Une introduction à Proust, l’Angleterre et la Normandie
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Ruskin, Proust et la Normandie. Aux sources de la Recherche
- Pages : 221 à 222
- Collection : Bibliothèque proustienne, n° 42
Une introduction à Proust, l’Angleterre et la Normandie
Marcel Proust aime à considérer la Normandie à travers des prunelles anglaises et il le fait volontiers, à travers celles de John Ruskin, écrivain et (dans une moindre mesure) artiste, et celles du peintre Joseph Mallord William Turner. Il reprend ainsi, en miroir, une idée toute ruskinienne, celle de regarder la France dans une perspective britannique. Par ailleurs, il se rend compte progressivement qu’il est possible de peindre en mots, notamment les paysages, ce qu’il tentera de faire dans son roman.
La mort de Ruskin en janvier 1900 est le déclancheur qui incite Proust à rechercher le penseur anglais « en esprit et en vérité1 » en Normandie (comme en Picardie) : il se rend d’abord à Rouen en 1900, puis à partir de 1907 rayonne depuis Cabourg en automobile sur toute une partie de la province (surtout le Calvados), dans le sillage de son cicérone.
En préparant un article nécrologique biparti sur Ruskin pour La Gazette des Beaux-Arts (1er avril et 1er août 1900), Proust envisage un projet imaginaire concernant les paysages français vus par des yeux anglais :
Quelle jolie collection on ferait avec les paysages de France vus par des yeux anglais : le Calais ou la Loire de Turner ; le Versailles, de Bonnington [sic] ; l’Auxerre ou le Valenciennes, le Vézelay ou l’Amiens de Walter Pater ; le Paris de Stevenson et tant d’autres2 !
Concernant Pater et Stevenson, il s’agit là de textes et non pas de peintures. Cette phrase subira d’ailleurs quelques modifications avant d’être publiée dans La Gazette des Beaux-Arts3 et dans cette note à la préface à La Bible d’Amiens :
222Quelle intéressante collection on ferait avec les paysages de France vus par des yeux anglais : les rivières de France de Turner ; le Versailles, de Bonnington [sic] ; l’Auxerre ou le Valenciennes, le Vezelay [sic] ou l’Amiens, de Walter Pater ; le Fontainebleau, de Stevenson et tant d’autres4 !
La présence de Turner s’est longtemps fait sentir chez Proust. Signalons par exemple cette remarque critique à son ancien professeur de l’École libre des sciences politiques, Albert Sorel (1842-1906), historien né à Honfleur – ce qui révèle tout l’intérêt de l’observation suivante – et passionné toute sa vie par la Normandie :
J’étais ce soir en train de regarder un album des Rivières de France de Turner, qu’on m’avait prêté, et ouvert sur “Honfleur”. Je me demandais ce que vous en penseriez, n’osant de moi-même décider comme j’y étais fort enclin que le charme infini de la vieille ville normande n’était nullement rendu par Turner5.
1 CSB, p. 441.
2 PM, dans CSB, p. 762, note 4.
3 GBA : « le Valenciennes de Walter Pater, le Paris de Stevenson » (CSB, p. 762, note 4).
4 La Bible d’Amiens, p. 60, note 13.
5 Corr. IV, p. 177 (lettre de Proust à Albert Sorel [Le dimanche soir 10 juillet 1904]). Le lendemain un bel éloge par Sorel de La Bible d’Amiens, traduite par Proust, paraît dans Le Temps.