Faut-il-il choisir une doctrine avant d’élaborer une théorie ? Retour sur un article d’Edmond Malinvaud écrit en 1950
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Revue d'histoire de la pensée économique
2020 – 1, n° 9. varia - Auteur : Diemer (Arnaud)
- Pages : 91 à 124
- Revue : Revue d’histoire de la pensée économique
FAUT-IL CHOISIR UNE DOCTRINE
AVANT D’éLABORER UNE THÉORIE ?
Retour sur un article d’Edmond Malinvaud écrit en 19501
Arnaud Diemer
Université Clermont Auvergne
CERDI, ERASME
Dans un ouvrage intitulé Les voies de la recherche macroéconomique, Edmond Malinvaud (1991, p. 41) introduisait le chapitre 2 par une question : « faut-il avoir choisi une doctrine ? ». Le souci de l’objectivité recommande que l’on évite tout préjugé, or le poids et la diffusion des idées semblent jouer un rôle important dans l’orientation des travaux des économistes. Près de 20 ans plus tard, Edmond Malinvaud apportera une réponse sans équivoque à cette question2 : « l’histoire de la pensée économique montre que les théoriciens qui ont contribué à 92l’élaboration des théories de la croissance se situaient chacun par référence à un système économique. De ce fait, dans les premières années de l’après-guerre, le choix de ce système apparaissait crucial aux divers courants qui s’exprimaient dans notre profession » (2010, p. 141).
Edmond Malinvaud fait ici référence à un article rédigé en 1950 pour le compte de la Nouvelle Revue d’Économie Contemporaine et intitulé L’expérience travailliste et la pensée économique anglaise. Au lendemain de la guerre, de nombreux pays s’étaient engagés dans la voie de la planification (Shonfield, 1967). Plusieurs raisons expliquaient un tel choix : (i) la mise en place d’une planification autoritaire durant la guerre (c’est ce qui explique la suprématie de l’Allemagne sur les puissances alliées) ; (ii) la destruction de l’outil de production et la désorganisation de la sphère privée ; (iii) les poussées inflationnistes résultant des demandes des consommateurs longtemps restées insatisfaites ; (iv) le déséquilibre de la balance des échanges (importations nettement supérieures aux exportations).
Selon Malinvaud, l’expérience anglaise constituait une étude intéressante pour au moins trois raisons. D’une part, elle constituait une tentative visant à mettre en place le socialisme dans une société démocratique, respectant les libertés individuelles. D’autre part, l’Angleterre symbolisait l’esprit du capitalisme. Une telle expérience méritait que l’on s’y attarde. Enfin, la théorie économique anglaise était la plus avancée de son temps, et l’analyse des travaux des économistes anglais devait permettre de saisir les problèmes et les solutions apportées par une économie planifiée.
Dans ce qui suit, nous souhaiterions revenir sur le contexte et les fondements épistémologiques de l’article d’Edmond Malinvaud. Il constitue à nos yeux, une parfaite illustration des liens ténus entre doctrine3 et théorie, système de pensée et modèles… et donne une 93assez bonne représentation du positionnement de certains économistes français au lendemain de la seconde guerre mondiale. En effet, le cas anglais (et l’article de Malinvaud) renvoyait à deux types d’enjeux : (1) Rendre compte de l’expérience anglaise permettait aux économistes français de mieux appréhender l’organisation économique du modèle français. La France, « terre de tradition étatiste », s’était engagée dès 1946, dans un plan visant à stimuler la croissance économique. (2) Le texte de Malinvaud avait été rédigé à la suite de deux exposés présentés dans le cadre du Centre d’Études Économétriques dirigé par Maurice Allais. Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, ce dernier s’était montré très réservé vis-à-vis des interventions du législateur et de ses motivations concernant les nationalisations : « En fait depuis 1914, et quels qu’aient été les partis politiques au pouvoir, on a peu à peu abandonné, sous la pression des nécessités mal comprises et peut être aussi d’intérêts particuliers, voire politiques, particulièrement agissants, un système qui pendant plus d’un siècle avait pourtant prouvé son extraordinaire efficacité économique, le système des prix déterminé par le mécanisme de l’offre et la demande dans une économie à base concurrentielle. Les interventions du législateur se sont multipliées et aujourd’hui ce système est presque complètement enrayé » (1946a, p. 35) … « Récemment encore, la nationalisation en France d’un certain nombre de grandes entreprises n’a pas été effectuée dans le but d’augmenter leur efficacité, souci qui ne paraît guère avoir inquiété le législateur, mais dans le seul dessein de détruire la puissante publique et financière de leurs anciens dirigeants, question qui est essentiellement une question de répartition » (1946a, p. 81). Opposé à la rupture dogmatique entre planisme autoritaire et laisser-faire, Maurice Allais (1946a, 1961) défendait l’idée d’une troisième voie, la planification concurrentielle (Diemer, 2020).
L’étude du cas anglais (et par effet miroir, du cas français) pouvait donc être le révélateur d’un changement de doctrine : l’engagement de l’Angleterre, le chantre du libéralisme, dans cette troisième voie via la mise en place d’un plan ou le particularisme français, terre étatique, également engagé dans cette troisième voie via l’efficacité économique de la concurrence.
94I. LA PLACE DE LA DOCTRINE
DANS LA COMPRÉHENSION DU SYSTÈME CAPITALISTE
ET DES THÉORIES DE LA CROISSANCE
Même si les modèles économiques de l’après-guerre insistent sur l’origine et les fondements de la croissance (Harrod, Domar, Samuelson…), il nous paraît de plus en plus difficile de rendre compte de ces avancées théoriques sans replacer ces travaux dans un cadre doctrinal et dans les systèmes de pensée qui prévalaient à cette époque (Allais, 1963a, 1963b). En effet, suite à la crise de 1929, le système libéral avait été vivement critiqué et remis en cause dans les années 30. De nombreuses économies (France, Allemagne, Angleterre, Suède…) s’étaient ainsi engagées dans une forme de planification (indicative ou autoritaire) qui tendait à reléguer le libéralisme au rang d’épouvantail. Même si le colloque Lippmann (1938) s’est attelé à renouveler les fondements du libéralisme (on parle alors de néolibéralisme), force est de constater que le paysage doctrinal de l’après-guerre est quelque peu fragmenté (planistes, libéraux, corporatistes…) et que des économies symbolisant l’esprit du capitalisme, en l’occurrence l’Angleterre, n’hésitaient pas à vanter les mérites du plan. Cette partie revient sur cette période afin de mieux comprendre les forces en présence et surtout, de replacer l’article d’Edmond Malinvaud dans les débats d’après-guerre. Pour ce faire, nous reviendrons sur les travaux d’Andrew Shonfield (1967) insistant sur la diversité du capitalisme, puis nous évoquerons la position des néolibéraux lors du colloque Lippmann, puis pendant les années 40 et 50.
I.1 le capitalisme comparÉ et la montÉe du planisme.
Les premières études du capitalisme comparé peuvent être mises à l’actif d’Andrew Shonfield (1967). Les traits caractéristiques de la nouvelle ère du capitalisme qui a débuté au lendemain de la seconde guerre mondiale, furent d’abord la recherche du plein emploi, puis le rythme accéléré du progrès technique. L’accroissement de la productivité du travail (3.5 % en moyenne dans les principaux pays européens) fut tout à fait exceptionnel, elle s’accompagna d’une augmentation de la demande de main d’œuvre et d’un afflux de travailleurs migrants qui 95se déversa en Europe Occidentale. Shonfield insiste particulièrement sur trois réalisations remarquables du capitalisme « moderne » : 1o sa capacité à renverser les pressions qui s’exerçaient en faveur d’un haut niveau de consommation au détriment de l’investissement. La poussée de l’épargne serait le fruit des mesures fiscales, et notamment des exonérations consenties par les différents gouvernements des pays occidentaux aux industriels qui investissaient ; 2o sa volonté d’associer un volet social à la croissance économique : le souci de lutter contre les effets de la maladie, de la pauvreté… a dominé l’histoire politique de la génération d’après-guerre. À l’exception peut-être des États-Unis, tous les gouvernements, de gauche comme de droite, ont rivalisé d’ingéniosité pour revendiquer une intervention toujours plus complexe et perfectionnée de l’État. Si les systèmes d’assurances sociales ne sont pas une nouveauté dans des pays européens comme l’Allemagne (réforme des pensions en 1957) ou la Suède, on insistera surtout sur la vitesse avec laquelle les progrès du revenu national se sont traduits par une augmentation du niveau de vie des personnes non actives ; 3o son aptitude à ne pas déboucher, comme par le passé, sur un infléchissement de la répartition de la valeur ajoutée en faveur des profits et au détriment des salaires.
Selon Shonfield, cette prospérité (mais également sa pérennité) ne peut être attribuée uniquement à un phénomène conjoncturel, elle serait liée dans une très large mesure à la volonté et au savoir-faire du pouvoir politique, ou plus précisément au maniement de l’appareil institutionnel qui oriente la vie de l’Occident. L’examen de ces institutions constituera le thème central des travaux de Shonfield. En effet, ce dernier s’est efforcé de dégager les aspects institutionnels qui caractérisent l’ordre économique apparu dans le capitalisme d’après-guerre. Il note ainsi l’existence de grosses différences dans les institutions économiques des divers pays. Ces différences sont souvent l’objet de querelles idéologiques (relations État – marché), toutefois, note Shonfield (1967, p 66), « lorsque l’on considère la situation dans son ensemble, on constate une certaine uniformité dans la texture de ces sociétés ». Il est ainsi possible d’énumérer quelques traits les plus saillants :
–les pouvoirs publics exercent une influence fortement croissante sur la gestion du système économique. Cette influence s’exerce selon des mécanismes différents d’un pays à l’autre. D’un côté, c’est le 96–contrôle du système bancaire (Italie, Allemagne) qui est décisif, de l’autre c’est l’existence d’un large secteur d’entreprises publiques (pays d’Europe du Nord). Les dépenses publiques (qui puisent leur source dans les théories keynésiennes) ont considérablement augmenté. Elles orientent directement une part importante de l’activité économique de chaque nation.
–Les préoccupations sociales conduisent à l’utilisation de plus en plus large de l’argent public pour aider ceux qui ne travaillent pas (Allemagne, Danemark, France, Norvège, Suède…) ; soit par ce qu’ils sont jeunes et poursuivent des études, soit parce qu’ils sont âgés et à la retraite.
–Dans le secteur privé, la violence du marché a été atténuée. Bien que la concurrence continue à être active dans un certain nombre de domaines, elle tend de plus en plus à être réglementée et contrôlée (c’est l’histoire des lois anti-trusts et des procédures de réglementations/déréglementations aux États-Unis).
–Dans tous les pays capitalistes, on cherche à associer la croissance économique à l’élévation régulière et sensible du revenu réel par habitant. Ces attentes sont contenues dans les procédures de revendications annuelles salariales. Toutefois, comme le rappelle Shonfield (1967, p 68), « pour tirer pleinement profit d’un potentiel industriel accru, il faut introduire des formes nouvelles d’organisation dans deux domaines. Celui, tout d’abord de la recherche & développement. Ensuite de la formation des travailleurs, et plus généralement de l’utilisation efficace des ressources rares en main d’œuvre qualifiée ». Ainsi, on prend de plus en plus conscience, que dans une économie de plein emploi, le progrès technique ne peut être maintenu sans une politique active des pouvoirs publics, visant à accélérer le transfert des travailleurs vers les nouvelles formes d’emplois.
–Enfin, la recherche d’une cohérence intellectuelle caractérise la gestion économique du secteur public comme celle du secteur privé. Deux faits méritent d’être soulignés. On assiste tout d'abord à une transformation des mécanismes de décisions, ceux-ci s’appuient désormais sur des hypothèses optimistes sur les perspectives d’évolution à long terme de la production et de la consommation (logique de planification économique), et non plus sur les fluctuations économiques de court terme. Ensuite, diverses forces 97–indépendantes se sont conjuguées pour accroître les moyens de régulation de l’économie. L’esprit de « modernité » du capitalisme résiderait dans la recherche d’une économie « concertée », où secteur public et secteur privé seraient appelés à la coexistence4 et à la coopération. Cette recherche, rappelle Pierre Massé (1967, p. 9) aurait engendré des « efforts d’organisation, de prévision, de planification et de prospective qui, sous des formes et des noms divers, tendent à réduire l’incertitude, à engendrer l’anti-hasard ».
Au-delà de ces similitudes, Shonfield (1967, p. 72) présentera une typologie du « capitalisme d’aujourd’hui », fonction à la fois de la structure étatique et du degré de planification économique des divers pays. Dans le cadre de la relation État - entreprise, on oppose traditionnellement la France, dont la gestion de la vie économique dépend de la concentration du pouvoir entre les mains d’un petit nombre de personnes « exceptionnellement douées, qui possèdent une capacité de prévision et un jugement qui échappent à la moyenne des entrepreneurs chanceux » (logique de l’État fort) (Dard, 1999a, 1999b) ; à la Grande-Bretagne, pour qui le marché, le petit entrepreneur indépendant et l’État non-interventionniste sont indissolublement liés à la liberté politique (logique de l’État faible). Dans l’optique de la planification économique, de nombreux pays occidentaux se seraient lancés dans un travail de coordination des décisions (France, Grande-Bretagne, Suède, Norvège, Pays-Bas, Belgique, Italie…), toutefois l’intensité avec laquelle ils se seraient engagés dans cette entreprise, serait très variable : à l’un des extrêmes, on trouverait la France5 (et le rôle du Commissariat au Plan) ; à l’autre, l’Italie, qui serait, aux dires de Shonfield, le pays où la planification économique d’ensemble irait le moins loin. Cette typologie n’est toutefois pas une fin en soi, elle permet surtout à Shonfield de démontrer que chaque pays s’inscrit dans l’histoire du capitalisme tout en restant fidèle à son passé et à son caractère national. Les Pays-Bas 98sont connus pour leur expérience des politiques de revenus, motivées par la contrainte de l’équilibre extérieur (particulièrement forte dans un pays de petite dimension). La Suède est souvent rattachée à l’idée d’un dialogue permanent entre organisations patronales et ouvrières, les problèmes sont réglés par des négociations et le gouvernement n’intervient pas. L’expérience italienne est quant à elle liée à un puissant capitalisme d’État né d’un accident historique. La crise des années 30 et la politique menée par le mouvement Nazi auraient ainsi amené l’État à reprendre les entreprises industrielles et financières éprouvées par la récession. Des entreprises publiques, comme l’ENI (Pétrole, Gaz naturel), l’IRI6 (Instituto per la Reconstruzione Industriale) occupèrent ainsi le devant de la scène.
Les différences entre la France et la Grande Bretagne trouveraient également leurs fondements dans les racines et la trajectoire historique des deux nations. En France, la planification n’a pas eu besoin d’être particulièrement stimulée7, l’intervention dans la sphère et la direction de l’économie existait déjà depuis longtemps (colbertisme, État napoléonien…). De plus, l’intervention publique a fréquemment revêtu un caractère discriminatoire, en fait, la discrimination a été dès le début un trait essentiel de la planification française. Telle ou telle entreprise était sélectionnée et incitée à servir les objectifs de la politique gouvernementale. Les principaux moyens de persuasion reposaient sur la fiscalité, les aides financières directes, mais également un ensemble de dispositions financières (prêts de la Caisse des Dépôts et Consignations, du Crédit National, interventions du Commissariat au Plan sur le marché des capitaux, émission d’obligations industrielles subordonnées à l’autorisation préalable du Trésor…) destinés à permettre aux investissements français de se conformer en orientation et en volume aux objectifs fixés par le Plan (Shonfield parle de « Conjuration du Plan »). En Grande-Bretagne, 99tout ce qui pouvait donner à l’État un rôle actif et trop entreprenant (lui permettant notamment de guider la nation selon son intérêt économique collectif à long terme) suscitait automatiquement la méfiance8. L’histoire des Conseils de développement (issue des années de réflexion en matière de planification) est assez symptomatique de l’idée traditionnelle que se faisaient les Britanniques des rapports devant exister entre le secteur privé et la puissance publique. Ces deux pouvoirs devaient être considérés comme absolument distincts l’un de l’autre (il n’y avait donc pas de place pour des relations contractuelles entre le gouvernement et les firmes privées). Enfin, lorsque le gouvernement britannique accepta l’idée d’une planification (période 1962-1963), Shonfield notera que cette dernière se focalisera uniquement sur les problèmes de court terme (recherche d’une méthode qui limiterait l’augmentation des coûts salariaux et des prix dans une période inflationniste), ce qui aboutit à ralentir les progrès d’une partie essentielle de la planification économique. Pour toutes ces raisons, la planification impliquait un apprentissage long et malaisément accepté.
Si la planification économique est l’expression la plus caractéristique du nouveau capitalisme (elle traduit notamment la détermination des différents gouvernements de conduire les évènements économiques plutôt que d’être conduit par eux), si la conception française et anglaise de la planification économique illustrent deux approches majeures du développement du capitalisme dirigé, Shonfield (1967, p. 247) rappelle que deux pays, l’Allemagne et les États-Unis, semblent être en dehors du principal courant décrit précédemment : « Ces pays apprécient peu la structure de plus en plus organisée du comportement économique, qui remplacent les mécanismes traditionnels dans lesquels les décisions sont prises en fonction des fluctuations aléatoires mais indépendantes du marché ». En Allemagne, après la guerre, la politique officielle s’efforcera délibérément de réduire le pouvoir de l’État dans la gestion de l’économie. Toutefois, contrairement à la doctrine américaine du libéralisme économique (qui s’appuyait sur des entreprises petites, 100dispersées et en concurrence), l’industrie allemande préféra promouvoir son système hiérarchique d’associations industrielles, héritage de l’Allemagne impériale renforcé par le régime nazi. Shonfield insiste particulièrement sur l’alchimie entre associations et hiérarchie, et en particulier sur l’organisme central que constitue le Bundesverband der Deutschen Industries. Cette Fédération de l’industrie allemande, créée en 1949 et comprenant 39 fédérations, avait une organisation dont les mécanismes de coordination des décisions reposaient sur un système très hiérarchisé où les associations de rang inférieur ne pouvaient se faire entendre à l’échelon central qu’en passant par l’intermédiaire des Spitzenvenbände (associations principales). Si les institutions et les habitudes allemandes ont favorisé la collaboration au sein des industries, Shonfield note, que dans ce système, les banques allemandes occupent un rôle tutélaire essentiel. Elles constitueraient même le facteur le plus puissant de centralisation des décisions économiques : « En gros, on peut dire que les grandes institutions publiques et semi-publiques sont à l’économie française ce que sont les grandes banques à l’Allemagne » (1967, p. 255). Le retour sur les travaux d’Alfred Marshall, et notamment son ouvrage « Industry and Trade » (1919) – retraçant près de 50 années d’expérience de développement économique européen – nous donne un certain éclairage sur le système allemand. Les banques allemandes auraient selon Marshall, tendance à s’aventurer au-delà de leurs possibilités, en engageant de manière excessive leurs capitaux dans l’octroi de crédits à long terme. Ce résultat serait selon Marshall, principalement lié aux relations étroites que les banques allemandes auraient tissées avec les entreprises allemandes : « chacune des grandes banques a des représentants dans d’autres banques et dans un grand nombre d’entreprises individuelles… Les représentants des banques exercent depuis deux générations au moins un contrôle serré sur les entreprises industrielles qu’elles soutiennent » (Marshall, 1919 ; cité par Shonfield [1967, p. 255]). La manifestation la plus claire de l’influence des banques sur l’industrie allemande est la présence des représentants des grandes banques dans les conseils de surveillance des entreprises (les fameux Aufschtsrat). Mais les banques disposent de bien d’autres moyens de pression tels que la possibilité d’utiliser de nombreux pouvoirs en blanc des actionnaires ; le pouvoir d’exercer des interventions sur les marchés financiers ; l’alliance passée avec les autorités publiques (particulièrement sensible dans le cas 101des aides et prêts à taux d’intérêt réduit alloués par le gouvernement fédéral aux entreprises). Force est de constater que les banques ont un statut tout à fait particulier, eu qu’elles jouissent, comme le rappelle Shonfield (1967, p. 271) d’une position « para-étatique »
La position des États-Unis, ne peut quant à elle se comprendre, sans faire référence au rôle ambigu des pouvoirs publics. Shonfield (1967, p. 307) note que « l’ensemble des américains tout comme leurs deux partis politiques, est convaincu de la prédominance naturelle de l’entreprise privée dans le domaine économique et du rôle subordonné de l’initiative publiqueen toute hypothèse, sauf crise nationale ». Le système de l’entreprise privée serait donc le fondement de l’économie américaine, et l’hostilité à l’initiative publique, profondément ancrée dans les croyances. Mais cela ne veut pas dire que dans la pratique, l’entreprise privée ait la voie totalement libre. La Securities and Exchange Commission (Commission des valeurs mobilières et des Bourses de valeurs) a toujours été beaucoup plus stricte que ses homologues européennes en fixant le nombre et le détail des rapports que les sociétés cotées devaient fournir. Certaines réglementations (restrictions agricoles, pétrolières…) intervenaient directement dans les décisions de l’entreprise… Ainsi, historiquement, le capitalisme américain, notamment dans sa période de formation9, était bien plus disposé que son homologue britannique à accepter l’intervention des autorités publiques. Par la suite, l’évolution du pouvoir économique public se déroulera selon un processus dialectique comportant plusieurs phases, chacune marquée par la prédominance d’une initiative sur l’autre. Le capitalisme d’après-guerre serait ainsi caractérisé par la formulation d’une thèse hostile à la concentration planifiée des ressources. Cette tendance au retour du libéralisme économique, Shonfield la situe plus précisément durant les années 50 avec les thèses rostowiennes sur la croissance et le développement (notamment ses deux ouvrages ; Planning for Freedom en 1959 ; et The stages ofEconomic Growth en 1960). L’entreprise privée, devient dès lors, la condition nécessaire à la survie du système démocratique américain.
Si l’ouvrage de Shonfield a le mérite de proposer une typologie du capitalisme comparé en s’appuyant sur deux institutions (État – Marché) et deux courants doctrinaux (le planisme et le libéralisme), il reste en 102revanche muet sur les différents contextes et réseaux à l’origine des débats idéologiques. Et notamment, sur le renouveau des idées libérales impulsée par le Colloque Lippmann et l’amoncellement d’une troisième voie (prônée notamment par Lionel Robbins).
I.2. Du colloque lippmann au renouveau des idÉes libÉrales
À la suite de la Grande dépression de 1929 et de la remise en cause du libéralisme, un certain nombre d’économistes d’inspiration libérale vont s’engager dans un vaste mouvement, visant d’une part, à faire renaître le libéralisme face à la poussée du collectivisme et du planisme (c’est le cas de Von Mises et de Friedrich Hayek) et d’autre part, à poser les bases d’une refondation du libéralisme (c’est la position de Walter Lippmann, Louis Rougier, Wilhelm Röpke…). Ce mouvement n’est pas homogène (Denord, 2007). Louis Rougier10 en a bien conscience lorsqu’il rappelle que ce sont tout d’abord des idées dispersées qui esquissent vers la fin des années 30 « les linéaments d’une doctrine appelée par les uns, libéralisme constructeur, désignée par les autres néo-capitalismes et auquel l’usage semble prévaloir de donner le nom de néo-libéralisme » (1939, p. 9). Cependant le cœur de cette doctrine est constitué des deux positions suivantes :
1. énoncer la montée du collectivisme et du planisme (le planisme autoritaire a rejeté l’organisation économique basée sur la concurrence en préconisant l’emploi d’une direction centralisée à toute l’économie) ;
2. rejeter les thèses défendues par les tenants du laisser-fairisme (ce dernier a jeté les bases de la représentation du régime juridique du libéralisme – propriété privée et contrats – en idéalisant l’économie concurrentielle parfaite et en rejetant l’intervention de l’État).
Indéniablement, le colloque Lippmann, qui s’est déroulé à Paris (Institut international de coopération intellectuelle), du 26 au 30 août 1938, peut 103être présenté comme la première pierre de l’édifice (Cros, 1950 ; Denord, 2001 ; Augier, 2008), une esquisse d’institutionnalisation du libéralisme dans l’histoire des faits et des idées. Ce colloque fût organisé par Louis Rougier11 à la suite de la parution de l’ouvrage de Walter Lippmann, The Principles of the Good Society (1937), qui aura un énorme retentissement sur le milieu intellectuel dans sa quête de liberté12 (Maurois, 1938). Traduit en français dès 1938, sous le titre La cité libre (éditions de Médicis), cet ouvrage se divise en deux parties (Clave, 2004). La première partie présente les théories et les actes du mouvement socialiste qui, dès 1870, s’est efforcé d’instituer un ordre social dirigé13 : « Entre 1848 et 1870, le climat intellectuel de la société occidentale changea. L’ascension du collectivisme commença. L’Angleterre reste fidèle au libre échange jusqu’à la guerre de 1914, mais partout ailleurs, la doctrine protectionniste croissait en popularité » (Lippmann, 1938, p. 55). La seconde partie cherche à comprendre pourquoi le développement de la pensée libérale s’est trouvé arrêté et pourquoi le libéralisme a perdu son influence sur le monde des affaires.
Les idées maîtresses de ce livre font écho à celles formulées au même moment par des auteurs tels que Jacques Rueff (La crise du capitalisme, 1935) ; Ludwig von Mises (Le socialisme, 1938) ; Lionel Robbins (L’économie planifiée et l’ordre international, 1938) ; Walter Lippmann (La Cité libre, 1938), Louis Rougier (Les mystiques économiques, 1938) ; Bernard Lavergne (Grandeur et déclin du capitalisme, 1938) ; Louis Marlio (Le sort du capitalisme, 1938). Le colloque Lippmann devait ainsi permettre aux différents protagonistes du colloque de se réunir en vue de « réviser le procès du capitalisme et de chercher à définir la doctrine, les conditions de sa réalisation, les tâches nouvelles d’un libéralisme véritable » (Rougier, 1939, 104ibid.). Pour Walter Lippmann, le colloque devait marquer le renouveau du libéralisme, c’est-à-dire rompre avec une philosophie héritée du 19e siècle. Une philosophie qui s’est révélée incapable de se perpétuer : « nous perdrions notre temps si nous nous imaginions que défendre la cause de la liberté équivaut à espérer que l’humanité revienne naïvement et sans réserve au libéralisme d’avant-guerre » (Lippmann, 1938, p. 14). La doctrine libérale devait donc être révisée, tout restait à écrire, mais pour cela, il convenait de s’attaquer au communisme, au national-socialisme et au fascisme, lesquels remettent en cause les fondements juridiques (la loi, la propriété privée, l’État) et moraux (l’équité, la justice) des sociétés occidentales.
Si le colloque Lippmann a donné une large place au sens à donner au mot libéralisme14, les débats ont montré que « penser le renouveau du libéralisme » n’était ni une question simple, ni l’expression d’un consensus (Margairaz, 1991a, 1991b). Au contraire, le colloque a révélé toute l’hétérogénéité de la pensée libérale (Nadeau, 2007, Denord, 2008). Les différents protagonistes prirent cependant le temps de proposer à la fin du colloque, une liste de problèmes théoriques et pratiques d’un retour au libéralisme, une manière d’harmoniser les positions de chacun et de fixer les futures orientations, notamment la création du Centre international de refondation du libéralisme (CIRL). Ce centre devait être divisé en 4 sections : une section américaine que devait développer Lippmann, une section française entre les mains de Rougier, Rueff, Marlio, Baudin ; une section allemande dirigée par Röpke et une section anglaise avec les figures emblématiques d’Hayek et Robbins.
105I.3. lionel robbins, maurice allais
et l ’ idÉe d ’ un planisme libÉral
Les travaux de Lionel Robbins méritent que l’on s’y arrête quelque peu, son regard sur l’Angleterre des années 30 et l’évocation d’une troisième voie (entre planisme et libéralisme) ont constitué pour Edmond Malinvaud, un puissant outil de réflexion.
Dans un ouvrage traduit en français par la Librairie de Médicis (nouvel outil de propagande du néolibéralisme) et intitulé L’économie planifiée et l’ordre international (1938), Lionel Robbins s’est appuyé sur une étude documentée des plans utilisés dans les économies occidentales et orientales à la suite de la crise de 1929. Il note que si le planisme national mène au gaspillage et à l’insécurité et que le planisme international de certaines branches du commerce et de l’industrie n’améliore pas la situation, la solution pourrait prendre la forme d’un planisme libéral. En effet, contrairement à ce que l’on a coutume d’admettre, les concepts de plan et de libéralisme ne sont pas antinomiques. L’essence d’un plan, c’est qu’il constitue une tentative d’adaptation des moyens aux fins : « dans un monde soumis aux changements, l’essence et la condition de succès d’un plan organisant la production, c’est qu’il fournisse une continuelle adaptation aux variations des conditions techniques et des demandes des consommateurs » (Robbins, 1938, p. 201). Or, le libéralisme international se présente généralement « comme un ensemble d’institutions spécialement désignées pour faire face aux difficultés de l’organisation économique sur une échelle internationale » (ibid.). Le gouvernement et les organismes d’État joueraient ainsi un rôle des plus importants et des plus indispensables dans le plan libéral.
Selon Robbins, c’est faute d’avoir perçu cette coopération que les libéraux du xixe siècle ont dénié toute fonction au gouvernement et bâti leur philosophie sur un ensemble de croyances naïves. En effet, si le marché libre et la propriété privée sont les symboles du libéralisme, ils n’existent et ne sont maintenus que dans le cadre des institutions. En somme, ni la propriété, ni les contrats ne sont naturels et spontanés, ils sont essentiellement la création de lois complexes15 : « L’idée 106d’une coordination des activités humaines au moyen d’un système de règles impersonnelles, à l’intérieur duquel les relations spontanées qui se produisent conduisent au bénéfice mutuel, est une conception au moins aussi subtile, au moins aussi ambitieuse que celle qui consiste à faire prescrire de façon positive chaque action ou chaque catégorie d’actions par une autorité planiste centrale : et elle n’est peut-être pas en moindre harmonie avec les besoins d’une société spirituellement saine. Nous pouvons blâmer les enthousiastes qui, dans leur intérêt trop poussé à l’égard de ce qui se passait sur le marché, n’ont pas accordé assez d’attention à son armature indispensable. Mais que dirons-nous de ceux qui discutent perpétuellement comme si cette armature n’existait pas ? » (Robbins, 1938, p. 204).
Robbins ne s’arrête cependant pas là, il reconnaît que le maintien du système libéral n’épuise pas les attributions de l’État. Le système de marché comporte en effet des limites. D’un côté, il existe des besoins qui ne peuvent être satisfaits que de façon collective (exemple des services sociaux, des procédures de vaccination à grande échelle). De l’autre, certains besoins formulés individuellement, ne peuvent pas engendrer une réponse privée et spontanée (exemple des voies de communications).
Ainsi, il serait faux de considérer que les propositions du libéralisme excluent toute forme de plan et que ce sont les institutions libérales qui seraient à l’origine du chaos laissé par la crise de 1929. Le libéralisme serait un plan qui n’a encore jamais eu la chance de s’exercer. Les corporations, les monopoles, les tarifs protecteurs… n’ont pas permis au planisme libéral de s’exprimer totalement. Robbins en appelle ici à l’histoire. De 1840 à 1870, le courant libéral s’est répandu dans toute l’Europe (diminution des tarifs douaniers, liberté individuelle, entreprises indépendantes, division internationale du travail, Traité du commerce franco-anglais de 1860…) sans pour autant parvenir à y prendre racine. Robbins avance trois explications susceptibles d’expliquer cet échec. Dans un premier temps, le modèle libéral anglais s’est heurté au modèle de l’État social allemand. L’échec de 1848 et l’unification de l’Allemagne par les armes et le sang vont créer toutes les conditions d’un retour aux principes mercantilistes. Le système de List et Schmoller se substitue à 107celui de Smith et Ricardo. En 1880, Bismarck impose de lourdes taxes sur le fer et l’acier. Dans un deuxième temps, les efforts du socialisme visant à proposer une organisation économique différente du modèle de la libre entreprise, donnent des résultats mitigés. Le socialisme utopique de Saint-Simon, d’Owen, de Fourier, de Cabet qui renvoie directement au mouvement coopératif et syndicaliste, ainsi qu’aux nombreuses expériences communautaires (les fameux phalanstères de Fourier ou les usines modèles d’Owen) décline à partir de 1870. Il est supplanté par le marxisme qui s’impose comme l’idéologie majeure du socialisme : « Avec le déclin des utopistes français, le socialisme retomba dans le mysticisme messianique du déterminisme marxiste – ou s’allia aux intérêts spéciaux du restrictionnisme syndicaliste. Sa propagande, bien que se disant internationale, eut pour effet d’affaiblir la confiance dans la liberté du marché et de fortifier le mouvement vers la restauration des contrôles internationaux » (Robbins, 1938, p. 210). Dans un troisième temps, les premiers libéraux n’ont pas cerné les véritables enjeux et la portée de leurs réformes. L’harmonie des intérêts individuels ne pouvait pas se satisfaire d’un cadre national. Tôt ou tard, les politiques suivies laissaient souvent la place aux intérêts particuliers et aux retours des privilèges. La réaction nationale (notamment l’arrivée au pouvoir d’Hitler) a joué un rôle important dans l’arrêt de l’extension du libéralisme. Ainsi, depuis 1870, la sphère internationale serait sous l’influence de la pensée allemande et de la politique allemande. Le planisme libéral n’a jamais pu être mise en place, écrasé qu’il était par la réaction de forces contraires : « Il est difficile d’exagérer l’influence exercée par l’existence, au centre de la civilisation européenne, d’une puissance dont les dirigeants et les penseurs rejetaient ouvertement le libéralisme et considéraient les idéaux ataviques de l’impérialisme comme le premier et le dernier mot de toute politique » (Robbins, 1938, p. 211).
Au final, Lionel Robbins prône la nécessité d’instaurer un libéralisme international. Pour ce faire, il convient de définir un cadre légal approprié au fonctionnement des marchés et au maintien de la propriété privé. Le gouvernement devra participer à l’édification de ce cadre et suppléer aux principes de la propriété privée lorsque ces derniers sont inapplicables ou attaqués. Le renouveau du libéralisme passe également par une exposition juste et complète de ses avantages et limites. D’une part, face à une société nécessairement imparfaite (distribution 108des richesses), on ne peut espérer constituer un système pur. Une autre manière de rappeler qu’il serait « faux de revendiquer, pour le système libéral, une perpétuelle réussite de l’équilibre parfait de la concurrence telle que l’énonce la théorie pure » (Robbins, 1938, p. 229). À défaut d’une perfection des calculs économiques qu’offrent les modèles abstraits, il convient de rechercher les institutions qui permettent à la concurrence de s’exprimer dans la pratique. D’autre part, le libéralisme n’est pas exempt d’erreurs. L’acte de production repose sur l’anticipation de la demande. Or rien ne nous garantit que les anticipations des producteurs seront auto-réalisées. Ces dernières peuvent être imparfaites et amener le marché à sanctionner les plans défectueux : « C’est un trait essentiel du système libéral que les dirigeants de l’industrie ne sont pas à l’abri des conséquences de leurs propres erreurs. Les organismes gouvernementaux ont leurs fonctions propres. Ce n’est pas le rôle de ces fonctions d’empêcher les pressions caractéristiques du marché de se produire » (Robbins, 1938, p. 230). Dans certains cas, l’erreur collective prendra la forme d’un effet de contagion et conduira à des errements importants. Selon Robbins, il conviendra de développer les institutions de marché capables d’atténuer ces fluctuations.
Les travaux de Lionel Robbins ont eu une certaine influence sur ceux de Maurice Allais16 (1946, 1947, 1949, 1950). Cherchant à dépasser l’opposition systématique entre les partisans de l’organisation libérale manchestérienne et ceux de la planification centralisée, Maurice Allais considérait que le planisme concurrentiel pouvait conjuguer à la fois « les avantages fondamentaux d’une économie de marché et ceux d’une action consciente de l’État suivant un Plan en vue de la réalisation d’une économie à la fois plus efficace et plus juste » (Allais, 1947a, p. 1). Par l’intermédiaire du planisme concurrentiel, Allais entendait ainsi poser les bases normatives et positives du néolibéralisme français17 en analy109sant précisément l’interdépendance entre deux institutions, le marché et l’État. Le « laisser-fairisme » manchestérien, rappelle Maurice Allais (1945b), a conduit les libéraux à la conception d’un monde imaginaire de concurrence parfaite dans lequel les problèmes posés par la production, la répartition se trouvaient résolus. Ce « laisser-fairisme » aurait introduit deux biais : la représentation du régime juridique de la propriété et des contrats, régis par un droit naturel révélé par la Providence ; l’idéalisation d’une économie concurrentielle parfaite et le rejet de l’ingérence de l’État. La doctrine totalitaire repose quant à elle sur l’idée qu’il existerait une autorité centrale capable de planifier, d’organiser et de diriger de manière efficace une économie complexe (Lange, 1949).
La planification concurrentielle aboutit ainsi à l’affirmation suivante : si l’intérêt individuel, guidé par la liberté économique, constitue bien un moteur, il ne faut pas que cette liberté dégénère en anarchie. Il convient de l’organiser par la loi dans un cadre juridique qui satisfasse l’intérêt général : « Essentiellement bienfaisante, la concurrence est possible, mais elle n’est pas spontanée, ni automatique et elle ne peut nécessairement exister qu’organisée dans le cadre de la loi » (Allais, 1946b, p. 1). Cette inspiration très institutionnaliste fait de Maurice Allais un partisan de l’économie concurrentielle organisée (Allais, 1947a, 1947b, 1947c, 1948a, 1948b). La condition essentielle de la liberté économique, c’est l’autorité toute puissante de l’État, notamment pour supprimer les profits des monopoles et les rentes de rareté (terre).
110II. L’EXPÉRIENCE TRAVAILLISTE
VUE PAR EDMOND MALINVAUD
C’est au prisme de cette grille de lecture qu’il convient de replacer l’étude d’Edmond Malinvaud et sa réflexion sur l’expérience anglaise en matière de planisme. En effet, la planification concurrentielle allaisienne soulevait un double enjeu.
–elle permettait de dissocier les économies à planification centrale des économies comportant un plan. Par cette distinction, Maurice Allais entendait faire du Plan, une « idée force », dans la diffusion de ses travaux, mais également rappeler que le planisme continuait à gagner du terrain (Myrdal, 1960). Au lendemain de la 2de Guerre mondiale, Maurice Allais n’hésitait pas à attribuer l’inefficience de l’économie française à son organisation institutionnelle, planificatrice et autoritaire : « Le second facteur qui, à notre avis, permet d’expliquer pour une grande part la supériorité d’efficience actuelle des États-Unis, c’est l’organisation concurrentielle à base de prix de marché extrêmement favorable à la production, qui caractérise l’économie américaine alors l’économie française étouffe dans bien des secteurs, dans le carcan d’une planification centrale et autoritaire dont les méfaits ne devront jamais être dénoncés avec trop de force » (Allais, 1949f, p. 191). Le capitalisme français, associé à partir de 1946 au système d’interventions et d’incitations sélectives de hauts commissaires (Commissariat au Plan), était selon lui incompatible avec les principes de l’organisation concurrentielle et du Traité de Rome (1958) : « Si dans son principe fondamental, la planification française dite indicative, correspond assez bien à ce que pourrait être une politique cohérente s’efforçant de promouvoir une situation d’efficacité maximum, elle montre dans ses déviations quelle distance il peut y avoir entre un principe déclaré et ses applications… Dans son principe, la planification française repose essentiellement sur la conjugaison de deux éléments : le fonctionnement d’une économie de marchés et la diffusion d’une large information concernant l’évolution probable de l’économie, compte tenu des 111–déclarations du gouvernement concernant sa propre sphère. Dans son principe, elle laisse entièrement au marché le soin de résoudre les conditions correspondant à une situation d’efficacité maximum… Malheureusement sur le plan des applications… la politique française et le plan lui-même présentent d’innombrables déviations. Partout les autorités publiques multiplient leurs interventions sélectives et discrétionnaires » (Allais, 1967, p. 89-91). Dans les années 60, période phare de l’ingénieur économiste (Terray, 2003), la planification française rechercha « une voie moyenne conciliant l’attachement à la liberté et à l’initiative individuelles avec une orientation commune du développement » (Massé, 1965, p. 144). Il s’agissait à la fois « de préserver l’économie de marché de déviations souvent tentantes » et « d’écarter la tentation dirigiste et ses effets pervers » (Massé, 2002, p. 139). La notion de planification indicative fut ainsi progressivement abandonnée au profit de celle de programmation. La planification mettait ainsi davantage l’accent sur la notion de prospective économique. Le modèle français pouvait dès lors réunir une philosophie inspirée du principe de l’économie de marché et des dispositions inspirées de l’économie du Plan, une forme d’institutionnalisme à la Française.
–Elle supposait de se désolidariser18 de la position très dogmatique de Friedrich Hayek (son refus catégorique de toute propriété collectiviste et de toute intervention de l’État). Ayant participé en avril 1947, aux côtés notamment de Milton Friedman, Ludwig von Mises, Friedrich Hayek, Franck Knight, Lionel Robbins, George Stigler à la réunion de la société du Mont Pèlerin, Maurice Allais refusa de signer le texte constitutif. Il motiva ce refus en rappelant qu’il avait toujours été partisan de la propriété collective toutes les fois où la structure économique d’un secteur ne pouvait pas se prêter à la concurrence (Allais, 1946d, 1947d, 1948c).
Ainsi, lorsqu’Edmond Malinvaud (1950) aborde la question des leçons du planisme travailliste, ce travail a un triple enjeu : (i) présenter les problèmes soulevés par la direction autoritaire de la production ; (ii) 112analyser les avantages du planisme pendant la guerre et durant la paix ; (iii) préciser les domaines d’intervention de l’activité gouvernementale (chômage, inflation, investissements, relations économiques avec l’extérieur). Edmond Malinvaud nous présente une Angleterre19 affaiblie par un effort de guerre soutenu. Les difficultés auxquelles elle devait faire face, étaient les suivantes :
1. l’anéantissement de toute puissance militaire dans l’Europe occidentale l’obligeait à accroître ses dépenses militaires (8 % du revenu national en 1948),
2. les poussées inflationnistes étaient importantes, elles provenaient à la fois de la demande des consommateurs et de l’accroissement de la circulation monétaire (460 à 1340 millions de livres de 1938 à 1945),
3. les destructions occasionnées par la guerre avaient réduit la richesse et le patrimoine du pays,
4. les échanges extérieurs étaient en déséquilibre, ceci était dû à une balance commerciale déficitaire et une baisse des placements à l’étranger.
Pour faire face à ces difficultés, le gouvernement travailliste disposait d’un programme économique articulé autour d’un ensemble de contrôles gouvernementaux. Un tel choix se trouvait conforté par plusieurs faits : l’efficacité du modèle dirigiste allemand durant la guerre ; le souvenir encore présent de la crise de 1929 et de la montée du chômage de masse ; l’engouement pour les thèses keynésiennes qui plaçaient le retour au plein emploi au centre des préoccupations des économistes et des décideurs gouvernementaux, en l’occurrence le « Labour Party ».
« Le planisme corporatif », inspiré à la fois par les études des partis politiques (proche du gouvernement20 ou dans l’opposition21) et les conférences d’Oliver Francks (regroupées sous le titre Central Planning and Control in War and Peace), fût présenté comme la solution économique la plus efficace en situation de paix. Le plan devait prendre les trois traits suivants. Il s’agissait tout d’abord d’un ensemble de décisions 113politiques exprimées quantitativement sous forme de programmes. Ces programmes devaient s’attaquer aux secteurs et aux activités les plus vulnérables de l’économie. Il convenait ensuite de ne pas engendrer une organisation rigide du système productif, remettant en cause les libertés individuelles. Il fallait enfin que le principe de collaboration entre l’administration et les branches professionnelles soit placé au cœur du dispositif (chaque branche ou secteur applique les décisions de l’Administration en fonction de ses spécificités).
Selon Malinvaud, un tel plan suggérait deux types de réflexions. D’une part, il était nécessaire que l’Administration définisse les secteurs ou les entreprises pour lesquels la gestion publique se substituerait à la gestion privée. La théorie économique (libérale) considère que la gestion publique peut être imposée lorsqu’il est impossible de faire supporter à l’usager le coût du service, lorsque les conditions techniques ou la taille du marché requièrent la concentration de l’offre (pour éviter l’apparition de rentes monopolistiques, on pouvait préconiser la nationalisation), lorsque les entreprises privées sont incapables de réaliser les investissements nécessaires. Notons ici qu’Edmond Malinvaud s’appuie sur la théorie du rendement social de Maurice Allais (1943, 1945) pour légitimer la présence d’un secteur nationalisé tout en précisant les traits de ce choix : « 1o La nationalisation n’est pas essentielle pour la planification ; il est en effet très possible de diriger un secteur sans que l’exécutant soit nommé et rémunéré directement par l’État. 2o La nationalisation n’est pas suffisante pour rendre effectifle contrôle gouvernemental ; il est indispensable qu’une réglementation aussi stricte soit prévue pour les entreprises publiques que pour les entreprises privées. 3o La nationalisation de secteurs industriels entiers est souvent une opération maladroite. La meilleure solution consisterait à laisser subsister côte à côte des entreprises publiques et des entreprises privées en concurrence entre elles. L’expérience permettrait ainsi de décider quelle est dans chaque cas la meilleure forme de gestion » (1950, p. 21). D’autre part, il était impératif de préciser comment l’Administration pourrait imposer la réalisation des objectifs du plan aux secteurs dont la gestion privée était maintenue (Allais, 1938a, 1938b, 1938c). Sur ce point, les travaux de Laski (1942) et Henderson (1947) considéraient que les nationalisations de quatre secteurs phares (distribution du capital et du crédit, commerce avec l’étranger, transports et énergie, terre) permettraient à l’État de 114diriger l’économie sans utiliser de méthodes totalitaires (c’est-à-dire sans remettre en cause les libertés individuelles).
Si le « planisme démocratique » devait se présenter comme une alternative au « planisme totalitaire », Malinvaud note que l’expérience travailliste a montré la difficulté de suivre une telle voie. En effet, durant la première période du plan, les programmes et les objectifs furent assez souples pour que le système économique s’ajuste sans à-coups et que l’État impulse une véritable dynamique économique. Cependant, les périodes qui suivirent, furent marquées par un renforcement des pouvoirs de direction de l’État et la mise en place de mesures de restrictions (en matière de consommation) et de contrôle (en matière de déplacements des travailleurs). Dans la droite lignée des thèses hayekiennes (parution de l’ouvrage, la route de la servitude), de nombreux économistes (Meade, Lewis…) rappelèrent qu’en l’absence d’un système de prix et du jeu du marché, le gouvernement avait été amené à prendre des mesures directives et complexes allant à l’encontre des libertés individuelles. Selon Malinvaud, ces idées ne remettaient nullement en cause l’interventionnisme de l’État (ce qui était pourtant la position d’Hayek), elles soulignaient simplement le fait que les actions de l’État devaient s’inscrire dans un cadre d’économie de marché : « La très grande majorité des économistes en vint alors à préconiser avec force le passage à un régime plus soucieux des lois élémentaires de l’offre et la demande. On remarqua alors de divers côtés que les buts du socialisme n’étaient pas compatibles avec une certaine dose de libéralisme et qu’ils seraient plus facilement atteints par l’intermédiaire du mécanisme des prix que par tout autre moyen. Le planism by inducement devait être préféré au planism by direction ; non seulement il est plus conforme aux buts de la Démocratie, mais encore il permettait d’atteindre un niveau plus élevé d’efficacité » (Malinvaud, 1950, p. 22).
Ce résultat en appelait un autre, il signifiait qu’il fallait dissocier l’efficacité du planisme en fonction de l’économie guerre et de l’économie de paix. Dans son ouvrage The Economic Problem in Peace and War (1947), Lionel Robbins est revenu sur la thèse selon laquelle il serait possible de faire fonctionner une économie de guerre sans remettre en cause le mécanisme de prix. Jugeant que cette thèse n’avait jamais été expérimentée, Robbins considérait qu’en temps de guerre, certains facteurs rendaient l’économie planifiée plus efficace. Le planisme pouvait s’appuyer sur un esprit de 115discipline, sur le goût du sacrifice (notamment des valeurs démocratiques), sur la poursuite d’un objectif commun (la victoire, le succès). Toutefois, ces avantages disparaissaient dès que la paix reprenait ses droits. Le mécanisme des prix devait entraîner la disparition des goulots d’étranglement, permettre une meilleure allocation optimale des ressources, inciter les individus à donner le meilleur d’eux-mêmes pour le bien-être de la collectivité. Si la plupart des économistes anglais étaient d’accord sur le fait qu’il convenait d’accorder plus d’importance au système des prix, le débat se focalisa sur la transition d’une économie de guerre à une économie de paix. Deux courants de pensée s’opposaient. Les uns (Meade) proposaient un retour progressif à la concurrence et à l’économie de marché. L’État devait accompagner cette période de transition. Les autres (Balogh, Beveridge, Hawtrey) militaient en faveur du maintien de la planification, la seule organisation susceptible de générer le progrès économique.
Dans la suite de son étude, Edmond Malinvaud choisira d’aborder trois domaines de l’action gouvernementale : le plein emploi, les investissements et les relations extérieures. D’une certaine manière, ces trois aspects de la politique économique de l’État renvoient à une forme de contrôle de la demande globale.
–Dans le cas du plein emploi, Malinvaud renvoie ses lecteurs aux thèses de Keynes et de Sir Beveridge (notamment son ouvrage traduit en français, Du travail pour tous dans une société libre, 1944). La théorie keynésienne a obligé le gouvernement anglais à reconsidérer la nature du budget de l’État. Il s’agissait de passer d’une logique d’équilibre des finances publiques et de minimisation des dépenses à celle de déséquilibre budgétaire et de hausse des dépenses publiques. Reste à savoir si cette politique ne sera pas synonyme d’inflation (des poussées inflationnistes apparurent en 1947 et en 1949, elles eurent pour conséquences d’obliger le gouvernement à étendre son contrôle sur les prix et les quantités vendues). Dans ce cas, une politique monétaire visant à agir sur le volume de la demande par la modification des taux d’intérêt, l’aménagement de la distribution du crédit ou par la mise en place des opérations d’open market, pourrait s’avérer plus efficace. On retrouve ici le clivage entre monétaristes et keynésiens, qui constituera la trame principale des débats théoriques des années 60 et 70.
116–Concernant le volume de l’investissement, il semblerait que la politique de bas taux d’intérêt de l’État ait entrainé une hausse des investissements dépassant les possibilités du pays (Meade, 1948). Selon Malinvaud, cette surestimation des investissements serait entachée d’une autre erreur consistant à privilégier l’actualisation des gains futurs au coût réel immédiat.
–Enfin, s’agissant des relations économiques extérieures, le gouvernement s’était engagé en 1946 dans une politique mercantile associant contrats bilatéraux et stratégies de prix (le but étant d’acheter au prix le plus bas et de vendre au prix le plus élevé). Cette stratégie n’aurait pas eu les effets escomptés, au lieu d’échapper aux fluctuations des prix du commerce international, l’économie britannique aurait subi les modifications de prix par paliers successifs.
Au terme de cette analyse, Edmond Malinvaud en arrivait aux conclusions suivantes : « Nous avons vu que le planisme suivi avait été assez néfaste pour l’efficacité économique parce qu’il avait refusé de tenir compte des forces du marché et de les laisser fonctionner dans le sens où elles auraient été salutaires… Depuis 1930, l’égarement des esprits en matière économique avait été porté à son comble ; on en était venu à contester les vérités les plus simples et les plus élémentaires ; le courant de la pensée keynésien avait aggravé cet état des choses en laissant l’impression que les dirigeants disposaient de nouveaux outils qui leur permettaient de réaliser le plein emploi, de hauts niveaux de vie et la liberté pour tous sans se soucier de principes autrefois mis en avant : équilibre du budget, valeur du libéralisme international, ordre de l’économie de marché, etc. » (Malinvaud, 1950, p. 16). En 2010, Edmond Malinvaud reviendra sur ce dernier alinéa en précisant qu’il n’avait alors pas bien assimilé la pensée keynésienne, ni même anticipé le poids qu’elle aurait durant les deux décennies qui suivirent, profondément influencé alors par les thèses de Maurice Allais22 : « La bibliographie sélectionnée figurant au bas de mon article ne citait aucune des pièces existantes alors sur cette pensée, qu’il s’agisse de l’ouvrage clé de J. Keynes, de l’article 117théorique de J. Hicks ou des contributions des membres les plus influents de Cambridge (J. Robinson, R. Kahn, N. Kaldor), alors que, outre divers articles sur la planification, figuraient aussi dans ma bibliographie des auteurs libéraux (T. Balogh, F. Hayek, L. Robbins) » (2010, p. 141).
CONCLUSION
Les années 1940-1950 sont généralement présentées comme des années fastes pour la science économique. Elles font état à la fois, de la résurgence des idées libérales à la suite du colloque Lippmann (1938) ; des nombreuses expériences en matière de planification économique dans les pays européens (Shonfield, 1967) ; de la lente émergence de la comptabilité nationale (Vanoli, 2002) et de la macroéconomie ; et des premières tentatives de synthèse doctrinale autour de la question de la croissance économique. Certains économistes français entendent bien participer à cette émancipation de leur discipline, et leurs regards sont tournés notamment vers l’Angleterre, terre du capitalisme commercial et du libéralisme économique, mais engagée dans une réflexion en matière de planification. L’article de Malinvaud intitulé « L’expérience travailliste et la pensée économique » et rédigé en 1950, apporte un éclairage sur cette période et met en lumière les liens ténus entre théorie et doctrine. Son analyse permet de comprendre à la fois, les discussions en matière d’organisation économique (planification vs concurrence) au lendemain de la seconde guerre mondiale ; le souhait de certains économistes français de suivre les diverses expériences européennes en matière de planification et l’état des connaissances en matière d’histoire des idées durant cette même période. L’article met surtout en lumière deux faits marquants : (i) la difficulté pour les économistes des années 40 et 50 à cerner les apports des courants de pensée émergents (à l’image du keynésianisme) ; (ii) le point de tension entre théorie et doctrine, illustré par la recherche d’une troisième voie revendiquant des racines libérales tout en militant pour une forme de planification indicative. Il est ainsi possible de mieux appréhender le contexte théorique et doctrinal qui constituera le socle du modèle français des années 60 et inaugurera l’ère de l’ingénieur économiste.
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1 Je remercie les deux rapporteurs, qui par leurs commentaires et leurs réflexions, ont permis d’améliorer la qualité de l’article et de suggérer des pistes de travail intéressantes.
2 Il nous semble important de signaler ici que l’article de Malinvaud se situe à une période charnière, celle du débat entre doctrine et théorie. Il ne faut pas oublier qu’Edmond Malinvaud s’est profondément engagé dans l’utilisation et le perfectionnement de la théorie néo-classique de l’équilibre général, comme en témoignent les auteurs qui l’ont inspiré et dont il souligne la proximité intellectuelle (Gérard Debreu, Maurice Allais, Marcel Boiteux, Pierre Massé…). Pour ces auteurs, quelles que soient leurs convictions sur le système économique optimal, la théorie de référence est la théorie néo-classique. Conscients des limites des hypothèses faites par Walras (Malinvaud, 2012), les questions qui se posent (la complexité des situations de marché) sont des questions à résoudre dans le cadre d’un approfondissement de la théorie néoclassique de l’équilibre général. Malinvaud abordera ainsi, après la question de la planification concurrentielle, celle de l’incertitude, de l’économie des déséquilibres à prix fixés, des équilibres de sous-emploi. Ces questions constituent pour lui, comme pour beaucoup d’autres, un « challenge » en vue d’une extension de la théorie de l’équilibre général avec la perspective de lui permettre de rendre compte le mieux possible des réalités économiques du moment (le cadre théorique reste celui d’une coordination d’agents ayant leurs propres comportements individuels et dont les actions sont coordonnées par le marché).
3 Si l’on en croit le Petit Larousse : une doctrine est l’« ensemble des notions d’une école littéraire ou philosophique, d’un système politique, économique, etc. ou des dogmes d’une religion ». Cette définition étant trop vague pour être véritablement opérante, nous préférons utiliser ce terme en référence à l’ouvrage Histoire des doctrines économiques (4e édition, 1922) de Charles Gide et Charles Rist. La Doctrine fait référence à la fois à un temps historique (la doctrine s’est fait détrôner dans les années 30 par la théorie, qui s’est elle-même divisée en analyse économique et politique économique (au sens d’instruments), Dieterlen, 1955), à une discipline distincte (l’histoire des faits économiques permet de comprendre l’apparition ou la disparition d’une doctrine) et au fait qu’il est difficile de nier l’influence des économistes (et donc des Écoles de pensée) sur les législations nationales ou les politiques internationales.
4 Le régime de la libre concurrence et du capitalisme pur serait donc un mythe, qui, même aux États-Unis, « ne correspondrait pas à la réalité d’une société transformée depuis longtemps en économie mixte et en État Social » (Schlesinger, 1965, p. 548, cité par Shonfield).
5 Shonfield (1967, p. 129) rappelle « qu’un trait fondamental de la conception française de la planification reposait sur la distinction entre les industries clés, où la réalisation des objectifs était essentielle au succès de l’effort économique national, et les autres industries qui pouvaient demeurer en arrière, sans entraîner de conséquences graves ».
6 Cette dernière qui vit le jour en 1933, englobait près de 140 sociétés et employait 284 000 personnes en 1965. Pour se donner une idée du rôle de l’entreprise publique dans l’industrie italienne d’après-guerre, on peut rappeler que l’IRI détenait les 4/5 du capital des trois principales banques commerciales du pays.
7 Dans leur ouvrage La planification économique en France (1968), Jean Fourastié et Jean-Paul Courteoux insisteront sur trois arguments fondamentaux en faveur de la planification : 1o l’état de désorganisation profonde dans laquelle se trouvait l’économie ; 2o la faiblesse de la droite libérale en 1946 ; 3o l’initiative intellectuelle de la création du Commissariat au Plan, et plus précisément la personnalisation du Plan (« Le plan, c’était un homme. M. Jean Monnet », [1968, p 10]).
8 Shonfield (1967, p. 95) rappelle que même « la gauche britannique, [parvenue au pouvoir de 1945 à 1951] répugnait à créer les moyens permettant au gouvernement central d’exercer son influence sur la planification économique à long terme… La conception traditionnelle du laisse-faire avait disparu, mais l’ancienne méfiance instinctive à l’égard d’un pouvoir actif qui se mêle de discerner les besoins de la collectivité, avant que celle-ci ne les ait ressentis elle-même, était plus vigoureuse que jamais ».
9 On rappellera que durant la seconde moitié du xixe siècle, les chemins de fer, les canaux, les banques… furent considérés comme relevant normalement de l’initiative publique.
10 Louis Rougier est avant tout présenté comme l’un des pères de la philosophie analytique de langue française (Berndt, Marion, 2006). C’est lui qui organisa avec Carnap, Franck, Neurath et Reichenbach, le premier colloque international de la philosophie scientifique à la Sorbonne en septembre 1935. Il bénéficiait d’une certaine aura auprès des maîtres à penser du Cercle de Vienne (Pont, 2006, p. 3). Sa mauvaise réputation (son nom est associé à l’extrême droite, on l’accuse d’avoir été un collaborateur sous l’Occupation et d’être un antisémite) semble avoir joué un rôle non négligeable dans l’étude de son œuvre.
11 Son grand-père Paul Rougier (1826-1901) était professeur d’économie politique à la Faculté de Lyon et fondateur de la Société d’Économie Politique (1866) et d’Économie Sociale de Lyon (1889). Il en sera le secrétaire général pendant plusieurs années (Engel, 2007).
12 Dans la préface de la Cité Libre, André Maurois (1938, p. 3) note qu’avec « le livre de Walter Lippmann, avec celui de Louis Rougier sur les Mystiques économiques, avec celui du professeur viennois Ludwig von Mises sur le Socialisme, nous assistons, en ces trois pays différents, à une renaissance intellectuelle du libéralisme ».
13 Louis Rougier note que Walter Lippmann examine « ces mouvements sociaux non seulement sous leur forme fasciste et communiste, mais aussi dans le collectivisme progressif des États démocratiques, en essayant de déterminer si une société peut être planifiée et dirigée pour vivre dans l’abondance et en paix » (Rougier, 1938a, p. 11).
14 Certains proposèrent de ne plus faire référence au libéralisme afin d’éviter certaines connotations. Louis Baudin Auguste Detœuf, Jean-Louis Marlio considéraient que le mot libéralisme renvoyait directement aux travaux des disciples de Bastiat, Guyot ou Molinari. Ces économistes manchestériens qui avaient prôné le laisser-faire, le laisser-passer. Louis Baudin entendait lui substituer le mot individualisme qui aurait l’avantage de placer le colloque sous la bannière des grands classiques, Adam Smith, Jean-Baptiste Say, Stuart Mill… De son côté, Robert Marjolin soulignait que le mot liberté prêtait à confusion. Dans un contexte d’agression extérieure, il était judicieux de renoncer à certaines libertés pour éviter la guerre. D’autres tels que Louis Rougier et Jacques Rueff considéraient que le mot libéralisme était le bon mot. Il impliquait le respect d’un ordre légal qui permettait aux individus de vivre ensemble. Ce sentiment semblait partager par Ludwig von Mises, Jean Louis Marlio et José Castillejo pour qui le libéralisme est l’unique rempart aux idées totalitaires (son abandon serait interprété comme un recul, sinon une concession au collectivisme) et synonyme de libération face à l’absolutisme.
15 « L’appareil des droits légaux dans toute société existante est un domaine de la plus grande complexité, le résultat acquis par des siècles de législation et de décisions judiciaires. Déterminer en quoi ces droits devront consister, pour satisfaire le public dans son choix délimiter leur portée et leur contenu, voilà une tâche de la plus haute difficulté. À quels objets s’étendront les droits de propriété ? S’appliqueront-ils aux idées et aux inventions ? Ou bien seront-ils limités à de rares ressources matérielles et à leur utilisation ? » (Robbins, 1938, p. 204).
16 Dans le Traité d’économie pure (1943, 1952, 1994), Maurice Allais précise que l’ouvrage de Robbins a fait partie de ses premières lectures.
17 Si Maurice Allais n’a pas participé au colloque Lippmann, ses lectures (compte rendu du colloque par Louis Rougier, 1939 ; les Mystiques politiques contemporaines et les Mystiques économiques) vont l’inciter à écrire à Louis Rougier en septembre 1945. Les préoccupations de Maurice Allais étaient alors purement économiques et libérales, sa vocation d’économiste (Allais, 2001, p. 332) avait été déterminée par les conséquences socio-économiques de la Grande dépression aux États-Unis (voyage en 1933) et le suivi des troubles sociaux en France (échec relatif du Front Populaire dans sa volonté d’engager des réformes de structures). Se sentant en « profonde sympathie avec les idées libérales exprimées dans les écrits [de Rougier] » (Allais, 1990, p. 12), les deux hommes entament une intense correspondance de septembre 1945 à juillet 1947. À partir de cette date, ils prennent l’habitude de se rencontrer au sein du Groupe de Recherches Économiques et Sociales (GRECS) que Maurice Allais a fondé à la Libération avec Auguste Detœuf. Louis Rougier y fera deux conférences, l’une consacrée à la Réforme de la Constitution et la Sauvegarde des Libertés Fondamentales (novembre 1951), l’autre aux Causes du Développement de l’Occident (décembre 1960). Les 7 et 8 février 1859, Maurice Allais organise le Colloque pour une Société Libre au cours duquel Louis Rougier présente le Manifeste pour une Société Libre. Malgré les nombreux efforts des différents protagonistes – présence de Jacques Rueff et d’André François-Poncet – ce mouvement n’aura qu’une expérience éphémère.
18 D’une certaine manière, l’ouvrage de Maurice Allais, Abondance et Misère (1946), peut être interprété comme une réponse à celui d’Hayek, The Road to Serfdom (1944), traduit en français sous le titre, la Route de la servitude (1946).
19 La situation économique de l’Angleterre a été décrite par Bertrand de Jouvenel dans un ouvrage intitulé les problèmes de l’Angleterre Socialiste (1947).
20 Economic Survey for 1947.
21 Industrial Charter.
22 En 1950-1951, Malinvaud fait un séjour à la Cowles Commission (Chicago), où il a l’occasion de se distancer de Allais et de se familiariser à la théorie keynésienne (et à la méthodologie macro-économétrique). Il s’y familiarisera plus encore par la suite, en travaillant à l’INSEE et au SEEF (1951-1956) où il contribue à élaborer les comptes nationaux, et plus tard les modèles macro-économétriques, dans le cadre de la planification française (Renault, 2016).
- Thème CLIL : 3340 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Histoire économique
- ISBN : 978-2-406-10602-9
- EAN : 9782406106029
- ISSN : 2495-8670
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-10602-9.p.0091
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 27/05/2020
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français
- Mots-clés : Doctrine, libéralisme, Malinvaud, planification, théorie