Report
- Publication type: Journal article
- Journal: Revue Verlaine
2022, n° 20. varia - Author: Bernadet (Arnaud)
- Pages: 225 to 228
- Journal: Verlaine Studies
Jean-Michel Maulpoix, Les 100 mots de Verlaine, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Que sais-je ? », 2021, 127 p.
Il n’est guère surprenant que le poète et critique de La Voix d’Orphée (1989) et Du lyrisme (2000) ait donné un court abécédaire sur la vie et l’œuvre de Verlaine. L’incurable élégiaque de « Chanson d’automne » et « Ariettes oubliées », dont l’expression se fonde néanmoins sur un « mélange de rouerie et de fausse candeur » (p. 6), constitue à cet égard un corpus de prédilection. Il importe plus encore de rappeler que Jean-Michel Maulpoix a édité en 1994 une anthologie, Paul Verlaine, Poésies. 1866-1874, aux Éditions de la Différence. Au reste, l’exercice auquel il vient de se soumettre lui est très familier puisque en 2018 Maulpoix a publié déjà Les 100 mots de la poésie pour le même éditeur. Le « lexique » qu’il présente en reconstituant la langue et l’univers de Verlaine n’est ni un « précis d’histoire littéraire » ni un « abrégé biographique » (p. 5), il propose une lecture singulière. Il entend ainsi (re)traverser « l’imaginaire poétique » de Verlaine « à travers ses motifs et ses formes » (id.). Ce qui appelle un premier bémol : à l’exception de quelques entrées rhétoriques et métriques, « répétition », « vers », « impair », « ballade » et « sonnet », le champ formel n’est en soi guère exploré. Ce n’est pas dans ce domaine, par définition technique, que l’auteur se sent le plus à l’aise. En outre, si l’idée générale de « poème » est saisie à travers les « innovations » des Romances sans paroles, le régime de la « musique » et du « lyrisme » (p. 99) doublé du rejet de l’éloquence, elle ne motive en retour qu’une description succincte en termes de dimension (long vs court). Il aurait été cependant opportun de souligner que Verlaine a été l’un des pionniers du poème en prose, non seulement lors de la parution des Mémoires d’un veuf (p. 79) mais dès 1867 alors qu’il vient de composer sous l’influence de Baudelaire son premier recueil Poëmes saturniens. À l’inverse, le débat qui, à l’âge symboliste, met Verlaine aux prises avec le vers-libre est pratiquement ignoré. Dans les deux cas, il en va pourtant des rapports du poète à la modernité. Sous les « motifs » Maulpoix classe aussi bien des anthroponymes, « Élisa », « Mathilde Mauté », « Alphonse Lemerre », 226« Lucien Létinois » relevant de la biographie et de l’histoire littéraire, des toponymes qui dessinent le territoire fictif ou réel de l’œuvre, « Londres », « Belgique », « Paris », que des catégories ou thèmes récurrents : « chansons », « commedia dell’arte », « impression », « mort », « nuit » ou « zutiste ». Certains items ressortissent plus à la logique du détail et se révèlent variablement significatifs : « pouacre » et « mouette » par exemple. Enfin des sections sont réservées à des œuvres intégrales, Fêtes galantes, Liturgies intimes, Les Poètes maudits voire des textes de premier plan dans l’évolution littéraire de Verlaine : « Vieux Coppées » ou « Art poétique ». Dans tous les cas, l’objectif est bien de restituer une voix « autrement variable que celle de ses grands aînés romantiques, de Baudelaire, ou même de Rimbaud » (p. 6), d’en caractériser le « phrasé lyrique » (p. 22) capable dans sa diversité d’atteindre ce « toucher si délicat et si inquiétant » : une « voix juste » qui fait surgir les « émotions les plus fugitives » (p. 7). À cet égard, si la liste retient l’attention, c’est qu’elle reflète peut-être avant tout le regard d’un poète sur un autre poète. Elle soutient en quelque sorte le dialogue entre deux œuvres – ce qui n’exclut ni les goûts personnels ni même les partis pris. Verlaine ne se laisse pas seulement décrire, il tend aussi ce miroir par lequel on se dit en le lisant. En ce sens, la « justesse » (p. 6) que Maulpoix attribue à la voix de l’auteur qualifie également le commentaire de l’œuvre. En particulier, on ne peut qu’être sensible à l’art des formulations. Par exemple, de l’âme ou « souffle intime du sujet » (p. 11), il est déclaré à titre d’hypothèse qu’elle représente peut-être le « vrai foyer du lyrisme » (p. 11), plus encore que le cœur. De même, à propos de ce mot-caméléon qu’est le signifiant « chose », instrument par excellence de la suggestion, le désignateur vague se rapporterait le plus souvent à une « matière intime inconnue » (p. 37) dans les textes. Dans l’ensemble, l’abécédaire propose une synthèse fidèle de l’œuvre. Il promeut spécialement la figure du mélancolique et du rêveur, marqués par le sentiment de l’incertitude et de l’irréalité. Chez eux, « les plis insidieux de la tristesse » (p. 16) débouchent toutefois rarement sur le pathos. Loin des larmes, l’émotion « grince et pique » (p. 77). Il faut savoir gré ici à Maulpoix de reconnaître non seulement les dissonances de la satire et de l’ironie mais également la Muse familière (p. 54) de Verlaine. Car l’intime peut emprunter l’expression la plus ordinaire. Le quotidien revêt alors les traits de « poèmes domestiques » mêlant « réalisme » et « prosaïsme » (p. 48) 227comme il arrive dans Élégies. Ainsi, la manière de Verlaine ne se résume pas à « un lyrisme assourdi, grêle ou frêle, de plus en plus atone et écourté » (p. 75). Les « poèmes de circonstance » (p. 24) y constituent une forme d’inspiration à part entière. Cette approche en apparence équilibrée de l’œuvre ne doit pas dissimuler cependant de nombreuses lacunes qui laisseront perplexe le lecteur le plus bienveillant. En effet, Jean-Michel Maulpoix réussit cet extraordinaire exploit de commenter Verlaine en ignorant trente ans de travaux universitaires, de publications critiques (articles et essais monographiques), d’éditions savantes ou grand public. Ce silence est d’autant plus troublant lorsqu’on le mesure à la collection dans laquelle prend place l’ouvrage, le genre du « Que sais-je ? » étant normalement destiné à faire l’état d’une question, en mettant au jour les savoirs qui s’y rapportent… Or cette faille très visible dans l’ordre des connaissances explique à bien des égards la persistance de lieux communs sur l’œuvre de Verlaine. En premier lieu, on ignore à quelle version des textes s’adresse l’auteur, la physionomie des citations semblant indifférente, quelle(s) édition(s) particulière(s) il emploie. Certes, Maulpoix signale bien Un concert d’enfers (p. 108), l’édition conjointe de Rimbaud et Verlaine réalisée en 2017 par Solenn Dupas, Yann Frémy et Henri Scepi pour la collection « Quarto » de Gallimard. Mais l’a-t-il vraiment consultée et mise à profit ? L’auteur paraît surtout s’appuyer sur les deux volumes de la Pléiade, Œuvres poétiques complètes (1962) et Œuvres en prose complètes (1972) de Jacques Borel, philologiquement datées et peu fiables. Quant à la critique, n’étaient les contemporains (Mallarmé, Valéry), et quelques allusions ponctuelles à Vladimir Jankélévitch, Roland Barthes ou Jean-Christophe Bailly, ce sont surtout les noms de Louis Deprez (p. 96), François Porché (p. 94) et Jean-Pierre Richard (p. 113) qui émergent de la tradition ! Des lectures plus amples et informées auraient permis pourtant d’éviter les fausses citations, « Aussi en vient-il à évoquer dans Sagesse des accords “harmonieusement discordants” » (p. 46 ; c’est moi qui souligne), ou certaines déclarations tranchées voire erronées : « Verlaine ne fut pas davantage décadent que parnassien ou symboliste » (p. 43) ; « Le Parnasse, en effet, se conçoit comme l’opposé du romantisme » (p. 92) ; « Est souvent cité en exemple cet alexandrin des Fêtes galantes : “Et la tigresse épouvantable d’Hyrcanie” où la césure est complètement effacée. » (p. 121). L’analyse aurait aussi probablement gagné en nuance et en complexité, à rebours des préjugés 228qui parcourent le texte depuis les « poèmes longs (et parfois indigestes) » (p. 99) de Jadis et Naguère jusqu’aux Mémoires d’un veuf qui chez Verlaine « dilapide[nt] en prose la monnaie de sa vie et de ses vers » (p. 79). Des recueils postérieurs à Sagesse et Amour, Maulpoix retient pour l’essentiel le « néoclassicisme » (p. 30), moins l’image d’un « poète inspiré » que le savoir-faire d’un « versificateur habile » (p. 44) qui, dans Odes en son honneur notamment, « se regarde, se commente, se réécrit et se parodie lui-même » (p. 89). S’il donne une nouvelle fois l’avantage au premier Verlaine, Maulpoix reproduit là surtout un discours déjà entendu. Au lieu de tenter (et tester) d’autres hypothèses de lecture, il écarte ce qui dans l’œuvre ne correspond pas à la figure du poète lyrique qu’il s’est idéalement construite. En retour, il passe très discrètement sur l’homosexualité et la bisexualité de l’écrivain, ne rend compte que très partiellement de la religion et de sa composante mystique. Il ne dit mot enfin de l’engagement politique du poète, de ses années de démoc-soc et communard aux positions légitimistes et anarchistes qui suivent la conversion catholique… On l’aura compris, sans être inintéressants, Les 100 mots de Verlaine représente une contribution médiocre au domaine. C’est aussi un nouvel exemple malheureux de surdité intellectuelle, tant les contre-discours développés autour du poète depuis plusieurs décennies paraissent avoir été à peine perçus, discutés ou assimilés. À la lumière de ce cas, il faudra un jour s’expliquer pourquoi l’auteur de Sagesse, ce « poète que l’on peut dire inégal » (p. 6) d’après Maulpoix, continue de susciter au contraire de Mallarmé, Flaubert ou Proust autant de regrettables clichés et, en dépit de recherches novatrices et dynamiques, nourrit des propos anachroniques et figés.
Arnaud Bernadet
Université McGill
- CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN: 978-2-406-14655-1
- EAN: 9782406146551
- ISSN: 2426-8860
- DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-14655-1.p.0225
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 03-22-2023
- Periodicity: Annual
- Language: French