine d’auto-entrepreneurs, réalisés entre juillet 2010 et mai 2011. Une base de contacts a été obtenue à partir du répertoire des entreprises de l’Insee, rassemblant des individus ayant créé une entreprise individuelle en octobre 2009 dans les départements des Yvelines et du Val d’Oise. J’ai alors pu mener des entretiens semi-directifs avec une trentaine d’auto-entrepreneurs de plusieurs communes socialement diversifiées de ces deux départements : Argenteuil, Cergy, Garges-lès-Gonesse et Versailles. Les entretiens portaient sur les trajectoires professionnelles, familiales et résidentielles, sur les pratiques de travail et administratives liées à l’activité, ainsi que sur les modalités de socialisation économique voire politique. L’objectif était d’articuler des composantes interdépendantes de la situation sociale, et notamment de penser ensemble statut d’emploi, activité de travail, situation familiale et liens aux structures collectives.
Ces entretiens ont été complétés par la monographie d’une administration qui a recours au régime afin de faire travailler une partie de ses chargés de mission, qu’il s’agisse de jeunes doctorants ou d’anciens membres du service désormais retraités. Elle a consisté en entretiens avec l’adjoint au responsable du service, cinq conseillers scientifiques « embauchés » sous le statut d’auto-entrepreneurs, ainsi qu’avec la responsable du service des ressources humaines.
33Dans le cadre de cet article ont été retenus, de ces différents terrains, les profils d’auto-entrepreneurs à titre principal voire exclusif, au nombre de seize sur la trentaine rencontrée, qui seront presque tous évoqués dans l’article. L’article permettra de saisir la diversité des profils, mais aussi les similitudes dans leur confrontation nouvelle au statut d’indépendant et dans leur éloignement vis-à-vis du salariat.
Afin de dépasser une distinction peu opérante entre des passages qui seraient choisis ou subis vers l’indépendance, nous chercherons à saisir les dynamiques de ces trajectoires, les rapports complexes à un salariat fragilisé ou inaccessible, et l’impact de l’auto-entrepreneuriat sur le statut professionnel, les pratiques de travail mais aussi l’économie domestique (Ténédos et Weber, 2006). Nous verrons d’abord que le régime de l’auto-entrepreneur est parfois utilisé par les employeurs comme modalité d’embauche, majoritairement de jeunes en début de carrière. Dans le secteur privé, il peut s’agir d’une période d’essai avant le salariat ou d’une période de compagnonnage dans une logique d’installation ; tandis que l’employeur public cherche quant à lui à contourner les restrictions d’embauches. Seront alors analysés les points d’appui de ces jeunes indépendants, qui restent largement tributaires du système salarial comme de l’entraide familiale. Dans une seconde partie seront envisagées des transitions vers l’auto-entrepreneuriat suite à une rupture dans des parcours de salariés. Ces déplacements prennent des sens divers, entre surtravail consenti des plus jeunes qui cherchent à accroître leurs revenus en sortant du cadre réglementé du travail salarié, volonté d’aménagement du temps de travail, notamment pour des mères de famille peu diplômées, et mécanisme d’assurance individuelle face au risque de licenciement. Dans tous ces cas, le passage à l’indépendance trouve ses conditions de possibilité dans une division sexuée du travail, et trouve un moteur d’engagement dans la valorisation de l’autonomie et de l’activité, à tout prix.
34i. L’auto-entrepreneuriatcomme modalité
d’embauche imposée par l’employeur
Avec plus d’un million d’inscrits depuis 2009, le régime de l’auto-entrepreneur est souvent décrit comme ayant « dopé » la création d’entreprise (Hagège et Masson, 2010). La distance entre les auto-entrepreneurs et les créateurs d’entreprise est toutefois bien souvent conséquente. Ces écarts peuvent faire l’objet d’une appréhension statistique. Une synthèse récente de l’Insee établit neuf profils types de créateurs, en réalisant une classification automatique sur les volets classiques et auto-entrepreneurs de l’enquête SINE (Barruel et al., 2014). Apparaît alors le fait que deux tiers des auto-entrepreneurs ne ressemblent pas aux créateurs dits classiques. Il s’agit soit de salariés, retraités ou étudiants cumulants, soit de personnes « créant leur propre emploi », qu’il s’agisse de jeunes diplômés ou de « non-diplômés débutants ». L’enquête ethnographique confirme largement ces usages distincts et variés. Mais elle permet également de saisir une réalité spécifique : l’auto-entrepreneuriat comme modalité d’embauche mise en place par les employeurs, privés mais aussi publics. Les travailleurs répondent à des offres d’emploi, et sont ensuite invités à s’inscrire comme auto-entrepreneurs afin d’être rémunérés, laissant alors entrevoir une réalité de salariat déguisé. Cet usage du régime, non pas par les travailleurs mais par les employeurs, concerne souvent des jeunes. Ces derniers sont plus largement surreprésentés parmi les auto-entrepreneurs, puisque 42 % des auto-entrepreneurs ont entre 20 et 34 ans. Le dispositif fonctionne dans ce cas comme outil de reconversion vers l’indépendance des contrats atypiques, dès lors externalisés. Nous verrons successivement les logiques et modalités de ce recours, dans le secteur privé puis dans le secteur public. Si le passage par l’auto-entrepreneuriat est accepté en tant que modalité d’insertion professionnelle, la situation d’indépendance est gérée par des points d’appui dans le salariat, notamment via l’entourage familial.
35L’auto-entrepreneuriat d’insertion :
commencer sa carrière (libérale ou salariée)
par la petite porte de la (fausse) indépendance
L’auto-entrepreneuriat fonctionne parfois comme modalité d’embauche, mise en œuvre par des employeurs privés, souvent à l’adresse de jeunes en voie d’insertion professionnelle. Cela peut concerner des jeunes visant à s’engager à terme dans des carrières d’indépendants, et se mettant au service de professions libérales en auto-entrepreneurs mais dans des conditions de salariés. Mais cet usage concerne également de futurs salariés, dont le travail en tant qu’auto-entrepreneur fonctionne comme période d’essai, en lieu et place de CDD.
Ce second usage est illustré par le cas de Mathilde, 23 ans, diplômée d’architecture, qui a mis en ligne une annonce sur le site internet de l’ordre des architectes indiquant « recherche CDD, CDI ou possibilité d’auto-entrepreneur », sur les conseils de son père qui estimait que c’était « peut-être une solution pour trouver du travail ». Elle a alors été contactée par un architecte qui détient sa propre agence, de petite taille, et qui lui a proposé de travailler pour lui en tant qu’auto-entrepreneur trois jours par semaine. L’adoption du régime était une condition à l’établissement d’une relation de travail souhaitée sans engagement, comme elle l’explique :
Et du coup, je suis passée par l’auto-entrepreneuriat.
E (enquêteur) : et quand tu as fait l’entretien avec M. [X], il t’a dit que ça avait joué ?
M : ouais, clairement, c’était ça qui avait joué. Il avait une salariée en CDI qui était pas revenue depuis trois ans parce qu’elle avait accumulé congé mat’, congé parental, congé maladie. Et il savait qu’elle allait pas revenir, et comme c’est une toute petite agence, il voulait pas réembaucher quelqu’un, il avait eu une expérience malheureuse avec une salariée en CDD, et ça s’était très mal passé, donc il avait pas du tout envie de s’accrocher à quelqu’un. Et donc là, c’était l’idéal pour lui, parce que si je lui plaisais pas, le lendemain, il pouvait me mettre à la porte.
Mathilde décrit alors successivement ce passage par l’auto-entrepreneuriat comme une « période d’essai » et comme un « bizutage », laissant apparaître l’ambiguïté de son rapport à cette phase d’insertion. Si le passage par l’auto-entrepreneuriat est finalement bien accepté, les raisons sont multiples : un fatalisme face à la pénurie d’emploi, le jeune âge et la logique d’insertion professionnelle. Mathilde se montre en effet résignée 36sur les conditions de l’insertion sur le marché du travail de l’architecture, que son entourage lui avait prévu difficile :
E : et tu savais que c’était dur de trouver en salarié ?
M : ouais, et puis je le vois encore maintenant. À la rigueur, on peut trouver des CDD. Mais là, ce qui est bien, c’est que c’est devenu pérenne. Ça a commencé pour démarrer, mais finalement, ça a permis… enfin, c’était comme une période d’essai. En fait, en archi, ils multiplient les périodes d’essai en CDD. Bon là, je suis passée par l’auto-entrepreneuriat.
Elle envisage le recours au régime de l’auto-entrepreneur comme un outil d’insertion sur le marché du travail qui comme elle l’indique dans son cas « devait durer deux mois et a finalement duré un an ». Ainsi, bien qu’elle rapproche à la fin de l’entretien le passage par la case auto-entrepreneur d’une forme de « bizutage », elle a largement incorporé le discours patronal sur les contraintes économiques, et estime normal que les fluctuations du secteur se répercutent sur les travailleurs. La résignation quant à la conjoncture économique a ainsi tendance à faire intégrer aux travailleurs les discours économiques émanant du patronat (Boltanski et Chiapello, 1999), surtout quand celui-ci prend la forme d’une personne proche, avec qui on travaille tous les jours, ce qui contribue d’autant plus à masquer la relation de pouvoir. Mathilde a toutefois pu négocier des conditions de rémunération qui la rapprochent de la stabilité et de certains avantages du salariat. Elle a ainsi proposé un prix par journée de travail, indexé sur l’équivalent salarial :
M : on s’était mis d’accord sur des journées de 8h, donc j’étais payée à la journée. Et après, moi, j’avais calculé. Un jeune architecte qui sort d’école, généralement, c’est 1800 nets à peu près, donc je suis partie sur cette base-là. Je l’avais divisé en 20 jours ouvrés, je m’étais rajoutée mes charges, les 20,5 %, je m’étais rajoutée, j’avais fait comme si c’était un CDD, donc j’ai rajouté 10 % de précarité, 10 % de congés payés, et 5 euros pour les transports par jour. Donc j’étais arrivée à un prix de 120 euros la journée. […] De toute façon, pour lui, c’est toujours moins cher, il a pas de charges patronales.
La jeunesse est en outre une clé d’analyse importante, dans la mesure où le régime de l’auto-entrepreneur est envisagé comme un instrument pratique d’insertion sur le marché du travail, mais qui n’a alors qu’un temps. Sur cette question de la durabilité, Mathilde fait la distinction entre les différentes phases de sa carrière :
37Je pense qu’à un moment, j’en aurai marre et j’aurai envie d’un CDI. Mais pour le moment, j’ai envie de voir plein de trucs.
La projection dans l’avenir et l’espoir d’une amélioration de leur situation professionnelle participent donc de l’acceptation de leur présent. Mathilde a déjà avancé sur cette voie, étant parvenue à obtenir un passage en CDD, puisque la validation d’une sixième année de formation rendait nécessaire sa salarisation3.
Si Mathilde se destine ainsi à une carrière d’architecte salariée, d’autres enquêtés démarrent en auto-entrepreneurs, et dans des conditions proches du salariat, une trajectoire devant les amener vers l’exercice libéral de leur profession. C’est le cas de Blaise, 26 ans, diplômé de podologie, qui fabrique des semelles pour un podologue en tant qu’auto-entrepreneur. Il travaille pourtant dans des conditions de salarié, dans les locaux du podologue et avec son matériel de travail, mais payé aux pièces. Blaise s’est vu imposer le prix de la semelle par celui qu’il appelle alternativement au cours de l’entretien « mon client » et « mon patron ». Comme Mathilde, il adopte une position nettement compréhensive vis-à-vis de son employeur, estimant que son embauche comme salarié n’aurait été ni « rentable », ni « viable » pour son patron/client. Si Mathilde évoque une « période d’essai », Blaise rapproche sa situation d’une période de formation et d’initiation à une potentielle future carrière libérale :
Moi, j’ai pris ça comme une opportunité. Ça m’a permis d’apprendre beaucoup par rapport à mon prof, par rapport à la vie en cabinet.
Pour Blaise, l’espoir repose dans le développement de son activité indépendante, et on peut penser que cette incorporation du discours patronal est de la même nature que celle que Bernard Zarca observait chez les compagnons d’artisans, à propos desquels il expliquait :
Le compagnon pense en quelques termes que ce soit, mais simultanément : « je suis exploité, mais c’est dans cette mesure que je ne le serai plus et que peut-être j’exploiterai à mon tour le travail de tiers, de telle sorte que le bilan économique global de ma vie professionnelle sera positif » (Zarca, 1986, p. 16).
38Il ne souhaite pas encore s’installer à son compte, n’ayant pas fixé son choix quant à son lieu de vie, mais espère en revanche développer une véritable clientèle sur son activité, m’expliquant avec un second degré qui marque la posture de détachement qui a caractérisé l’entretien :
Je propose un service qui n’existe pas en fait. Si ça se trouve, je suis le prochain Bill Gates [rires], sur un malentendu, ça fonctionne très bien, j’embauche et je fais plus que du commercial et y a des petits mecs qui feront comme moi actuellement et qui me feront mes semelles.
Cette projection vers l’indépendance a également joué pour Marine, 26 ans, qui travaille avec un photographe, en se faisant rémunérer comme auto-entrepreneur. Après des études universitaires interrompues puis un BTS de vente, Marine alterne les petits boulots. Suite à un séjour de deux ans au Canada, elle rentre en France et cherche à se professionnaliser dans la photographie, mais se retrouve face à un secteur d’activité dans lequel l’insertion est difficile et instable :
Dès que je suis rentrée, j’ai tout de suite cherché à bosser comme assistante photographe. Et là, je me suis pris une claque. Parce qu’en France, si t’as pas fait d’école, c’est hyper difficile de trouver une place, parce qu’il faut une convention de stage, y a plein de sécurités, donc j’ai eu pas mal d’entretiens, mais il m’ont dit « si vous n’êtes pas en école, c’est pas possible ».
Elle trouve alors un CDD de vendeuse à des fins alimentaires. Un photographe accepte quelques mois plus tard de travailler avec elle, lui confiant ou partageant certaines commandes avec elle. N’étant pas en formation, elle ne pouvait obtenir de convention de stage. Et le faible volume de travail réalisé ne lui permettait pas l’accès aux statuts professionnels. Elle travaille en effet de deux à six fois par mois, ce qui ne lui ouvre pas l’accès à la sécurité sociale des auteurs. Elle s’inscrit comme auto-entrepreneur en mai 2009 et travaille presque exclusivement pour un photographe. Elle a réalisé un chiffre d’affaires de 5327 euros sur l’année, étant rémunérée 100 euros la journée quand elle assiste le photographe (qui a fixé ce tarif). Son statut de chômeuse lui permet de continuer son insertion sur le marché du travail artistique, tout en bénéficiant de ressources et en lui ouvrant l’accès à des formations. On voit ici que le cumul qui caractérise l’auto-entrepreneuriat concerne également les aides sociales, puisque les revenus de l’auto-entrepreneuriat peuvent se cumuler 39tant avec les allocations de chômage qu’avec les divers minima sociaux et notamment le RSA, dont le principe est précisément la cumulativité avec des revenus du travail (Duvoux, 2009). Marine explique alors se laisser jusqu’à ses trente ans pour essayer de développer son activité de photographe, laissant apparaître à nouveau l’importance de l’âge comme clé de lecture de ces passages par l’auto-entrepreneuriat.
Les points d’appui : le salariat et la famille
Les fragilités induites par le faux travail indépendant portent essentiellement sur l’instabilité de la relation de travail et donc de la rémunération, ainsi que sur la protection sociale des travailleurs. Il apparaît dans les entretiens que les parades à cette précarité se situent dans l’adossement au système salarial ainsi que dans le recours à une aide familiale. Blaise dégage un revenu faible de son activité indépendante, malgré un travail à temps presque plein. Son engagement de travail porte sur un nombre de pièces à fabriquer, et son temps de travail est dès lors variable mais reste très conséquent. Ainsi, il passe quatre ou cinq jours par semaine au cabinet, faisant parfois des journées « de 9h à 21h », mais sa rémunération est toutefois bien inférieure au SMIC, puisque sur les quatre derniers mois, il a déclaré 2668 euros. En retirant les 23 % de cotisations sociales et en le ramenant à une base mensuelle, il gagne donc 513,60 euros mensuels4. Mathilde a une situation plus confortable, en raison de sa qualification et des modalités de la négociation de sa rémunération, dans laquelle elle a intégré 10 % de congés payés. Ainsi, en travaillant cinq jours par semaine, à cheval sur deux cabinets d’architecture, elle parvient à un équivalent de salaire de 1800 euros nets mensuels sur l’ensemble de l’année. En dépit de ces écarts de montants de rémunération, les enquêtés connaissent une même incertitude sur l’avenir et un même déficit statutaire. Cette précarité s’incarne avec vivacité sur des questions matérielles comme celle de la recherche d’un logement. Les entretiens révèlent alors l’importance du soutien familial pour ces enquêtés issus en l’occurrence de milieux sociaux plutôt favorisés. Blaise vit ainsi encore chez ses parents, confirmant la tendance à une décohabitation de plus en plus tardive des jeunes du foyer familial, liée essentiellement 40aux difficultés professionnelles (Villeneuve-Gokalp, 2000). Quant à Mathilde, elle habitait également encore chez ses parents lorsqu’elle a démarré son activité professionnelle, expliquant alors :
M : l’avantage, c’est que si je gagnais rien, je payais rien. Y avait pas la TVA. Ça permettait une certaine souplesse. J’habitais encore chez mes parents donc c’était facile. […] Moi, ça m’intéressait aussi parce que surtout pour commencer, j’avais pas non plus envie de m’accrocher à quelqu’un. Surtout que comme j’étais chez mes parents, j’avais pas de problème financier dramatique, donc je me disais « si ça me plaît pas, j’aurai pas de scrupules à partir ».
Elle a ensuite pu décohabiter, mais seulement grâce au soutien de ses parents, puisqu’elle loge dans un studio parisien dont ses parents sont propriétaires, ne payant alors qu’un loyer mensuel de 250 euros, bien loin des prix de marché. Elle a conscience que son statut de travail l’aurait handicapée dans sa recherche de logement :
L’auto-entrepreneuriat, ça m’aurait dérangée si j’avais besoin de chercher un logement, parce que je sais que dans Paris, c’est impossible.
L’instabilité des revenus inhérente à l’auto-entrepreneuriat s’accompagne d’un statut social fragile, notamment en termes de protection sociale. C’est alors le système salarial au sens large qui sert de point d’ancrage.
Même dans les situations de substitution au salariat, les auto-entrepreneurs restent d’une manière ou d’une autre rattachés au système salarial, qu’il s’agisse de l’occupation d’un emploi salarié complémentaire ou à venir, ou de l’accès au régime d’indemnisation du chômage, comme c’est le cas pour Marine. Le statut de chômeur lui garantit un filet de sécurité en termes de revenus, et l’accès à des formations. Ses faibles revenus lui ouvrent également l’accès aux aides personnalisées au logement, indispensables à son départ du foyer familial. Ces rattachements confèrent une stabilité et une protection sociale, qui constituent une condition de possibilité à l’exercice de l’activité principale en tant qu’auto-entrepreneur. Blaise incarne la situation de cumul inversé entre salariat et auto-entrepreneuriat, puisqu’il est principalement indépendant mais garde un contrat salarié, accessoire en termes de revenus, mais essentiel en termes de sécurité. Il cumule en effet son travail en cabinet de podologie avec un emploi salarié comme agent de sécurité, en CDI et à temps partiel. Il a commencé cet emploi afin de participer au financement de 41ses études, travaillant d’abord 63 heures par mois, avant de descendre aux 48 heures qu’il effectue au moment de l’entretien. En complément de son activité d’auto-entrepreneur, il a décidé de maintenir cet emploi pour la raison explicite de pouvoir bénéficier des acquis sociaux liés au salariat. Ainsi, quand il me fait part des projets de développement de son activité indépendante, je l’interroge sur sa volonté de poursuivre son emploi d’agent de sécurité :
E : mais du coup, vous êtes pas tenté d’arrêter le boulot d’agent de sécurité ?
B : euh, non… non, parce que j’ai des congés payés, j’ai la sécurité sociale, tout un tas de trucs que j’aurais pas si j’étais pas salarié.
L’enjeu de la protection sociale apparaît également dans l’entretien mené avec Mathilde qui, elle, était parallèlement inscrite à l’université et bénéficiait ainsi de la sécurité sociale étudiante, ce qui l’a rassurée pour sa démarche d’inscription comme auto-entrepreneur :
M : je savais que j’avais ma sécu par la fac. Sinon, je pense que j’aurais réfléchi à deux fois avant de me lancer dans ce régime-là.
Le statut d’étudiante a ensuite laissé place à celui de salariée, puisque Mathilde a réussi à obtenir un CDD d’un de ses deux clients/employeurs, indispensable à la validation de son habilitation à maîtrise d’œuvre. Les cas de substitution imposée du salariat par le régime de l’auto-entrepreneur reposent sur un ensemble de conditions de possibilité qui rendent la situation plus ou moins gérable matériellement et acceptable par ces travailleurs en tant que période transitoire. Ces conditions jouent également dans un secteur public fortement contraint sur sa capacité à embaucher, mais avec une particularité notable : tout est mis en œuvre pour maintenir les apparences du salariat.
La difficile insertion dans le public :
contourner les limitations d’embauche
et maintenir la fiction du salariat
Si les employeurs privés ont recours à des auto-entrepreneurs, afin de faire travailler une main-d’œuvre flexible sur laquelle ils économisent le coût des cotisations patronales, de manière plus surprenante peut-être, l’employeur public joue également un rôle dans la diffusion du régime. Le recours à l’auto-entrepreneuriat se révèle être un outil de contournement 42des contraintes pesant sur les recrutements dans la fonction publique, et ce dans le cadre des restrictions liées à la révision générale des politiques publiques ou RGPP et de la LOLF, loi organique relative aux lois de finances (Lemoine, 2014), qui met notamment en place la fongibilité asymétrique des lignes budgétaires. Cette disposition autorise les administrations publiques à transformer des dépenses de personnel en dépenses de fonctionnement mais interdit la démarche inverse, ce qui désincite fortement à s’engager dans la durée sur des dépenses de personnel. Le recours par l’employeur public à l’auto-entrepreneuriat a pu être analysé grâce à la monographie d’un service d’études d’une administration, que nous appellerons la DirÉtu. Ce service fait travailler cinq conseillers scientifiques sous des statuts d’auto-entrepreneurs (pour un service qui compte une vingtaine de personnes dont une dizaine de chargés de mission). Avant de travailler comme collaborateurs externes indépendants juridiquement, ces mêmes personnes ou leurs prédécesseurs travaillaient comme salariés du service, sous des modalités différentes. À cette multiplicité de statuts dans la fonction publique, étudiée depuis les années 19705, s’adjoint désormais une nouvelle modalité d’embauche que représente l’auto-entrepreneuriat. Le régime est utilisé pour contourner deux limites principales : les restrictions d’embauche d’une part, les limitations d’âge de l’autre. Dans le second cas, les chargés de mission disposent de leur retraite comme revenu principal, et ne seront donc pas étudiés en détails ici. Du côté des plus jeunes, l’auto-entrepreneuriat remplace ce qui auparavant était rémunéré sous forme de vacations pour ceux qui avaient un emploi principal, ou sous forme de CDD pour les autres. Ici, comme ailleurs, l’usage du régime redouble les inégalités existantes. Ainsi, Clarisse, doctorante allocataire de 26 ans, se fait rémunérer via l’auto-entrepreneuriat ce qui aurait fait l’objet précédemment de vacations, et ces revenus viennent compléter un revenu principal. Son cas sera ici essentiellement mobilisé comme contrepoint, puisque pour elle, il ne s’agit que de revenus relativement accessoires. À l’inverse, Solal, de quelques années son aîné et tout récemment docteur, remplace une chargée de mission en CDD, et l’auto-entrepreneuriat constitue son emploi principal. L’argument central du recours au régime était celui de la difficulté à embaucher, ce qui figurait déjà dans l’offre d’emploi (qui n’en était toutefois précisément pas une) :
43Compte tenu de la pénurie actuelle de postes au sein de l’administration centrale, cette mission sera rémunérée dans le cadre d’un stage ou d’un achat de prestation. Dans ce cas, la rémunération peut être tout à fait intéressante mais suppose que le candidat ait ou demande le statut d’auto-entrepreneur.
Pour Carole, l’auto-entrepreneuriat vient compléter – à la fois successivement et simultanément – un éventail d’emplois précaires, dans le cadre d’une instabilité professionnelle survenue suite à un licenciement. Après un début de carrière sans poste statutaire, Carole a été embauchée dans une institution liée au secteur public, dans laquelle elle était chargée de recherche à mi-temps, ce qu’elle complétait déjà avec des vacations. En 2006, elle est licenciée du poste sur lequel elle était entretemps passée à temps plein, rupture violente dont elle m’a fait part :
Toute ma carrière s’est effondrée du jour au lendemain. […] J’ai perdu une de mes raisons de vivre, j’ai perdu le statut j’allais dire établi et assuré jusqu’à la retraite. Donc je me suis consolée entre autres en étant à la disposition de tous ceux qui auraient besoin de moi.
Après une période de chômage, elle a retrouvé une activité professionnelle composée d’une addition de missions instables, entre CDD, vacations et auto-entrepreneuriat. Elle indique ainsi assurer ponctuellement des vacations pour dix-sept employeurs en parallèle de son activité à la DirÉtu.
Les conditions de travail des auto-entrepreneurs du service sont assimilables à celles des salariés : ils travaillent dans les locaux, avec des horaires extensifs, et sont affectés à des missions variées. La fiction du salariat est également maintenue en ce qui concerne la rémunération, strictement calquée sur les formes précédentes de salaire. La logique de base concernant la rémunération des auto-entrepreneurs du service consiste à maintenir leur revenu net, par rapport à leur situation d’emploi précédente. Le directeur du service, en concertation avec le service des ressources humaines, a en effet décidé de prendre en charge les cotisations qu’auront à payer les auto-entrepreneurs au titre de leur activité, afin de leur garantir leur salaire net6. Si les deux parties tentent de maintenir 44les apparences du salariat, les auto-entrepreneurs se retrouvent toutefois régulièrement confrontés à leur nouveau statut d’indépendant. Ainsi, si le montant du salaire est maintenu, le paiement s’effectue désormais sous forme de règlement d’une facture. La temporalité de la rémunération en est ainsi perturbée, cette dernière n’étant plus assurée mensuellement, mais à chaque facture, c’est-à-dire tous les deux mois a priori7.
Face à ces coûts de l’indépendance, les ressources des enquêtés se trouvent cette fois aussi, dans le soutien familial et le salariat. L’inégalité de ces ressources explique d’ailleurs des différentiels de satisfaction des chargés de mission. Ainsi, Clarisse, qui a obtenu une allocation de thèse, ne manifeste pas de réelle insatisfaction par rapport à sa situation nouvelle d’auto-entrepreneuse. À l’inverse, Solal, qui a fini sa thèse et n’a pas d’autre source de revenu, exprime en entretien une vive critique du dispositif :
C’est un truc très injuste, parce que… il paraît que t’as pas le droit au chômage après, et que tu paies une partie des charges. Et en plus, le salaire n’est pas régulier, c’est tous les 2 ou 3 mois. Donc c’est un dispositif assez injuste, qui renforce la précarité des jeunes chercheurs ou des jeunes demandeurs d’emploi, des gens qui finissent leurs études. On va dire qu’on exploite les gens, c’est comme ça que je le perçois. C’est une exploitation, on joue sur la position de faiblesse des gens qui sont demandeurs, parce que là, après tout, y a pas une volonté de ma part, on a préformaté un truc, comme si j’étais entrepreneur, on m’a engagé à faire aussi les démarches, et c’est quand même très injuste comme système. Je sais pas, peut-être que certains y trouvent leur compte, sur le plan économique, je ne sais pas, l’État ou d’autres personnes peut-être privées, mais pour moi, d’un point de vue social et professionnel, je trouve ça très injuste.
Mais les chargés de mission ont néanmoins tous accepté ce passage à l’indépendance, présenté comme la seule option pour être rémunéré, et ainsi pouvoir travailler et « ajouter une ligne au CV » dans l’espoir d’un futur recrutement comme titulaire de la fonction publique8. Si l’auto-entrepreneuriat fonctionne ainsi comme modalité d’entrée dans des carrières professionnelles, il prend parfois place plus tardivement dans des carrières salariées marquées par de multiples fragilités. Comment 45s’opèrent alors ces passages du salariat a priori stable vers l’indépendance ? Et quelles ressources, notamment domestiques, sont mobilisées pour faire face à ce changement de statut ?
II. Quitter ou perdre le statut de salarié
Travailler plus, travailler moins
ou juste continuer de travailler
L’enquête SINE de l’Insee, en interrogeant les auto-entrepreneurs sur leur situation socioprofessionnelle au moment de l’inscription puis au moment de la passation du questionnaire, soit quelques mois plus tard, permet une première appréhension des positions et des trajectoires des auto-entrepreneurs. La mise à plat de leur situation fait apparaître l’hétérogénéité de cette population, entre des salariés stables, des précaires, des chômeurs et des inactifs. Elle révèle une présence forte d’individus en marge de l’emploi stable : 29 % de chômeurs, 18 % d’inactifs et 6,4 % de « précaires » (CDD, intermittents et intérimaires). En instantané, ce sont les chômeurs et inactifs, ainsi que les travailleurs précaires et peu qualifiés qui sont surreprésentées parmi les auto-entrepreneurs à titre principal. Dans une vision dynamique, ces mêmes populations sont également plus nombreuses à basculer dans l’indépendance exclusive. Ainsi, plus de la moitié des personnes en situation de salariat précaire au moment de s’inscrire deviennent, quelques mois plus tard, des auto-entrepreneurs exclusifs. L’auto-entrepreneuriat exclusif se situerait ainsi du côté des travailleurs les plus fragiles.
Les salariés stables qui s’inscrivent comme auto-entrepreneurs ont, davantage que les précaires, tendance à maintenir leur position professionnelle initiale. Les transferts du CDI vers l’activité indépendante exclusive sont néanmoins significatifs, et varient selon le secteur, privé ou public, et selon le degré de qualification. Ainsi, les cadres de la fonction publique sont ceux qui maintiennent le plus leur situation préalable (ils sont 72 % à rester salariés du public et 23 % à ne plus avoir d’autre activité que celle d’auto-entrepreneur) tandis que les ouvriers du privé 46ne sont que 52 % à rester salariés (40 % n’ont plus d’autre activité9). Ces mobilités semblent alors prendre la forme d’une instabilité professionnelle. Les entretiens permettent de saisir avec davantage de nuance ces trajectoires vers l’indépendance en cours de carrière. Ils ont mis en avant des changements de statut qui s’opèrent après une démission, et en maintenant la même activité, bien que celle-ci s’en trouve évidemment modifiée dans ses formes concrètes. Le passage à l’indépendance est alors lié à une volonté de quitter des situations d’emploi salarié jugées insatisfaisantes. Mais ce qui est affiché comme une volonté semble bien pris dans des contraintes pesant sur leur emploi, ce que révèlent les inscriptions sous la menace d’un licenciement imminent. Dans tous les cas, ces passages à l’indépendance, effectifs ou projetés, sont liés à la fois aux contraintes et aux ressources non seulement professionnelles mais aussi familiales et domestiques.
Le surtravail consenti des jeunes (en couple)
Le passage à l’auto-entrepreneuriat a parfois été motivé par une volonté d’accroître ses revenus, pour des jeunes de niveau technicien, acceptant de travailler plus – pour gagner plus – avant de fonder une famille. Trois des enquêtés ont en effet démissionné d’un emploi stable et à temps plein pour exercer leur activité de décorateur étalagiste pour le compte d’une seule et même entreprise en tant qu’auto-entrepreneurs. Leurs situations sont particulièrement proches du fait qu’il s’agit de trois amis (rencontrés par recommandations croisées), Carole, Jérôme et Jessica, ayant suivi le même BTS de « décorateur étalagiste visual merchandiser », et tous trois âgés de 26 ans. Après l’obtention de leur BTS (en deux ans et en alternance), ils ont tous trois trouvé après quelques mois de recherche un CDI dans leur domaine d’activité. Ils ont par la suite démissionné de leur emploi afin de mettre en place une activité dans le secteur commercial, mais cette fois en travaillant comme auto-entrepreneurs. Leurs modalités de travail semblent relever du salariat déguisé dans la mesure où ils ont un client unique, qui leur fournit leurs instruments de travail, fixe la rémunération et détermine la manière dont les missions doivent être menées. Concrètement, leur travail consiste à 47proposer aux pharmacies l’installation de PLV (publicité sur le lieu de vente) pour le compte de l’entreprise qui, elle, passe des contrats avec des laboratoires pharmaceutiques. Ils récupèrent le matériel publicitaire dans un entrepôt de la région parisienne, ou se le font livrer à domicile, et se font assigner des missions dans des pharmacies pour installer la PLV. Ils sont rémunérés à la mission, à un tarif d’environ vingt euros (le montant variant selon le contrat passé entre l’entreprise et le laboratoire), sachant que chaque mission doit être négociée avec la pharmacie, qui n’accepte pas nécessairement leur intervention. Ils travaillent tous les trois à plein temps pour ce donneur d’ordre unique.
Ce changement de statut fait suite à des déceptions ressenties vis-à-vis de leurs situations d’emploi salarié précédentes, qui permettent de saisir les décisions de démission de chacun des enquêtés. Leurs récits mettent au jour leurs frustrations en termes de revenus et d’évolution de carrière ainsi que les tensions qui émaillaient parfois les relations avec leurs supérieurs hiérarchiques. Parmi les trois amis de Cergy, Jessica a été la première à changer de statut de travail. Son argumentation repose sur une déception sur ses revenus à laquelle se mêle un discours sur le manque de reconnaissance, ce qui justifie une démission d’un travail qu’elle appréciait pourtant :
J : J’étais salariée, j’étais en CDI,
E : à temps plein ?
J : à temps plein. Oui oui, c’était mon premier vrai boulot. […] c’était vraiment intéressant, c’était un poste génial. Mais le problème c’est que c’était assez mal rémunéré. Et j’ai une amie qui a ouvert sa société en entreprise individuelle, et elle me parlait de son poste, elle était bien rémunérée, elle gagnait beaucoup plus que moi. Et moi entretemps, ma situation personnelle a fait que j’avais besoin de gagner un peu plus. Donc voilà.
E : parce que ça gagnait combien en gros ?
J : où ça, là où j’étais avant ? 2 000 euros bruts. Pour tout ce que je faisais, c’était pas assez reconnaissant, pas assez, enfin, pas suffisant pour moi. Et puis je donnais beaucoup de ma vie privée pour cette société et ils étaient pas reconnaissants. Oui c’était un très bon poste, ça me manque. Mais moi j’ai une amie qui a ouvert son entreprise individuelle, et du coup, elle travaille pour des pharmacies. […] Et voilà, on est rémunéré à la mission, donc voilà, c’est beaucoup plus rentable.
L’exemple fourni par Jessica a ensuite convaincu plusieurs de ses amis ayant suivi le même BTS de quitter également leur emploi salarié afin 48de travailler pour la même entreprise. Jérôme était alors en CDI dans un magasin de vêtements, avec un salaire mensuel de 1400 euros nets en fixe, complété par des primes allant de 300 à 600 euros par mois. Il justifie son départ par un changement de la politique sur les primes, qui lui a fait refuser un changement de poste, ainsi que par les encouragements de Jessica et la promesse d’un revenu plus élevé :
Les grosses boîtes comme ça, ils grapillent sur tout. À un moment, les primes ont été sucrées, si on est en retard deux fois dans le mois, même si c’est 5 minutes, on n’a pas de prime dans le mois. Moi, cette politique, elle me gênait. C’est pour ça aussi que je suis parti. À un moment, je voyais pas l’évolution arriver.
La promesse de revenus accrus n’a pas été vaine, et les trois anciens salariés ont effectivement connu une amélioration de leur rémunération. Jessica indique avoir dégagé un chiffre d’affaires de 20 000 euros sur le premier semestre 2010, et se « donne[r] des salaires de 2 000-2 500 euros ». Jérôme a déclaré 8 000 euros de chiffre d’affaires sur les trois premiers mois, tandis que Carole a déclaré 30 000 euros sur l’année. La première limite est ainsi la variabilité des revenus, à laquelle les auto-entrepreneurs font face grâce au soutien conjugal. Il apparaît alors que le départ du salariat n’est pas si radical, et que les auto-entrepreneurs continuent de recourir au système salarial comme point d’appui, à un niveau individuel ou familial. Les conjoints des enquêtés sont salariés, dans des situations d’emploi majoritairement stables, comme le conjoint de Carole, électricien en CDI dans une grande entreprise, ou la conjointe de Jérôme, vendeuse en CDI. Ce résultat va dans le sens d’un constat général sur les situations socioprofessionnelles des conjoints d’indépendants (Missègue, 1998), qui sont de plus en plus souvent salariés : « le salariat du conjoint joue probablement un rôle d’assurance en permettant la stabilisation des revenus d’activité du ménage ou le maintien d’un minimum de revenus en cas de faillite » (Beffy, 2006). Le logement constitue également une difficulté pour ces nouveaux indépendants, dans la mesure où l’accession à la propriété, mais aussi au parc locatif, requiert des revenus importants et garantis. La question du logement met alors au jour le maintien d’avantages hérités du salariat. Ainsi, Carole et Jérôme bénéficient du système de logement patronal, obtenu pour la première via son conjoint, et pour 49le second, hérité d’un précédent emploi salarié. Le maintien d’attaches au système salarial, essentiellement au sein de la famille, permet ainsi de surmonter l’incertitude inhérente au travail indépendant.
Le changement de statut d’emploi modifie également les conditions de travail. L’augmentation des revenus se fait au prix de longues heures de travail, dont certaines ne sont que peu visibles et les tensions avec le patron ont parfois cédé le pas à celles avec la clientèle. Le calcul de la rémunération « nette » est souvent flou, les charges liées à l’activité étant peu intégrées. La porosité entre outils de travail et biens personnels (voiture, ordinateur), rend difficile la distinction des dépenses qui seraient strictement professionnelles. La hausse de la rémunération se fait en outre au prix d’une hausse conséquente du volume horaire de travail. Les enquêtés évoquent une présence sur leur secteur d’environ 9 heures par jour, auxquelles il faut rajouter les temps de transport. Jérôme précise ainsi « je pars à 7 heures, je rentre à 7 heures », et les trois enquêtés ont mentionné ne pas s’octroyer de pause déjeuner. Ces journées de terrain sont pour tous trois habituellement au nombre de quatre dans la semaine, une cinquième étant consacrée à « la paperasse ». Il s’agit d’une part de leur comptabilité, d’autre part des tâches administratives à destination de l’employeur puisqu’ils doivent envoyer chaque semaine à l’entreprise des photographies de leurs interventions, afin de déclencher le paiement de leurs missions. Ils reconnaissent ainsi travailler plus que dans leur précédent emploi aux 35 heures et évoquent des conditions de travail peu évidentes, chaque mission étant négociée avec la pharmacie. Outre un accueil parfois peu bienveillant, si la mission est refusée, l’auto-entrepreneur n’est simplement pas payé. Le passage à l’indépendance implique alors une emprise croissante du « sale boulot » (Hughes, 1996), qu’il s’agisse de la recrudescence de gestion administrative ou de relations parfois tendues avec les clients.
Ces conditions de travail peuvent sembler dégradées par rapport à leur ancien emploi. Les études portant sur les travailleurs indépendants mettent en lumière ces situations professionnelles difficiles, en termes d’horaires lourds et atypiques10, de pénibilités physiques, de charges 50liées au rapport au marché et à la clientèle : « au total, les indépendants et les chefs d’entreprise ne se font pas à eux-mêmes des conditions de travail meilleures que celles que les salariés subissent » (Gollac et Volkoff, 2007, p. 49). Ces conditions sont toutefois bien acceptées par les auto-entrepreneurs, qui voient dans la rémunération en hausse une contrepartie suffisante, à laquelle s’adjoint un sentiment de liberté. Les horaires lourds sont envisagés comme relevant de décisions personnelles et sont dès lors admis comme arbitrage libre de la part de travailleurs souhaitant par ce moyen accroître leurs revenus. Le brouillage entre vie privée et vie professionnelle permet également de moins ressentir l’emprise du travail, et ce d’autant plus que les auto-entrepreneurs estiment que leur journée de gestion administrative ne constitue pas réellement une journée de travail, comme l’indique Jérôme :
E : et en termes d’horaires, vous me disiez que vous en faisiez plus.
J : ouais, j’en fais plus, mais je le sens moins. Un matin, je suis naze, je reste dans mon lit, et puis je récupère après.
E : ça vous stresse pas de pas bosser une journée ?
J : non, pas du tout, je sais que je peux me le permettre si j’ai assez avancé.
E : et vous le faites ?
J : oui, bon, c’est pas une journée de vacances, mais le lundi, quand je fais ma paperasse, je me lève à 9 heures, je dors bien, et après, je suis chez moi, donc y a pas le stress de la journée de travail.
E : et les jours où vous devriez aller sur le terrain, ça vous arrive de dire « non, je suis crevé, j’y vais pas ».
J : euh… non, ça m’arrive pas souvent, c’est rare vraiment. Si on s’autodiscipline pas, on va droit dans le mur.
L’impression de choix effectués en toute autonomie, corrélée à la hausse des revenus, constitue une condition majeure de la satisfaction de ces jeunes auto-entrepreneurs quant à leur situation professionnelle. La jeunesse est ici à entendre dans ses deux dimensions : leur installation récente en tant qu’indépendant, qui explique en partie leur relatif enchantement, et leur position dans le cycle de vie. L’âge social est en effet une variable significative de leur situation, dans la mesure où ils ont tous quitté le domicile parental, sont installés en couple, mais n’ont 51pas d’enfants. Ils ont ainsi ressenti le besoin d’augmenter leurs revenus, mais sont encore disposés à avoir des horaires lourds de travail. Ainsi, comme l’explique Carole :
Et puis on se disait « on est jeune, si on le fait pas maintenant, on fera jamais rien », je me suis dit pourquoi pas, de toute façon, ils voulaient pas m’augmenter, donc je me suis dit « t’as une opportunité, prends-la ».
La différence de situation familiale explique largement le second cas de figure, celui de formes d’activité plus réduites, menées notamment dans un objectif de gestion de la vie parentale.
L’indépendance de femmes en couple peu diplômées
Si l’auto-entrepreneuriat est majoritairement masculin, l’enquête a néanmoins mis en lumière des situations de femmes quittant leur emploi salarié de services à la personne, vécu comme pénible et trop contraignant, afin d’exercer la même activité à domicile. Le changement de statut s’explique alors doublement par la vie familiale, qui motive autant qu’elle rend gérable ce passage à l’indépendance. C’est notamment le cas de Christelle, 30 ans, coiffeuse à domicile, après avoir travaillé comme salariée dans plusieurs salons de coiffure, ou de Lina, 40 ans, esthéticienne à domicile, après avoir travaillé dans plusieurs salons d’esthétique à Cergy. Pour Christelle et Lina, il s’agissait moins d’augmenter leurs revenus dans un premier temps, que de quitter des emplois salariés qui se sont terminés de manière conflictuelle et se sont conclus par des démissions. Après avoir trouvé un emploi en CDI dans un salon, Christelle a démissionné après un an, évoquant alors son dégoût des conditions de travail et des relations avec son employeur :
E : et pourquoi vous en avez eu marre du salon ?
C : dans un salon, c’est l’usine, on fait des heures, des heures, des heures, on n’est pas considéré du tout, voilà. C’est ça qui me déplaît en salon de coiffure.
E : c’est-à-dire « pas considéré » ?
C : au niveau des revenus. Et puis on nous demande toujours du chiffre, du chiffre, du chiffre. On vous dit quand vous faîtes quelque chose de mal, mais on vous dit pas quand vous faîtes quelque chose de bien.
La comparaison des salons de coiffure à « l’usine » permet de rapprocher ce désir d’indépendance dans les activités de services du rêve 52d’indépendance des ouvriers étudiés par Florence Weber dans les années 1980 (Weber, 1989). L’enquête sur le « travail à-côté » des ouvriers en zone rurale révélait les divers sens attribués aux activités menées hors de l’usine, de la bricole la plus éloignée de la marchandisation, à la recherche d’un deuxième salaire, en passant par l’idéal de la profession indépendante. Mais si à l’époque, « le travail à-côté, c’est ce qui permet de supporter l’usine, mais non de la refuser, ni de la remplacer » (ibid., p. 122), il s’agit bien ici de quitter le salariat.
L’activité de Christelle fonctionne alors comme revenu d’appoint dans une économie domestique de type traditionnel. Christelle a déclaré des chiffres d’affaires allant de 665 à 1886 euros par mois. En ôtant seulement les prélèvements obligatoires, son revenu mensuel moyen s’établit aux environs de 1080 euros et passe donc sous le seuil du SMIC à temps plein avant même d’avoir déduit les charges liées à l’activité. Christelle valorise l’aménagement de son temps dans la semaine, lui permettant de s’occuper de ses deux enfants de huit et trois ans, la petite étant encore aux soins d’une nourrice. Sa vie familiale constitue une clé de compréhension de son activité professionnelle. Celle-ci semble en effet fonctionner comme génératrice d’un revenu d’appoint par rapport au salaire de son mari, selon un modèle traditionnel de division sexuée du travail. Ce dernier est gendarme et dispose d’un logement de fonction. La carrière de Christelle est fortement soumise à celle de son mari, avant tout en raison des mutations professionnelles qui les font déménager à intervalles réguliers. Sa qualification limite ses attentes en termes de revenus, ce qui l’a par exemple fait opter pour le congé parental d’éducation. Le régime de l’auto-entrepreneur réaménage ici un salariat féminin d’appoint en indépendance féminine d’appoint, accentuant dès lors la division sexuée du travail et l’assignation des femmes dans la sphère domestique.
L’économie domestique de Lina est plus égalitaire, puisqu’elle a pu développer son activité au point de générer un chiffre d’affaires supérieur au seuil d’accès au régime de l’auto-entrepreneur : de l’ordre de 3000 à 3500 euros mensuels, et jusqu’à 5000 euros pendant l’été. Elle est parvenue à développer une large clientèle à partir des relations qu’elle avait nouées avec des clientes alors qu’elle était encore salariée. Cet investissement professionnel plus important est à mettre en relation avec sa trajectoire sociale, qui est celle d’une migration déclassante. 53Lina a en effet obtenu un master en finance dans son pays d’origine, la Colombie, suite à quoi elle a travaillé cinq ans dans le secteur financier à Bogota. En arrivant en France à 30 ans pour s’installer avec son mari, elle ne parvient pas à obtenir d’équivalence pour ses diplômes étrangers et s’inscrit alors au Pôle Emploi, avant de trouver un emploi dans un salon d’esthétique. Sa configuration familiale fait de son revenu non seulement un revenu d’appoint mais une ressource importante pour l’économie domestique. Son mari est vendeur dans la grande distribution culturelle et perçoit un salaire de 2 000 euros nets. Les charges du couple sont élevées puisqu’en sus du remboursement du crédit pour leur logement, ils assurent les dépenses de leurs deux filles dont une qui mène des études dans le Sud de la France. Lina évalue alors à 2 800 euros les charges fixes mensuelles du couple. Si son chiffre d’affaires dépasse le seuil, Lina déclare seulement la partie qui reste sous ce seuil, afin de ne pas avoir à passer au régime normal de la micro-entreprise, dont elle redoute le poids des cotisations, tout en déclarant le maximum afin de cotiser pour autant de trimestres de retraite que possible. Elle affecte ainsi les revenus non déclarés à la compensation des avantages perdus du salariat, tout en comptant sur le statut de salarié de son mari, notamment pour le crédit immobilier.
Ces activités indépendantes complémentaires à l’économie domestique sont parfois également envisagées dans un contexte de menace de licenciement, comme l’illustrent les parcours évoqués dans cette dernière section, qui mettent en jeu des calculs similaires en termes de ressources du foyer.
L’auto-entrepreneuriat comme assurance
individuelle contre le chômage : les reconversions déclassantes des conjoints les moins qualifiés
L’auto-entrepreneuriat fonctionne parfois comme une forme d’assurance, si ce n’est matérielle du moins symbolique, contre le risque de chômage. La mise à son compte prend alors des atours de reconversion, déclassante, qui touche le conjoint le moins qualifié. Carine et Éric, tous deux habitant Cergy, se sont inscrits comme auto-entrepreneurs dans une situation de vives tensions sur leur situation professionnelle salariée, puisqu’ils attendaient un licenciement imminent. L’inscription en tant qu’auto-entrepreneur était alors pensée comme un moyen de 54tester une forme d’activité alternative à la fois au salariat et à leur profession actuelle, et prend le sens d’une assurance ou d’une solution de secours. Carine, 32 ans, s’est inscrite comme auto-entrepreneur dans le cadre d’un plan social qui scelle son licenciement à venir. Elle travaille depuis 2001 comme comptable dans une grande entreprise sur Paris. Son intérêt pour son travail est modéré, et un certain retrait – associé à un calcul économique – se manifeste dans son passage à 80 % pour congé parental en 2008. Elle gagne 1 700 euros nets par mois, entre les 1 400 euros versés par son employeur et les 300 euros versés par la CAF. Dans l’attente d’un plan social, synonyme pour elle de licenciement, elle a créé une entreprise sous le régime de l’auto-entrepreneur en octobre 2009. Son activité consiste en la réalisation et la vente de compositions de bonbons. Son inscription est là aussi envisagée comme le test d’une activité, fonctionnant comme assurance face au chômage, mais aussi comme idéal de changement de carrière. Dans le cas de Carine, l’activité a démarré mais est extrêmement limitée. Elle a réalisé un chiffre d’affaires de 1 000 euros d’octobre 2009 à septembre 2010, qu’elle justifie par la dimension accessoire de son activité :
Je suis plus partie sur l’idée de prendre le temps de me développer. Et quand je travaillais à côté, je savais que… enfin je suis pas déçue du chiffre d’affaires, parce que le but, c’était vraiment de construire le projet.
L’activité est pour le moment envisagée comme « loisir » (selon ses termes), à la manière d’un « travail à-côté » visant à faire supporter un travail principal peu épanouissant. Carine ne place pas véritablement d’espoir dans la dimension rémunératrice de son activité :
C : dans un premier temps, je vais essayer de me mettre à 100 % pour développer.
E : et vous pensez que ça pourra dégager un revenu comparable à ce que vous aviez avant ?
C : je pense pas, non. Je dirais que je suis dans l’optique pour le moment de retrouver une activité qui me plaît, et dans laquelle je suis épanouie, et pour le moment, j’ai pas ça dans la compta.
L’équilibre financier de cette situation se comprend à l’aune de la configuration familiale. Carine peut envisager à court terme une perte de revenus du fait que la rémunération de son mari permet de couvrir les charges du foyer. Son mari est chef comptable dans une grande 55entreprise, son salaire brut annuel étant de « 60 KE » comme il l’indique11. Elle s’autorise alors à prendre « une année de test » afin de reprendre une respiration dans sa trajectoire professionnelle. En outre, le calcul économique intègre aussi les dépenses liées à la garde des enfants. Le couple a en effet deux enfants de cinq ans et deux ans et demi. L’activité d’auto-entrepreneur de Carine étant exercée à domicile, elle permettrait d’éviter une partie des frais de garde :
On va avoir moins de charges, on n’aura plus de frais de nourrice. Donc d’un côté, on va avoir moins de revenus. Mais de l’autre, on va gagner en nourrice, on va gagner en impôts.
Nous retrouvons ici les conclusions de l’enquête menée par Anne Lambert sur l’économie domestique en milieu pavillonnaire (Lambert, 2012), malgré un certain écart social entre les terrains d’enquête. L’auteur montre en effet que dans les ménages populaires, la bi-activité n’est pas nécessairement rentable, engendrant des formes d’assignation domestique des femmes. En outre, elle indique que dans certains cas, la maison se transforme en ressource afin d’initier des carrières professionnelles domestiques. Si Carine est plus qualifiée, la situation reste comparable, en ce qu’une carrière peu rémunératrice (ici, essentiellement par rapport au revenu du mari) et peu épanouissante la conduisent à initier une activité moins qualifiée et exercée au domicile familial. Le régime de l’auto-entrepreneur, en institutionnalisant des pratiques de travail à-côté, semble faire basculer plus facilement des activités accessoires relevant du loisir en idéal de travail indépendant, particulièrement pour des femmes, ce qu’observe également Julie Landour dans ses travaux sur les mompreneurs (voir son article dans ce même dossier).
Si nous avons pu observer un cas similaire concernant un homme, cette inversion du genre se comprend dès lors qu’apparaît une hypergamie masculine. Éric a 38 ans lorsque je le rencontre, et sa trajectoire professionnelle suit une voie descendante. Diplômé d’une petite école de commerce, il a d’abord connu un parcours de promotion interne dans une grande entreprise dans laquelle il restera 14 ans, jusqu’en 2007. Il est chargé de relations clients, en CDI et gagne en fin de parcours 56« 3 000 euros bruts sur quatorze mois et demi ». Il quitte l’entreprise en 2007 et est embauché comme chargé de clients dans une société de nettoyage. Il est en CDI, mais sa rémunération a baissé par rapport à son précédent emploi puisqu’il commence en 2007 à « 2 500 euros bruts sur douze mois, plus des primes si je suis rentable ». Cette baisse de rémunération s’accompagne d’une dévalorisation de ses missions de travail, d’une dégradation des conditions de travail et d’un durcissement des relations hiérarchiques. Éric s’inscrit alors comme auto-entrepreneur en octobre 2009, afin de démarrer sa propre activité dans le secteur du nettoyage. L’activité n’a toujours pas démarré lorsque je le rencontre, en juillet 2010, Éric précisant : « je désespère pas… si je pars de la société », son licenciement étant en cours de discussion. Cette évolution de carrière semble marquer une trajectoire descendante, puisque dans un premier temps, Éric envisage de réaliser lui-même les prestations de ménage. Ce projet n’est alors possible que si Éric obtient un licenciement économique et donc un maintien de revenus sur un an :
Si je pars en économique, et c’est ce que j’essaie de leur faire entendre, j’ai une sécurité financière pendant douze mois, pendant douze mois, je perds pas un centime par rapport à ce que je gagne actuellement, donc voilà, je peux me dire j’ai six mois pour démarrer, développer ma société, au statut d’auto-entrepreneur, et si au bout de douze mois, si je fais le calcul, j’ai le droit à 30 000 euros par an, ça fait 2500 par mois, c’est ma base de rémunération d’aujourd’hui. Voilà, j’ai six mois, donc si ça marche pas, au pire j’ai six mois pour trouver un autre boulot.
L’inscription comme auto-entrepreneur est pensée comme une mise à l’épreuve d’une éventuelle véritable création d’entreprise, test envisageable au regard des indemnités de chômage qui assureront le maintien de revenus à court terme, et au regard du revenu de sa femme. La femme d’Éric est ingénieur de projet, gagnant un salaire un peu supérieur au sien, de l’ordre de 2 800 euros nets. Cet essai d’activité indépendante prend alors sens dans une configuration familiale dans laquelle l’épouse d’Éric a un salaire stable et supérieur au sien. Cet équilibre explique sans doute que ce soit Éric qui ait pris un congé parental en 2003. Si la création d’une micro-entreprise de nettoyage correspond a priori à un déclassement professionnel pour Éric, la décision est justifiée par une insatisfaction dans son emploi salarié, ainsi que par le rêve plus ancien de travailler à son compte. Éric aurait en effet souhaité suivre 57des études plus professionnelles, envisageant notamment de travailler dans les métiers de bouche, avec son parrain. Plus largement, sa famille compte de nombreux indépendants, au premier rang desquels figurent ses parents, son père étant artisan et sa mère comptable. L’inscription comme auto-entrepreneur marque un retrait d’un emploi insatisfaisant, sur fond de crainte de déclassement dans le salariat, et incarne alors un espoir fragile d’une situation de travail plus heureuse.
Conclusion
Le régime de l’auto-entrepreneur, en abaissant les barrières à l’entrée de la création d’entreprise, a provoqué des déplacements du salariat vers l’indépendance. Nous avons dans cet article étudié les configurations dans lesquelles l’auto-entrepreneuriat se substitue à du salariat. Ces changements de statut d’emploi se déroulent dans des configurations différentes : modalité de travail imposée par l’employeur, inscription plus autonome, ou solution de secours face à une menace de licenciement. Et ils ont un coût : revenus incertains, diminution de la protection sociale, absence de congés payés. L’article visait alors à articuler les modalités d’entrée et de gestion du passage à l’indépendance. Nous avons vu que le dispositif était parfois utilisé comme modalité d’insertion professionnelle, souvent imposée par l’employeur, privé comme public. Cette indépendance transitoire est alors acceptée par des jeunes résignés face à la pénurie d’emploi, et qui souhaitent commencer leur carrière, à tout prix. Dans un deuxième temps, nous avons envisagé des installations plus tardives dans l’indépendance, qui font suite à une rupture dans la carrière salariale. L’inscription peut faire suite à une démission, et on observe alors tant la volonté de s’extraire d’un salariat peu qualifié jugé décevant en termes de niveaux de rémunération et d’espoir de promotion, que le souhait de travailler « pour soi », afin de gagner plus ou d’aménager son temps de travail. Mais elle peut également fonctionner comme solution de secours face à un risque de licenciement, encadrant alors des reconversions déclassantes.
58Si les auto-entrepreneurs exclusifs connaissent donc des situations contrastées, les conditions de possibilité de la mise à son compte sont toutefois similaires. Dans tous les cas, l’auto-entrepreneuriat repose largement sur le système salarial. Les auto-entrepreneurs sont encore salariés, l’étaient ou le seront par la suite, ils bénéficient d’allocations chômage ou de revenus sociaux, ils comptent sur la rémunération salariée de leur conjoint ou de leurs parents. C’est pourquoi l’économie domestique s’est révélée une clé d’analyse essentielle tout au long de la démonstration. L’indépendance d’un conjoint suppose la stabilité de l’autre, et l’indépendance réduite est exercée par le conjoint le moins bien rémunéré, très souvent les femmes, ce qui accentue encore la division sexuée du travail. Ainsi, bien que les auto-entrepreneurs valorisent fortement leur sentiment d’autonomie, le système de l’auto-entrepreneuriat fonctionne néanmoins largement en se nourrissant de la société salariale.
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1 La circulaire de 1977 réserve en effet le dispositif aux seuls cadres « involontairement privés d’emploi ». La cible est élargie dès 1979, mais l’Accre s’adresse prioritairement aux salariés qualifiés, avec un objectif non pas seulement d’auto-emploi, mais d’embauches.
2 Ces seuils, fixés dans la Loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008, ont ensuite été régulièrement actualisés, et ont atteint en 2013 respectivement 32 900 et 82 200 euros.
3 Elle précise avoir dû faire un « véritable forcing » pour obtenir un CDD pour trois jours par semaine, et indique qu’elle continue à travailler le quatrième jour de la semaine pour le même employeur mais sous le régime de l’auto-entrepreneur.
4 L’extrait d’entretien met au jour un autre ressort de l’acceptation de la relation de travail, puisqu’étant payé à la pièce, Blaise s’estime en partie responsable du faible niveau de rémunération, qu’il lie à son manque d’expérience et de rapidité.
5 Le développement de contrats atypiques dans la fonction publique a fait l’objet de travaux depuis les années 1970 (voir Magaud, 1974).
6 Le calcul de base est donc le suivant : plutôt que de payer (salaire net*145/100), l’employeur public débourse désormais (salaire net*118.3/100). Notons que nous avons fait l’hypothèse un peu rapide, d’un taux de cotisations patronales avoisinant les 45 % (ordre de grandeur pour les salaires supérieurs à 1,6 SMIC). Ce calcul pourrait être affiné, notamment sur les temps partiels, en raison des exonérations de cotisations sur les « bas salaires ».
7 Je précise a priori car cette modalité a fait l’objet d’une négociation et son maintien dans le temps n’est pas garanti.
8 Si les recrutements dans la fonction publique passent par la voie de concours, les CV sont néanmoins des pièces maîtresses pour les concours d’enseignants-chercheurs.
9 Ces 40 % se décomposent en : 32 % (pas d’autre activité et pas de prestation sociale), 7 % (pas d’autre activité et allocations chômage) et 1,5 % (pas d’autre activité et minimum social)
10 Une publication de la Dares précise : « si le travail des non-salariés apparaît un peu moins intense que celui des salariés, il exerce en revanche une emprise beaucoup plus forte sur leur vie. Ainsi, leur durée hebdomadaire de travail, marquée par un flou plus grand des frontières entre travail et vie privée, apparaît beaucoup plus élevée que celle des salariés : 45 % déclarent travailler plus de 50 heures par semaine, contre 3 % des salariés. Cette emprise s’observe aussi dans de fortes amplitudes hebdomadaires de travail et la fréquence des horaires atypiques, nettement supérieures aux salariés : 57 % des non-salariés déclarent travailler six ou sept jours par semaine (contre 8 % des salariés) et 32 % travailler habituellement le dimanche (12 % pour les salariés) » (Algava et Vinck, 2009).
11 L’entretien ayant été réalisé dans le pavillon familial un samedi matin, le mari de Carine était présent, bien que n’ayant participé que ponctuellement à la discussion. Précisons ici que 60KE équivaut à 60 000 euros.
- CLIL theme: 3319 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Économie publique, économie du travail et inégalités -- Travail, emploi et politiques sociales
- ISBN: 978-2-406-06859-4
- EAN: 9782406068594
- ISSN: 2555-039X
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-06859-4.p.0029
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 04-28-2017
- Periodicity: Biannual
- Language: French
- Keyword: Auto-entrepreneur, unemployment, gender, wage model, self-employment