![Ruskin, Proust et la Normandie. Aux sources de la Recherche - Rouen, 1848](https://classiques-garnier.com/images/Vignette/CglMS02b.png)
Rouen, 1848 L’apothéose !
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Ruskin, Proust et la Normandie. Aux sources de la Recherche
- Pages : 159 à 198
- Collection : Bibliothèque proustienne, n° 42
Rouen, 1848
L’apothéose !
Au cours de sa lune de miel, Ruskin se rend par deux fois à Rouen : du 16 au 24 août et du 30 septembre au 17 octobre 1848. Il y achète, pour ses sérieuses recherches normandes, un carnet de quelque quatre-vingt-quatre pages chez « F. Boyer, Maison de Papeterie, Rue St. Jean 41 » (l’étiquette de ce magasin, collée sur la couverture, le précise). Ce carnet, dénommé par lui-même Notebook D 1848, est conservé actuellement à la Ruskin Library de l’université de Lancaster1. En ce qui concerne Rouen, cet important document inédit comprend son travail architectural, des notes et souvent des dessins, de la cathédrale Notre-Dame, de l’église Saint-Maclou, de l’abbatiale Saint-Ouen et de l’église Saint-Vincent. Il y a un foisonnement d’annotations et de croquis que nous n’arrivons pas tous à identifier jusqu’à présent. Ainsi celui d’une tête féminine représente-t-il Effie ? Le carnet contient aussi des observations architecturales sur Caen, Caudebec, Honfleur, Lisieux, Gisors (fig. 18), Beauvais et Amiens.
160Fig. 18 – John Ruskin (1819-1900), Gisors, détail d’un feuillage sculpté,
probablement de l’église Saint-Gervais-Saint-Protais, 1848, crayon,
encre et lavis d’encre noire sur papier, 9,3 x 15,3 cm, annoté en bas :
Under transept gallery. Gisors […], Lancaster (G.-B.),
The Ruskin – Library, Museum and Research Centre, Lancaster University
(Architectural Notebook D – 1848, folio 62 verso ; inv. 1996P1519)
(© The Ruskin – Library, Museum and Research Centre, Lancaster University).
Une avidité inquiète
Des problèmes matrimoniaux et certaines incompatibilités apparaissent dès ce premier séjour à Rouen, en août 1848. Ruskin se sent empêché dans l’accomplissement de sa mission à cause d’Effie dont il ressent parfois la présence comme encombrante et il se confie à sa mère :
But poor Effie would be far better off with Papa and you than with me, for I go out on my own account and when I come in am often too tired or too late to take her out so that unless she likes to come with me, always to the same place, she sometimes does not go out all day – and I sometimes cannot – for fear of cold, and sometimes will not – for fear of losing time, stop with her to look at the shops, the flowers, or the people2 –
161« Mais la pauvre Effie serait beaucoup mieux avec Papa et vous plutôt qu’avec moi, car je sors quand j’en ai envie et quand je rentre je suis souvent trop fatigué ou il est trop tard pour l’emmener dehors donc à moins qu’elle veuille m’accompagner, toujours au même endroit, parfois elle ne sort pas du tout de la journée – et parfois je ne peux pas – de peur du froid, et parfois je m’y refuse – de peur de perdre du temps, de rester avec elle à regarder les magasins, les fleurs, ou les gens – »
L’attitude d’Effie, sa faible constitution et le fait qu’elle ne partage pas le même enthousiasme que son mari dans son travail créent un certain malaise :
But she is very good and enjoys herself when she is out and is content to stop at home. Only you have certainly spoilt me, me dear mother, as far as expectations of walks are concerned – by your excellent walking – I had no idea of the effect of fatigue on women – Effie – if I take her, after she is once tired – half a mile, round – is reduced nearly to fainting and comes in with her eyes full of tears – if however I can once get her to any place where she can rest – she will wait for me three hours together – (and I certainly could not always say as much for you). So I carry my camp seat in my pocket – and when I want to make a note of anything – Effie sits down – n’importe ou – not in the cleanest places always – and is as quiet as a mouse3.
« Mais elle est bien bonne et s’amuse quand elle sort et elle est contente de rester à la maison. Mais vous m’avez certainement gâté, ma chère mère, en tout ce qui concerne la marche – par votre excellente pratique de la marche – je n’avais aucune idée de l’effet de la fatigue sur les femmes – Effie – si je l’emmène, elle est tout de suite fatiguée – après un tour d’à peine un kilomètre – est presque sur le point de s’évanouir et rentre les yeux pleins de larmes – si cependant j’arrive à la conduire à un endroit où elle peut se reposer – elle m’attendra trois heures d’affilé – (et je ne pourrais certainement jamais en dire autant à votre propos). Alors je porte mon pliant dans ma poche – et quand je veux noter quelque chose – Effie s’assoit – n’importe où – pas toujours dans les endroits les plus propres – et elle est aussi tranquille qu’une souris. »
Ruskin reconnaît tout de même à sa jeune épouse quelques dispositions favorables :
She is also a capital investigator, and I owe it to her determined perseverance – and fearlessness of dark passages and dirt in the cause of – philosophy – or curiosity – that I saw the other day the interior of the Abbaye St Amand, certainly the most exquisite piece of wood painting for rooms, I ever saw in any country. Her fatigue, too, depends more on the heat than the distance, and she has been up St Catherine’s with me this 162evening with great enjoyment – much increased by finding heather and bluebells in quantities at the top4.
« Elle est aussi une fameuse investigatrice, et je dois à sa persévérance déterminée – et à son intrépidité devant les passages sombres et la saleté au nom de – la philosophie – ou de la curiosité – d’avoir vu l’autre jour l’intérieur de l’abbaye de Saint-Amand, certainement le morceau de peinture d’intérieur sur bois le plus exquis, que j’aie jamais vu dans aucun pays. Sa fatigue, aussi, dépend davantage de la chaleur que de la distance, et elle est montée avec moi ce soir au mont Sainte-Catherine avec un grand plaisir – beaucoup accentué par la découverte de bruyère et de jacinthes des bois en quantité au sommet. »
Comme bien souvent dans ce voyage de 1848, Ruskin ressent un sentiment d’urgence dans son désir de voir, d’explorer, de dessiner et finalement de documenter autant de constructions que possible : « I have far, far more here to enjoy and to learn than my time admits5 » [« J’ai beaucoup, beaucoup trop de choses à aimer ici et à apprendre que le temps ne me le permet »], écrit-il à sa mère. Cette ville moyenâgeuse que Ruskin essaie de « sauver » par ses dessins et ses écrits change rapidement et Murray en 1844 explique que « l’étranger n’a qu’à se plonger dans ce labyrinthe de rues presque inextricable pour trouver assez d’éléments anciens afin de rassasier l’artiste ou le plus ardent amateur des temps passés : puisqu’une loi a été publiée pour interdire de reconstruire des maisons en bois, leur nombre va forcément diminuer chaque année. » [« the stranger has only to plunge into its almost inextricable labyrinth of streets to find enough of antiquity to satiate the artist or the most ardent lover of bygone times : although a law having been passed prohibiting the rebuilding of houses in wood, their number must diminish every year6. »] Murray s’inquiète également des « aménagements modernes [qui] ont grandement porté atteinte à l’aspect vénérable et pittoresque de Rouen. » [« modern improvements [that] have greatly detracted from the venerable and picturesque appearance of Rouen7. »]
L’angoisse de Ruskin est rapportée, non sans un peu d’exagération, par Effie :
163he is very goodtempered and would be perfectly contented were it not for the spirit of restoration in this country which by way of improving or restoring old buildings is pulling them to pieces, not slowing but in rapid strides down they come, the black with age sides of Rouen Cathedral with all its lace-like work; statues, niches, crockets, foliated windows, which I daresay you know to be of the most exquisite workmanship, are all being demolished to make room for staring yellow stone unrelieved which the workmen said was to be finished at some future time. The front of the Cathedral is still spared, but the whole front of St Ouen has been removed and newly built; at Lisieux the same thing is going on8.
« il est de très bonne humeur et serait tout à fait content si ce n’est par l’esprit de restauration dans ce pays qui en guise d’améliorer ou de restaurer les vieux bâtiments est en train de les anéantir, pas lentement mais ils le font à grand pas, les flancs noircis par le temps de la cathédrale de Rouen avec tous ses ornements tels de la dentelle ; statues, niches, crochets, vitraux foliés, que j’imagine vous savez être d’un travail des plus soignés, sont tous en train d’être détruits pour faire place à une pierre jaune froide et uniforme ce qui selon les ouvriers sera terminé prochainement. La façade de la cathédrale est épargnée pour l’instant, mais toute la façade de Saint-Ouen a été enlevée et reconstruite à neuf ; à Lisieux la même chose est en cours. »
Déjà en 1848, la pollution est un problème car la crasse couvre la pierre calcaire du porche de la cathédrale, si délicate. Ruskin annonce à son père le 15 octobre 1848 :
I was going to ask the Bishop for leave to wash it but on cleaning some little bits experimentally, I found the stone behind white and soft, so that its effect would have been quite raw and new, and I prefer leaving it as it is although its carvings are literally in many places choked up two inches deep with an accumulation of soot, cobweb and dust washed from above and drifted from below9.
« J’avais l’intention de demander à l’évêque l’autorisation de le nettoyer mais après avoir fait quelques petits essais, j’ai trouvé la pierre en dessous blanche et fragile, donc l’effet aurait été trop vif et moderne, et je préfère le laisser tel qu’il est bien que ses sculptures soient vraiment dans beaucoup d’endroits encrassées sous plusieurs centimètres de couches de suie, de toiles d’araignées et de saleté ayant ruisselé d’en haut ou migré d’en bas. »
De même, six ans plus tard, Ruskin exhorte le poète et peintre préraphaélite Dante Gabriel Rossetti à regarder attentivement ces sculptures du treizième siècle :
164going fast to decay, at the bottoms of the doors of the north and south transepts. I am thinking of casting them; but they are so mouldered away or choked with dust that I fear the additional bluntness of the cast will set them off to very poor advantage. […] They are on a level with the eye – little panels… about 150 on each door;…the finest things I know in all the world10.
« qui s’abîment rapidement, au bas des portes des transepts nord et sud. Je pense les mouler ; mais elles sont si pulvérulantes et encrassées que je crains que l’effet brutal du moulage ne les dégrade sans rien améliorer. […] Elles sont au niveau de l’œil – petits panneaux… environ 150 sur chaque portail ;… les plus belles choses que je connaisse dans le monde entier. »
Bien que les deux séjours rouennais de 1848 soient pour Ruskin formateurs et « éducatifs » – il prépare ses théories sur l’architecture gothique qu’il publiera l’année suivante dans The Seven Lamps of Architecture, ouvrage où, selon Proust, « la cathédrale de Rouen est citée quarante fois11 » –, il a le sentiment de ne pas avoir suffisamment compris et en profondeur la richesse architecturale de cette ville qu’il quitte « sans l’avoir vue. » [« unseen12. »] « I cannot grasp it » [« Je n’arrive pas à la saisir »], avoue-t-il à son père depuis Rouen le 15 octobre 1848, « Every time I walk into the Square it is new to me13. » [« Chaque fois que j’arrive sur la place c’est nouveau pour moi. »]
Le portail occidental de la cathédrale
Le but de Ruskin est d’explorer le premier gothique, le gothique tardif, les gothiques rayonnant et flamboyant, à partir de la cathédrale de Rouen, édifice idéal, car il est un amalgame – fait de « coulées successives14 » pour reprendre la formule de Luc Fraisse – de styles divers, composé de pièces et de morceaux disparates, accumulés durant des 165siècles. Le travail délicat et les sacrifices de maintes générations sont perceptibles dans l’ornementation architecturale. Ruskin a déjà déclaré dans le premier volume de Modern Painters :
The delight with which we look on the fretted front of Rouen Cathedral depends in no small degree on the simple perception of time employed and labour expended in its production15.
« Le plaisir avec lequel nous contemplons la façade ciselée de la cathédrale de Rouen dépend et pas pour peu de la simple perception du temps investi et du labeur fourni pour sa construction. »
Les thèmes de la temporalité, de la mémoire, mais aussi de l’engagement de l’ouvrier et de sa célébration sont des leitmotivs chez Ruskin. Le gâble paré d’églantines sculptées, au-dessus du porche central de la façade ouest, témoigne parfaitement de ce « don de soi » de l’artiste-sculpteur dont le travail exprime « toute l’âme de l’homme. » [« the whole spirit of man16. »]
Ruskin désire justement pendant ce deuxième séjour rouennais de 1848 se concentrer sur le merveilleux portail occidental de la cathédrale. Pour le comprendre à fond et en saisir l’essence, il faut le temps de le connaître, de l’observer, de le dessiner et pour ce faire, il a besoin d’au moins une semaine. Il est habité par une vive passion pour cette cathédrale Notre-Dame, jusque dans les offices religieux qui s’y déroulent :
We have a French Protestant service in the morning, and at 3 in the afternoon we go to vespers in the cathedral17.
« Nous avons un office protestant français le matin, et à 3h de l’après-midi nous allons aux vêpres à la cathédrale. »
C’est avec une certaine exaltation qu’il s’adresse à ses parents, dans une lettre du 9 octobre :
Now, vespers are very nearly our English evening service magnificently chanted; we have the Psalms just as in our cathedrals, only in Latin; then the Magnificat, nobly sung; then some altar chanting and then the sermon; all the priests, novices, etc., coming down from the altar, and the Archbishop from his trone, to sit before the pulpit – his crozier and the crucifix held before him by two priests in white stoles, and the little choristers, Paul Veronese like, with their crimson caps, grouped round him; all which 166gives me intense pleasure. We sit close to him, hear an excellent sermon, receive his blessing with the rest of the congregation – I at least very thankfully, and then after some more lovely passages of chanting, we come out into the grey cathedral porch18.
« Eh bien, les vêpres sont presque les mêmes que notre office anglais du soir magnifiquement chantées ; nous avons les Psaumes exactement comme dans nos cathédrales, mais en latin ; puis le Magnificat, noblement chanté ; puis des cantiques à l’autel et ensuite le sermon ; tous les prêtres, novices, etc., descendent depuis l’autel, et l’archevêque de son trône, pour s’asseoir devant la chaire à prêcher – sa crosse et le crucifix portés devant lui par deux prêtres en étoles blanches, et les petits choristes, qui évoquent Paul Véronèse, en bonnets cramoisis, rassemblés autour de lui ; tout cela me procure un très vif plaisir. Nous nous asseyons près de lui, écoutons un excellent sermon, recevons sa bénédiction avec tous les autres fidèles – moi au moins avec beaucoup de gratitude, et puis après quelques beaux morceaux de cantiques de plus, nous sortons par le portail gris de la cathédrale. »
Il écrit encore à ses parents, que l’on devine un peu circonspects devant le soudain engouement de leur fils pour le culte catholique :
We went to the protestant service this morning and to vespers in the afternoon in the cathedral – which after all we have seen – comes upon me finer than ever – the portal is such a vast and infinitely filled piece of beauty that I have never yet been able to take it into my mind – or comprehend it – or conceive it when I was away from it. It seemed quite new to me this evening and gave me a sensation like St Mark’s place. I am going to devote this week wholly to it, and if I cannot draw it, at all events I hope to know something about it and understand it a little19.
« Nous sommes allés au culte protestant ce matin et aux vêpres l’après-midi dans la cathédrale – ce qui après tout ce que nous avons vu – me semble plus beau que jamais – le portail est tellement vaste et un morceau si empli de beauté à l’infini que je n’ai pas encore pu le saisir dans mon esprit – ou le comprendre – ou le concevoir quand j’étais loin de lui. Il m’est apparu tout à fait nouveau ce soir et m’a donné une sensation comme la place Saint-Marc. Je vais consacrer cette semaine entièrement à lui, et si je n’arrive pas à le dessiner, j’espère en tous cas connaître quelque chose de lui et le comprendre un peu. »
Ruskin entreprend donc une grande esquisse dont on peut suivre les progrès dans les lettres à ses parents. Le 5 octobre, « The weather is now beautiful and I am getting on with my sketch20. » [« Il fait beau maintenant et j’avance avec mon esquisse. »] Vers le 6 octobre il écrit :
167I get on with my drawing slowly though well, the weather is everything I could wish. Every hour I spend in this place gives me more delight and wonder21.
« J’avance lentement mais bien avec mon esquisse, le temps est tout ce que je pourrais souhaiter. Chaque heure que je passe dans ce lieu me donne davantage de plaisir et d’émerveillement. »
Plus tard, Ruskin leur envoie un rapport plus détaillé :
My sketch is only two thirds done – if so much, and I work as hard as I can not to hurt myself. But it is physically impossible to make a drawing of any size with any degree of attention to details in less than a week and this Rouen drawing is on two sheets joined. I never work at it before breakfast but sit at it from ½ past nine to twelve each day which is as much as I can do of such work. In the afternoon I cannot sit in the place, the sun being full on it, so I go and make general observations – take sections etc. – and the more I study the more awestruck I am. I think this cathedral may stand second to that of Florence and the two squares before its west and south doors second to St Mark’s Place and the Piazzetta22.
« Mon esquisse n’est faite qu’aux deux tiers – tout au plus, et je travaille aussi dur que possible sans me faire du mal. Mais il est impossible physiquement de réaliser une esquisse de n’importe quelle taille en faisant attention aux détails en moins d’une semaine et ce dessin de Rouen est sur deux feuilles jointes. Je ne travaille jamais dessus avant le petit déjeuner mais je m’y attèle de neuf heures et ½ jusqu’à midi chaque jour ce qui est tout ce que je peux faire pour une telle tâche. L’après-midi je ne peux pas m’asseoir en ce lieu, le soleil étant en plein dessus, alors je m’en vais faire des observations générales – prendre des coupes etc. – et plus j’étudie plus je suis émerveillé. Je pense que cette cathédrale pourrait se placer en second après celle de Florence et que les deux parvis devant les portes ouest et sud en second après la place Saint-Marc et la Piazzetta. »
Nous pensons que l’œuvre dont il est question est le dessin Rouen Cathedral23, exécuté sur deux feuilles jointes, se trouvant actuellement à la William Morris Gallery de Londres (fig. 19). Il est grand (76,2 x 62,3 cm), n’est pas daté, et représente les portails nord, dédié à saint Jean, et central de la façade occidentale.
168Fig. 19 – John Ruskin (1819-1900), Rouen, vue partielle des portails
de la façade occidentale de la cathédrale Notre-Dame,
non daté (1848), crayon, sépia et aquarelle sur papier,
76,2 x 62,3 cm, Londres, William Morris Gallery,
Borough of Waltham Forest (inv. D237).
Le magnétisme de Rouen est si fort que Ruskin prolonge quotidiennement son séjour et remet au plus tard possible son départ, malgré les demandes insistantes de ses parents pour qu’il rentre en Angleterre. Le 11 octobre, il s’adresse à eux en s’excusant de son retard :
I have not been able to get away, it would be quite a sin to leave my sketch here incomplete – with the chance of the cathedrals being knocked down before I can return again […]. I am very anxious to get home now as I know you must be to see us but I think you would be vexed if I left my work undone24.
« Je n’ai pas pu partir, ce serait vraiment un péché de laisser mon esquisse ici inachevée – avec la possibilité que les cathédrales soient détruites avant que je puisse y retourner […]. J’ai très envie de rentrer à la maison maintenant comme je sais que vous avez envie de nous revoir mais je pense que vous seriez fâchés si je quittais mon travail inachevé. »
Le lendemain, Ruskin tente encore de se justifier auprès de son père en ces termes :
my stay in Normandy has been lengthened by my fear of not being able to get abroad again soon, or perhaps, ever to see some of the finer things in their present state again. They are defacing so much everywhere that I thought it foolish to run the chance of losing my study of this cathedral porch. I have never till now had any opportunity of really fathoming this architecture of France: and I have had great difficulty in doing so even in the long time I have had. You cannot imagine the intricacy of its arrangements25.
« mon séjour en Normandie a été prolongé par ma crainte de ne pas pouvoir me rendre de nouveau à l’étranger bientôt, ou peut-être, de ne jamais pouvoir revoir quelques-unes des choses les plus remarquables dans leur état actuel. On est en train de dégrader tant de choses partout que j’ai cru incensé de risquer la perte de mon étude du porche de cette cathédrale. Je n’ai jamais eu jusqu’ici la moindre occasion de comprendre vraiment à fond cette architecture de France : et j’ai eu beaucoup de mal à le faire même pendant le long séjour que j’ai eu. Vous ne pouvez pas vous imaginer les complexités de son ordonnance. »
170Le portail des Libraires
Le portail des Libraires26, sur le côté nord de la cathédrale, est flanqué d’une multitude de quadrilobes étoilés, sculptés en bas-reliefs, dont certains représentent des thèmes religieux, mais qui, pour la plupart, contiennent des figures grotesques. Parmi ces dernières, des êtres hybrides mêlent attributs humains et animaliers, fruits d’une imagination débridée : citons une truie jouant de la vielle, un bouc sonnant des cloches, une sorte d’étrange pélican, un dragon ou un lion à tête humaine… Ces quadrilobes, au nombre de soixante-dix selon les calculs de Ruskin – ils sont en réalité cent-cinquante-et-un, si l’on compte le trumeau central –, sont accompagnés d’une créature particulière dans chacun des quatre écoinçons du pourtour, faisant un total de « 280 animaux, tous différents, rien que pour le remplissage des intervalles des bas-reliefs27. » [« 280 animals, all different, in the mere fillings of the intervals of the bas-reliefs28. »] En 1848, Ruskin fait des relevés de certains d’entre eux (fig. 20) : « Three of these intervals, with their beasts, actual size, the curves being traced upon the stone, I have given in Plate XIV29. » [« J’ai donné dans la Planche XIV trois de ces intervalles, avec leurs bêtes, grandeur nature, les relevés tracés sur la pierre30. »]
Ruskin crée un ensemble harmonieux en plaçant judicieusement ces trois « bêtes » sur une même planche des Seven Lamps of Architecture : pourtant elles se trouvent sur le bord de trois quadrilobes différents. Situons d’abord leur emplacement et rappelons aussi qu’il faut inverser chaque image gravée afin de pouvoir contempler la créature telle qu’elle a été sculptée. La tâche est loin d’être facile, surtout parce que les reliefs sont parfois en très mauvais état, dégradés par le temps, la pollution, voire des restaurations !
171Fig. 20 – John Ruskin (1819-1900), Dessin préparatoire pour
The Seven Lamps of Architecture (Works, VIII, planche XIV, en regard de la p. 216)31,
non daté (1848-1849), crayon sur papier, 21,6 x 33,9 cm,
annoté en bas au centre : Plate XIV, Sheffield Galleries and Museums Trust,
collection The Guild of St George (inv. CGSG00511).
Sur la planche XIV donc, la créature en haut à gauche se trouve dans le coin supérieur droit du quadrilobe numéro 22E selon le schéma de H. Krohm, situé du côté est du portail (fig. 21). Le sujet de ce quadrilobe, « Centaure jouant du cor », a été décrit de la façon suivante par Jacques Tanguy :
Le corps du centaure est celui d’un animal cabré. Ses pattes antérieures ne sont pas visibles. Au niveau de son poitrail, on peut distinguer quelques volutes de végétation. Le buste est sommairement vêtu d’un long drap qui couvre les épaules et descend sur l’arrière. La tête, chevelue, est couverte d’une sorte de foulard noué dont un morceau dépasse largement sur la gauche du personnage. Dans la main droite, il soutient un cor dans lequel il souffle l’air de ses joues rebondies32.
172Fig. 21 – Rouen, cathédrale Notre-Dame, portail des Libraires,
Quatre-feuilles avec un « centaure jouant du cor » (no 22E), début du xive siècle
(la figure dessinée par Ruskin en haut de sa composition –
fig. 20 – se situe dans l’angle supérieur droit)
(© Jacques Tanguy – www.rouen-histoire.com).
La créature au milieu de la planche XIV se situe dans le coin inférieur gauche du quadrilobe numéro 4E du schéma, du côté ouest du portail (fig. 22). Ce quadrilobe, « Hybride fou », est ainsi détaillé par Tanguy :
Cet être est doté d’un buste et d’une tête humains, mais d’un corps d’animal. Seules deux pattes munies de sabots sont visibles. La longue queue est ramenée sous le ventre. Le personnage est habillé d’une sorte de cape aux longs plis. Il tient une marotte dans sa main gauche. C’est l’objet symbolique du fou. La main droite tient un objet rond, peut-être une pomme, qu’il amène au niveau de la bouche comme pour la croquer.
173Fig. 22 – Rouen, cathédrale Notre-Dame, portail des Libraires,
Quatre-feuilles avec un « hybride fou » (no 4E), début du xive siècle
(la figure dessinée par Ruskin au milieu de sa composition –
fig. 20 – se situe dans l’angle inférieur gauche)
(© Jacques Tanguy – www.rouen-histoire.com).
Curieusement et contrairement aux deux autres, Ruskin ne fait aucune remarque sur la petite créature qui borde ce quadrilobe, qu’il a pourtant pris le temps de dessiner ! Il s’agit d’un animal aux grandes oreilles, avec une longue queue, une grande patte et muni d’une aile.
174Fig. 23 – Rouen, cathédrale Notre-Dame, portail des Libraires,
Quatre-feuilles avec un « hybride animal Sarrasin » (no 5D), début du xive siècle
(la figure dessinée par Ruskin en bas de sa composition
– fig. 20 – se situe dans l’angle inférieur gauche)
(© Jacques Tanguy – www.rouen-histoire.com).
Nous voudrions signaler une autre « bête » qui ressemble fort à celle évoquée ci-dessus. Elle se trouve dans le coin inférieur gauche du quadrilobe 21D, du côté est du portail, « Femme s’occupant de sa coiffure », que Tanguy évoque de la manière suivante :
Cette femme, demi accroupie est seulement vêtue d’une sorte de toge qui lui recouvre les épaules et retombe sur son dos. La partie inférieure de son corps est nue. Avec sa main gauche, elle travaille une boucle de sa coiffure. Elle se regarde dans un miroir qu’elle tient dans sa main droite33.
175La localisation de la troisième créature reproduite sur la planche est moins aisée. Dans un manuscrit inédit, dont un fragment a été reproduit dans une note des Seven Lamps of Architecture, Ruskin tente de nous aider pour trouver cet intervalle, le situant au bord du quatre-feuilles où « Le dragon au centre, prêt à bondir, est très féroce et magnifique, les rides autour de la bouche surtout. » [« The dragon in the centre, ready for a spring, is very fierce and fine, the wrinkles about the mouth especially34. »]
Il existe bien un quadrilobe avec un dragon à tête humaine encapuchonnée, du côté est du portail, mais il a l’air calme (numéro 22D selon le schéma de Krohm) et les figures des intervalles ne semblent pas correspondre au relevé de Ruskin. Nous pensons qu’il s’agit plutôt du quatre-feuilles numéro 5D du schéma déjà mentionné (fig. 23), du côté ouest du portail (l’intervalle en question se situant en bas à gauche), où l’on voit un « Hybride animal Sarrasin », décrit par Tanguy en ces termes :
La partie inférieure est un animal à l’arrière train humain (jambes et pieds en particulier). Ses pattes avant sont animales. Sa poitrine est velue. Le personnage humain qui le surmonte a tous les types du Sarrasin, en particulier le turban qui coiffe ses cheveux. Il est vêtu d’une cape qui est fermée sur la poitrine par une agrafe. Il tient un bouclier conique sur son bras gauche et une fronde dans sa main droite35.
Ruskin n’a pas eu besoin de déranger le sacristain pour demander une échelle ou un échafaudage pour atteindre ces reliefs car ces trois figures étranges se situent au niveau de l’œil.
Son but est avant tout d’attirer notre attention sur le regard expressif de ces êtres monstrueux, résumant leur sentiment. Il commente seulement deux d’entre eux (en haut à gauche et en bas à droite), même si tous les trois sont reproduits dans la gravure36 :
The upper creature on the left is biting something, the form of which is hardly traceable in the defaced stone – but biting he is; and the reader cannot but recognise in the peculiarly reverted eye the expression which is never seen, as I think, but in the eye of a dog gnawing something in jest, and preparing to start away with it37.
176« La créature en haut à gauche mord quelque chose, dont la forme est difficilement identifiable dans la pierre dégradée – mais elle est bien en train de mordre ; et le lecteur ne pourra pas ne pas reconnaître dans l’œil bizarrement retourné en arrière l’expression qu’on ne voit jamais, je crois, sinon dans l’œil d’un chien rongeant quelque chose pour s’amuser, et s’apprêtant à l’emporter avec lui38. »
Ruskin compare ce regard-là à celui « de la figure couchée sur la droite, d’humeur sombre et courroucée. Le dessin de cette tête, et le mouvement du bonnet sur son front, sont beaux39. » [« of the couchant figure on the right, in its gloomy and angry brooding. The plan of this head, and the nod of the cap over its brow, are fine40. »] Puis il remarque un petit détail particulièrement heureux qu’il décrit de la façon suivante :
the fellow is vexed and puzzled in his malice; and his hand is pressed hard on his cheek bone, and the flesh of the cheek is wrinkled under the eye by the pressure41.
« le gaillard est vexé et contrarié dans sa malice ; et sa main est fortement appuyée sur sa pommette, et la chair de la joue est plissée sous l’œil par cette pression42. »
Nous verrons plus loin comment, un demi-siècle plus tard, Proust décidera de venir à Rouen pour la retrouver.
177Comme le gâble orné d’églantines du portail occidental, ces minuscules figures de quelques centimètres du portail des Libraires sont, selon l’analyse de Ruskin, de précieux exemples de la sensibilité et de l’âme du sculpteur, et témoignent de « la très noble vitalité dans l’art de l’époque43. » [« the very noble vitality in the art of the time44. »] Elles démontrent un des principes de « La Lampe de Vie », à savoir que l’ornementation et le travail doivent être exécutés avec ardeur, cœur et volonté, et doivent porter les marques du tailleur de pierre. Ruskin oppose le travail de ces humbles imagiers du Moyen Âge à la besogne des praticiens ayant œuvré dans une église néo-gothique près de Rouen, probablement Notre-Dame-de-Bonsecours, où « il n’y a pas une seule touche tendre, pas un seul trait chaleureux sur toute la façade45. » [« there is not one tender touch, not one warm stroke on the whole façade46. »]
Les niches de la cathédrale
Ruskin a également dessiné l’ornementation des niches qui embellissent la cathédrale et témoignent de :
the greatness of the northern Gothic as contrasted with the latest Italian. It reaches nearly the same extreme of detail; but it never loses sight of its architectural purpose, never fails in its decorative power; not a leaflet in it but speaks, and speaks far off too; and so long as this be the case, there is no limit to the luxuriance in which such work may legitimately and nobly be bestowed47.
« la grandeur du gothique du Nord mis en contraste avec l’Italien le plus tardif. Il atteint presque les mêmes extrémités dans les détails ; mais il 178ne perd jamais de vue son but architectural, sans faillir jamais dans sa puissance décorative ; pas une petite feuille en lui qui ne parle, et même parle loin ; et aussi longtemps que ce sera le cas, il n’y a pas de limite à la splendeur dans laquelle un tel travail puisse légitimement et noblement être dispensé48. »
La noblesse et l’intention élevée de ceux qui les ont sculptées sont évidentes, comme pour les reliefs du portail des Libraires.
De la même façon, l’abondante décoration des niches autour du portail central de la façade occidentale – que Ruskin qualifie de « morceau le plus exquis de pur flamboyant qui existe49 » [« the most exquisite piece of pure flamboyant work existing50 »] – n’est pas un vain ornement mais la preuve de l’objectif moral du sculpteur :
in all this ornament there is not one cusp, one finial, that is useless – not a stroke of the chisel is in vain; the grace and luxuriance of it all are visible – sensible rather – even to the uninquiring eye51.
« dans toute cette ornementation il n’y a pas un crochet, un fleuron, qui soit inutile – pas un coup de ciseau donné en vain ; la grâce et la sompuosité de l’ensemble sont visibles – sensibles plutôt – même à l’œil indifférent52. »
179Ruskin montre aussi comment « la saillie des niches au troisième étage de la Tour de Beurre53 » [« the projection of the niches in the third storey of the Tour de Beurre54 »] – édifice essentiellement flamboyant – s’intègre avec harmonie dans l’élévation de la tour entière et ne constitue pas seulement « un simple étage en saillie55. » [« a mere projecting shelf56. »]
Dans son parcours gothique, Ruskin suit l’évolution de l’arc ogival tel qu’il est représenté d’abord dans la « vraie beauté du travail gothique57 » [« truly fine Gothic work58 »] d’un des contreforts du portail des Libraires59 (fig. 24), puis dans la façade occidentale et enfin dans le gothique tardif du portail de la Calende60 : ce dernier illustre « le gothique français très avancé, au bord de la décadence » [« French Advanced Gothic, on the edge of decline61 »], où l’ornementation prime sur la sculpture62, leitmotiv ruskinien que l’on trouve dans nombre de ses ouvrages.
180Fig. 24 – John Ruskin (1819-1900), Dessin préparatoire pour
The Seven Lamps of Architecture (Works, VIII, planche X, en regard de la p. 165)63,
non daté (vers 1849), crayon sur papier, 22,3 x 14 cm,
Sheffield Galleries and Museums Trust,
collection The Guild of St George (inv. CGSG00014).
L’abbatiale Saint-Ouen
L’enthousiasme de Ruskin pour la cathédrale contraste nettement avec ses remarques, plutôt sévères, sur l’abbatiale Saint-Ouen (fig. 25), pourtant considérée par Murray en 1844 comme « sans aucun doute un des édifices gothiques les plus nobles et les plus parfaits du monde » [« beyond doubt one of the noblest and most perfect Gothic edifices in the world64 »], et en 1877 comme la plus belle église de Rouen « qui dépasse la cathédrale en grandeur, en pureté de style, par sa réalisation magistrale, et par sa décoration judicieusement choisie. » [« which surpasses the cathedral in size, purity of style, masterly execution, and judicious decoration65. »] Le Guide de Baedeker exprime des sentiments semblables en prétendant qu’il s’agit de l’« une des plus belles églises gothiques qui soit, qui dépasse la cathédrale, à la fois par son ampleur et l’excellence du style. » [« one of the most beautiful Gothic churches in existence, surpassing the cathedral, both in extent and in excellence of style66. »]
Fig. 25 – France, début du xxe siècle, Rouen, abbatiale Saint-Ouen,
vers 1900/1910, carte postale, collection Julia Couchman.
Les appréciations de Ruskin à l’égard de ce qu’il perçoit comme les défauts de Saint-Ouen, son malaise devant l’architecture flamboyante qui annonce la Renaissance, s’expriment, non sans une certaine colère, par l’utilisation d’expressions fortes. Ainsi décrit-il la tour centrale en ces termes :
The most flagrant instance of this barbarism that I remember […], where the pierced buttress, having an ogee curve, looks about as much calculated to bear a thrust as a switch of willow; and the pinnacles, huge and richly decorated, have evidently no work to do whatsoever, but stand round the central tower, like four idle servants, as they are – heraldic supporters, that central tower being merely a hollow crown, which needs no more buttressing than a basket does67.
« L’exemple le plus flagrant de ce barbarisme dont je me souviens […], où l’arc-boutant ajouré, avec un bord incurvé, paraît presque autant calculé pour supporter une poussée qu’une baguette de saule ; et les pinacles, énormes et richement décorés, n’ont évidemment pas le moindre rôle à jouer, mais se dressent autour de la tour centrale, comme quatre serviteurs désœuvrés qu’ils sont – supports héraldiques, d’autant que la tour centrale étant simplement une couronne vide, n’a pas plus besoin d’être arc-boutée qu’un panier68. »
Il achève sa charge par un jugement sans appel :
In fact, I do not know any thing more strange or unwise than the praise lavished upon this lantern; it is one of the basest pieces of Gothic in Europe; its flamboyant traceries being of the last and most degraded forms: and its entire plan and decoration resembling, and deserving little more credit than, the burnt sugar ornaments of elaborate confectionery69.
« En fait, je ne connais rien de plus étrange ou de plus insensé que les éloges prodigués sur cette lanterne ; c’est un des morceaux gothiques les plus vils 183en Europe ; ses remplages flamboyants ont les silhouettes les plus médiocres et les plus dégénérées ; et son plan tout entier et sa décoration ressemblent et ne méritent guère plus de crédit que l’ornementation en caramel d’une confiserie sophistiquée70. »
Sa critique de Saint-Ouen ne se limite pas à la tour centrale : elle concerne aussi la nef et son ornementation, la claire-voie du transept, la porte du transept sud… et finalement presque tout l’édifice ! Dans une note en bas de page des Seven Lamps of Architecture, Ruskin émet un verdict condamnant définitivement l’abbatiale :
Nor is it only the tower of St. Ouen which is overrated. Its nave is a base imitation, in the flamboyant period, of an early Gothic arrangement; the niches on its piers are barbarisms; there is a huge square shaft run through the ceiling of the aisles to support the nave piers, the ugliest excrescence I ever saw on a Gothic building; the traceries of the nave are the most insipid and faded flamboyant; those of the transept clerestory present a singularly distorted condition of perpendicular; even the elaborate door of the south transept is, for its fine period, extravagant and almost grotesque in its foliation and pendants71.
« Ce n’est pas seulement la tour de Saint-Ouen qui est surestimée. Sa nef est une pâle imitation, dans la période flamboyante, d’un agencement du premier gothique ; les niches sur ses piliers sont des barbarismes ; il y a un gros pilastre carré qui traverse le plafond des bas-côtés pour soutenir les piliers de la nef, l’excroissance la plus laide que j’aie jamais vue dans un édifice gothique ; les remplages de la nef sont le flamboyant le plus insipide et le plus fané ; ceux à claire-voie du transept présentent une expression singulièrement déformée du gothique perpendiculaire ; même la porte ouvragée du transept sud est, pour sa magnifique époque, extravagante et presque grotesque avec ses feuillages et ses décorations pendantes72. »
184Pourtant, Ruskin apprécie tout de même l’aspect rayonnant du premier gothique de Saint-Ouen :
There is nothing truly fine in the church but the choir, the light triforium, and tall clerestory, the circle of Eastern chapels, the details of sculpture, and the general lightness of proportion; these merits being seen to the utmost advantage by the freedom of the body of the church from all incumbrance73.
« Il n’y a rien de vraiment beau dans l’église sauf le chœur, le clair triforium, et la haute claire-voie, le cercle des chapelles orientales, les détails de la sculpture, et les gracieuses proportions en général ; ces mérites sont surtout mis en valeur par le fait que la nef de l’église est libre de tout encombrement74. »
Mais dans The Two Paths (Les Deux chemins), ouvrage publié en 1859, il récidive et insiste de nouveau sur le fait que « Saint-Ouen, aussi impressionnante qu’elle soit, est tout à fait inférieure aux transepts de la cathédrale de Rouen. » [« St. Ouen, impressive as it is, is entirely inferior to the transepts of Rouen Cathedral75. »] Son antipathie pour l’édifice s’accentue encore lorsqu’il s’emporte à propos de sa restauration destructrice ; il est en effet convaincu que « l’abbaye de Saint-Ouen fut détruite par les magistrats de la ville manière de donner du travail à quelques vagabonds76. » [« the abbey of St. Ouen was pulled down by the magistrates of the town by way of giving work to some vagrants77. »] Ruskin se réfère peut-être ici à la reconstruction de la façade par Henri Grégoire, en cours entre 1851846 et 1851. Dans son Dictionnaire raisonné de l’architecture française du xie au xvie siècle (1854-1868), Viollet-le-Duc qualifie d’ailleurs cette intervention de l’un « des pastiches les moins aimables que l’art gothique ait suggérés78 », alors que dans ce même ouvrage, il écrit, toujours à propos de Saint-Ouen que « cette église peut passer pour le chef-d’œuvre de l’architecture religieuse du xive siècle79. »
L’église Saint-Maclou
À l’église Saint-Maclou, merveille du gothique tardif, Ruskin s’attarde devant le portail central. Dans les bas-reliefs du tympan représentant le Jugement Dernier (fig. 26), le mouvement, la vitalité et l’audace des personnages sculptés, terrorisés au milieu des flammes de l’Enfer, sont traités « avec une telle force que je peux seulement décrire son grotesque effrayé comme un mélange des génies d’Orcagna et de Hogarth80. » [« with a degree of power whose fearful grotesqueness I can only describe as a mingling of the minds of Orcagna and Hogarth81. »] Ruskin propose ainsi une singulière association combinant des échos d’Italie et d’Angleterre, issus de périodes artistiques bien différentes et fort éloignées, sur un relief sculpté en France ! À propos de ce tympan, Alain Gaspérini a pu écrire plus récemment, en le comparant à celui de l’abbaye de Moissac, d’époque romane, combien ce Jugement Dernier a été traité d’une manière originale : « le sculpteur a réalisé une synthèse des traditions romanes et gothiques82. » Ruskin a-t-il, au fond, ressenti quelque chose 186de cette spécificité ? Lors d’un passage, que l’on peut presque qualifier de morceau de bravoure, il décrit la scène terrifiante, où « Les démons sont peut-être encore plus effrayants que ceux d’Orcagna ; et, dans certaines des expressions d’une humanité réprouvée dans son extrême désespoir, le peintre anglais est au moins égalé83. » [« The demons are perhaps even more awful than Orcagna’s ; and, in some of the expressions of debased humanity in its utmost despair, the English painter is at least equalled84. »] :
Not less wild is the imagination which gives fury and fear even to the placing of the figures. An evil angel, poised on the wing, drives the condemned troops from before the Judgment seat; with his left hand he drags behind him a cloud, which he is spreading like a winding-sheet over them all; but they are urged by him so furiously, that they are driven not merely to the extreme limit of that scene, which the sculptor confined elsewhere within the tympanum, but out of the tympanum and into the niches of the arch85 ;
« Pas moins sauvage est l’imagination qui donne fureur et crainte à la disposition même des figures. Un ange du mal, prenant son envol, conduit la foule des condamnés loin du trône du Jugement ; avec sa main gauche il traîne derrière lui un nuage, qu’il répend sur tous comme un linceul ; mais ils sont harcelés par lui si furieusement, qu’ils ne sont pas seulement chassés jusqu’à l’extrême limite de cette scène, que le sculpteur a contenue ailleurs dans le tympan, mais hors du tympan et jusque dans les niches de la voûte86 ; »
187Fig. 26 – France, xixe siècle, Rouen, tympan de l’église Saint-Maclou,
vers 1880, photographie, 20 x 18 cm,
collection Guy Pessiot.
Ruskin poursuit sa description infernale :
while the flames that follow them, bent by the blast, as it seems, of the angel’s wings, rush into the niches also, and burst up through their tracery, the three lowermost niches being represented as all on fire, while, instead of their usual vaulted and ribbed ceiling, there is a demon in the roof of each, with his wings folded over it, grinning down out of the black shadow87.
« tandis que les flammes qui les poursuivent, courbées comme par le souffle, semble-t-il, des ailes de l’ange, s’engouffrent également dans les niches, et jaillissent au travers de leurs remplages, les trois niches inférieures paraissent embrasées, alors que, au lieu de leurs habituelles couvertures de voûtes et d’ogives, il y a un démon sur le toit de chacune d’elles, avec ses ailes rabattues par-dessus, ricanant depuis l’obscurité de l’ombre88. »
188Dans The Stones of Venice, Ruskin cite ce tympan, au « feu purgatorial » [« purgatorial fire89 »], comme un exemple de « l’amour intense de vérité » [« the intense love of veracity90 »] du sculpteur gothique, à la différence de son homologue roman ou byzantin :
the Gothic inventor does not leave the sign in need of interpretation. He makes the fire as like real fire as he can; and in the porch of St. Maclou at Rouen the sculptured flames burst out of the Hades gate, and flicker up, in writhing tongues of stone, through the interstices of the niches, as if the church itself were on fire91.
« le créateur gothique ne laisse aucun signe dénué d’interprétation. Il rend le feu aussi réel que possible ; et au porche de Saint-Maclou à Rouen les flammes sculptées jaillissent de la porte de l’Hadès, et vacillent, en langues de pierre se tordant, à travers les interstices des niches, comme si l’église elle-même était en feu. »
L’abbaye Saint-Amand
L’importante abbaye de femmes de Saint-Amand, ancien couvent bénédictin fondé au onzième siècle, a été supprimée à la Révolution et dans le courant du xixe siècle certains bâtiments ont servi de magasin. La majeure partie de ce magnifique ensemble a été démolie à partir de 1845 pour le percement de l’actuelle rue de la République ; la tourelle qui restait a été démontée en 1853 pour être restituée rue Bouquet92.
189Ruskin (comme Viollet-le-Duc) admire les restes de ce couvent, aux beaux colombages sculptés, et en particulier les remarquables panneaux, si raffinés, au sujet desquels il écrit à sa mère le 20 août 1848 : « J’ai vu l’autre jour l’intérieur de l’abbaye Saint-Amand, certainement le plus délicat exemple de lambris peint pour une salle, que j’aie jamais vue en aucun pays. » [« I saw the other day the interior of the Abbaye St Amand, certainly the most exquisite piece of wood painting for rooms, I ever saw in any country93. »]
En retournant à Rouen en octobre 1848, conscient du peu de temps dont il dispose, Ruskin demande à George Hobbs de recopier certains motifs, comme il l’explique à son père : « All this last week I have sent George to the Abbaye St Amand to trace the paintings of flowers on the wainscot. He has got about 16 panels : most beautiful94. » [« Pendant toute cette dernière semaine j’ai envoyé George à l’abbaye Saint-Amand pour recopier les peintures de fleurs des lambris. Il a fait environ 16 panneaux : extrêmement beaux. »]
Très impressionné par ce travail, Paul-André Sement a pu écrire que « La description des lambris à décoration florale de l’abbaye de Saint-Amand est si précise [qu’il a] pu faire le rapprochement avec le décor remonté au Musée de la Céramique de Rouen95. »
Ruskin a gardé à l’esprit les superbes colombages sculptés de Saint-Amand en arrivant à Saint-Lô, où « il y a aussi une maison de bois – la plus richement décorée que j’aie jamais vue excepté à l’abbaye Saint-Amand de Rouen. » [« There is a wooden house too – the richest I ever saw except the Abbaye St Amand at Rouen96. »]
190Le rôle des sacristains
Lors de ses nombreux séjours dans les églises et cathédrales qu’il visite, Ruskin dépend, non seulement de ses assistants, mais aussi de l’aide des sacristains qui peuvent lui en faciliter l’accès et lui fournir d’utiles renseignements. Souvent, le souvenir du passage du savant anglais est resté très présent dans leur mémoire. Theodore Andrea Cook (1867-1928), critique d’art, artiste, écrivain (et sportif), a écrit à propos de Saint-Ouen en 1899 :
It may be that the old Sacristan […] will be living still to tell you of the greatest Englishman he has ever heard of, John Ruskin, who often looked into that quaint mirror of Holy Water, and watched the strange reflection of the arches soaring upwards in the nave97.
« Il se peut que le vieux sacristain […] vive toujours pour vous parler du plus grand Anglais qu’il ait connu, John Ruskin, qui a souvent regardé ce curieux miroir de l’Eau Bénite, et contemplé le reflet étrange des voûtes qui s’élèvent dans la nef98. »
Ruskin récompense toujours librement et très généreusement les bedeaux qui tiennent les clés : ils sont les sésames lui permettant de travailler sans être dérangé et d’avoir accès à des parties d’édifices inaccessibles au grand public, érigeant par exemple quelque échafaudage pour atteindre les hauteurs. Ainsi fait-il comprendre à son assistant Frank Randal en 1881, avant de commencer tout travail à la cathédrale de Chartres (et cela vaudrait ailleurs) : « Fee the sacristan well at once99. » [« Payez bien le sacristain immédiatement. »]
On remarque encore un hommage aux sacristains tout au début du quatrième chapitre de La Bible d’Amiens :
C’est un privilège reconnu à tout sacristain qui aime sa cathédrale, de déprécier par comparaison toutes les cathédrales de son pays qui y ressemblent, et tous 191les édifices du globe qui en diffèrent. Mais j’aime un trop grand nombre de cathédrales, quoique je n’aie jamais eu le bonheur de devenir sacristain d’aucune, pour me permettre l’exercice facile et traditionnel du privilège en question100.
À Amiens, à Assise, à Pérouse, où qu’il aille, Ruskin fait une forte impression sur ces gardiens du patrimoine religieux, non seulement parce qu’il les rétribue largement, mais peut-être surtout parce qu’il fait preuve d’une vraie sensibilité et d’une vive passion pour ces édifices dont ils sont responsables.
Robert de La Sizeranne, dans sa préface aux Pierres de Venise, souligne cette caractéristique de l’homme de Brantwood :
Les biographes de Ruskin savent bien que, partout où il a passé, ce n’est pas dans les salons qu’il faut aller chercher sur lui des souvenirs personnels, mais chez ceux qui travaillèrent avec lui : des maçons, des charpentiers, des bouquinistes, parfois des sacristains ou des bedeaux et des gondoliers. Chez tous, il est resté populaire101.
Nous comprendrons plus loin comment la figure du sacristain est certainement, avec le petit être monstrueux pensif et courroucé sculpté sur le portail des Libraires, l’un des liens les plus tangibles qui, à Rouen, unit Proust à Ruskin.
Daguerréotypes et photographies
Pour tenter de sauvegarder les monuments qui risquent d’être endommagés, voire de disparaître, Ruskin fait ou fait faire, et parfois achète, des daguerréotypes ou des photographies. Une importante collection lui ayant appartenu se trouve à la Ruskin Library de l’université de Lancaster, dont plusieurs vues de Rouen102. Pendant son séjour de 1848, puis celui de 1854 (où il est assisté de Frederick Crawley), Ruskin se préoccupe de 192cette question. Dans une lettre du 17 août 1848, de Rouen, Effie nous montre le sérieux de la situation et l’importance des daguerréotypes face aux « restaurations » :
John is perfectly frantic with the spirit of restoration here and at other places, the men actually before our eyes knocking down the time worn black with age pinnacles and sticking up in their place new stone ones to be carved at some future time; you could not conceive they could be such idiots and worse if you did not see it. John is going to have some Daguerreotypes taken of the Churches as long as they are standing; it is valuable as they are destroying them so fast. John says he is quite happy in seeing I enjoy myself so much, and if it was not for my gentle mediation he would certainly do something desperate and get put in prison for knocking some of the workmen off the scaffolding, but that I always keep him in good humour and he does not know what he should do without me103.
« John est tout à fait frénétique quant à l’esprit de la restauration ici et en d’autres lieux, les hommes effectivement abattent sous nos yeux les anciens pinacles à la vénérable patine noire pour en dresser à leur place en pierres neuves prêtes à être sculptées plus tard ; vous ne pourriez pas imaginer de tels imbéciles et pire encore si vous ne l’aviez pas vu. John va se procurer des daguerréotypes des églises tant qu’elles sont encore debout ; c’est d’une grande importance car ils les détruisent si vite. John dit qu’il est tout à fait heureux de voir que je m’amuse tant, et que sans ma douce médiation il ferait certainement quelque chose de désespéré et serait mis en prison pour avoir poussé quelques-uns des ouvriers de l’échafaudage, mais que je fais en sorte qu’il soit toujours de bonne humeur et il ne sait pas ce qu’il ferait sans moi. »
Le 30 août 1848, Effie écrit, de Falaise, à Lady Trevelyan sur ce même sujet :
All this distresses John exceedingly and he was busy during the week we spent in Rouen taking sketches of some of the most valuable parts and getting a number of Daguerotypes [sic] taken104.
« Tout cela chagrine John énormément et il était très occupé pendant la semaine que nous avons passée à Rouen à faire des esquisses de quelques-unes des choses les plus importantes et à faire faire nombre de Daguerotypes [sic]. »
Peu de temps après, Effie remercie son généreux beau-père (qui finance tout) en ces termes : « I am very grateful for the money and it enables him to 193get some fine Daguerreotypes105. » [« Je vous suis bien reconnaissante pour l’argent et cela lui permet d’obtenir de beaux daguerréotypes. »]
Tout en reconnaissant les limites des techniques photographiques et malgré quelques critiques, Ruskin insiste sur le côté pratique de ces nouveaux outils et explique à ses auditeurs lors de sa conférence sur l’art, et plus précisément sur la lumière, le 16 mars 1870 à l’université d’Oxford, qu’elles « sont indispensables pour garder le souvenir de certains faits » [« are invaluable for record of some kinds of facts106. »] Dans sa préface à la deuxième édition des Seven Lamps of Architecture de 1855, Ruskin fait les louanges de la photographie, même pratiquée par des amateurs, car c’est « un document historique précieux. » [« a precious historical document107. »]
Parmi sa collection de tirages achetés, signalons celui de l’ancienne église Saint-Laurent, pris par C. Basset, daguerréotypiste puis photographe rouennais (dont le bureau se trouvait 6 rue de la Croix Verte, des environs de 1850 au début des années 1880), sur laquelle Ruskin a noté au crayon : « St Laurent, Rouen / A livery stable – lovely bosses in the hayloft108. » [« St-Laurent, Rouen / Une pension pour chevaux – belles clefs de voûte dans le grenier à foin. »] Cette église désaffectée, vendue en 1803 comme bien national, servait de hangar et d’écurie, avant d’accueillir le musée Le Secq des Tournelles (spécialisé dans les arts du fer) en 1921. Cette observation de Ruskin fait écho à celle, d’un ton plus véhément, qu’il émet dans Sesame and Lilies :
The French revolutionists made stables of the cathedrals of France; you have made race-courses of the cathedrals of the earth109.
« Les révolutionnaires français ont fait des écuries des cathédrales de France ; vous avez fait des champs de courses avec les cathédrales de la terre110. »
Dans cette même préface aux Seven Lamps of Architecture, Ruskin insiste aussi sur l’importance de faire des moulages des sculptures médiévales, autre technique essentielle pour la sauvegarde et la connaissance du patrimoine. À des fins pédagogiques, il offre à l’Architectural Museum 194de Londres des moulages des quadrilobes du portail des Libraires de la cathédrale de Rouen, ainsi que des panneaux sculptés du portail principal de Notre-Dame de Paris111.
Architectures urbaines et domestiques
Bien que l’intérêt principal de Ruskin porte sur l’architecture religieuse, il profite de toute occasion, si le temps le lui permet, pour saisir des éléments significatifs de l’architecture domestique. Citons à titre d’exemple l’un de ses daguerréotypes, figurant Le Bureau des Finances et le marché aux Fleurs de Rouen112 (fig. 27), que Guy Pessiot a pu dater précisément de 1848 (et non 1854).
Rouen est riche en demeures médiévales, dont l’hôtel de Bourgtheroulde, situé 15 place de la Pucelle. Ruskin dessine une de ses lucarnes dans un but didactique et s’en sert lors de sa deuxième conférence publique sur l’architecture, à Édimbourg, le 4 novembre 1853, afin de montrer « jusqu’à quel point la décoration a été portée dans les édifices domestiques d’une ville. » [« to what an extent decoration has been carried out in the domestic edifices of a city113. »] Il continue :
I show it to you, first as a proof of what may be made of the features of domestic buildings we are apt to disdain; and secondly, as another example of a beautiful use of the pointed arch, filled by the solid shield of stone, and enclosing a square casement. It is indeed a peculiarly rich and beautiful instance114.
« Je vous la montre, premièrement comme preuve de ce que l’on peut faire concernant les particularités de l’architecture domestique que nous avons tendance à dédaigner ; et deuxièmement, comme un autre exemple d’une belle utilisation de l’arc brisé, empli par un solide écu de pierre, et intégrant une fenêtre à croisée. C’est en effet un exemple particulièrement riche et beau. »
195Fig. 27 – John Ruskin (1819-1900) et John Thomas Hobbs (1825-1892),
Rouen, le bureau des Finances et le marché aux Fleurs, non daté (1848),
daguerréotype (provenant de la collection de Ruskin),
12,2 x 16,3 cm (le sens de l’image a été retourné pour montrer la vue
dans le bon sens), Lancaster (G.-B.), The Ruskin – Library, Museum
and Research Centre, Lancaster University (inv. 1996D0114)
(© The Ruskin – Library, Museum and Research Centre,
Lancaster University).
Toujours dans un but pédagogique, pour l’enseignement, l’apprentissage et plus généralement pour l’appréciation de l’art et de l’architecture, notre premier Slade Professor of Fine Art de l’université d’Oxford, élu en 1869, déposera une photographie de l’hôtel de Bourgtheroulde dans le fonds de l’école d’art de ladite université (fig. 28). Elle présente la façade avec galerie de cette belle demeure, exhibant les reliefs de la fameuse entrevue du Camp du Drap d’Or entre François Ier et Henri VIII, roi d’Angleterre115. Ruskin offrira de même deux autres 196photographies figurant une « Maison Renaissance à Rouen » [« Renaissance House at Rouen116 »]. Celles-ci ont été identifiées par erreur par Cook et Wedderburn, dans leur note, comme reproduisant ce fameux hôtel, mais grâce à l’aide de Guy Pessiot, nous avons pu constater qu’il s’agit en fait de l’Hôtel des Finances (bâti face à la cathédrale par Thomas Bohier, général des Finances, au début du xvie siècle). Dans le catalogue de sa collection, Ruskin, qui apprécie beaucoup cet élégant bâtiment, le décrit longuement et le qualifie de « l’un des plus exquis de France, et donc du monde : représentant la transition du Gothique à la Renaissance. » [« one of the most exquisite in France, and therefore in the world : representing the transition from Gothic to Renaissance117. »] Ces vues sont une nouvelle occasion de fustiger le vandalisme, le manque de culture, de considération et d’entretien dont souffre le patrimoine. Non sans esprit, Ruskin pointe comment, avec lourdeur et grossièreté, un magasin s’est installé dans cette noble bâtisse :
St. Roch is invoked only as a sign of the establishment for the sale of “vêtements d’hommes et enfants, en gros et en détaille,” [sic] and to give the words “gros” and & “détaille” [sic] sufficiently gross and detailed dimensions to the eye […] all the three lateral panels of sculpture – that is to say, three coats of arms, with grand animal supporters different in every way – have been either covered up or broken away118.
« St Roch est invoqué seulement dans l’enseigne de l’établissement pour la vente de “vêtements d’hommes et enfants, en gros et en détail,” et pour donner aux mots “gros” et “détail” des dimensions suffisamment grosses et détaillées à l’œil […] les trois panneaux latéraux de sculptures – c’est-à-dire trois armoiries, avec de grands supports animaliers aussi différents que possible – ont été soit recouverts soit éliminés. »
Ruskin remarque enfin que « l’entrée principale a été transformée en pâtisserie » [« the great entrance turned into a pastry-cook’s shop119 »] et, tristement et ironiquement, il en conclut que ce sont là « des signes du progrès de la littérature et de la civilisation. » [« signs of the advance of literature and civilization120. »]
197Fig. 28 – France, xixe siècle, Rouen, façade de la galerie de l’hôtel de Bourgtheroulde,
montrant les reliefs du Camp du Drap d’Or, non daté (vers 1848), photographie
(provenant de la collection de Ruskin), 12,6 x 17 cm, Oxford, Ashmolean Museum (inv. WA. RS. ED. 061) (© Ashmolean Museum, University of Oxford).
Une dernière photographie représentant le Bureau des Démolitions, à la Maison de Diane de Poitiers, Rouen, avant la guerre [franco-prussienne] faisait partie aussi de la Ruskin Art Collection de l’université d’Oxford121. Il s’agit du numéro 63 dans la catégorie « Illustrations du Gothique du Nord, avec son art qui en résulte. » [« Illustrations of Northern Gothic, with its Resultant Art. »] Mais une note de Cook et Wedderburn indique que « Le cadre 63 est maintenant vide. » [« Frame 63 is now empty122. »] Le volume numéro XXI de la Library Edition, dans lequel on trouve cette note, a paru en 1906. Nous ignorons le destin de cette photographie.
De nombreuses fontaines publiques faisaient partie intégrante de la vie rouennaise de tous les jours. Celle de la Croix-de-Pierre, élevée au début du xvie siècle, était richement ornée et combinait une dimension décorative à des nécessités pratiques, pour faire bénéficier la population 198de la source de Darnétal. Samuel Prout en a fait au moins six aquarelles, exposées à la Old Watercolour Society de Londres entre 1820 et 1847. Ruskin a été également très attiré par ce sujet et en a fait une esquisse (fig. 29) qui montre l’édicule dans son environnement de maisons anciennes (elle a été présentée, à notre connaissance pour la première fois, à l’exposition Ruskin Turner, au musée de Picardie à Amiens en 2003123). Cette ancienne fontaine a été remplacée en 1872 par une copie, assez fidèle, tandis que l’original a rejoint le jardin du musée des Antiquités.
Fig. 29 – John Ruskin (1819-1900), Rouen, fontaine de la Croix-de-Pierre,
non daté (1848), crayon sur papier, 27,5 x 16,5 cm, annoté en bas :
now removed to the Museum. Fountain. Rouen, collection particulière.
1 © The Ruskin – Library, Museum and Research Centre, Lancaster University, inv. 1518.
2 Mary Lutyens, The Ruskins and the Grays, p. 133-134 (lettre de JR à sa mère, 20 août 1848, de Rouen).
3 Ibid.
4 Ibid. Nous avons corrigé « Armand » en « Amand ».
5 Ibid., p. 133 (lettre de JR à sa mère, 20 août 1848, de Rouen).
6 John Murray, Hand-book for Travellers in France : Being a Guide to Normandy, Brittany ; The Rivers Loire, Seine, Rhone, and Garonne ; The French Alps, Dauphiné, Provence, and the Pyrenees, Londres ; John Murray, Paris ; Galignani, Stassin et Xavier, Leipzig ; Longman, 1844, p. 36.
7 Ibid.
8 Virginia Surtees (dir.), Reflections of a Friendship. John Ruskin’s Letters to Pauline Trevelyan 1848-1866, Londres, George Allen & Unwin, 1979, p. 11-12.
9 Links, p. 77.
10 Works, XXXVI, p. 168-169 (lettre de JR à Dante Gabriel Rossetti, 5 juin 1854, de Genève).
11 La Bible d’Amiens, p. 53.
12 Works, VIII, p. xxxi.
13 Ibid., p. xxxi-xxxii.
14 Luc Fraisse, « Proust et la société de Versailles d’après le fonds Pierre de Nolhac », dans Luc Fraisse (dir.), Proust et Versailles, Paris, Hermann, 2018, p. 151 (mots soulignés par Fraisse).
15 Works, III, p. 94.
16 Works, XIX, p. 391.
17 Works, VIII, p. 268, note.
18 Ibid.
19 Links, p. 71.
20 Ibid., p. 72.
21 Ibid., p. 73.
22 Ibid., p. 73-74.
23 John Ruskin, Rouen Cathedral, 76,2 x 62,3 cm, crayon, sépia et aquarelle sur papier, William Morris Gallery, Londres, inv. D237.
24 Links, p. 75.
25 Ibid., p. 76 (lettre de JR à son père, jeudi 11 octobre 1848).
26 Nous remercions Jacques Tanguy pour les nombreuses informations qu’il nous a fournies, concernant en particulier le portail des Libraires.
27 Traduction Elwall, 1916, p. 308. Traduction Coste, 2011, p. 193 : « deux-cent-quatre-vingt animaux différents qui remplissent les intervalles situés entre les bas-reliefs. »
28 Works, VIII, p. 217.
29 Ibid. ; ces trois dessins sont réunis sur la planche XIV en face de la p. 216.
30 Traduction Elwall, 1916, p. 308 : « Je donne trois de ces intervalles avec leurs bêtes dans la planche XIV. » Traduction Coste, 2011, p. 193 : « Sur la gravure XIV, j’ai fait figurer trois de ces intervalles avec la taille exacte des animaux et les courbes tracées dans la pierre. »
31 Légende de la planche imprimée : « Détails sculptés des bas-reliefs du portail nord [dit des Libraires] de la cathédrale [Notre-Dame] de Rouen. » [« Sculptures from the bas-reliefs of the north door of the Cathedral of Rouen. »]
32 « https://www.rouen-histoire.com/Cathedrale/Quadrilobes/Quad_Affiche.php?Posi=Q_E_22 (consulté le 05/05/2019) ».
33 « https://www.rouen-histoire.com/Cathedrale/Quadrilobes/Quad_Affiche.php?Posi=Q_E_22 (consulté le 05/05/2019) ».
34 Works, VIII, p. 217, note 2.
35 « https://www.rouen-histoire.com/Cathedrale/Quadrilobes/Quad_Affiche.php?Posi=Q_E_22 (consulté le 29/04/2019) ».
36 Works, VIII, planche XIV, en face de la page 216.
37 Ibid., p. 217.
38 Traduction Elwall, 1916, p. 308 : « L’animal en haut à gauche ronge quelque chose dont la forme est à peine visible dans la pierre dégradée – mais il est bien en train de ronger : le lecteur ne pourra pas ne pas retrouver dans son œil si particulier cette expression qu’on ne voit jamais, je crois, que dans l’œil d’un chien rongeant quelque objet en jouant et qui se dispose à l’emporter dans sa course folle. » Traduction Coste, 2011, p. 194 : « La créature en haut à gauche mord quelque chose, dont la forme n’est guère définissable sur la pierre abîmée, mais elle mord en effet ; et le lecteur ne pourra manquer de reconnaître dans le regard particulièrement “en-dessous” l’expression que l’on ne voit jamais, sauf, comme je le pense, sur un chien faisant semblant de ronger quelque chose et s’apprêtant à l’emporter au loin. »
39 Traduction Elwall, 1916, p. 308 : « de la figure couchée sur la droite, d’humeur sombre et courroucée. Le dessin de la tête et le mouvement du bonnet sur le front sont beaux. » Traduction Coste, 2011, p. 194 : « du personnage allongé à droite, qui médite avec colère et maussaderie. La position de sa tête et l’inclinaison de la capuche sur le front sont excellents. »
40 Works, VIII, p. 217.
41 Ibid.
42 Traduction Elwall, 1916, p. 308 : « notre gaillard est vexé et contrarié dans quelque rancune ; la main comprime fortement la pommette et la chair de la joue est sous cette pression plissée en dessous de l’œil. » Traduction Coste, 2011, p. 194 : « l’homme est fâché et intrigué dans sa malice et sa main presse sa joue dont la chair se ride sous son œil par la pression. »
43 Traduction Elwall, 1916, p. 309 : « dans l’art de l’époque d’une vitalité des plus nobles. » Traduction Coste, 2011, p. 194 : « il prouve la très noble vitalité de l’art de son époque. »
44 Works, VIII, p. 217.
45 Traduction Elwall, 1916, p. 309 : « il n’y a pas sur toute la façade une seule touche tendre, une seule touche ardente. » Traduction Coste, 2011, p. 194 : « il n’y a nulle touche tendre ou ardente sur toute la façade. »
46 Works, VIII, p. 218.
47 Ibid., p. 52 : voir l’esquisse des niches, planche 1, fig. 1, en face de la page 52.
48 Traduction Elwall, 1916, p. 132 : « la grandeur du gothique du Nord mis en contraste avec l’Italien le plus récent. Il arrive presque à la même exagération dans les détails, sans jamais perdre de vue son but architectural, sans manquer jamais à sa puissance décorative. Il n’est point une seule petite feuille qui ne parle, et qui plus est, n’en dise long. Tant que ce sera le cas, la splendeur à laquelle se peut légitimement et noblement donner un tel travail est sans bornes. » Traduction Coste, 2011, p. 81 : « la grandeur du gothique du Nord comparé au style italien le plus tardif. Ce style possède presque le même paroxysme de détails, mais il ne perd jamais de vue son but architectural, il n’échoue jamais dans son pouvoir décoratif : il n’est pas une de ses feuilles sculptées qui ne parle et qui parle au loin, et, tant que ce sera le cas, il n’y aura nulle limite à la luxuriance qui peut être conférée noblement et légitimement à ce genre d’ouvrage. »
49 Traduction Elwall, 1916, p. 132 : « morceau le plus exquis de flamboyant pur qui existe. » Traduction Coste, 2011, p. 82 : « travail du style flamboyant le plus exquis que je connaisse. »
50 Works, VIII, p. 52.
51 Ibid., p. 52-53 : voir le dessin de Ruskin, planche I, figure 1, en face de la p. 52.
52 Traduction Elwall, 1916, p. 133 : « dans tout cet ensemble il n’y a pas un lobe, pas une touffe qui soit inutile – pas un coup de ciseau donné à la légère. La grâce et la richesse du tout sont visibles – sensibles plutôt – même à l’œil de l’indifférent. » Traduction Coste, 2011, p. 82 : « dans cette abondance de décoration, pas un redent, pas un épi, pas un coup de ciseau n’est vain : toute la grâce et la luxuriance sont visibles, voire sensibles, y compris au regard incurieux. »
53 Elwall n’a pas traduit cette phrase. Traduction Coste, 2011, p. 118 : « des niches en saillie au troisième niveau de la Tour de Beurre. »
54 Works, VIII, p. 108.
55 Elwall n’a pas traduit cette phrase. Traduction Coste, 2011, p. 118 : « un entablement en saillie. »
56 Works, VIII, p. 108.
57 Traduction Elwall, 1916, p. 170 : « vraie beauté de cet ouvrage gothique. » Traduction Coste, 2011, p. 105 : « ce magnifique ouvrage gothique. »
58 Works, VIII, p. 89.
59 Voir Works, VIII, planche X, figure 1, en face de la p. 165.
60 Voir dans Works, XXXV, en face de la p. 371, le dessin de Ruskin, planche XXV.
61 Works, XIX, p. 275.
62 Ibid., p. 257-258.
63 Légende de la planche imprimée : « Remplages et moulures de Rouen et Salisbury. Fig. 1. Décor de contreforts du portail nord [dit des Libraires] de la cathédrale [Notre-Dame] de Rouen. Fig. 2. Moulures du quadrilobe en haut de la fig. 1. Fig. 3. Coupe, expliquant la fig. 1. Fig. 4. Détail d’une moulure de la fig. 1. Fig. 5. Moulure en dents-de-chien de la cathédrale de Salisbury. » [« Traceries and mouldings from Rouen and Salisbury. Fig. 1. Panel decoration of buttresses of north door of the Cathedral of Rouen. Fig. 2. Mouldings of the quatrefoil above fig. 1. Fig. 3. Section, explaining fig. 1. Fig. 4. Detail of moulding in fig. 1. Fig. 5. Dog-tooth moulding from Salisbury Cathedral. »]
64 John Murray, A Handbook for Travellers in France, Londres, John Murray, 1844, p. 39.
65 John Murray, A Handbook for Travellers in France, première partie, Londres, John Murray, 1877, p. 52.
66 Karl Baedeker, Northern France from Belgium and the English Channel to the Loire excluding Paris and its Environs : Handbook for Travellers, Londres et Leipsic, Karl Baedeker, 1894, p. 53.
67 Works, VIII, p. 64-65.
68 Traduction Elwall, 1916, p. 146 : « l’exemple le plus flagrant de ce barbarisme dont je puisse me souvenir […], où l’arc-boutant ajouré, et d’une courbe ondulée, paraît autant qu’une baguette de saule calculé pour résister à une poussée. Les pinacles énormes et somptueusement décorés ne jouent évidemment aucun rôle, mais se dressent autour de la tour centrale comme quatre serviteurs désœuvrés qu’ils sont – supports héraldiques, dont la tour centrale, qui pas plus qu’un panier n’a besoin d’être arc-boutée, est la couronne creuse ». Traduction Coste, 2011, p. 89-90 : « L’exemple le plus flagrant de ce barbarisme dont je me souvienne […], où le contrefort ajouré, doté d’un arc en accolade, a l’air aussi peu fait pour supporter une poussée qu’une brindille de peuplier, tandis que les énormes pinacles très richement décorés n’ont de toute évidence aucune utilité et se tiennent autour de la tour centrale comme les quatre serviteurs oisifs qu’ils sont, se réduisant à n’être que de purs soutiens symboliques, puisque cette tour centrale n’étant qu’une couronne vide, elle n’a pas plus besoin de contrefort supplémentaire qu’un panier. »
69 Works, VIII, p. 64-65.
70 Traduction Elwall, 1916, p. 146 : « En réalité, je ne connais rien de plus surprenant ou de plus insensé que les éloges prodigués à cette lanterne : c’est un des morceaux de style gothique les plus inférieurs de l’Europe ; son ornementation flamboyante est du dernier genre et du plus avili ; son plan tout entier et sa décoration rappellent l’ornementation en caramel de la confiserie compliquée et ne méritent guère plus de crédit. » Traduction Coste, 2011, p. 89-90 : « D’ailleurs, je ne connais rien de plus étrange ou de plus déraisonnable que les louanges déversées sur cette tour-lanterne : c’est l’un des plus vils exemples gothiques en Europe, ses dentelles flamboyantes ont les formes les plus tardives et les plus dégénérées qui soient, tandis que tout son plan et toute sa décoration ressemblent aux décorations caramélisées de la confiserie la plus tarabiscotée et méritent tout autant d’estime. »
71 Works, VIII, p. 65.
72 Nous remercions vivement Henry Decaëns de nous avoir éclairé sur la signification de ce passage. Elwall n’a pas traduit ce passage. Traduction Coste, 2011, p. 230, note 24 : « La tour de Saint-Ouen n’est pas la seule à être surestimée : sa nef est une vile imitation de style flamboyant de la disposition du gothique primitif, les niches de ses piliers sont des barbarismes, une énorme poutre court au plafond des bas-côtés pour soutenir les piliers de la nef, qui sont l’excroissance la plus laide que j’aie jamais vue dans un édifice gothique, les nervures de la nef sont du flamboyant le plus insipide et le plus fané, celles du lanternon du transept présentent une version singulièrement déformée du style perpendiculaire, et même la porte élaborée du transept méridional est, en dépit de la période magnifique où elle fut construite, extravagante et presque grotesque dans ses feuillages et ses fleurons. »
73 Works, VIII, p. 65.
74 Elwall n’a pas traduit ce passage. Traduction Coste, 2011, p. 230, note 24 : « Il n’y a rien de réellement excellent dans l’église autre que le chœur, le léger triforium et le haut lanternon, le cercle des chapelles orientales, les détails des sculptures et la légèreté générale des proportions, tous mérites qui seront vus à leur avantage le meilleur par le fait que le corps de l’église est libre de tout encombrement. »
75 Works, XVI, p. 283.
76 Traduction Elwall, 1916, p. 336 : « l’Abbaye de Saint-Ouen fut détruite par les magistrats de la ville, histoire de donner du travail à quelques vagabonds. » Traduction Coste, 2011, p. 212 : « l’abbaye de Saint-Ouen fut détruite sur ordre des magistrats pour donner de l’ouvrage à certains vagabonds. »
77 Works, VIII, p. 244.
78 Cité dans Élisabeth Chirol (dir.), Le Guide de Rouen, Besançon, La Manufacture, 1991, p. 84.
79 Dictionnaire, tome 5, p. 190, note. Nous remercions de nouveau Henry Decaëns d’avoir attiré notre attention sur la signification exacte des propos de Viollet-le-Duc.
80 Traduction Elwall, 1916, p. 302 : « avec un degré de force telle que l’on ne peut donner une idée de son grotesque terrible qu’en l’attribuant à la collaboration des génies d’Orcagna et de Hogarth. » Traduction Coste, 2011, p. 190 : « avec une puissance dont je ne peux décrire le terrible grotesque que comme un mélange de l’esprit d’Orcagna et d’Hogarth. »
81 Works, VIII, p. 212.
82 Élisabeth Chirol (dir.), Le Guide de Rouen, p. 210 et 211. À notre connaissance, Ruskin ne s’est jamais rendu à Moissac : la petite ville n’est pas mentionnée dans ses écrits.
83 Traduction Elwall, 1916, p. 302 : « Les démons sont peut-être plus effrayants que ceux d’Orcagna et, dans certaines expressions d’extrême désespoir de l’humanité avilie, le peintre anglais est presque égalé. » Traduction Coste, 2011, p. 190 : « Les démons sont peut-être plus affreux que ceux d’Orcagna, tandis que le peintre anglais se voit égalé dans certaines des expressions du désespoir le plus total frappant l’humanité avilie. »
84 Works, VIII, p. 212.
85 Ibid.
86 Traduction Elwall, 1916, p. 302 : « L’imagination qui communique la fureur et la crainte à la disposition même des figures n’est pas moins farouche. Un ange du mal a pris son vol et chasse la foule des condamnés loin du tribunal ; de la main gauche il traîne derrière à sa suite un nuage qui s’étend sur tous comme un linceul ; mais il les harcèle si furieusement qu’ils sont pas seulement chassés jusqu’à l’extrême limite de cette scène qu’ailleurs le sculpteur a renfermée dans l’espace exact du tympan, mais hors du tympan lui-même et jusque dans les niches de la voûte ; » Traduction Coste, 2011, p. 190 : « Tout aussi folle est l’imagination qui crée un sentiment de peur et de fureur, y compris à travers la disposition des personnages. En équilibre sur une aile, un ange de malheur emmène les troupes condamnées hors du siège du Jugement dernier, en tirant de sa main gauche à sa suite un nuage qu’il étend comme un linceul, mais il mène si furieusement les troupes qu’elles ne sont pas seulement conduites à l’extrémité de la scène que le sculpteur a confinée partout ailleurs à l’intérieur du tympan, mais également en dehors du tympan jusque dans les niches de l’arc, »
87 Works, VIII, p. 212.
88 Traduction Elwall, 1916, p. 302 : « les flammes qui les suivent, courbées comme par le vent des ailes de l’ange, font également irruption dans les niches et jaillissent au travers de leurs réseaux, si bien que les trois niches inférieures paraissent embrasées, et qu’au lieu de la voûte et des nervures habituelles de leur faîte, on voit ricaner dans l’ombre, au sommet de chacune d’elles, un démon dont les ailes se replient pour les envelopper. » Traduction Coste, 2011, p. 190 : « tandis que les flammes qui les suivent, courbées semble-t-il par le souffle des ailes des anges, se précipitent également vers les niches pour éclater à travers leurs sculptures, puisque les trois niches inférieures montrent une fournaise, tandis qu’à la place des nervures habituelles de la voûte du plafond, on trouve un démon dans chacune d’entre elles, les ailes repliées, ricanant au-dessus de l’ombre noire qu’il domine. » Les mots en italiques sont soulignés par Coste.
89 Works, X, p. 232.
90 Ibid., p. 233.
91 Ibid.
92 Un daguerréotype constituant un rarissime témoignage sur l’ancienne abbaye est reproduit dans Guy Pessiot, « Premiers photographes et premières photos à Rouen vers 1840/1850 », Bulletin de la Société Libre d’Émulation, 2016, p. 62.
93 Mary Lutyens, The Ruskins and the Grays, Londres, John Murray, 1972, p. 134. Nous avons corrigé « Armand » en « Amand ».
94 Links, p. 78-79.
95 Communication privée.
96 Links, p. 52.
97 T. A. Cook, The Story of Rouen, 1899, p. 240, cité dans E. T. Cook, I, 226.
98 Cook fait allusion ici à un curieux phénomène, bien connu à Rouen et toujours efficient, qui fait que les voûtes de Saint-Ouen viennent se refléter de façon spectaculaire et parfaite dans un bénitier de l’église, comme a bien voulu nous le faire remarquer Henry Decaëns.
99 Works, XXXVII, p. 376.
100 La Bible d’Amiens, p. 214.
101 John Ruskin, Les Pierres de Venise. Études locales pouvant servir de direction aux voyageurs séjournant à Venise et à Vérone, traduction par Mathilde P. Crémieux, préface de Robert de La Sizeranne, Paris, Librairie Renouard, H. Laurens, Éditeur, 1906, p. xv, note 1.
102 Voir Ken Jacobson et Jenny Jacobson, Carrying off the Palaces : John Ruskin’s Lost Daguerreotypes, Londres, Quaritch, 2015, p. 294-299 pour les daguerréotypes de Rouen.
103 William James, The Order of Release, p. 123-124 (lettre d’Effie à ses parents, 17 août 1848, de Rouen).
104 Jacobson, p. 55 : cf. p. 296, note 207.
105 Links, p. 75 ; Jacobson, p. 55.
106 Works, XX, p. 165.
107 Works, VIII, p. 13.
108 Voir Stephen Wildman et Cynthia Gamble, « A Perpetual Paradise » : Ruskin’s Northern France, Lancaster, université de Lancaster, 2002, p. 34, cat. 20.
109 Works, XVIII, p. 89.
110 Par « cathédrales de la terre » Ruskin désigne les hautes montagnes, qui lui sont si chères, déjà dévoyées par le tourisme.
111 Works, XII, p. lxxi ; Works, XXX, p. 189 pour la liste des panneaux des moulages de Rouen au musée Ruskin de Sheffield.
112 Guy Pessiot, Rouen photos inédites, tome 2, Rouen, Éditions des Falaises, 2015, p. 16 : cf. Jacobson, fig. 198, p. 294 et 295.
113 Works, XII, p. 74 : voir planche X, figure 19, en regard de la p. 74 pour le dessin de Ruskin de la lucarne.
114 Ibid., p. 75.
115 Works, XXI, p. 80. La photographie se trouve à l’Ashmolean Museum, Oxford, inv. WA. RS. ED. 061. Ruskin l’a offerte à la Ruskin School of Drawing, université d’Oxford, en 1875.
116 Ibid., p. 192.
117 Ibid.
118 Ibid., p. 192-193.
119 Ibid., p. 193.
120 Ibid.
121 Ibid., p. 80. La Maison dite de Diane de Poitiers fut démontée en 1862, puis remontée six ans plus tard à un autre emplacement.
122 Ibid., note 8.
123 Matthieu Pinette, Cynthia Gamble et Stephen Wildman, Ruskin-Turner. Dessins et voyages en Picardie romantique, exposition du 7 juin au 31 août 2003, catalogue éponyme, p. 51, cat. 14.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-13050-5
- EAN : 9782406130505
- ISSN : 2258-9058
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-13050-5.p.0159
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 07/09/2022
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