Jean-Baptiste Say au Tribunat
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Revue d'histoire de la pensée économique
2020 – 1, n° 9. varia - Auteur : Jacoud (Gilles)
- Pages : 19 à 42
- Revue : Revue d’histoire de la pensée économique
Jean-Baptiste Say au Tribunat
Gilles Jacoud
Université Jean Monnet Saint-Étienne
GATE L-SE – UMR CNRS 5824
Si Jean-Baptiste Say (1767-1832) accède à la célébrité avec la publication de son Traité d’économie politique en 1803, il n’est pas pour autant un inconnu avant cette date. Il n’est certes guère encore connu comme économiste mais est engagé dans l’action politique essentiellement à travers une activité de journaliste (Tiran, 2018, 2019) et est membre du groupe des idéologues. Les contours de ce mouvement, qui œuvre en faveur d’un ordre social assuré par des décideurs éclairés, sont imprécis (Forget, 1999, p. 20-21 ; Chappey, 2001, p. 57-58) mais Say appartient à ses premiers cercles (Forget, 1999, p. 33, 127 ; Steiner, 2003, p. 331-332). Il est en outre dès sa création en 1794 rédacteur général de la Décade philosophique, littéraire et politique, journal qui porte les vues des idéologues. Auteur d’articles sur des sujets divers, il a déjà une certaine notoriété lorsque Bonaparte prend le pouvoir lors du coup d’État du 18 brumaire an VIII (9 novembre 1799).
La Décade, qui s’était montrée critique envers le Directoire, accueille favorablement le nouveau pouvoir officialisé sous le nom de Consulat par la constitution de l’an VIII1. Bonaparte le lui rend bien puisque quatre de ses rédacteurs, en l’occurrence François Andrieux, Pierre Louis Ginguéné, Joachim Lebreton et Jean-Baptiste Say, deviennent membres du Tribunat2.
20Le Tribunat est l’une des quatre assemblées mises en place par la nouvelle constitution rédigée par Pierre Daunou, un autre idéologue à qui Bonaparte fait appel pour établir le cadre dans lequel vont désormais fonctionner les institutions3. Cette constitution est arrêtée le 22 frimaire an VIII (13 décembre 1799), promulguée le 4 nivôse (25 décembre) et approuvée par plébiscite le 18 pluviôse (7 février 1800). Elle met en place un exécutif fort constitué par le Conseil d’État4. Le gouvernement a l’initiative des lois, lesquelles sont votées par un pouvoir législatif composé de trois autres assemblées. La première, qui comprend 100 membres nommés pour cinq ans et renouvelables par cinquième chaque année, est le Tribunat. Il discute des projets de loi sans pouvoir les amender et donne son avis en en proposant l’adoption ou le rejet. C’est ensuite à une deuxième assemblée, le Corps législatif, de se prononcer en votant pour ou contre la proposition du Tribunat. Quant au Sénat, il nomme les membres des deux autres assemblées législatives et veille à la constitutionnalité des lois.
Au Tribunat où il reste un peu plus de quatre années, Jean-Baptiste Say s’occupe plus particulièrement des questions économiques et fait partie de la section des finances. S’il est vrai qu’après sa nomination il commence « presque aussitôt à écrire son Traité d’économie politique » (Say, 2003a [1848], p. 826), il est aussi amené à établir quatre rapports pour le Tribunat et à prononcer un discours au Corps législatif5.
Les idées de Say en matière de politique ont déjà fait l’objet de divers écrits, qu’il s’agisse de son action d’« intellectuel engagé » (Steiner, 1990, p. 176 ; Palmer, 1997, p. 6-32 ; Blanc & Tiran, 2003a), de sa conception de l’État (Steiner, 1989 ; Numa, 2019), de son républicanisme (Whatmore, 2000, 2003 ; Tiran, 2018, 2019) ou de sa volonté de faire de la politique et de l’économie politique deux objets d’étude distincts 21(Steiner, 1997 ; Forget, 2001, p. 211-212). L’objet de cet article n’est pas de revenir sur ces différentes dimensions de la pensée ou de la vie de Say mais de se concentrer sur son activité au Tribunat. Une première partie présentera le contenu de cette activité de tribun de Say dans le cadre des débuts de la constitution de l’an VIII, à une période où il voit encore dans Bonaparte un dirigeant susceptible de réorganiser le pays conformément aux vues des idéologues. Une seconde partie s’arrêtera sur sa présence au Tribunat à la fin de la constitution de l’an VIII et sous la constitution de l’an X qui marque l’évolution du Consulat vers un régime plus autoritaire conduisant Say à prendre ses distances par rapport à Bonaparte.
I. Les premiÈres interventions de Say
dans le cadre des DÉbuts de la constitution
de l’an VIII
Le Tribunat tient sa première séance le 11 nivôse an VIII (1er janvier 1800) et Say ne tarde pas à y prendre la parole puisqu’il est rapporteur de deux projets de loi en mars. L’enthousiasme initial est cependant suivi d’un relatif effacement puisqu’il faut attendre janvier 1801 pour qu’il intervienne à nouveau au nom de l’assemblée, dans un discours prononcé au Corps législatif.
i.1. L ’ enthousiasme initial
Say met beaucoup d’espoir dans le nouveau gouvernement considéré comme pouvant apporter « un nouvel ordre plus favorable à la morale et à l’humanité » (Say, 2003a [1800], p. 26). Il espère que le nouveau pouvoir diffusera « les idées libérales » (ibid.) et que le peuple reconnaîtra qu’il a désormais « des institutions qu’on pourra citer » (ibid.).
L’espoir placé dans le gouvernement consulaire tient à l’aptitude de celui-ci à répondre aux attentes que Say avait formulées quelques années plus tôt dans la Décade. Il avait commenté le projet de constitution élaboré en 1795 en mettant en avant la nécessité de voir les responsabilités publiques confiées à des « gens capables » (Say, 1795, p. 89), de soustraire 22les dirigeants à la pression des passions populaires et d’amener les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire à œuvrer dans le même sens au lieu de s’opposer. Il n’hésitait pas à considérer qu’il pouvait être parfois nécessaire « de resserrer, dans quelques mains courageuses et dignes de confiance, tous les pouvoirs et toute l’énergie du gouvernement » (ibid., p. 87). Deux autres rédacteurs de la Décade, Amaury Duval et Pierre-Louis Ginguené, avaient défendu les mêmes vues dans la revue (Duval, 1795 ; Ginguené, 1795)6. L’espoir de Say est plus largement celui des idéologues. Leur volonté de faire émerger « une forme républicaine d’équilibre des pouvoirs » (Chappey, 2001, p. 57) les amène à soutenir le coup d’État du 18 brumaire. Dès le lendemain de celui-ci, l’un de leurs principaux représentants, Pierre Jean Georges Cabanis, le cautionne en dénonçant les effets pervers de la division des pouvoirs, notamment leur manque de coordination, et la nécessité d’un pouvoir exécutif fort pour éviter que l’action gouvernementale soit contrecarrée par un pouvoir législatif désigné par un « peuple en état de fièvre » (Cabanis, 1799a, p. 4). Un mois plus tard, il justifie le nouveau régime en réitérant à plusieurs reprises son adhésion au principe d’un pouvoir exécutif fort (Cabanis, 1799b). Le renforcement du pouvoir exécutif prôné par les idéologues s’inscrit néanmoins dans le cadre d’une pensée républicaine (Chappey, 2001, p. 63) qui voit dans la répartition fonctionnelle des tâches entre les nouvelles institutions politiques nouvellement mises en place une garantie contre le risque de dérive de l’exécutif. Parmi celles-ci, le Tribunat peut discuter les projets de lois du gouvernement d’autant plus librement que, émettant seulement un avis sur la suite à leur donner, les tribuns n’ont pas la responsabilité du vote décidant in fine de leur adoption ou de leur rejet.
Le premier rapport que Say présente au Tribunat le 4 germinal an VIII (25 mars 1800) est un Rapport fait au nom d’une commission chargée d’examiner un projet de loi relatif à un échange de terrains entre l’hospice de Charenton et les Citoyens Charles Lacroix et Couturier. La commission en charge de l’étude du projet est constituée, outre Say, des tribuns Joseph Bosc, Joseph Eschassériaux, Pierre Clément de Laussat et Mathurin Louis Étienne Sédillez. Hormis Say, tous ont déjà exercé des mandats électoraux dans les assemblées ayant précédé le Consulat.
23Le rapport que présente Say ne porte pas sur un sujet de première importance et il est relativement bref. Il s’agit de répondre à la demande de particuliers souhaitant acquérir des biens fonciers dont la propriété est publique en cédant leurs propres terrains. L’enjeu du rapport transparaît dès la première phrase : il s’agit d’éviter tout reproche de mauvaise gestion des biens publics dans un échange où les représentants de l’État pourraient être accusés, au mieux, de brader le patrimoine public ou, au pire, de collusion avec les acquéreurs. Say annonce d’emblée que « les dépositaires de l’autorité législative doivent veiller à ce que les domaines nationaux ne s’évaporent pas en aliénations frauduleuses, en échanges ruineux » (Say, 2003a [1800], p. 243). Les législateurs doivent être d’autant plus vigilants qu’« il s’agit du bien des hospices, c’est-à-dire du patrimoine des infortunés » (ibid.).
Say aurait préféré, pour éviter toute remise en cause de la probité des personnes appelées à se prononcer sur la transaction, que l’expert nommé par l’administration municipale pour l’occasion ait pu s’appuyer sur des baux ou autres justificatifs permettant d’établir avec la plus grande précision possible la valeur des biens fonciers concernés. De tels documents auraient pu prouver la valeur des biens proposés à l’échange « afin de prévenir tout soupçon que l’administration municipale ait voulu favoriser deux particuliers notables de son arrondissement aux dépens d’une propriété publique » (ibid., p. 244). Il s’emploie néanmoins à démontrer que l’échange est favorable à l’hospice. Le dénommé Lacroix demande des portions de terrain estimées à 4 212 francs alors que celles qu’il laisse en contrepartie valent 5 855 francs. L’hospice n’est donc pas lésé. Quant au dénommé Couturier, il abandonne des terrains d’une valeur de 6 660 francs contre ceux de l’hospice dont la valeur est estimée à 3 822 francs. Au total, l’hospice de Charenton se dessaisit de 8 034 francs de biens fonciers mais en acquiert pour 12 515 francs sans rien débourser, réalisant une plus-value de 4 481 francs dans l’opération.
Si les estimations sont fiables, l’hospice réalise donc un gain de près de 56 % en procédant à l’échange de terrains. Say se croit d’autant plus en droit de défendre le projet « qu’une expérience flatteuse a appris qu’en général les administrateurs des établissements nationaux de bienfaisance et d’instruction publique défendent, avec une sollicitude de propriétaires, 24les droits des établissements qui leur sont confiés » (ibid.). Il conclut donc en faveur du projet présenté au Tribunat7.
La conclusion à laquelle il arrive le lendemain à propos d’un projet de loi relatif à l’entretien des routes8 est différente. Le projet porte plus particulièrement sur la taxe d’entretien des routes. Le montant du droit alors payé sur la circulation des charrettes s’élevait avec le nombre de chevaux attelés, progression que supprime le nouveau projet. Say accueille favorablement cette suppression. Le supplément de taxe à payer était en effet justifié par la volonté de décourager la surcharge des charrettes qui contribuait à la détérioration des routes. Mais Say déplore que dans une situation où les chemins déjà sont en mauvais et par conséquent l’attelage de plusieurs chevaux nécessaire, les voituriers n’aient pas d’autre choix que d’être frappés par une taxe qui devient injuste. Aussi Say est-il favorable à cette dimension du projet de suppression de l’alourdissement de la taxe en fonction de la taille de l’attelage, comme il est favorable au fait que le transport de grains et farines soit exempté de taxe.
L’étude du projet donne à Say l’occasion de dénoncer certains effets pervers de l’intervention publique. C’est un problème auquel il est sensibilisé depuis longtemps. Lors du séjour qu’il effectue en Angleterre pendant ses jeunes années, il subit les conséquences de la mise en place de l’impôt sur les portes et fenêtres : son hôte fait murer par des maçons l’une des deux fenêtres de sa chambre. Cette opération, qui réduit son bien-être sans que l’État n’en tire le moindre gain, suscite selon lui la première de ses « réflexions sur l’économie politique » (Say, 1890, p. 2). Dans le cas du projet de loi qu’il étudie en 1800, Say constate que la plus forte taxation des attelages à plusieurs chevaux poussait les voituriers à n’en atteler qu’un seul même pour de lourds chargements, ce qui en accélérait l’épuisement et risquait d’en réduire la durée de vie. Mais il regrette que le projet ne contienne aucune disposition permettant de réduire la dégradation des routes. Il prend comme exemple l’Angleterre 25où des bascules permettent de déterminer le poids des chargements. Le constat d’excédents de poids au regard de ce qu’autorise la réglementation y conduit au déchargement des charrettes trop lourdes et au paiement d’une amende qui contribue à payer l’entretien et la réparation des routes. Le projet de loi ne contient pas non plus de disposition permettant de taxer plus fortement les charrettes à deux roues que celles à quatre. Or ce sont surtout elles qui participent au défoncement des voies puisque le contact avec le sol est limité à deux points alors que le poids du chargement pourrait être réparti sur quatre roues. Say va jusqu’à mobiliser les apports de la physique pour expliquer que s’il y a certes moitié moins de frottement son intensité est en revanche double. Les pratiques de transport perpétuées dans le pays de génération en génération ne tirent pas profit des enseignements de la mécanique théorique, contrairement à l’Angleterre où les questions de voiturage ont été étudiées et où l’usage des voitures à deux roues a été rejeté en connaissance de cause.
Pour Say, le projet de loi rate l’opportunité d’améliorer les pratiques en vigueur. Il est l’illustration des insuffisances de la procédure législative en comparaison des changements qu’elle pourrait apporter. « Il y a tant de lumières dans le corps chargé par la constitution de la proposition de nos lois, qu’on devrait en attendre des dispositions de ce genre favorables au perfectionnement de notre système administratif. La science ne paraîtra précieuse au peuple, que par ses applications aux usages civils. » (Say, 2003a [1800], p. 247)
Say dénonce une autre insuffisance du projet de loi. La taxe était perçue proportionnellement à la distance parcourue, ce qui donnait lieu à de nombreuses complications pour son calcul aux points de péage. Les voituriers qui arrivaient à un point accessible par plusieurs voies étaient incités à déclarer avoir emprunté la plus courte. C’est donc la législation même qui était responsable « de fausses déclarations, de là des atteintes portées à la morale publique » (ibid.). Le projet, en fixant un droit par tranche de cinq kilomètres parcourus, reste trop timide dans la simplification. Il aurait été préférable de prévoir un droit fixe par point de péage et de fixer une distance minimale entre les points. En n’allant pas jusque-là, le législateur se prive de la possibilité de mettre fin à une situation qui n’est guère satisfaisante : « le percepteur n’aurait plus été forcé d’exhiber à chaque voyageur l’immense pancarte de son tarif, et n’aurait plus été tenté peut-être de profiter de l’ignorance du villageois 26qui ne sait pas lire ; enfin il y aurait eu moins de ces rixes affligeantes qui ont signalé l’établissement des barrières » (ibid., p. 247-248).
Le nouveau tribun prend manifestement à cœur sa fonction d’étude des projets de loi et regrette même de ne pas avoir le temps d’étudier avec suffisamment de soin le texte qui lui est soumis. Considérant qu’il ne contient « aucune des améliorations que l’expérience pouvait indiquer » (ibid., p. 248), il ne manque pas de faire preuve d’indépendance par rapport au gouvernement en concluant à la nécessité de voter le rejet du projet de loi9.
I.2. Le discours prononcé au corps lÉgislatif
Un an après sa nomination au Tribunat, Say prononce au Corps législatif, lors de la séance du 23 nivôse an IX (13 janvier 1801), un Discours pour appuyer le projet de loi tendant à déclarer que l’armée d’Orient a bien mérité de la patrie10. Cette armée d’Orient, partie de France en 1798 sous le commandement de Bonaparte, a conquis l’égypte puis s’est portée en Syrie mais a été arrêtée au siège de Saint-Jean-d’Acre au printemps 1799. Après la transmission du commandement au général Kléber en août et le retour de Bonaparte en France, l’armée d’Orient a remporté une dernière victoire à Héliopolis en mars 1800 mais Kléber a été assassiné au Caire deux mois plus tard. Le commandement a été repris par le général Menou mais ses troupes seront défaites un an plus tard.
En 1798, Say est particulièrement concerné par l’embarquement de l’armée d’Orient. C’est à lui que Bonaparte demande de dresser la liste des ouvrages constituant la bibliothèque portative qu’il compte emporter dans l’expédition (Say, 2003a, p. 25 ; Schoorl, 2013, p. 35). Et son frère Horace Say, de quatre ans son cadet et dont il est très proche, participe à l’expédition. Le retour de Bonaparte à Paris l’année suivante est salué par les rédacteurs de la Décade « comme un événement qui vaut autant 27pour nous que plusieurs victoires11 » et lorsqu’en janvier 1801 Say prononce son discours devant une assemblée née d’une constitution dans laquelle il a mis beaucoup d’espoir, les actions militaires de Bonaparte reçoivent encore son soutien.
Dans son discours, Say loue les mérites d’une armée qui « a combattu à la fois les hommes et le climat » (Say, [1801] 2003a, p. 263) et qui en Orient a affronté des troupes soutenues par une autre puissance européenne, en l’occurrence l’Angleterre. Le choix du Tribunat de confier à Say la tâche d’exposer devant le Corps législatif « les sacrifices que l’armée d’Orient a faits à la patrie » (ibid., p. 264) n’est pas anodin. Son frère Horace, enseignant à l’école Polytechnique et auteur de plusieurs articles sur des sujets divers dans la Décade, chef de l’état-major du génie dans l’armée d’Orient, a été mortellement blessé au siège de Saint-Jean-d’Acre. C’est l’occasion pour Say d’en faire publiquement l’éloge12 ainsi que celui de savants qui ont participé à l’expédition. Le rôle de ceux qui ont accompagné l’expédition n’est pas à minimiser au regard de celui des soldats. « Les arts utiles de l’Europe, le moulin, la charrue, sont les premiers dons qu’ils ont faits aux égyptiens. » (ibid., p. 265)
Say associe aux mérites des soldats de l’expédition ceux de leurs supérieurs et notamment du premier d’entre eux. Il loue « le courage de l’armée d’Orient, et l’habileté des chefs qui l’ont commandée » (ibid.) et rend hommage au « génie de Bonaparte » (ibid.) dans ce qui est sans doute son dernier écrit où il soutient celui auquel il ne cessera ensuite de s’opposer.
Après ce soutien sans équivoque aux soldats partis combattre en égypte et à leurs chefs, Say annonce que « le Tribunat a voté à l’unanimité l’adoption de la loi portant que l’armée d’Orient a bien mérité de la patrie » (ibid.). À la suite de ce dernier appui apporté à l’action de Bonaparte, son appartenance au Tribunat ne donne plus lieu à des prises de position en faveur du nouveau chef de l’État.
28II. La prise de distance par rapport À Bonaparte
Après son discours devant le Corps législatif, Say ne rédige qu’à deux reprises un rapport pour le Tribunat. Le premier, écrit au printemps 1802, s’inscrit dans un contexte de désillusion croissante vis-à-vis du premier consul et n’est pas présenté. Le second est un Rapport fait au nom de la section des finances sur le projet de loi relatif à la refonte des monnaies présenté en 1803.
ii.1. D ’ une dÉsillusion croissante au rapport non prÉsentÉ
La désillusion de Say, et plus largement celle des idéologues, suit presque immédiatement le discours dans lequel il tresse des lauriers à Bonaparte. Dix jours après ce discours13, le premier consul réorganise l’Institut14 et supprime la classe des sciences morales et politiques à laquelle appartenaient deux des co-rédacteurs de Say à la Décade : Ginguené et Lebreton.
Dans la foulée, le Tribunat est appelé à se prononcer sur un projet de loi établissant des tribunaux spéciaux qui annonce le retour d’une justice expéditive. La discussion sur le projet se prolonge pendant dix jours aux cours desquels plusieurs tribuns parmi lesquels Ginguené, Daunou, Marie Joseph Chénier et Benjamin Constant combattent le projet. Cette opposition amène une diatribe de Bonaparte contre les idéologues (Say, 2003a, p. 28) mais n’empêche pas la loi d’être adoptée. Say et les idéologues ne manquent pas de motifs pour se détacher de Bonaparte au cours de cette année 1801. L’établissement du concordat, qui institutionnalise un retour de la religion alors que les rédacteurs de la Décade s’étaient employés à s’en affranchir, est notamment une cause supplémentaire de rupture.
C’est un Jean-Baptiste Say désabusé qui assiste à la dérive autoritaire du Consulat : « Je m’aperçus bientôt qu’on voulait non pas travailler de 29bonne foi à la pacification de l’Europe et au bonheur de la France, mais à un agrandissement personnel et vain. Trop faible pour m’opposer à une semblable usurpation et ne voulant pas la servir, je dus m’interdire la tribune et, revêtant mes idées de formules générales, j’écrivis des vérités qui pussent être utiles en tous temps et dans tous les pays. » (Say, 2003a, p. 28-29). Il rédige néanmoins en 1802 un Rapport au nom de la section des finances sur le projet de loi qui tend à mettre à la disposition du gouvernement 300 millions sur les produits de l’an XI15.
Dans un système où « les fonds qui entrent à la trésorerie ne peuvent en sortir qu’en vertu d’une loi » (Say, 2003a [1802], p. 249), les besoins du gouvernement pour l’an XI nécessitent un déblocage de 300 millions de francs qui conduit le pouvoir législatif à se prononcer. Plutôt que de s’en tenir strictement à ce qui fait l’objet de la demande du gouvernement, Say en profite pour développer une réflexion sur des principes plus généraux destinée à déterminer si les dépenses « doivent être consenties en masse, ou si le législateur doit statuer sur les montant des différents services publics » (ibid.).
Say passe en revue les pratiques budgétaires qui ont précédé le Consulat ou qui prévalent à l’étranger. Ce qu’il dénomme « la balance des besoins et des ressources de l’état » (ibid., p. 250) donne lieu à des pratiques relativement vertueuses lorsque « les gouvernements sont dans l’usage de justifier d’abord de la nécessité des dépenses et ensuite de l’emploi des deniers » (ibid.). L’Angleterre et les États-Unis ont de ce point de vue des modalités de fonctionnement qui peuvent servir de référence. À l’inverse, en France, il a fallu attendre l’Assemblée constituante pour remettre en question un système consistant « non à réduire les dépenses au taux du strict nécessaire, mais à porter les charges aussi loin qu’elles peuvent aller » (ibid.). Le Directoire a tenté sans succès de mettre de l’ordre dans les finances de l’État et il a fallu après le 18 brumaire « la main puissante du grand homme qui a réduit nos derniers et nos plus opiniâtres ennemis, pour réprimer tous les abus et relever toutes les espérances » (ibid., p. 251). La constitution de l’an VIII est de nature à favoriser un ordre financier puisqu’elle prévoit une loi annuelle qui fixe le montant des recettes et dépenses de l’État16 et que le ministre du Trésor « ne peut rien faire payer qu’en vertu d’une loi, et jusqu’à la concurrence 30des fonds qu’elle a déterminés pour un genre de dépenses17 ». Mais dans un pays en guerre où il n’allait pas de soi de faire connaître à l’avance à l’ennemi le genre de dépenses que prévoyait le gouvernement, il n’a guère été possible de procéder à l’affichage prévu.
Dans un contexte où la guerre vient provisoirement de prendre fin avec la paix d’Amiens, Say admet qu’« il était impossible qu’on put rassembler les éléments propres à former le système fixe de nos dépenses annuelles » (ibid., p. 252). Mais cet objectif est en passe d’être atteint puisque « l’ordre qui s’est introduit dans toute les parties de l’administration des finances, l’anéantissement successif des signes de notre gêne passée, et surtout l’influence bienfaisante de la paix, nous conduiront infailliblement à ce résultat » (ibid.). Grâce à un tel aboutissement, « la nation jouira de l’avantage de modérer ses dépenses sans mesquinerie » (ibid.). Say, soucieux de prévenir la progression incontrôlée de la dépense publique et d’éviter que la gabegie dans un genre de dépenses se fasse au détriment d’autres affectations qui auraient été plus appropriées, se réjouit que le prétexte de la guerre ne puisse plus être invoqué pour pousser les législateurs à valider des dépenses qu’ils devraient désormais pouvoir mieux maîtriser.
Say n’hésite pas à affirmer que le gouvernement bénéficiera d’une pleine confiance en matière budgétaire lorsque « tous ceux qui font à la chose publique l’avance de leur temps ou de leurs denrées, verront d’avance leurs paiements mis au nombre des charges de l’état, et qu’ils verront sur une colonne parallèle les fonds qui sont destinés à y pourvoir » (ibid.). Il semble avoir quelques doutes sur l’aptitude ou la volonté du gouvernement d’accepter un tel contrôle des dépenses et considère que « si l’on regardait comme impossible de déterminer d’avance les besoins ordinaires et de leur assigner des ressources fixes, on conviendrait, par cela même, qu’il est à jamais impossible de porter l’ordre dans les finances d’une nation » (ibid., p. 253).
La fin du rapport s’apparente à une mise en garde à Bonaparte. « Ce serait un grand malheur si quelques personnes regardaient encore les principes que je viens d’énoncer, comme des lieux communs de finance qui ne sont bons qu’à être violés, ou comme des entraves propres à gêner la marche du gouvernement. » (Ibid.) Il croit bon tenter de montrer que des croisades aux conquêtes de Louis XIV, les succès militaires sont allés 31de pair avec des finances saines tandis que les dérives financières ont été sources d’échecs et de désordres.
Say tient d’autant plus à rappeler les principes d’une saine gestion des finances qu’il se prononce en faveur du projet de loi mettant 300 millions de francs à la disposition du gouvernement. Il tient à souligner le caractère exceptionnel de cette décision d’un tel déblocage de fonds et ne voudrait pas qu’elle soit perçue comme un blanc-seing pour des dépenses futures en recourant à une pratique qu’il considère comme désormais plus difficile à justifier. Sa préoccupation est d’autant plus forte que le Tribunat a déjà été amené précédemment à autoriser la mise à disposition du gouvernement d’une somme de 200 millions de francs, décision qui a « été regardée, par quelques orateurs, comme l’adoption définitive d’un système que nous croyons contraire au régime constitutionnel, au crédit du gouvernement et à l’établissement complet de l’ordre dans nos finances » (ibid., p. 254). Say ne tient pas à ce que sa décision d’approuver le projet cautionne une pratique qu’il désapprouve. Il insiste sur le fait que ce n’est qu’un pis-aller « à une époque où la guerre est à peine terminée, et où plusieurs parties de notre établissement civique ne sont pas encore complètement organisées et laissent par conséquent ignorer le montant des frais qu’elles entraîneront » (ibid.).
Say n’a pas l’opportunité de présenter son rapport au Tribunat. La défiance qu’il exprime vis-à-vis du gouvernement incite ses pairs à renoncer à lui laisser prononcer un discours susceptible d’irriter le premier consul, comme il s’en explique plus tard. « La section des finances dont j’étais membre, jugea qu’il y aurait du danger à faire ce rapport, il fut remplacé par quelques mots à la tribune. Le rapport semblait blâmer le gouvernement de ce qu’il ne proposait pas l’ouverture d’un crédit spécial pour chaque genre de dépense » (Say, 2003a, p. 827). De fait, le rapport que publie la Gazette nationale ou le Moniteur universel deux jours plus part n’est qu’une version extrêmement condensée et édulcorée du texte de Say18.
32ii.2. le rapport de 1803
Même si en deux ans le Tribunat ne rejette que 7 projets de loi sur les 94 qui lui sont soumis, il est un lieu où l’opposition peut s’exprimer, ce que Bonaparte ne peut guère accepter19. Comme la constitution de l’an VIII prévoit un renouvellement annuel par cinquième des tribuns sans préciser comment doivent être désignés les premiers tribuns à remplacer, Bonaparte décide par le sénatus-consulte du 22 ventôse an X (13 mars 1802) que seront écartés tout simplement ceux qui ne figureront plus sur la nouvelle liste établie par le Sénat indiquant ceux qui restent en place ainsi que les entrants. Bonaparte peut ainsi procéder à une épuration qu’il avait déjà réclamée dans une lettre aux consuls du 1er pluviôse an X (21 janvier 1802)20. Le 6 germinal an X (27 mars 1802), les vingt opposants les plus notoires du Tribunat sont éliminés et remplacés par des tribuns favorables au premier consul, parmi lesquels son frère Lucien.
Les mesures prises par Bonaparte pour se prémunir contre toute opposition du Tribunat ne s’arrêtent pas là. Après s’être fait proclamer consul à vie, il impose une nouvelle constitution par le sénatus-consulte du 16 thermidor an X (4 août 1802). Celle-ci divise par deux le nombre de membres du Tribunat, par non remplacement des sortants, et les répartit en sections21. À partir de cette constitution de l’an X qui renforce l’autoritarisme du Consulat, les membres de chaque section se cantonnent aux projets de loi concernant leur seule section. La mise au pas du Tribunat se traduit par le fait qu’il cesse de s’opposer aux projets qui lui sont soumis.
33C’est dans ce contexte que Say présente le 9 germinal an XI (30 mars 1803) un Rapport fait au nom de la section des finances sur le projet de loi relatif à la refonte des monnaies. À l’occasion de la réforme monétaire qui conduit à l’adoption du franc dit germinal, du nom du mois du calendrier révolutionnaire au cours duquel la réforme est adoptée, le gouvernement présente deux projets de loi : le premier sur les principes de fabrication des monnaies, le second sur la refonte des monnaies. C’est sur ce second projet que porte le rapport de Say. Il s’inscrit dans un contexte où, depuis les débuts de la Révolution, la dissociation entre l’unité de compte et le moyen de paiement (on compte en livres, sous et deniers mais on paie en louis, écus ou autres monnaies) qui caractérisait le système monétaire de l’Ancien Régime est critiquée. En 1790, Étienne Clavière, l’ancien employeur de Say qui lui fait découvrir la Richesse des nations, publie notamment des Observations sommaires sur le projet d’une refonte générale des monnaies (Clavière, 1790) dans lesquelles il critique ce système, tout comme il dénonce les manipulations de l’unité de compte opérées par le pouvoir politique et le coût des refontes monétaires pour les finances publiques. La proposition de Clavière, d’une unité de compte définie par un poids et un titre et coïncidant avec l’unité de paiement, annonce la réforme monétaire de 1803 dans laquelle s’implique Say22.
La réflexion sur les questions monétaires donne lieu à la rédaction de plusieurs rapports. Lebreton présente le premier le 2 germinal an XI (23 mars 1803). C’est le lendemain que le projet de loi plus spécifiquement relatif à la refonte des monnaies arrive au Tribunat et est transmis à la section des finances. Après les travaux au Tribunat, Charles Marie Alexandre Labrouste défend le projet le 14 germinal (4 avril) devant le Corps législatif qui l’adopte23. Au total, la réforme monétaire donne lieu à sept rapports entre le 2 et le 14 germinal, celui de Say constituant le cinquième24.
34En dépit du rôle limité qu’il joue au Tribunat à cette période, Say ne peut rester à l’écart d’un projet de loi sur un thème qui lui tient à cœur. Le rapport qu’il rédige sur ce projet est la plus importante de ses contributions au Tribunat. Il y présente des idées qui se retrouvent dans plusieurs de ses écrits sur les questions monétaires (Jacoud 2013, 2017).
C’est notamment le cas de l’affirmation selon laquelle le pays « ne peut conserver dans son sein que la quantité de numéraire nécessaire à sa circulation » (Say, 2003a, p. 256). Cette quantité dépend de l’activité économique et tout excédent quitte inévitablement le pays. « C’est ainsi que la masse du numéraire se proportionne toujours aux besoins de la circulation. » (Ibid.) Say réaffirme dans les éditions successives du Traité que « le numéraire demeurant en circulation dans le pays est borné par les besoins de la circulation du pays » (Say, 1803, t. 1, p. 575)25. La monnaie excédentaire n’est pas conservée inutilement et trouve un emploi dans des achats à l’étranger.
Dans son rapport au Tribunat, Say met en avant ce phénomène pour expliquer que si les besoins de la circulation sont satisfaits par des pièces altérées, l’injection de pièces neuves dans cette circulation est une vaine tentative pour remplacer des pièces usées par de nouvelles. L’excédent doit être résorbé, et comme il serait moins avantageux d’exporter ou fondre les pièces anciennes, qui peuvent continuer à circuler pour une valeur garantie par l’État, que les nouvelles, qui n’ont pas encore vu leur valeur intrinsèque se réduire, ce sont ces nouvelles pièces qui quittent la circulation du pays. Say reprend cette analyse dans le Traité pour expliquer que l’introduction du papier dans la circulation monétaire évince le métal. Il suit en cela l’approche d’Adam Smith, pour qui le papier ne fait que remplacer le métal qui aurait circulé à sa place (Smith, 1776, vol. 1, p. 300) mais il explique la sortie de la monnaie excédentaire par un mécanisme déjà perçu par David Hume (Hume, 1752, p. 42-59). Le supplément de monnaie en circulation génère une hausse des prix qui, renchérissant les produits nationaux, pénalise les exportations et favorise les importations, d’où la sortie de métal pour leur paiement. Say étudie le mécanisme en se focalisant sur la baisse de la valeur de la monnaie dans le pays et interprète sa sortie comme un écoulement 35dans les lieux où elle a conservé plus de valeur (Say, 1803, t. 1, p. 576). Il établit ainsi un énoncé de la théorie quantitative de la monnaie fondé sur la variation de sa valeur (Béraud, 2003 ; Bridel, 2003).
La circulation de monnaies altérées pourrait a priori ne pas préoccuper le législateur puisque dans un échange l’acheteur et le vendeur sont libres d’utiliser le numéraire qu’ils souhaitent. Mais des pièces de monnaie dont il est difficile d’apprécier le poids et le titre créent des incertitudes dommageables à l’échange. Il est dès lors préférable que, comme le prévoit le projet de loi, les pièces rognées ou abîmées soient retirées de la circulation et que ceux qui en détiennent puissent les échanger contre de nouvelles pièces. Say fait valoir que cet échange doit être gratuit pour ceux qui cèdent les anciennes pièces, sans que cela soit contradictoire avec le fait que ceux qui monnayent du métal paient un droit pour avoir des pièces dont le poids et le titre sont attestés par l’empreinte. Pour les pièces altérées, le droit a en effet déjà été payé au moment de leur fabrication. Say, qui consacre un chapitre complet à cette question dans la première édition du Traité (Say, 1803, p. 557-559), réaffirme dans les éditions suivantes les biens-fondés d’une absence de coût à supporter pour celui qui fait transformer ses pièces anciennes en pièces neuves.
Say témoigne de sa connaissance du sujet en comparant la refonte proposée avec celles opérées en 1726, en 1785 et sous la Révolution. Ce passage en revue lui permet de dénoncer aussi bien les situations dans lesquelles le gouvernement a voulu encaisser des droits élevés grâce à la refonte, que celles où au contraire aucun droit n’a été perçu sur le monnayage d’or ou d’argent.
La peine de mort à l’encontre des faux-monnayeurs, jusque-là seulement condamnés à quinze années de fers par le code pénal, est pour Say justifiée. Elle sanctionne déjà les contrefacteurs de papiers nationaux et la peine doit être mesurée par le tort qu’elle cause à la société. C’est pour cela que doivent être lourdement punis ceux qui introduisent de fausses valeurs « qui vont porter le ravage dans la chétive propriété du pauvre » (Say, 2003a [1803], p. 261). Trois jours plus tard, Louis Costaz prononce au Tribunat un discours qu’il consacre exclusivement à cette nécessité de condamner les faux-monnayeurs à la peine la plus sévère.
Après s’être efforcé de justifier « la punition sévère, mais juste, qui doit contribuer à préserver notre monnaie nouvelle des altérations que 36l’ancienne a subies » (ibid., p. 262), Say conclut en affirmant que la section des finances a non seulement reconnu « l’opportunité de cette loi, mais son indispensable nécessité » (ibid.), aussi en propose-t-il l’adoption, ce que le Corps législatif fait cinq jours plus tard26.
Conclusion
En définitive, les quelques années au cours desquelles Say siège au Tribunat permettent certes d’affirmer qu’il est un homme politique participant à la procédure législative mais l’analyse de ses contributions montre que son rôle n’y est sans doute pas aussi important qu’il l’aurait souhaité27.
Une raison essentielle tient tout d’abord à Say lui-même puisque cette période correspond à celle pendant laquelle il rédige le Traité d’économie politique qui assoira sa célébrité. La rédaction de l’ouvrage ne lui laisse guère le temps de s’impliquer pleinement dans l’étude des projets de loi28. Néanmoins, le traitement annuel de 15 000 francs qu’il perçoit au titre de tribun le met à l’abri des difficultés financières. Cette considération est loin d’être négligeable pour un père de famille de quatre enfants29 qui peut ainsi se vouer à l’écriture sans avoir à consacrer une partie de ses journées à d’autres activités lucratives.
37Une autre raison est que l’ancien rédacteur général de la Décade ne peut qu’être déçu par la confiscation du pouvoir par Bonaparte dont il a soutenu le coup d’État et les débuts au Consulat. Ses deux premiers rapports au Tribunat, sur des sujets somme toute secondaires, témoignent d’un effort pour rendre irréprochables les décisions prises par les législateurs. Mais les mesures de Bonaparte à l’encontre d’une assemblée qui s’autorise à contester le bien-fondé de certains projets de loi qui lui sont soumis ne peuvent qu’inciter Say à moins s’impliquer dans sa fonction législative.
La rupture avec Bonaparte n’est pourtant pas encore consommée au moment où paraît le Traité. Son succès suscite même l’intérêt du chef de l’État qui entend bien en tirer profit. Pendant l’été 1803, Say est invité à un dîner à la Malmaison où Bonaparte lui propose de publier une nouvelle édition du Traité intégrant une justification des mesures prises par son gouvernement. La proposition, qui assure une réédition de l’ouvrage, est assortie d’une rétribution annuelle de 40 000 francs (Say, 2006 [1814], t. 1, p. xiv). Say accorde cependant trop d’importance à l’économie politique pour faire passer son intérêt personnel avant ses convictions. Il refuse la proposition, ce qui lui vaut d’être évincé du Tribunat au moment du renouvellement partiel de 1804. Nommé en compensation directeur des Droits réunis pour le département de l’Allier, situation qui lui laisse espérer un revenu annuel de 30 000 francs, soit le double de son indemnité de tribun, il refuse sa nomination et se lance dans l’industrie en ouvrant une filature à Auchy.
Le refus de compromission avec Bonaparte a une autre incidence : il empêche la réédition du Traité dont la première édition est rapidement épuisée. Say doit attendre l’effondrement de l’Empire en 1814 pour que la deuxième édition paraisse. Il prend sa revanche sur Bonaparte en dédicaçant cette deuxième édition au tsar de Russie, le souverain qui a obtenu la chute de l’empereur30.
Le départ de Say du Tribunat précède de peu une nouvelle atteinte au faible pouvoir qui restait à cette assemblée. Avec le passage à l’Empire et 38la constitution du 28 floréal an XII (18 mai 1804), les tribuns sont privés de la possibilité de se réunir en assemblée plénière pour les discussions des projets de loi, lesquelles doivent désormais se tenir uniquement à l’intérieur des sections. Le Tribunat est une assemblée d’où n’émane plus aucune opposition lorsqu’il est finalement supprimé par sénatus-consulte le 19 août 1807.
Le bilan des quatre années au cours desquelles Say est membre du Tribunat peut être considéré comme mitigé si l’on s’en tient à sa stricte action politique. Soutien du nouvel exécutif lorsqu’il intègre cette assemblée, il glisse dans une opposition qui lui vaut de moins pouvoir s’exprimer puis d’être écarté de cette instance. Si l’éviction du Tribunat ne l’autorise plus à contester les décisions de Bonaparte par des interventions publiques auxquelles il a lui-même renoncé ou par des votes négatifs sur les projets proposés, il lui reste un moyen de marquer sa contestation des orientations prises par le pouvoir politique : « il faut parler » (Say, 2003a, p. 472)31. Say ne se prive pas d’exprimer ses critiques, tout au moins dans les limites permises par le régime. Sa contestation du pouvoir en place, même si elle se cantonne à des cercles restreints, est suffisamment audible pour donner lieu à une dénonciation au ministre de la police et une enquête de la préfecture (Say, 2006, t. 1, p. xii-xiii, n. 11). Mais il considère surtout que l’effondrement du régime est inévitable32. Dans ses réflexions sur la stabilité des institutions politiques (Say, 2003a, p. 675-677), il considère l’ordre imposé par Bonaparte comme le plus fragile de tous. Comparable à une pyramide reposant sur sa pointe, il est appelé à être renversé.
Say s’éloigne en outre de la vie politique au profit de l’écriture de textes qu’il veut scientifiques. Si c’est un journaliste qui entre au Tribunat en 1800, c’est un économiste qui le quitte quatre ans plus tard. Et l’industriel qu’il devient à Dauchy n’abandonne pas le projet de faire paraître une nouvelle édition du Traité. En se consacrant à l’étude de l’économie politique, Say est a priori bien loin de la politique et sa participation au processus législatif sous le Consulat semble n’être qu’un épisode sans suite. Comme il l’écrit dans ses Lettres à M. Malthus, la bonne économie politique conseille peu mais « livre aux hommes 39les vérités qu’elle démontre » (Say, 1820, p. 85). Certes, Say distingue l’économie politique de la politique dès les premières lignes de son Traité pour mieux étudier la première mais il n’abandonne pas complètement la seconde pour autant. L’économie politique ne couvre pas toutes les dimensions de la vie des hommes en société. Elle est une composante de l’ensemble plus large que sont les sciences morales et politiques (Say 2003b, p. 53-64) et Say a l’ambition d’écrire un « Traité ou tout au moins des Essais de Politique pratique » (Say, 2003a, p. 99). Son projet donne lieu à un manuscrit inachevé de Politique pratique (ibid., p. 287-695). Dans ce long écrit où son hostilité à Bonaparte transparaît de façon récurrente, il développe au fil des chapitres une réflexion qui sous bien des aspects permet de voir se dessiner ce qu’aurait pu être la France si le chef de l’État qu’il avait initialement soutenu n’avait pas gâché les opportunités qui s’offraient à lui au début du Consulat.
40Bibliographie
Bellet, Michel & Solal, Philippe (dir.) [2019], Économie, républicanisme et république, Paris, Classiques Garnier.
Béraud, Alain [2003], « Jean-Baptiste Say et la théorie quantitative de la monnaie », inPotier, Jean-Pierre & Tiran, André (dir.), [2003], p. 447-470.
Blanc, Emmanuel & Tiran, André [2003], « Introduction générale », inSay, Jean-Baptiste, [2003a], p. 9-42.
Bonaparte, Napoléon [1861], Correspondance de Napoléon Ier, Paris, Plon, Dumaine, t. 7.
Bridel, Pascal [2003], « Say et le débat sur l’épargne forcée : une note », inPotier, Jean-Pierre & Tiran, André (dir.), [2003], p. 470-493.
Cabanis, Pierre Jean Georges [brumaire an VIII (1799a)], Discours prononcé par Cabanis à la suite du rapport de la commission des sept, Saint-Cloud, Imprimerie nationale.
Cabanis, Pierre Jean Georges [frimaire an VIII (1799b)], Quelques considérations sur l’organisation sociale en général, et particulièrement sur la nouvelle constitution, Paris, Imprimerie nationale.
Chappey, Jean-Luc [2001], « Les Idéologues face au coup d’État du 18 brumaire an VIII : Des illusions aux désillusions », Politix, vol. 14, No 56, p. 55-75.
Clavière, Étienne [1790], Observations sommaires sur le projet d’une refonte générale des monnaies, Paris, Belin, Desenne, Bailly.
Décade philosophique, littéraire et politique, brumaire–frimaire an VIII (octobre-novembre 1799).
Dutruch, Roger [1921], Le Tribunat sous le Consulat et l’Empire, Paris, Rousseau et cie.
Duval, Amaury [1795], « Extrait d’un plan de constitution, par Polyscope », Décade philosophique, littéraire et politique, No 43, 10 messidor an III (28 juin 1795), p. 21-33.
Forget, Evelyn L. [1999], The Social Economics of Jean-Baptiste Say : Markets and Virtue, London, New York, Routledge.
Forget, Evelyn L. [2001], « Jean-Baptiste Say and Spontaneous Order », History of Political Economy, vol. 33, No 2, p. 193-218.
Gazette nationale ou le Moniteur universel, 1799-1804.
Ginguené, Pierre-Louis [1795], « De l’esprit de la constitution qui convient à la France, et examen de celle de 1793 », Décade philosophique, littéraire et politique, No 44, 20 messidor an III (8 juillet 1795), p. 90-95.
41Gobert, Adrienne [1925], L’opposition des assemblées pendant le Consulat 1800-1804, Paris, Ernest Sagot.
Hume, David[1752], Political discourses, Edinburgh, R. Fleming, for A. Kincaid and A. Donaldson.
Jacoud, Gilles [2013], Money and Banking in Jean-Baptiste Say’s Economic Thought, Abingdon, New York, Routledge.
Jacoud, Gilles [2017], « Why is money important in Jean-Baptiste Say’s analysis ? », European Journal of the History of Economic Thought, vol. 24, No 1, February, p. 58-79.
Lenoir-Laroche, Jean-Jacques [1794], De l’esprit de la constitution qui convient à la France, et examen de celle de 1793, Paris, Agasse.
Numa, Guy [2019], « Jean-Baptiste Say on Free Trade », History of Political Economy, vol. 51, No 5, p. 901-934.
Palmer, Robert R. [1997], J.-B. Say : An Economist in Troubled Times, Princeton, NJ, Princeton University Press.
Potier, Jean-Pierre & Tiran, André (dir.), [2003], Jean-Baptiste Say. Nouveaux regards sur son œuvre, Paris, Economica.
Say, Jean-Baptiste [1795], « Quelques idées sur le projet de constitution de la commission des onze », Décade philosophique, littéraire et politique, No 44, 20 messidor an III (8 juillet 1795), p. 79-90.
Say, Jean-Baptiste [1803], Traité d’économie politique. Paris, Economica, 2006, 2 vols.
Say, Jean-Baptiste [1820], Lettres à M. Malthus, sur différents sujets d’économie politique, Paris, Bossange père et fils, Londres, Martin Bossange et compagnie.
Say, Jean-Baptiste [1828-1829], Cours complet d’économie politiquepratique, Paris, Economica, 2010, 2 vols.
Say, Jean-Baptiste [1890], « Les mémoires de Jean-Baptiste Say », Journal des débats politiques et littéraires, 8 juillet, p. 1-2.
Say, Jean-Baptiste [2003a], Œuvres morales et politiques, Paris, Economica.
Say, Jean-Baptiste [2003b], Leçons d’économie politique, Paris, Economica.
Schoorl, Evert [2013], Jean-Baptiste Say. Revolutionary, entrepreneur, economist, Abingdon, New York, Routledge.
Smith, Adam [1776], An inquiry into the nature and causes of the wealth of nations, Oxford, Oxford University Press, 1976, 2 vols.
Steiner, Philippe [1989], « Intérêts, intérêts sinistres et intérêts éclairés : problèmes du libéralisme chez J.-B. Say », Cahiers d’économie politique, No 16-17, p. 21-41.
Steiner, Philippe [1990], « Comment stabiliser l’ordre social moderne ? J.-B. Say, l’économie politique et la Révolution », Économies et sociétés, série Oeconomia, PE No 13, septembre, p. 173-193.
42Steiner, Philippe [1997], « Politique et économie politique chez J.-B. Say », Revue française d’histoire des idées politiques, No 5, p. 23-58.
Steiner, Philippe [2003], « Say, les Idéologues et le groupe de Coppet : La société industrielle comme système politique », Revue française d’histoire des idées politiques, No 18, p. 331-353.
Thuillier, Guy [1993], La réforme monétaire de l’an XI, Paris, Imprimerie nationale (Comité pour l’histoire économique et financière de la France).
Tiran, André [2018], « Jean-Baptiste Say : la diffusion des connaissances économiques peut-elle suffire à fonder l’ordre républicain », La Révolution française [En ligne], 14 | 2018, consulté le 04 juillet 2019. URL : http://journals.openedition.org/lrf/2075.
Tiran, André [2019], « Jean-Baptiste Say et la République » inBellet, Michel & Solal, Philippe (dir.), [2019], p. 159-184.
Whatmore, Richard [2000], Republicanism and the French Revolution : an Intellectual History of Jean-Baptiste Say’s Political Economy, Oxford, Oxford University Press.
Whatmore, Richard [2003], « Say et Clavière » inPotier, Jean-Pierre & Tiran, André (dir.), [2003], p. 715-734.
1 Voir à ce sujet l’« Introduction générale » de Say (2003a, p. 24-26). Plus largement, sur l’adhésion des idéologues au coup d’État, voir Chappey (2001).
2 Ils sont nommés le 25 décembre 1799 à l’exception de Joachim Lebreton qui remplace le 28 décembre Jacques Defermon, démissionnaire.
3 Say participe à la mise en place des nouvelles structures. Cinq jours après le coup d’État, il est nommé secrétaire-rédacteur de la commission législative intermédiaire du Conseil des Cinq-Cents qui, au sein de la première chambre d’un Directoire en train de disparaître, organise la transition vers le Consulat (Gazette nationale ou le Moniteur universel, No 54, 24 brumaire an VIII (15 novembre 1799), p. 212).
4 Alors qu’au lendemain du coup d’État le pouvoir est partagé entre les trois consuls Napoléon Bonaparte, Emmanuel Joseph Sieyès et Roger Ducos, l’ascendance du premier se traduit par sa nomination comme premier consul par la nouvelle constitution tandis que les deux autres sont remplacés par Jean-Jacques Régis de Cambacérès et Charles François Lebrun.
5 Ces textes ont été rassemblés par Emmanuel Blanc et André Tiran dans Say (2003a).
6 L’article de Ginguené était un compte-rendu de Lenoir-Laroche (1794).
7 Le Tribunat relève toutefois un vice de forme dans la transmission du projet, en l’occurrence l’absence d’avis de l’administration centrale, et malgré l’intervention de Say, qui fait état de l’avis favorable du ministre de l’Intérieur, et de Laussat, qui met en avant l’intérêt du projet pour l’hospice de Charenton, le Tribunat fait preuve de pointillisme en le rejetant par soixante-douze voix contre huit (Gazette nationale ou le Moniteur universel, No 191, 11 germinal an VIII (1er avril 1800), p. 773). Le Tribunat est informé le lendemain par un message du Corps législatif que le gouvernement retire le projet (ibid., No 192, 12 germinal an VIII (2 avril 1800), p. 777).
8 Séance du 5 germinal an VIII (26 mars 1800).
9 Say n’est pas suivi par le Tribunat qui le lendemain vote « presque unanimement » (Gazette nationale ou le Moniteur universel, No 193, 13 germinal an VIII (3 avril 1800), p. 781) en faveur du projet, lequel est ensuite adopté par le Corps législatif par 265 voix sur 270 (ibid., No 188, 8 germinal an VIII (29 mars 1800), p. 762).
10 Voté à l’unanimité le 21 nivôse an IX (11 janvier 1801) par le Tribunat (Gazette nationale ou le Moniteur universel, No 112, 22 nivôse an IX (12 janvier 1801), p. 458), le projet de loi est adopté également à l’unanimité par le Corps législatif le jour où Say prononce son discours (ibid., No 114, 24 nivôse an IX (14 janvier 1801), p. 466).
11 Décade philosophique, littéraire et politique (No 4, 10 brumaire an VIII (1er novembre 1799), p. 252).
12 Say en rédige la biographie dans la Décade du 20 frimaire an VIII (11 décembre 1799). Il commence la rédaction des huit pages de cette biographie par les mots « J’ai perdu mon frère, mon ami, le compagnon de mon enfance » qui témoignent de la force des liens qui le liaient à lui (Say, 1799, p. 462).
13 Arrêté du 3 pluviôse an XI (23 janvier 1801).
14 Après avoir supprimé les académies royales, la République crée en 1795 un Institut chargé de recueillir les découvertes et de perfectionner les arts et les sciences. Il est divisé en trois classes : une classe des sciences physiques et mathématiques, une classe des sciences morales et politiques, une classe de littérature et des beaux-arts.
15 Rapport correspondant à la séance du Tribunat du 14 floréal an X (4 mai 1802).
16 Article 45 de la constitution du 22 frimaire an VIII (13 décembre 1799).
17 Article 56.
18 « Vous avez adopté les projets de loi qui prorogent pour l’an XI les contributions perçues en l’an X. Après avoir assuré les droits du Trésor public, il faut que le législateur pourvoie aux besoins du gouvernement. Les fonds qui entrent à la trésorerie ne peuvent en sortir qu’en vertu d’une loi, et c’est conformément à cette disposition de notre pacte social, que le gouvernement vous demande de lui accorder pour faire face aux premiers besoins de l’an XI, une somme de 300 millions, à prendre sur le produit des contributions et sur les autres revenus de la même année. – Votre section des finances a déjà manifesté, soit à votre tribune, soit à celle du Corps législatif, son opinion sur les crédits provisoires ; elle ne la retracera pas en ce moment, et se contentera de vous faire observer que le projet de loi qui vous est soumis, ne pouvait être conçu différemment à une époque où la guerre est à peine terminée, et où plusieurs parties de l’établissement public, n’étant pas encore complètement organisées, ne permettent pas sans doute de présenter d’avance l’aperçu de nos dépenses ordinaires. – Elle vous propose l’adoption du projet. (Gazette nationale ou le Moniteur universel, No 226, 16 floréal an X (6 mai 1802), p. 920)
19 Sur l’opposition du Tribunat à Bonaparte, cf. Dutruch (1921) ; Gobert (1925).
20 « Portez une grande attention à ce que les vingt mauvais membres du Tribunat soient ôtés. Vous pouvez très certainement assurer que tant que des hommes comme Thiessé, Chazal, Chénier et Garat seront au Tribunat, je ne présenterai aucun projet de loi. » (Bonaparte, [1802] 1861, p. 367)
21 Le Tribunat est en l’occurrence divisé en trois sections : législation, intérieur et finances. L’organisation en sections existait auparavant mais n’était pas expressément prévue par la constitution.
22 Sur cette réforme, cf. Thuillier, 1993.
23 La loi sur la refonte des monnaies, sur laquelle travaille plus particulièrement Say, est ainsi votée le 14 germinal an XI (4 avril 1803) tandis que le reste de la réforme monétaire est adopté par les lois des 7 et 17 germinal (28 mars et 7 avril).
24 Les autres rapports sont celui de Jean Bérenger sur la refonte des monnaies qui arrive au Tribunat le 3, le discours de Pierre Daru sur le système monétaire prononcé le même jour, le rapport de Joseph Antoine Bosc au Corps législatif le 7 sur le texte adopté à la suite du rapport de Lebreton et le rapport de Louis Costaz le 12 sur les sanctions en cas de faux-monnayage faisant l’objet de l’article 5 du projet de loi sur la refonte des monnaies.
25 Il le réaffirme également à plusieurs reprises sous des formulations diverses dans les chapitres du Cours complet d’économie politique pratique consacrés aux monnaies (Say, 1828-1829, t. 1, p. 385-506).
26 Le Tribunat vote le 12 germinal an XI (2 avril 1803) en faveur du projet par cinquante-quatre voix contre cinq (Gazette nationale ou le Moniteur universel, No 193, 13 germinal an XI (3 avril 1803), p. 872). Say fait partie des trois tribuns chargés de le présenter au Corps législatif qui l’adopte le 14 germinal (4 avril) par 201 voix contre 10 (ibid., No 195, 15 germinal an XI (5 avril 1803), p. 877).
27 Say est manifestement prêt à s’impliquer plus fortement dans sa fonction de tribun si l’on considère qu’il aurait aimé faire une étude plus approfondie du deuxième projet de loi sur lequel il rapporte (Say, 2003a, p. 248) ou qu’il restreint volontairement ses interventions pour ne pas cautionner la dérive autoritaire du pouvoir bonapartiste (ibid., p. 29). Son activité est en outre bridée à partir de 1802 par l’obligation faite aux tribuns de se concentrer sur les textes relevant de leur seule section.
28 Say reconnaît lui-même que l’examen d’un projet de loi nécessite du temps et qu’il aurait aimé en disposer de plus (cf. supra). La rédaction du Traité qui paraît dans l’été 1803 en deux volumes de 573 et 572 pages est une tâche suffisamment lourde pour rendre difficile une pleine implication dans l’étude des différents projets de lois soumis au Tribunat.
29 Il a déjà trois enfants lorsqu’il entre au Tribunat et un quatrième, en l’occurrence sa fille Amanda Caliste, naît le 16 février 1803.
30 Les griefs de Say à l’encontre de Bonaparte sont d’autant plus forts que le coup d’État du 18 brumaire avait suscité d’immenses espoirs et que le premier consul avait le pouvoir de mettre en œuvre les transformations attendues par Say et les idéologues. « Je ne connais pas, je vous l’avoue, de crime égal au sien. Il est coupable, non seulement du mal qu’il a fait, mais d’avoir méprisé le bien qui s’offrait à lui et qui n’a jamais été si facile pour personne. » (Say 2003a [1816], p. 30)
31 Say considère qu’il est utile de s’exprimer, « autrement on se tairait tandis qu’un tyran règne à cause de l’effroi qu’il inspire » (Say, 2003a, p. 472).
32 « La chute devait arriver » (ibid.).
- Thème CLIL : 3340 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Histoire économique
- ISBN : 978-2-406-10602-9
- EAN : 9782406106029
- ISSN : 2495-8670
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-10602-9.p.0019
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 27/05/2020
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français
- Mots-clés : Say, Tribunat, Corps législatif, Consulat, rapports, monnaie, finance